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<title>Théologie du cœur et de l’esprit</title>
<author key="La Feuille, Charles-Gaspard de (....-1725)">Charles-Gaspard de La Feuille</author>
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<edition>OBVIL</edition>
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<publisher>Sorbonne Université, LABEX OBVIL</publisher>
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<licence target="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/3.0/fr/"><p>Copyright © 2019 Sorbonne Université, agissant pour le Laboratoire d’Excellence «
Observatoire de la vie littéraire » (ci-après dénommé OBVIL).</p>
<p>Cette ressource électronique protégée par le code de la propriété intellectuelle
sur les bases de données (L341-1) est mise à disposition de la communauté
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3.0 France (CCBY-NC-ND 3.0 FR) ».</p>
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l’adresse Internet de la ressource.</p>
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<p>Pas de Modification : l’OBVIL s’engage à améliorer et à corriger cette ressource
électronique, notamment en intégrant toutes les contributions extérieures, la
diffusion de versions modifiées de cette ressource n’est pas souhaitable.</p></licence>
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Charles-Gaspard de La Feuille,
<hi rend="i">Théologie du cœur et de l’esprit,</hi>
<pubPlace>Nancy</pubPlace>,
<publisher>Jean-Baptiste Cusson</publisher>,
1698, rééd. <date>1724</date>
<biblScope>p. 252-267</biblScope>
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<head rend="small">[FRONTISPICE]</head>
<p rend="center"> <hi rend="big">THEOLOGIE<lb/>DU COEUR<lb/> ET DE L'ESPRIT,</hi><lb/><hi rend="i"> Par le Pere <hi rend="sc"><hi rend="i">C. G. de la Feuille</hi></hi>, de l'Or-<lb/>dre des Freres Prêcheurs, ancien Professeur en<lb/> Theologie ; présentement Confesseur des Dames<lb/> de l'Abbaye Royale de Poulancy.</hi>
<lb/><hi rend="ls">TOME SECOND.</hi>
<lb/>Des Commandemens de Dieu.
<lb/><hi rend="ls"><hi rend="i">NEUVIEME EDITION</hi></hi>,
<lb/><hi rend="i">Revue & corrigée par l'Auteur.</hi></p>
<p>A NANCY,
<lb/>Chez <hi rend="smallcaps">Jean-Bapt. Cusson</hi>, Imprimeur Libraire
<lb/>de S.A.R. sur la Place, au Nom de <hi rend="smallcaps">Jesus</hi>.</p>
<ab type="line">______________________________</ab>
<p><lb/>M. DCCXXIV</p>
<p><hi rend="i">Avec Approbations & Privilege.</hi></p>
<ab type="line">______________________________</ab>
<p><hi rend="small">Et se trouve à Paris chez <hi rend="sc">Pierre-Augustin Le Mercier</hi>, rue
<lb/>S. Jacques, vis-à-vis S. Yves, à S. Ambroise.</hi></p>
<label><pb n="252" xml:id="p252"/><hi rend="i">Vingtiéme remède au péché d’Impureté.</hi></label>
<p><hi rend="i">Le vingtième remède au péché de Luxure, c’est de ne jamais se
trouver aux Comédies, ni à de pareils spectacles.</hi> Ce n’a été que dans
nos derniers siècles, qu’on a entrepris de justifier de si pernicieux
divertissements. Ceux qui dans les temps antérieurs faisaient profession de
piété, n’en ont parlé qu’avec horreur ; et tous ont reconnu que le Théâtre ne
s’accordait point avec le Christianisme. On veut aujourd’hui que la conscience
s’accorde avec le crime, afin qu’elle ne soit point troublée par ses remords.
N’y ayant donc point de divertissement plus agréable aux gens du monde que la
Comédie, ils s’efforcent de s’en assurer une jouissance paisible, pour que rien
ne manque à leurs plaisirs. Peut-on envisager la matière, le but, et les
effets des Comédies, et ne pas les condamner ? Quelles impressions ne
laissent-elles point à ceux qui les voient représenter ? et peuvent-ils
accorder ces impressions avec la sainteté de notre Religion ? Que voit-on dans
ces Spectacles ? Des hommes et des femmes qui représentent des passions de
haine, de colere, d’ambition, de vengeance, et d’amour. <pb n="253" xml:id="p253"/>Ils les
expriment vivement : peuvent-ils le faire qu’après les avoir excitées en eux ?
et nous les représenter, sans nous faire ressentir les mêmes impressions
qu’ils ressentent ? Toute leur vie ne se passe-t-elle pas dans ce damnable
exercice ? et n’est-ce pas autoriser le vice, et exposer son salut, que
d’assister à de pareils spectacles ?</p>
<p>L’amour étant la plus forte impression que le premier péché a fait sur nous, rien
n’est plus dangereux que de l’exciter, que de le nourrir, et de s’exposer à
tout ce qui en favorise le cours. Y a-t-il rien qui flatte plus cette passion,
que tout ce qui se voit et tout ce qui se dit dans les Comédies ? Ce qui sert
le plus à la tenir en bride, est une certaine horreur que la bonne éducation
et le Christianisme en inspirent. Or rien n’affaiblit plus cette horreur, que
la Comédie, où l’amour paraît d’une manière, qui au lieu de rendre cette passion
horrible, est capable de la faire aimer. L’esprit s’y apprivoise peu à peu ; on
apprend à la souffrir, à en parler, et l’âme s’y laisse aller. On la déguise
sur le Théâtre ; on l’embellit par l’art ; on la justifie par le tour que lui
donne le Poète ; on n’y trouve plus rien de honteux, et on la voit avec
plaisir : mais peut-on sans danger, voir avec plaisir une passion qu’on ne doit
point avoir ? et n’approuve-t-on pas secrètement tout ce qu’on goûte ?</p>
<p>C’est un autre effet du premier péché, de ne point goûter les biens spirituels :
le Théâtre rend ce dégoût encore plus grand. On y apprend à juger de toutes
choses par les sens, et <pb n="254" xml:id="p254"/>l’on s’accoutume à ne regarder comme
bien que ce qui les frappe. Au lieu de délivrer l’âme de la dépendance où elle
est à leur égard, on multiplie ses liens par les Comédies et les Romans ;
et on la contraint d’être toute dans les yeux et dans les oreilles. Nous
devrions sans doute la renfermer au-dedans de nous-mêmes, en l’occupant de sa
dignité ; et nous la tirons, par les spectacles, du dedans au dehors, où
depuis le péché elle a tant de penchant à se répandre. Nous l’amusons par des
choses frivoles ; et bien loin de satisfaire sa faim par une nourriture
solide, nous la trompons, en ne lui donnant que des viandes peintes, et en
l’empoisonnant par l’erreur et le mensonge.</p>
<p>Dans les Spectacles nous apprenons deux choses, qui nous sont également
funestes : l’une, de nous ennuyer de tout ce qui est serieux : l’autre, de nous
plaire dans la dissipation. Le premier de ces désordres est un obstacle à toutes
les vertus : le second est une entrée à tous les vices. Ceux qui sont les plus
passionnés pour les Comédies, n’en ignorent pas toujours le vide et le
faux : mais par la corruption de leur cœur, ils ne laissent pas d’aimer ce
qu’ils sentent n’être pas aimable. Notre pente aux plaisirs des sens, est une de
nos plus dangereuses maladies. Nous ne pouvons nous en guérir, qu’en nous
privant de tout ce qui peut satisfaire notre mauvais penchant. Que penserait-on
d’une personne à qui on aurait confié le soin d’un malade ; et qui au lieu de
lui faire prendre <pb n="255" xml:id="p255"/>des remèdes propres à le soulager, lui
accorderait tout ce qui peut augmenter son mal ? Nous exerçons cette cruauté
envers nous-mêmes, en prenant les plaisirs de la Comédie. C’est en nous refusant
tout ce qui peut favoriser nos passions, et les flatter, et non pas en
nous dissipant, que nous entretenons la vie de nos âmes. C’est en lisant, et
en nous occupant de bonnes choses, que nous nous procurons une paix solide en
cette vie, et une éternité de gloire en l’autre.</p>
<p>Pratiquons-nous les plus rigoureuses austérités ? nous observons un régime que
Jésus-Christ nous a prescrit, et que les plus grands Saints ont observé.
C’est en l’observant que nous procurons à nos corps en même temps qu’à nos âmes
leur souveraine félicité. Ne sommes-nous pas obligés de rendre heureux l’un
et l’autre ? Or le bonheur que nous devons procurer à nos corps, ce n’est pas
de les abandonner à leurs plaisirs, c’est de les rendre brillants de gloire dans
le Ciel ; et le bonheur que nous devons procurer à nos âmes, c’est de les
rendre dignes de posséder Dieu pendant l’éternité. Ce n’est point par la lecture
des Romans, non plus que par le plaisir de la Comédie, que nous arriverons à ces
deux fins : est-il rien de plus dangereux à notre innocence ?</p>
<p>Ce qui rend la Comédie plus dangereuse, c’est qu’elle éloigne tous les remèdes
qui peuvent empêcher les mauvaises impressions qu’elle fait sur nous : car après
avoir amolli notre <pb n="256" xml:id="p256"/>cœur, elle enivre si fort notre esprit de toutes
les folies qu’elle lui représente, qu’elle nous met hors d’état d’avoir la
vigilance nécessaire pour résister aux mauvaises idées qui nous restent de ce
que nous avons vu et entendu. Ceux qui vivent dans la retraite, ne laissent
pas de trouver de grandes difficultés dans la vie chrétienne, et de recevoir
de dangereuses atteintes du commerce du monde, lorsque la nécessité, et la
charité même les y engage. Quelque attention qu’ils aient à se tenir sur leurs
gardes, à peine peuvent-ils se préserver de l’infection du mauvais air qu’ils y
respirent : quelles peuvent être les plaies et les chutes de ceux qui menant
une vie toute sensuelle, s’exposent à des dangers dont les plus forts
n’entreprendraient pas de se tirer ?</p>
<p>La Comédie est une tentation recherchée, qui éloigne les secours du Ciel. Ceux
qui s’y exposent de gaieté de cœur, peuvent-ils croire sans témérité, que Dieu
les en délivrera ? Ne nous apercevant peut-être pas d’abord des mauvaises
impressions que les Comédies font sur nous, nous nous flattons
aisément qu’elles ne nous sont point dangereuses : mais nous nous trompons ; car
les tentations ont divers degrés. Les premiers ne sont point sensibles ; ils ne
laissent pas cependant de nous conduire à une corruption de cœur et d’esprit.
C’est beaucoup nuire à son âme, que de l’accoutumer à regarder sans horreur le
plaisir que les mondains trouvent à aimer, et à se faire aimer ; <pb n="257" xml:id="p257"/>et c’est là un des premiers effets de la Comédie. L’aversion qu’on avait
d’aimer avec passion, servait comme de remparts, qui fermaient l’entrée de notre
cœur au Démon ; et quand ils sont ruinés par la Comédie, il y entre aisément.
On ne succombe guère aux grandes tentations, que parce qu’on s’est affaibli
dans les occasions qui paroissaient peu considérables.</p>
<p>Vous apercevez-vous que les Comédies n’excitent pas en vous des passions
violentes ? vous ne devez pas pour cela vous croire en sûreté. La parole de
Dieu, qui est la semence de la vie ; et la parole du Démon, qui est la
semence de la mort, ont cela de commun, qu’elles demeurent quelquefois
longtemps cachées dans le cœur, sans produire aucun effet sensible. Dieu
attache, quand il lui plaît, le salut de certaines personnes à des paroles de
verité qu’il a semées dans leurs âmes vingt ans auparavant, et qu’il
réveille, après ce nombre d’années, pour leur faire produire des fruits de vie.
Le Démon se contente de même, de remplir notre mémoire des idées qu’on reçoit à
la Comédie, sans passer plus avant ; et longtemps après il les excite, pour
nous faire porter des fruits dignes de mort. Cet Esprit de ténèbres ne causant
point en nous sur le champ les mauvais effets de la Comédie, il les produit dans
la suite.</p>
<p>Sommes-nous d’un rang distingué, ou d’une piété apparente ? nous contribuons à
bien des crimes, en autorisant par notre présence les <pb n="258" xml:id="p258"/>spectacles.
Plus nous sommes réglés dans nos autres actions, plus les gens déréglés sont
hardis à nous imiter en celle-ci. Pourquoi feraient-ils scrupule d’aller à la
Comédie, puisque nous qui faisons profession de piété, nous nous y trouvons ?
Les personnes sur qui on ne prend point d’exemples, ne sont guère coupables que
de leurs propres péchés : mais ceux qui passent pour vertueux, sont souvent
responsables de bien des fautes qui se commettent par des Âmes faibles, qui
n’ont pas la force de résister aux mauvais exemples.</p>
<p>Quelque soin que l’on prenne de séparer de la Comédie et des Romans, les
images des dérèglements grossiers, on n’en ôtera jamais le venin. On y voit
toujours une vive représentation de l’attache passionnée d’un sexe pour l’autre,
et le plaisir qu’ont les femmes d’être aimées et adorées des hommes.
Peut-on recevoir de pareilles impressions, de pareilles idées, de pareilles
images, et y être insensible ? Les Comédies n’excitent pas seulement le feu
de l’amour, elles enseignent aussi la manière de l’exprimer. Bien des gens
étouffent de mauvais desseins, parce qu’ils manquent d’expressions ; ils n’ont
point cette manière ingénieuse, cette délicatesse, pour marquer les mouvements de
leur cœur, et ils en demeurent là. Fréquentent-ils les Comédies ? ils ont
bientôt appris un langage que tous les Chrétiens devraient ignorer. D’autres,
sans être touchés, représentent un Comédien, ou une Comédienne, et affectent
de <pb n="259" xml:id="p259"/>faire paraître leur esprit à exprimer ce qu’ils ne sentent
point : par là ils s’engagent insensiblement dans des passions qu’ils ne
voulaient que contrefaire. C’est là un autre effet de la curiosité qu’on a
d’assister aux Comédies. A-t-on horreur pour une chose ? on ne doit point la
représenter, ni se plaire à la voir représenter : car on ne manque guère
d’aimer bientôt un vice dont l’image commence à plaire. Si nous avions l’idée
de l’amour dans sa naturelle difformité, nous ne pourrions en souffrir la
laideur. Mais les portraits flatteurs qu’on nous en fait, aidés de la corruption
de notre nature, excitent aisément en nous je ne sais quel penchant pour ce
malheureux vice ; et ce penchant, quelque faible qu’il soit dans son
commencement, s’étend bientôt plus loin qu’on ne pouvait croire. Il n’allume
pas seulement en nous un amour déréglé des plaisirs des sens, il jette aussi
dans nos cœurs la semence de tous les autres vices.</p>
<p>Ceux qui dans leurs Comédies ont le plus affecté une certaine honnêteté
apparente, n’ont évité de donner des pensées contre la pureté, que pour exciter
en nous d’autres idées qui ne sont pas moins dangereuses. Leurs Pièces ne sont
que de vives représentations de l’orgueil, de l’ambition, de la jalousie, et
de la vengeance. Plus ils colorent ces vices d’une image de grandeur d’âme et
de générosité, plus ils les insinuent dans nos âmes. C’est parce que le fond de
notre nature est corrompu, <pb n="260" xml:id="p260"/>que nous entrons dans ces sortes de
passions qui nous sont représentées. Elles excitent en nous des mouvements
semblables à ceux qui tombent sous nos yeux ; et c’est là le but des
Acteurs : car la fin qu’ils se proposent, c’est de plaire à ceux qui les
écoutent ; et pour leur plaire ils exposent des sentiments qui s’accordent
avec la corruption de ceux à qui ils parlent : et comme ils parlent à des
gens dont la plupart ont l’esprit perverti, et le cœur gâté, ils leur
représentent des emportements violents, ou de vengeance, ou de jalousie, ou
d’ambition : ils joignent à cela de pernicieuses maximes, capables de corrompre
les âmes les plus innocentes.</p>
<p>Voit-on rien de plus dangereux que la morale des Comédies et des Romans ? Elle
est un amas de fausses opinions, qui naissent de la concupiscence, et qui ne
sont agréables qu’en ce qu’elles flattent la corruption de notre nature. On ne
doit pas croire que les mauvaises maximes dont les Comédies et les Romans
sont remplis, ne nous nuisent point, parce que nous n’avons pas intention de
former nos sentiments sur ceux qu’on nous représente, mais seulement de nous
divertir. Manquent-ils jamais de faire de mauvaises impressions en nous ? Ne
ressentons-nous pas plus vivement un affront, aprés avoir été à de certaines
Comédies, que nous n’eussions fait auparavant ? et ne nous portons-nous pas
plus facilement à nous venger ? Si dans les Comédies et les Romans
on ne parlait de la vengeance que comme d’une <pb n="261" xml:id="p261"/>action basse, et
si l’on n’y traitait que de gens insensés, ceux qui se battent en duel, les
mouvements de ceux qui font de pareilles lectures, ou qui assistent à de pareils
spectacles, quand ils se trouvent offensés, seraient beaucoup moins vifs qu’ils
ne le sont : car ce qui les rend violents, et ce qui les porte à la vengeance,
c’est la fausse opinion que donnent les Comédies et les Romans, qu’il y a de
la lâcheté à souffrir une injure. Bien loin de détester cette impression, on met
son plaisir à la sentir, et son honneur à suivre les mouvements qu’elle
inspire : et pourquoi s’y abandonne-t-on ? C’est que l’image qu’on nous donne
de la vengeance, est si flattée, et tellement embellie, que bien
loin d’attirer notre haine, elle attire notre amour ; et c’est ainsi qu’une
passion, qui ne causerait que de l’horreur si elle était représentée telle
qu’elle est, devient aimable par les couleurs qu’on lui donne, et par la
manière artificieuse dont on nous la représente.</p>
<p>Que trouve-t-on dans les Romans, et que nous remet-on devant les yeux dans les
Comédies, que d’autres passions embellies de même, et dont les images nous
plaisent ? S’il n’est point permis d’aimer les vices, peut-on se plaire à ce qui
a pour but de nous les rendre aimables ? et n’est-ce pas là que tendent les
Comédies et les Romans ? Ne sent-on point d’éloignement pour le portrait des
dérèglements qu’on nous y représente ? dés là nous aimons les vices qui nous sont
représentés.</p>
<p><pb n="262" xml:id="p262"/>Les vertus chrétiennes ne peuvent guère être des matières de
théâtre. On n’y veut que les images des vices les plus violents, et des
passions les plus animées. La pauvreté, la patience, l’humilité n’ont rien dont
la représentation puisse divertir ceux qui aiment les Comédies : aussi n’en
parle-t-on jamais dans ces spectacles prophanes : il y faut quelque chose de
plus vif, qui se sente d’une fausse grandeur, d’un amour aveugle, ou de quelque
pareil sujet ; et c’est ce qui ne s’accorde point avec la sagesse chrétienne.
Les portraits des amitiés communes n’y réjouiraient point non plus ; et rien
ne paraîtrait plus froid sur le théâtre, que l’image d’un mariage Chrétien,
dégagé de passions de part et d’autre. On veut que dans tout ce qu’on y
représente, il y ait du transport ; on veut que la jalousie y entre, que la
volonté des parents se trouve contraire, et qu’on emploie des intrigues pour
le faire réussir. N’apprend-on point par là aux personnes qui auront la passion
de se marier, de se servir des mêmes adresses pour arriver à leur fin ? Ce sont
de pareilles leçons qu’on donne dans les Comédies, où l’on ne remplit que de
mauvaises choses l’imagination des spectateurs.</p>
<p>Chacun condamnerait un Religieux, qui se trouverait à ces sortes d’assemblées,
parce que personne n’ignore la disproportion de ce divertissement avec la
sainteté de la vie dont une âme vouée à Dieu doit faire profession. Ne
devrait-on pas être choqué de même, d’y voir un <pb n="263" xml:id="p263"/>Chrétien, qui n’est
pas moins obligé par les vœux de son Baptême, à mener une sainte vie, qu’un
Religieux l’est par les vœux de son état ? Dans ce Sacrement, nous nous
engageons par une promesse solemnelle, de ne plus vivre à nous, ni au monde,
mais de faire vivre Jésus-Christ en nous, et nous en lui ; de manière que
notre vie soit une imitation de la sienne. Si l’on envisageait ainsi les devoirs
d’un Chrétien, on connaîtrait aussitôt combien la Comédie est opposée à ses
obligations. Il ne faudrait pas de grands raisonnements pour l’en convaincre ;
comme il n’en faut point pour persuader à un Religieux que ces spectacles
scandaleux lui sont interdits. Un Chrétien ne se rendrait-il pas la même
justice, s’il faisait attention que toutes ses pensées, toutes ses paroles,
et toutes ses œuvres sont dues à J.C. et doivent être rapportées à sa
gloire ? Pourrait-il dire au Seigneur, que c’est pour le glorifier, et pour
lui plaire, qu’il va s’exposer à mille dangers de l’offenser ? et
souffrirait-on sans horreur l’impiété de ce langage ? Oserait-il lui offrir
cette action, et lui dire que c’est pour l’honorer, se sanctifier, et
édifier le prochain, qu’il va à la Comédie ? Toute action qu’on n’oserait offrir
à Dieu, et dont le Christianisme n’est point le principe, est illicite. Toute
action dont on n’oserait rendre grâce à Dieu, comme en étant la première cause
et la dernière fin, est encore moins permise à un Chrétien.</p>
<p>En quelle qualité peut-il prendre part aux <pb n="264" xml:id="p264"/>divertissements
prophanes ? S’il se considère comme pécheur, il doit reconnaître que rien n’est
plus contraire à la pénitence qu’il est obligé de faire, que la recherche des
divertissements qui achèveront de le perdre. Se considère-t-il comme enfant de
Dieu, comme membre de Jésus-Christ, comme éclairé de ses lumières, enrichi de
ses grâces, nourri de son Corps, héritier de son Royaume ? il doit se persuader
que rien n’est plus indigne de toutes ces qualités, que de prendre part aux
folles joies des Enfants du siècle, et de nourrir son esprit des chimères dont
les Comédies le remplissent.</p>
<p>Un des premiers effets de la lumière de la grâce, est de découvrir à l’âme le
vide, le néant, et l’instabilité des choses de ce monde, qui s’écoulent,
et qui s’évanouissent comme des fantômes. Si toutes les choses de cette vie
ne sont que des figures et des fantômes, en quel rang doit-on mettre les
Comédies, qui n’en sont que les ombres, puisqu’elles ne sont que de vaines
images de ce qui se passe dans le monde ? Un autre effet de cette même lumière
de la grâce, est de nous ouvrir les yeux sur la grandeur et la solidité des
biens du Ciel. Demandons au Seigneur, avec le Prophete, qu’il détourne notre vuë
des vanités qui nous tentent et qui nous amusent ; et prions-le qu’il nous
imprime de la haine et de l’horreur pour tous les divertissements dangereux à
notre innocence.</p>
<p><pb n="265" xml:id="p265"/>La nécessité où l’on est de prendre quelque sorte de divertissement
et de relâche, ne peut pas excuser la Comédie, qui ne fut jamais un
divertissement permis. Car que nomme-t-on divertissements permis ? Sont-ils autre
chose que des délassements de l’esprit, qui le mettent en état de reprendre ses
saints exercices, et de les continuer avec plus de perfection ? Tant s’en
faut que les Comédies puissent nous aider à reprendre et à continuer nos
saintes occupations avec plus de perfection, qu’elles y sont de grands
obstacles. Ne remuent-elles pas nos passions, et ne nous dérèglent-elles
point ? Rien sans doute ne rend une âme plus mal disposée au recueillement et
à l’oraison, que de pareils spectacles ; et rien ne prouve mieux leurs
dangers, que l’opposition qu’ils ont avec la prière continuelle dont l’Apôtre
nous fait un précepte. Ils nous troublent l’imagination, et nous dérangent,
par les mauvaises idées qu’ils nous impriment.</p>
<p>Comme le besoin que nous avons de manger, ne nous permet pas d’user de viandes
qui nous nuisent ; le besoin que nous avons de délasser notre esprit, ne nous
permet pas non plus de prendre des divertissements dommageables à notre âme,
et qui nous rendent moins propres que nous n’étions, à continuer nos saints
exercices. Or les Comédies et les Romans ne rendent pas seulement nos esprits
mal disposés pour de saintes occupations, mais elles nous donnent du dégoût pour
les <pb n="266" xml:id="p266"/>actions sérieuses. Un mari en revient la têté remplie de Héros
et d’Héroïnes ; il imprime si fort dans son esprit toutes ces chimères, que
ses affaires domestiques lui deviennent importunes. Une femme occupée des
adorations qu’elle a vu rendre sur le théâtre à des personnes de son sexe, se
rebute de son mari, qui n’a point pour elle des manières comédiennes.</p>
<p>Un Chrétien qui a renoncé au monde, et à ses plaisirs, ne doit point
rechercher le divertissement pour le divertissement, et ne peut en prendre
que par nécessité ; c’est-à-dire, qu’il ne peut en prendre que pour délasser son
esprit, et reprendre ses forces. Le besoin qu’on a de divertissement, est
moins grand qu’on ne croit ; et souvent il consiste plus en une nécessité
imaginaire, qu’en une nécessité réelle. Ceux qui se sont occupés à des ouvrages
extérieurs, n’ont pas besoin de divertissements pour réparer leurs forces, ils
ont besoin seulement de cesser leur travail pendant un temps. Ceux qui se sont
employés à des occupations d’esprit pénibles, n’ont besoin non plus que de se
désappliquer, et de se recueillir, et non pas de s’engager dans des
divertissements qui fatiguent plus qu’ils ne délassent. Un homme qui s’est
fortement appliqué à une affaire, ou à une étude serieuse, n’est-il pas
satisfait, quand il a cessé sa grande application ? et ne se divertit-il pas
dans tout ce qui le désoccupe ?</p>
<p>Nous finissons cette matière des divertissements peu convenables aux âmes chastes,
par <pb n="267" xml:id="p267"/>les paroles de S. Basile. La Comédie, dit ce grand Saint, est
une Ecole publique, où l’on apprend tout ce qu’on nomme <hi rend="i"
>impudicité</hi>. Elle est une assemblée, dont le Démon fait le centre,
et dont la circonference est environnée de plusieurs autres Démons, tous
occupés à suggérer aux spectateurs mille pensées sales, mille desirs criminels.
On ne condamnerait pas des assemblées de plaisirs, si elles se faisaient avec
retenue et modestie : mais de la manière qu’elles se font aujourd’hui, on ne
peut que les condamner. Ces jours de réjouissance, sont des jours favorables au
péché. C’est un malheur d’être engagé de se trouver à de pareils divertissements,
et une grande imprudence, de ne pas se précautionner contre l’air empesté
qu’on y respire. Car peut-on se flatter de sortir innocent de ces assemblées, où
tous les sens sont assiégés, et enivrés de plaisirs, et où il est presque
toujours d’une complaisance indispensable de manquer de modestie ?</p>
</div>
</body>
</text>
</TEI>