manuels/domairon_principes-generaux-01_1807.xml

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    <title>Principes généraux des belles-lettres. Tome I (3e éd.)</title>
    <author key="Domairon, Louis (1745-1807)" ref="https://data.bnf.fr/fr/12295331/louis_domairon/"
     >Louis Domairon</author>
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    <publisher>Sorbonne Université, LABEX OBVIL</publisher>
    <date when="2019"/>
    <idno>http://obvil.sorbonne-universite.fr/corpus/ecole/domairon_principes-generaux-01_1807</idno>
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     <licence target="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/3.0/fr/">
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    <bibl>Louis Domairon, Principes généraux des belles-lettres, [1re éd. 1784-1785], par M.
     Domairon, Ancien Professeur des Belles-Lettres à l’École Militaire de Paris, Inspecteur général
     de l’Instruction publique ; Ouvrage adopté par la Commission des Livres classiques, pour
     l’usage des Lycées et des Écoles secondaires, tome I, <edition>3<hi rend="sup">e</hi> édition,
      revue, corrigée et augmentée</edition>, <pubPlace>Paris</pubPlace>,
      <publisher>Deterville</publisher>, <date>1807</date>, XVI-408-XXXIV p. PDF : <ref
      target="http://purl.ox.ac.uk/uuid/abd1b84302aa4c549cc06701e6895cf4">Bodleian Library</ref>.
     Graphies modernisées.</bibl>
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    <date when="1807"/>
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   <div1 type="dedication">
    <pb n="v" xml:id="pv"/>
    <head><hi rend="sc">À mes anciens élèves de l’école militaire de Paris</hi>.</head>
    <salute><hi rend="sc">Mes</hi> chers anciens Élèves,</salute>
    <p rend="i">Voici une nouvelle Édition de l’ouvrage, où vous avez appris les principes de notre
     langue et de notre littérature. Vous la trouverez beaucoup plus étendue que la première, et en
     cela plus utile pour l’instruction de vos enfants. Je ne doute pas que, s’ils s’appliquent,
     comme vous vous êtes appliqués vous-mêmes, à cette étude des Belles-Lettres, <pb n="vj"
      xml:id="pvj"/>ils n’y fassent les mêmes progrès, et n’en recueillent les mêmes fruits.</p>
    <byline><hi rend="sc">Domairon</hi>.</byline>
   </div1>
   <div1 type="preface">
    <pb n="vij" xml:id="pvij"/>
    <head>Préface de la première édition.</head>
    <p><hi rend="sc">Un</hi> Auteur qui produit un Ouvrage sur une matière que tant d’autres
     Écrivains ont traitée, s’impose l’obligation de dire pourquoi il le fait. Voici en peu de mots
     les raisons qui m’engagent à publier celui-ci.</p>
    <p>Chargé d’enseigner les Belles-Lettres Françaises aux Cadets Gentilshommes de l’École Royale
     Militaire, je me suis attaché à leur donner des notions générales, mais précises, de tous les
     objets importants qu’elles renferment, et qu’il n’est pas permis à l’homme du monde d’ignorer.
     J’ai commencé par les Principes de l’Art d’écrire ; principes que je fais consister dans la
     correction, dans les agréments, dans <pb n="viij" xml:id="pviij"/>la chaleur et la véhémence du
     style. Pour les leur développer, il a fallu leur apprendre quelles sont les lois que nous
     prescrit notre langue, quels sont les ornements dont on peut embellir le discours, et en quoi
     consiste l’éloquence. À ces trois points, qui font la division de la première Partie, j’ai cru
     devoir ajouter des Observations générales sur l’Art d’écrire les Lettres, et sur le cérémonial
     qu’on y observe.</p>
    <p>En entrant dans le vaste champ des productions littéraires, j’ai présenté un tableau
     raccourci des quatre siècles, appelés par excellence les <hi rend="i">siècles des Arts</hi>.
     J’ai tâché d’exposer avec précision et avec clarté les règles des différents Ouvrages en
     prose ; du Discours oratoire en général, des Discours sacrés, des Discours du barreau, des
     Discours académiques, des Discours politiques, du genre historique, des Ouvrages didactiques,
     du <pb n="ix" xml:id="pix"/>Roman : et, après quelques notions préliminaires sur la
     versification française et sur la poésie en général, j’ai tracé les règles des différents
     Ouvrages en vers ; de tous ceux qui peuvent être compris sous le titre de <hi rend="i">Poésies
      fugitives</hi> ; des petits Poèmes et des grands Poèmes.</p>
    <p>J’ai cité des exemples, même en assez grand nombre. On sait que les jeunes gens en sont
     avides : ils les dévorent, quand ils sont bien choisis. D’ailleurs les bons exemples offrent
     tantôt de belles idées, qui ne peuvent qu’enrichir l’esprit, tantôt de grands sentiments,
     propres à former le cœur, et contribuent toujours infiniment à épurer le goût. Il était
     également essentiel de faire connaître les meilleurs modèles en tous les genres ; et, dans
     cette vue, j’ai terminé chaque article par une notice plus ou moins longue des plus célèbres
     Écrivains, soit anciens, soit modernes.</p>
    <pb n="x" xml:id="px"/>
    <p>Telle est la marche que j’ai suivie dans mes leçons, et tel est le plan de cet ouvrage. On a
     jugé qu’un des moyens d’accélérer les progrès des Cadets Gentilshommes, serait de le leur
     mettre entre les mains imprimé. D’un autre côté, des Gens de lettres ont pensé que la jeunesse,
     et même les personnes dont l’éducation a été négligée, pourraient en retirer quelque avantage.
     C’est ce qui m’a déterminé à le rendre public, disposé à profiter, le mieux qu’il me sera
     possible, des observations judicieuses de la critique. Si la voix de cette critique doit être
     écoutée par un Auteur qui écrit pour sa propre gloire, elle doit l’être encore davantage par
     celui qui a principalement écrit pour l’instruction des jeunes gens.</p>
   </div1>
   <div1 type="preface">
    <pb n="xj" xml:id="pxj"/>
    <head>Avertissement de l’auteur sur la seconde édition.</head>
    <p rend="i"><hi rend="sc">Les</hi> circonstances qui m’avaient obligé de hâter l’impression de
     cet Ouvrage, lorsque je le publiai, ne m’avaient point laissé le loisir de le soigner autant
     que je l’aurais désiré. Je n’ai pas manqué depuis de le faire, pour contribuer de plus en plus
     à la saine instruction de la jeunesse ; et je crois devoir dire ici que j’ai été encouragé à
     continuer ce travail, par les suffrages dont les bons instituteurs ont honoré la première
     Édition ; par le jugement favorable qu’en ont rendu les journalistes français ; par la mention
     flatteuse qu’en a faite l’auteur de <pb n="xij" xml:id="pxij"/>la <hi rend="i">Bibliothèque
      (allemande) des Sciences et des Arts</hi>, et par l’annonce de la <hi rend="i">Traduction</hi>
     qui en a été publiée en cette langue à Léipsick, avec des additions sur la littérature
     allemande.</p>
    <p rend="i">Toutes les augmentations que j’ai faites à cet Ouvrage, ont fourni la matière d’un
     troisième volume. Je n’ai cependant rien changé au plan, à l’ordre, à la méthode : je n’ai même
     rien corrigé dans le fond des choses. Mais j’ai ajouté un assez grand nombre d’articles ; j’en
     ai développé bien d’autres avec beaucoup plus d’étendue, et je crois n’avoir rien omis, pour
     offrir, dans cette nouvelle Édition, un petit <hi rend="i">Cours complet des
      Belles-Lettres</hi>, où l’on pourra puiser les notions essentielles de toutes les parties de
     la littérature, depuis les premiers <pb n="xiij" xml:id="pxiij"/>éléments de notre langue,
     jusqu’aux règles du Poème épique.</p>
    <p rend="i">J’ai pensé aussi qu’en mettant sous les yeux des jeunes gens des morceaux choisis de
     nos meilleurs écrivains, je pouvais bien par occasion leur apprendre un trait d’histoire ; leur
     faire connaître un homme célèbre, un Dieu, un héros de la fable, la situation d’une ville, d’un
     pays, etc. Ainsi j’ai joint aux exemples, des <hi rend="i">notes historiques, mythologiques,
      géographiques</hi>, que j’ai portées à la fin de chaque volume, en les rangeant par ordre
     alphabétique, et auxquelles j’ai eu soin de renvoyer en citant l’exemple même.</p>
    <p rend="i">On trouvera à la fin du troisième volume, une <hi rend="i">Lettre</hi>, qui n’a été
     écrite qu’après la première <pb n="xiv" xml:id="pxiv"/>Édition de cet Ouvrage, et qui, par la
     seule importance de son objet, m’a paru ne devoir point être déplacée dans celle-ci.</p>
   </div1>
   <div1 type="preface">
    <pb n="xv" xml:id="pxv"/>
    <head>Avis du libraire sur cette nouvelle édition</head>
    <p><hi rend="sc">Cet</hi> Ouvrage est assez avantageusement connu, pour qu’on puisse se rappeler
     que l’ancien Gouvernement l’adopta en 1784, pour l’instruction des Cadets Gentilshommes de
     l’École Royale Militaire, du nombre desquels était Sa Majesté l’Empereur et Roi, à qui l’auteur
     enseignait, dans cette maison, la Langue et la Littérature française.</p>
    <p>En l’an <num>xi</num> (1802), Sa Majesté Impériale et Royale, visitant le Prytanée de Paris,
     ordonna l’usage de ces <hi rend="i">Principes Généraux des Belles-Lettres</hi>, pour les
     Écoliers de Rhétorique. Elle les prescrivit de même aux Élèves de Saint-Cyr, en visitant ce
     Prytanée, l’an <num>xiii</num> (1805).</p>
    <p>La Commission nommée, par arrêté du Gouvernement, le 27 frimaire an <num>xi</num>
     (27 octobre 1802), pour le choix des <pb n="xvj" xml:id="pxvj"/>Livres classiques dans chaque
     classe de latin et dans celle des Belles-Lettres, et pour s’occuper de la réimpression des
     auteurs classiques, avait conseillé cet Ouvrage dans son rapport du 25 floréal an <num>xi</num>
     (15 mai 1803), rapport qui fut entièrement adopté par Sa Majesté Impériale et Royale.</p>
    <p>M. <hi rend="sc">Domairon</hi>, l’un des Membres de la Commission, se chargea d’extraire, de
     ses Principes Généraux des Belles-Lettres, une Rhétorique et une Poétique, qui sont
     actuellement entre les mains des Élèves. Mais un grand nombre de Lycées, beaucoup de
     Professeurs et d’autres personnes ont témoigné le désir d’avoir cet Ouvrage en entier, je me
     suis déterminé à en donner une nouvelle Édition, après en avoir obtenu le consentement de
     l’auteur.</p>
   </div1>
   <div1 type="introduction">
    <pb n="1" xml:id="p1"/>
    <head>Principes généraux des Belles-Lettres.</head>
    <p><hi rend="sc">Ce</hi> n’est pas sans raison que, dès notre plus tendre enfance, on nous
     enseigne les premiers éléments des Belles-Lettres, quelle que soit la carrière que nous devions
     fournir dans le monde. Cette étude, en débrouillant le chaos de nos idées, les multiplie
     insensiblement, les agrandit, les perfectionne, et nous accoutume peu à peu à concevoir avec
     une certaine facilité, à penser avec justesse, à nous exprimer avec une exacte rigueur. Elle
     présente ensuite à la jeunesse une charmante variété d’objets, dont la seule vue développe
     toutes les facultés de l’âme. L’esprit s’éclaire et s’enrichit ; le jugement se forme et se
     rectifie ; l’imagination s’embellit et s’enflamme ; le génie s’étend, s’élève, et prend déjà
     son essor, pour déployer bientôt toute sa grandeur et toutes ses forces.<pb n="2" xml:id="p2"
     />Mais plus on se livre à cette étude, plus on sent la nécessité d’asservir toujours l’esprit,
     le jugement, l’imagination, le génie, aux règles du bon sens, et aux lois de la saine
     raison.</p>
    <p>Dans les divers empires, où les lumières ont fait quelques progrès, les Belles-Lettres ont
     toujours devancé les sciences. Elles en sont en effet la base la plus solide, la base
     nécessaire : sans les premières, nous ne pouvons acquérir les autres à un degré éminent, ni
     même les cultiver avec un succès distingué. Où sont les vrais savants, les savants un peu
     célèbres, qui, avant de le devenir, n’aient eu l’esprit suffisamment orné des connaissances
     littéraires ? S’il y en avait un seul, ce serait un de ces phénomènes, que la nature ne produit
     que dans l’espace de plusieurs siècles ; et l’on pourrait d’ailleurs assurer qu’à l’appui de
     ces connaissances, il eût marché d’un pas bien plus ferme, et se fût bien plus avancé dans la
     carrière.</p>
    <p>Il est également certain que les Belles-Lettres servent à répandre et à faire goûter les
     sciences, par l’éclat, les agréments et l’intérêt qu’elles prêtent aux matières les plus
     abstraites, les plus arides et les plus rebutantes. Les beaux siècles d’<hi rend="i"
      >Alexandre</hi>, d’<hi rend="i">Auguste</hi>, des <hi rend="i">Médicis</hi>, et de <hi
      rend="i">Louis XIV</hi>, ont vu les unes et les autres enchaînées par les rapports les plus
     étroits, et s’enrichir mutuellement. Les anciens reconnaissaient <hi rend="i">Apollon</hi> pour
     être tout à la fois le dieu des arts et le dieu des sciences : les neuf muses qui composaient
     sa cour, étaient des sœurs <pb n="3" xml:id="p3"/>inséparables, formant un seul chœur, quoique
     chacune d’elles présidât à un art ou à une science particulière.</p>
    <p>Mais ce ne sont pas là les seuls avantages que l’on retire de l’étude des Belles-Lettres. Il
     en est d’autres mille fois plus précieux sans doute ; tels que l’élévation, la noblesse et la
     sensibilité de l’âme, l’énergie et l’aménité du caractère, des mœurs douces et polies, des
     inclinations bienfaisantes et généreuses, l’amour de la justice et de l’humanité. Oui, les
     Belles-Lettres nous inspirent le goût des vertus morales, de la pratique desquelles dépendent
     l’harmonie et le bonheur de la société civile. Quand l’esprit est frappé des charmes de l’ordre
     et du beau, le cœur est plus susceptible de l’amour de l’honnête et du bon. Quand l’esprit se
     plaît à admirer les aimables et nobles traits qui caractérisent la vertu, le cœur est plus
     porté à l’aimer et à l’embrasser. On sait que les siècles d’ignorance ont été des siècles de
     barbarie, où la grossièreté des mœurs a enfanté les crimes les plus atroces, et les vices les
     plus monstrueux.</p>
    <p>Quelles ressources d’ailleurs n’offrent point les Belles-Lettres contre l’ennui, ce fardeau,
     ce poison de l’âme, qui bien souvent en est accablée et dévorée, dans le centre même des
     plaisirs les plus piquants et les plus variés ! Le possesseur des trésors littéraires n’a point
     à craindre de se trouver avec lui-même. Combien de fois au contraire ne préfère-t-il pas
     l’humble silence de la retraite, à l’éclat bruyant des sociétés ! Les <pb n="4" xml:id="p4"
     />Belles-Lettres servent, comme l’a si bien dit <hi rend="i">Cicéron</hi> après <hi rend="i"
      >Aristote</hi>, d’ornement dans la prospérité, et de consolation dans l’adversité. L’homme qui
     les cultive dans le sein de l’opulence et des honneurs, n’en est que plus heureux et plus grand
     à nos yeux ; ses dignités en reçoivent un nouveau lustre. Celui qui, victime des caprices du
     sort, ou des complots des méchants, (les exemples en sont-ils bien rares ?) paraît condamné à
     traîner, loin des hommes, une existence pénible et pleine d’amertume, puise dans les Lettres un
     courage ferme et d’abondantes consolations : elles lui font oublier ses disgrâces, ses revers,
     et lui tiennent lieu d’amis, de rang et de fortune. Le jeune-homme y trouve le véritable
     aliment de l’esprit ; le vieillard languissant un exercice qui l’amuse, et qui l’allège du
     poids de ses infirmités.</p>
    <p>En un mot, dans tous les lieux, dans tous les âges, dans tous les états de la vie, cette
     étude si variée, si attrayante, nous procure les plaisirs les plus délicats, les plus purs et
     les plus durables que puisse goûter l’homme qui pense. La joie dont elle enivre notre âme,
     n’est point une joie vive et folâtre : mais elle est douce, tranquille, délicieuse et
     inaltérable. Que de motifs pour la jeunesse, de la regarder cette étude, comme une des plus
     importantes, des plus nécessaires, et d’y apporter toute l’application qu’elle mérite ! Le
     défaut des connaissances que nous avons négligé d’acquérir dans nos premières années, ne se
     répare jamais parfaitement. C’est une vérité également <pb n="5" xml:id="p5"/>reconnue des
     personnes très instruites, et de celles qui ne l’étant que médiocrement, regrettent tous les
     jours la perte d’un temps si précieux.</p>
    <p>Je ne prends point ici le mot <hi rend="i">Belles-Lettres</hi>, dans toute l’étendue de sa
     signification. Je la restreins, comme on le fait assez communément, à l’étude de la Grammaire,
     de la Rhétorique et de la Poétique, c’est-à-dire, à l’étude des principes nécessaires pour bien
     écrire en notre langue, et à celle des règles des divers genres de littérature, soit en prose,
     soit en vers. Ainsi cet ouvrage sera divisé en deux Parties. Dans la première, je traiterai de
     l’Art de bien écrire, et dans la seconde, des productions littéraires.</p>
   </div1>
   <div1 type="book">
    <pb n="6" xml:id="p6"/>
    <head type="sur">Première partie. </head>
    <head type="main">De l’Art de bien écrire.</head>
    <p><hi rend="sc">Formé</hi> à l’image de son Créateur, l’homme en a reçu la faculté de penser.
     Destiné à vivre en société, il en a reçu l’organe de la parole, pour pouvoir manifester ses
     pensées. À ces deux inestimables bienfaits, il a su lui-même, par l’invention de divers
     caractères tracés sur une surface, joindre l’avantage de montrer aux yeux la parole, et de la
     faire ainsi parvenir aux absents.</p>
    <p>Nous n’écrivons donc que pour communiquer aux autres nos pensées. Mais en écrivant, nous
     désirons toujours que nos Lecteurs les saisissent et les conçoivent parfaitement. Il faut donc
     que nous exprimions nos pensées avec précision, avec exactitude, et par conséquent que nous
     nous attachions à écrire <hi rend="i">correctement</hi>. Nous sommes charmés qu’on éprouve un
     certain plaisir en nous lisant. Il faut donc que nous exprimions nos pensées avec grâce, avec
     élégance, et par conséquent que nous nous attachions à écrire <hi rend="i">agréablement</hi>.
     Nous nous proposons bien souvent de toucher et de persuader ceux qui nous lisent. Il faut donc
     que nous exprimions nos pensées avec chaleur, avec véhémence, et par <pb n="7" xml:id="p7"
     />conséquent que nous nous attachions à écrire <hi rend="i">pathétiquement</hi>.</p>
    <p>La première manière satisfait la raison : elle suppose une connaissance des principes de la
     grammaire. La seconde flatte l’imagination : elle suppose une connaissance de cette partie de
     la Rhétorique qu’on appelle <hi rend="i">élocution</hi>. La troisième maîtrise l’âme : elle
     suppose une connaissance du Pathétique et de l’Éloquence. Développons les principes relatifs à
     chacune de ces trois manières.</p>
    <div2 type="section">
     <head type="sur">Section I. </head>
     <head type="main"><hi rend="i">De l’Art d’écrire correctement.</hi></head>
     <p><hi rend="sc">On</hi> écrit correctement, quand en écrivant, on observe les règles de sa
      langue. Ce serait une erreur de croire qu’il suffit pour cela de la savoir par habitude.
      L’expérience nous fournirait une bien grande preuve du contraire. L’homme qui n’en a point
      fait une étude sérieuse et réfléchie, ne tombe que trop souvent dans des fautes grossières,
      qu’on ne pardonne pas, même dans une lettre. Il ne nous serait pas moins préjudiciable que
      honteux d’ignorer les principes de notre langue, on l’usage, qui quelquefois en tient lieu :
      fondés sur la saine raison, ils nous obligent de mettre de l’ordre, de la justesse, de la
      précision dans nos idées et dans nos expressions.</p>
     <p>Une connaissance étendue et profonde de <pb n="8" xml:id="p8"/>ces principes n’est pas
      réservée au seul homme de lettres. Il est incontestable que l’homme public, c’est-à-dire, le
      ministre, le négociateur, le militaire, le magistrat, l’homme de loi, l’homme d’affaires, etc.
      ne peuvent point se dispenser de bien savoir leur langue, et de l’écrire correctement.
      N’est-il pas souvent arrivé que dans des conventions civiles, une phrase mal construite, une
      seule expression, ou impropre, ou équivoque, ou mal placée, ont donné naissance à des procès
      ruineux ; que dans un traité politique, elles ont été la cause ou le prétexte de longues et
      vives contestations, qu’une guerre sanglante a pu seule terminer ; que dans un ordre tracé par
      un officier général, elles ont fait mal interpréter, mal exécuter cet ordre même, et que de là
      s’en est ensuivie la perte d’une bataille, origine funeste de mille autres événements
      désastreux ?</p>
     <p>Il ne faut donc pas être surpris que les Grecs et les Romains fissent une étude particulière
      de leur langue, et que ces derniers portassent l’attention jusqu’à ne confier leurs enfants
      qu’à des nourrices et à des domestiques qui parlaient purement. Les plus illustres et les plus
      éclairés de nos Auteurs ont également senti la nécessité de cette étude. Nous lisons dans un
      écrit adressé par le grand <hi rend="i">Bossuet</hi> à son auguste élève (<hi rend="i">le
       grand Dauphin fils de Louis XIV</hi>) ces paroles bien remarquables :</p>
     <p><quote>« Ne croyez pas, Monseigneur, qu’on vous reprenne si sévèrement pendant vos études,
       pour avoir simplement violé les règles de <pb n="9" xml:id="p9"/>la grammaire en composant…
       Nous ne blâmons pas tant la faute elle-même, que le défaut d’attention qui en est la cause.
       Ce défaut d’attention vous fait maintenant confondre l’ordre des paroles. Mais si nous
       laissons vieillir et fortifier cette mauvaise habitude, quand vous viendrez à manier, non
       plus les paroles, mais les choses, vous en troublerez tout l’ordre. Vous parlez maintenant
       contre les lois de la grammaire : alors vous mépriserez les préceptes de la raison.
       Maintenant vous placez mal les paroles : alors vous placerez mal les choses, etc. »</quote>
      Ce que le savant Évêque de Meaux disait à un Prince né pour régner, tous les instituteurs
      doivent le dire à leurs élèves.</p>
     <p>Nous ne pouvons d’ailleurs pénétrer dans les jardins fleuris de l’éloquence et de la poésie,
      qu’en passant par les sentiers épineux de la grammaire. Nulle autre route ne peut nous être
      ouverte : c’est le premier pas que nous avons à faire, en entrant dans la carrière des
      Lettres. Il est même indispensable, pour saisir et comprendre les règles de notre langue, d’en
      savoir les premiers éléments. Ainsi je vais faire connaître ; 1°. la nature des mots qu’on
      emploie ; 2°. leur arrangement dans le discours.</p>
     <pb n="10" xml:id="p10"/>
     <div3 type="chapter">
      <head type="sur">Chapitre I. </head>
      <head type="main"><hi rend="i">De la nature des mots.</hi></head>
      <p><hi rend="sc">Les</hi> mots sont des sons articulés, ou des caractères, dont nous nous
       servons pour exprimer nos pensées. Il y en a de huit sortes : le <hi rend="i">nom</hi>, l’<hi
        rend="i">article</hi>, le <hi rend="i">pronom</hi>, le <hi rend="i">verbe</hi>, la <hi
        rend="i">préposition</hi>, l’<hi rend="i">adverbe</hi>, la <hi rend="i">conjonction</hi>, et
       la <hi rend="i">particule</hi> ou <hi rend="i">interjection</hi>. Tous les mots qui composent
       le discours, sont compris dans l’une de ces huit espèces : voilà pourquoi on les appelle <hi
        rend="i">parties de l’oraison</hi>.</p>
      <div4 type="article">
       <head type="sur"><hi rend="sc">Article</hi> I. </head>
       <head type="main"><hi rend="i">Des trois premières parties de l’oraison.</hi></head>
       <div5 type="section">
        <head type="sur">I.</head>
        <head type="main"><hi rend="i">Du Nom.</hi></head>
        <p>Tous les êtres qui existent, sont les objets de nos idées. Les noms ont été inventés,
         pour exprimer ces objets, soit spirituels, soit corporels. Si l’on parle d’un seul objet,
         le nom est au nombre <hi rend="i">singulier</hi>. Si l’on parle de plusieurs, le nom est au
         nombre <hi rend="i">pluriel</hi>. Si cet objet est, ou est censé être mâle, le nom est du
         genre <hi rend="i">masculin</hi>, désigné par le mot <hi rend="i">le</hi> ou <hi rend="i"
          >un</hi> : = <hi rend="i">le père</hi>, <hi rend="i">un père</hi> : = <hi rend="i">le
          livre</hi>, <hi rend="i">un livre</hi>. Si cet objet est, ou est censé être femelle, le
         nom est du genre <hi rend="i">féminin</hi>, <pb n="11" xml:id="p11"/>désigné par le mot <hi
          rend="i">la</hi> ou <hi rend="i">une</hi> : = <hi rend="i">la mère</hi>, <hi rend="i">une
          mère</hi> : = <hi rend="i">la table</hi>, <hi rend="i">une table</hi>.</p>
        <div6 type="section">
         <head>Division des noms.</head>
         <p>Les objets de nos idées peuvent être considérés simplement en eux-mêmes, ou avec
          quelques qualités dont ils sont revêtus : delà, deux espèces de nom ; le <hi rend="i"
           >substantif</hi>, et l’<hi rend="i">adjectif</hi>. Le nom <hi rend="i">substantif</hi>
          est un mot, dont nous nous servons, pour désigner simplement une chose ou une personne.
          Nous employons l’<hi rend="i">adjectif</hi>, pour exprimer la qualité de cette chose ou de
          cette personne : = <hi rend="i">Esprit vaste</hi> ; <hi rend="i">vertu rare</hi> ; <hi
           rend="i">maison commode</hi> ; <hi rend="i">jardin agréable</hi> ; <hi rend="i">César
           victorieux</hi> ; <hi rend="i">Cicéron éloquent</hi>. Ici, <hi rend="i">esprit</hi>, <hi
           rend="i">vertu</hi>, <hi rend="i">maison</hi>, <hi rend="i">jardin</hi>, <hi rend="i"
           >César</hi>, <hi rend="i">Cicéron</hi>, sont des noms substantifs. <hi rend="i"
           >Vaste</hi>, <hi rend="i">rare</hi>, <hi rend="i">commode</hi>, <hi rend="i"
           >agréable</hi>, <hi rend="i">victorieux</hi>, <hi rend="i">éloquent</hi>, sont des noms
          adjectifs.</p>
         <p>Il est aisé de comprendre que le nom substantif signifie quelque chose par lui-même,
          comme on le voit dans les mots <hi rend="i">esprit</hi>, <hi rend="i">vertu</hi>, <hi
           rend="i">maison</hi>, <hi rend="i">jardin</hi>, <hi rend="i">César</hi>, <hi rend="i"
           >Cicéron</hi>, et que l’adjectif ne peut être clairement entendu, s’il n’est joint à un
          substantif, comme on le voit dans les mots <hi rend="i">vaste</hi>, <hi rend="i"
          >rare</hi>, <hi rend="i">commode</hi>, <hi rend="i">agréable, victorieux</hi>, <hi
           rend="i">éloquent</hi>.</p>
         <p>Lorsqu’un nom substantif peut convenir à tous les objets d’une même espèce, il est <hi
           rend="i">commun</hi>. Tel est le mot <hi rend="i">homme</hi>, qui convient à tous les
          hommes en général.</p>
         <p>S’il ne peut convenir qu’à un seul objet, comme <hi rend="i">Annibal</hi> (nom d’un
          homme), <hi rend="i">Paris</hi> (nom d’une ville), <hi rend="i">la Seine</hi> (nom d’une
          rivière), il est <hi rend="i">propre</hi>.</p>
         <p>Celui qui, quoiqu’au singulier, présente à l’esprit l’idée de plusieurs objets réunis
           <pb n="12" xml:id="p12"/>ensemble, s’appelle <hi rend="i">collectif</hi>. Tels sont les
          mots, <hi rend="i">forêt</hi>, <hi rend="i">peuple</hi>, <hi rend="i">armée</hi>, qui font
          concevoir plusieurs arbres, plusieurs hommes, plusieurs soldats réunis.</p>
         <p>Il est essentiel de distinguer dans les noms collectifs, ceux qui renferment l’idée d’un
          tout (tels sont les noms que je viens de citer), et ceux qui renferment seulement l’idée
          d’une partie de quelque tout, comme <hi rend="i">la plupart</hi>, <hi rend="i">une
           troupe</hi> de, etc. <hi rend="i">une quantité</hi> de, etc. Les premiers sont des noms
          collectifs <hi rend="i">généraux</hi> : les autres sont des noms collectifs <hi rend="i"
           >partitifs</hi>.</p>
         <p>Il y a encore des noms qu’on appelle <hi rend="i">noms de nombre</hi>. Les uns expriment
          la quantité des choses ou des personnes : les autres en marquent l’ordre. Ceux qui
          désignent une quantité, comme <hi rend="i">un</hi>, <hi rend="i">deux</hi>, <hi rend="i"
           >trois</hi>, <hi rend="i">quatre</hi>, etc., sont appelés nombres <hi rend="i"
           >cardinaux</hi>. Ceux qui marquent l’ordre, comme <hi rend="i">premier</hi>, <hi rend="i"
           >second</hi>, <hi rend="i">troisième</hi>, <hi rend="i">quatrième</hi>, etc., sont
          appelés nombres <hi rend="i">ordinaux</hi>. Les uns et les autres sont adjectifs.</p>
         <p>Les noms de nombre qui marquent assemblage de plusieurs nombres, comme <hi rend="i"
           >dizaine</hi>, <hi rend="i">vingtaine</hi>, <hi rend="i">cinquantaine</hi>, <hi rend="i"
           >centaine</hi>, etc., sont des nombres <hi rend="i">collectifs</hi>. Ceux-ci sont
          substantifs.</p>
         <p>On peut exprimer la qualité d’une chose avec plus ou moins d’étendue. Si on le fait, en
          comparant l’objet dont on parle, à un autre, l’adjectif est au <hi rend="i"
           >comparatif</hi> ; et il est précédé de l’un de ces mots, <hi rend="i">plus</hi>, <hi
           rend="i">moins, aussi</hi>, <hi rend="i">autant</hi> : =  <hi rend="i">un Roi pacifique
           est</hi> aussi <hi rend="i">grand</hi>, plus <hi rend="i">grand</hi>, moins <hi rend="i"
           >grand qu’un Roi <pb n="13" xml:id="p13"/>conquérant</hi>. Les adjectifs <hi rend="i"
           >meilleur</hi>, <hi rend="i">moindre</hi>, <hi rend="i">pire</hi>, marquent seuls et par
          eux-mêmes une comparaison.</p>
         <p>Lorsque l’adjectif exprime la qualité d’un objet à un très haut degré, il est au <hi
           rend="i">superlatif absolu</hi> ; et il est précédé du mot <hi rend="i">très</hi> ou <hi
           rend="i">fort</hi> : =  <hi rend="i">l’homme savant et modeste est très estimable</hi>.
          S’il exprime la qualité d’un objet au plus haut degré, avec rapport à un autre objet, il
          est au <hi rend="i">superlatif relatif</hi> ; et il est précédé de <hi rend="i">le
           plus</hi> : = <hi rend="i">celui qui vit content de ce qu’il posséde, est</hi> le plus
           <hi rend="i">heureux de tous les hommes</hi>.</p>
        </div6>
        <div6 type="section">
         <head>Genre des noms.</head>
         <p>Tous les noms adjectifs sont des deux genres. Il y en a qui ont un <hi rend="i">e</hi>
          muet final au masculin et au féminin. Tels sont les adjectifs <hi rend="i">sage</hi>, <hi
           rend="i">honnête</hi>, <hi rend="i">aimable</hi>, <hi rend="i">utile</hi>, etc. Dans ceux
          qui n’en ont point, on en ajoute ordinairement un pour former le féminin. Ainsi, <hi
           rend="i">aigu</hi> fait au féminin <hi rend="i">aiguë</hi> : <hi rend="i">blond</hi>, <hi
           rend="i">blonde</hi> ; <hi rend="i">dur</hi>, <hi rend="i">dure</hi> ; <hi rend="i"
           >égal</hi>, <hi rend="i">égale</hi> ; <hi rend="i">fort</hi>, <hi rend="i">forte</hi> ;
           <hi rend="i">grand</hi>, <hi rend="i">grande</hi> ; <hi rend="i">méchant</hi>, <hi
           rend="i">méchante</hi> ; <hi rend="i">niais</hi>, <hi rend="i">niaise</hi> ; <hi rend="i"
           >perclus</hi>, <hi rend="i">percluse</hi> ; <hi rend="i">sensé</hi>, <hi rend="i"
           >sensée</hi> ; <hi rend="i">vrai</hi>, <hi rend="i">vraie</hi>.</p>
         <p>Il y a des adjectifs qui, en prenant au féminin l’<hi rend="i">e</hi> muet, doublent
          leur consonne finale : <hi rend="i">ancien</hi>, <hi rend="i">ancienne</hi> ; <hi rend="i"
           >bas</hi>, <hi rend="i">basse</hi> ; <hi rend="i">bon</hi>, <hi rend="i">bonne</hi> ; <hi
           rend="i">cruel</hi>, <hi rend="i">cruelle</hi> ; <hi rend="i">épais</hi>, <hi rend="i"
           >épaisse</hi> ; <hi rend="i">net</hi>, <hi rend="i">nette</hi> ; <hi rend="i">nul</hi>,
           <hi rend="i">nulle</hi> ; <hi rend="i">sot</hi>, <hi rend="i">sotte</hi> ; <hi rend="i"
           >vermeil</hi>, <hi rend="i">vermeille</hi>, <hi rend="i">etc</hi>.</p>
         <p>D’autres adjectifs, exceptés de la règle générale, ont au féminin une terminaison bien
          différente de celle du masculin. <hi rend="i">Bénin</hi> fait au féminin <hi rend="i"
           >bénigne</hi> ; <hi rend="i">caduc</hi>, <hi rend="i">caduque</hi> ; <pb n="14"
           xml:id="p14"/><hi rend="i">définitif</hi>, <hi rend="i">définitive</hi> ; <hi rend="i"
           >enchanteur</hi>, <hi rend="i">enchanteresse</hi> ; <hi rend="i">favori</hi>, <hi
           rend="i">favorite</hi> ; <hi rend="i">frais</hi>, <hi rend="i">fraîche</hi> ; <hi
           rend="i">long</hi>, <hi rend="i">longue</hi> ; <hi rend="i">mou</hi>, <hi rend="i"
           >molle</hi> ; <hi rend="i">neuf</hi>, <hi rend="i">neuve</hi> ; <hi rend="i">sec</hi>,
           <hi rend="i">sèche</hi> ; <hi rend="i">trompeur</hi>, <hi rend="i">trompeuse</hi>,
          etc.</p>
         <p>Remarquons ici que, quand l’adjectif <hi rend="i">grande</hi> est mis avant un
          substantif, qui commence par une consonne, on supprime quelquefois l’<hi rend="i">e</hi>
          dans la prononciation, et même en écrivant, et l’on en marque le retranchement par une
          apostrophe ; comme dans ces exemples : =<hi rend="i">il a hérité de sa</hi> grand-mère <hi
           rend="i">et de sa</hi> grand-tante ; = <hi rend="i">il aime à faire</hi> grand-chère ; =
           <hi rend="i">je suis arrivé à</hi> grand-peine ; = <hi rend="i">c’est un conseiller de
           la</hi> grand-chambre ; = <hi rend="i">allez-vous entendre la</hi> grand-messe ? = <hi
           rend="i">c’est</hi> grand-pitié <hi rend="i">de voir souffrir cet homme</hi>.</p>
         <p>Les noms substantifs ne sont ordinairement que d’un genre. Je dis <hi rend="i"
           >ordinairement</hi>, parce que, 1°. il y en a quelques-uns qui sont des deux genres, tels
          que ceux-ci :</p>
         <p><hi rend="i">Amour</hi> est masculin au singulier : =un <hi rend="i">amour</hi>
          constant ; féminin au pluriel : = <hi rend="i">des amours</hi> constantes. Mais quand le
          mot <hi rend="i">amours</hi> signifie les jeux, les ris, les attraits, représentés par les
          poètes, sous la figure de petits enfants ailés, il est masculin : = <hi rend="i">les
           amours</hi> badins ; <hi rend="i">les</hi> petits <hi rend="i">amours</hi>.</p>
         <p><hi rend="i">Automne</hi> est masculin et féminin : = <hi rend="i">l’automne a été</hi>
          froid ; <hi rend="i">l’automne a été</hi> pluvieuse.</p>
         <p><hi rend="i">Chose</hi> est féminin : = une bonne <hi rend="i">chose</hi>. Mais <hi
           rend="i">quelque chose</hi> est masculin : = <hi rend="i">quelque chose</hi> de bon.</p>
         <p><hi rend="i">Comté</hi> et <hi rend="i">duché</hi> sont masculins : = un <pb n="15"
           xml:id="p15"/><hi rend="i">comté</hi>, un <hi rend="i">duché</hi>. On dit cependant une
           <hi rend="i">duché-pairie</hi> ; une <hi rend="i">comté-pairie</hi> ; une <hi rend="i"
           >vicomté</hi>.</p>
         <p><hi rend="i">Délice</hi> est masculin au singulier : = <hi rend="i">c’est</hi> un grand
           <hi rend="i">délice</hi> ; féminin au pluriel : = <hi rend="i">ce sont mes plus chères
           délices</hi>.</p>
         <p><hi rend="i">Esclave</hi>, employé comme substantif, est masculin et féminin : = un
          petit <hi rend="i">esclave</hi>, une petite <hi rend="i">esclave</hi>. Il l’est aussi,
          employé comme adjectif : = un <hi rend="i">homme esclave</hi>, une <hi rend="i">femme
           esclave</hi>.</p>
         <p>Le nom pluriel <hi rend="i">gens</hi> exige plusieurs remarques. 1°. Il est masculin,
          quand il est suivi de son adjectif : = <hi rend="i">Il y a des gens bien</hi> cruels. Il
          est féminin, quand il en est précédé : = <hi rend="i">il y a de bien</hi> cruelles <hi
           rend="i">gens</hi> ; = <hi rend="i">les</hi> vieilles <hi rend="i">gens sont</hi>
          soupçonneux. 2°. Quand le pronom <hi rend="i">tout</hi> précède, avec l’article, le mot
           <hi rend="i">gens</hi>, ce pronom prend le masculin : = <hi rend="i">rechercher</hi> tous
           <hi rend="i">les gens de bien</hi>. Quand il le précède sans article, il prend le
          féminin : = <hi rend="i">s’accommoder de</hi> toutes <hi rend="i">gens</hi>. 3°. Quand un
          adjectif, qui a la même terminaison au masculin et au féminin, précède, avec le pronom <hi
           rend="i">tout</hi>, le mot <hi rend="i">gens</hi>, on met ce pronom au masculin : = <hi
           rend="i">cet homme voit</hi> tous <hi rend="i">les honnêtes gens</hi>, tous <hi rend="i"
           >les habiles gens</hi>, tous <hi rend="i">les aimables gens</hi>. Quand cet adjectif a
          une terminaison différente dans les deux genres, on met le pronom <hi rend="i">tout</hi>
          au féminin : = <hi rend="i">cet homme pense comme</hi> toutes <hi rend="i">les bonnes
           gens</hi>, toutes <hi rend="i">les petites gens</hi>, toutes <hi rend="i">les sottes
           gens</hi>. Qu’on ne demande point la raison de ces diverses règles. L’usage les a
          établies ; et cet usage est quelquefois un tyran, auquel il faut obéir sans réplique.</p>
         <pb n="16" xml:id="p16"/>
         <p><hi rend="i">Interprète</hi> est masculin et féminin : = un bon <hi rend="i">et</hi>
          savant <hi rend="i">interprète a bien traduit ce passage</hi> ; = <hi rend="i">l’église
           est</hi> la <hi rend="i">seule interprète</hi> sûre <hi rend="i">de l’écriture
           sainte</hi>.</p>
         <p><hi rend="i">Orgue</hi> est masculin au singulier : = <hi rend="i">l’orgue de cette
           église est très</hi> beau : féminin au pluriel : = on voit <hi rend="i">dans cette église
           de très</hi> belles <hi rend="i">orgues</hi>.</p>
         <p>2°. Il y a des noms substantifs qui sont des deux genres, mais seulement lorsqu’ils sont
          pris dans des significations différentes. En voici quelques-uns :</p>
         <p><hi rend="i">Aide</hi> signifiant <hi rend="i">secours</hi>, est féminin : = une <hi
           rend="i">aide</hi> prompte ; une <hi rend="i">aide</hi> assurée. <hi rend="i">Aide</hi>
          signifiant la personne dont l’emploi consiste à être auprès d’un homme pour servir
          conjointement avec lui et sous lui, est masculin : = un <hi rend="i">aide des
           cérémonies</hi> ; un <hi rend="i">aide de camp</hi>.</p>
         <p>Aigle, signifiant <hi rend="i">oiseau</hi>, est masculin : = un grand <hi rend="i"
           >aigle</hi> ; un <hi rend="i">aigle</hi> noir. <hi rend="i">Aigle</hi>, en termes
          d’armoiries et de devises, est féminin : = l’<hi rend="i">aigle</hi> impériale ; une <hi
           rend="i">aigle</hi> éployée <hi rend="i">d’argent</hi>. Il faut cependant observer que
           l’<hi rend="i">aigle</hi> qui sert de pupitre dans une église, est toujours masculin.</p>
         <p><hi rend="i">Cartouche</hi>, signifiant un ornement de sculpture ou de peinture, est
          masculin : = <hi rend="i">graver, peindre des armes dans</hi> un <hi rend="i">cartouche.
           Cartouche</hi> signifiant la charge d’une arme à feu, est féminin. = <hi rend="i">ils ont
           épuisé</hi> toutes <hi rend="i">leurs cartouches</hi>.</p>
         <p><hi rend="i">Couple</hi>, signifiant deux choses de même espèce qu’on met ensemble, est
          féminin : = une <hi rend="i">couple d’œufs</hi> ; une <hi rend="i">couple de pigeons</hi>.
           <pb n="17" xml:id="p17"/><hi rend="i">Couple</hi> se disant de deux personnes unies par
          l’amitié ou par le mariage, est masculin : = un beau <hi rend="i">couple d’amis</hi> ; un
          heureux <hi rend="i">couple</hi>.</p>
         <p><hi rend="i">Enseigne</hi>, signifiant un officier qui porte le drapeau d’un régiment,
          est masculin = un <hi rend="i">enseigne a paru</hi> le premier <hi rend="i">sur la
           brèche</hi>. Lorsqu’il signifie le drapeau même, il est féminin : = <hi rend="i">les
           enseignes</hi> romaines ; = <hi rend="i">marcher tambour battant et enseignes</hi>
          déployées. Il est aussi féminin, lorsqu’il signifie le tableau attaché à la maison d’un
          marchand, d’un cabaretier, etc. = <hi rend="i">loger à</hi> une telle <hi rend="i"
           >enseigne</hi>.</p>
         <p><hi rend="i">Forêt</hi>, signifiant une étendue de pays couvert de bois, est féminin : =
          la <hi rend="i">forêt que nous allons traverser, est bien</hi> épaisse. <hi rend="i"
           >Foret</hi>, signifiant un petit instrument de fer avec lequel on perce un tonneau, est
          masculin : = le <hi rend="i">foret que vous voulez mettre dans ce muid, n’est pas
           assez</hi> pointu.</p>
         <p><hi rend="i">Foudre</hi>, dans le sens propre, est, suivant l’académie, masculin et
          féminin, quoique le dernier soit plus usité : = <hi rend="i">être frappé</hi> du <hi
           rend="i">foudre</hi> ou <hi rend="i">de</hi> la <hi rend="i">foudre</hi>. Mais si l’on
          applique ce mot à un grand orateur, à un grand capitaine, il est toujours masculin : = <hi
           rend="i">cet orateur est</hi> un <hi rend="i">foudre d’éloquence</hi>.</p>
         <quote>
          <l>Mânes des grands Bourbons, <hi rend="i">brillants</hi> foudres de guerre,</l>
          <l>Qui fûtes et l’exemple et l’effroi de la terre, etc.</l>
         </quote>
         <p>On dit aussi un <hi rend="i">foudre de vin</hi>, vaisseau qui contient plusieurs muids
          de vin.</p>
         <p><hi rend="i">Greffe</hi>, signifiant le lieu où se gardent les <pb n="18" xml:id="p18"
          />registres d’une cour de justice, est masculin : = <hi rend="i">greffe</hi> civil, <hi
           rend="i">greffe</hi> criminel. <hi rend="i">Greffe</hi>, signifiant une branche qu’on
          ente sur un arbre, est féminin : = une <hi rend="i">greffe de pommier</hi> ; une <hi
           rend="i">greffe de poirier</hi>.</p>
         <p><hi rend="i">Moule</hi>, signifiant une matière creusée, et propre à donner une forme
          précise à une autre matière que l’on y verse toute fondue et liquide, est masculin : = un
          beau <hi rend="i">moule</hi> ; un <hi rend="i">moule bien</hi> fait. <hi rend="i"
           >Moule</hi>, signifiant un petit poisson enfermé dans une coquille, est féminin : = une
          grosse <hi rend="i">moule</hi> ; de <hi rend="i">fort</hi> bonnes <hi rend="i"
          >moules</hi>.</p>
         <p><hi rend="i">Période</hi>, signifiant le plus haut point où une chose puisse arriver,
          est masculin : = <hi rend="i">Cicéron et Démosthène ont porté l’éloquence à son plus</hi>
          haut <hi rend="i">période</hi>. <hi rend="i">Période</hi>, signifiant <hi rend="i"
           >révolution</hi>, <hi rend="i">époque</hi>, est féminin : = <hi rend="i">le soleil
           fait</hi> sa <hi rend="i">période en trois cent soixante-cinq jours et près de six
           heures</hi> ; = <hi rend="i">la lune fait</hi> sa <hi rend="i">période en vingt-neuf
           jours et demi</hi>. <hi rend="i">Période</hi>, en terme de rhétorique est aussi
          féminin.</p>
         <p><hi rend="i">Relâche</hi>, signifiant interruption de quelque travail, repos, etc., est
          masculin : = le <hi rend="i">relâche que vous avez pris après ce petit travail, a été
           trop</hi> long. <hi rend="i">Relâche</hi>, en termes de marine, signifiant un lieu propre
          à y relâcher pour se mettre à l’abri, est féminin : = <hi rend="i">menacés de la tempête,
           nous trouvâmes dans cette rade</hi> une bonne <hi rend="i">relâche</hi>.</p>
         <p><hi rend="i">Triomphe</hi>, signifiant <hi rend="i">victoire</hi>, ou l’honneur qu’on
          rend à un vainqueur, est masculin : = <hi rend="i">la pompe d’un triomphe</hi> ; un <pb
           n="19" xml:id="p19"/><hi rend="i">triomphe</hi> éclatant. <hi rend="i">Triomphe</hi>, au
          jeu des cartes, est féminin : = <hi rend="i">jouer à</hi> la <hi rend="i">triomphe</hi> ;
          = <hi rend="i">il n’avait qu’</hi>une <hi rend="i">triomphe</hi>.</p>
         <p><hi rend="i">Vase</hi>, signifiant une sorte d’ustensile pour contenir quelque liqueur,
          est masculin : = un <hi rend="i">vase d’or</hi> ; un <hi rend="i">vase de porcelaine</hi>.
           <hi rend="i">Vase</hi>, signifiant la bourbe qui est au fond de la mer, des rivières,
          etc. , est féminin : = <hi rend="i">ce bateau s’est enfoncé dans</hi> la <hi rend="i"
           >vase</hi>.</p>
         <p>3°. Il y a des noms substantifs qui sont des deux genres, mais avec des terminaisons
          différentes. Ainsi l’on dit : <hi rend="i">un</hi> acteur <hi rend="i">intelligent</hi> ;
          une actrice <hi rend="i">intelligente</hi> : <hi rend="i">le</hi> bienfaiteur <hi rend="i"
           >de cette maison</hi> ; <hi rend="i">la</hi> bienfaitrice <hi rend="i">de cette
           communauté</hi> : <hi rend="i">un bon</hi> danseur ; <hi rend="i">une bonne</hi>
          danseuse : <hi rend="i">le</hi> médiateur, <hi rend="i">la</hi> médiatrice <hi rend="i">de
           la paix</hi>, etc.</p>
        </div6>
        <div6 type="section">
         <head>Terminaison des noms.</head>
         <p>La plupart des noms, tant substantifs qu’adjectifs, doivent être terminés par une <hi
           rend="i">s</hi>, quand ils sont au pluriel : = <hi rend="i">quel est le livre le mieux
           écrit ? quels sont les livres les mieux écrits ?</hi> = <hi rend="i">quelle pensée juste
           et brillante ! quelles pensées justes et brillantes !</hi></p>
         <p>Les noms qui se terminent au singulier en <hi rend="i">eau</hi> ou en <hi rend="i"
           >eu</hi>, prennent un <hi rend="i">x</hi> au pluriel : = <hi rend="i">le beau côteau ;
           les beaux côteaux</hi> : <hi rend="i">le berceau ; les berceaux</hi> : <hi rend="i"
           >l’essieu ; les essieux</hi> : <hi rend="i">le feu ; les feux</hi>, etc. Mais <hi
           rend="i">bleu</hi> fait au pluriel <hi rend="i">bleus</hi>.</p>
         <p>Parmi les noms en <hi rend="i">ou</hi>, les uns prennent un x : = <hi rend="i">le chou ;
           les choux</hi> : <hi rend="i">le caillou ; les cailloux</hi> : <hi rend="i">le genou ;
           les genoux</hi>, etc. Les autres prennent une <hi rend="i">s</hi> : = <hi rend="i">le
           clou ; les clous</hi> : <pb n="20" xml:id="p20"/><hi rend="i">le bijou ; les
          bijous</hi> : <hi rend="i">le verrou ; les verrous</hi>, etc.</p>
         <p>Au reste, il y a des noms, soit substantifs, soit adjectifs, qui finissent au singulier
          par une <hi rend="i">s</hi>, un <hi rend="i">x</hi>, ou un <hi rend="i">z</hi> ; et l’on
          doit juger qu’ils les conservent au pluriel.</p>
         <p>Les noms en <hi rend="i">al</hi> ont le pluriel en <hi rend="i">aux</hi> : = <hi
           rend="i">égal ; égaux</hi> : <hi rend="i">royal ; royaux</hi> : <hi rend="i">le mal ; les
           maux</hi> : <hi rend="i">un végétal ; les végétaux</hi>. Il faut excepter <hi rend="i"
           >bal</hi>, <hi rend="i">cal</hi>, <hi rend="i">carnaval</hi>, <hi rend="i">régal</hi> et
           <hi rend="i">pascal</hi>, qui font au pluriel <hi rend="i">bals</hi>, <hi rend="i"
           >cals</hi>, <hi rend="i">carnavals</hi>, <hi rend="i">régals</hi>, et <hi rend="i"
           >pascals</hi>. <hi rend="i">Pal</hi> fait <hi rend="i">paux</hi> ou <hi rend="i"
           >pals</hi>.</p>
         <p>Les substantifs en <hi rend="i">ail</hi> prennent une <hi rend="i">s</hi> au pluriel : =
           <hi rend="i">un attirail ; des attirails</hi> : <hi rend="i">un détail ; des
          détails</hi> : <hi rend="i">un gouvernail ; des gouvernails</hi> : <hi rend="i">un
           portail ; des portails</hi>, etc. Mais <hi rend="i">ail</hi>, <hi rend="i">bail</hi>, <hi
           rend="i">bétail</hi>, <hi rend="i">corail</hi>, <hi rend="i">émail</hi>, <hi rend="i"
           >soupirail</hi>, <hi rend="i">travail</hi>, font au pluriel <hi rend="i">aulx</hi>, <hi
           rend="i">baux</hi>, <hi rend="i">bestiaux</hi>, <hi rend="i">coraux</hi>, <hi rend="i"
           >émaux</hi>, <hi rend="i">soupiraux</hi>, <hi rend="i">travaux</hi>. Lorsque <hi rend="i"
           >travail</hi> signifie une machine de bois à quatre piliers, entre lesquels les maréchaux
          attachent les chevaux vicieux, pour les ferrer ou pour les panser, il fait au pluriel <hi
           rend="i">travails</hi>.</p>
         <p>Les noms qui sont composés de plusieurs mots liés ensemble par un trait d’union,
          veulent, lorsqu’ils sont employés au pluriel, une <hi rend="i">s</hi> ou un <hi rend="i"
           >x</hi> à la fin du dernier mot seulement. Ainsi, suivant l’académie, il faut écrire <hi
           rend="i">un abat-jour</hi>, et <hi rend="i">des abat-jours ; une</hi> orange <hi rend="i"
           >aigre-douce</hi>, et <hi rend="i">des</hi> oranges <hi rend="i">aigre-douces</hi> ; <hi
           rend="i">un arc-boutant</hi>, et <hi rend="i">des arc-boutants</hi> ; <hi rend="i">un
           arc-en ciel</hi>, et <hi rend="i">des arc-en-ciels</hi> ; <hi rend="i">un
           arrière-neveu</hi>, et <hi rend="i">des arrière-neveux</hi> ; <hi rend="i">un
           chef-d’œuvre</hi>, et <hi rend="i">des chef-d’œuvres</hi> ; <hi rend="i">un
           chevau-léger</hi>, <pb n="21" xml:id="p21"/>et <hi rend="i">des chevau-légers</hi> ; <hi
           rend="i">un garde-fou</hi>, et <hi rend="i">des garde-fous</hi>.</p>
         <p>Cependant la même académie ajoute, dans quelques noms de cette espèce, une <hi rend="i"
           >s</hi> à la fin du premier mot. Elle écrit <hi rend="i">un chat-huant</hi>, et <hi
           rend="i">des chats-huants</hi> ; <hi rend="i">un ciel-de-lit</hi>, et <hi rend="i">des
           ciels-de-lits</hi> ; <hi rend="i">un cul-de-lampe</hi>, et <hi rend="i">des culs-de
           lampes</hi> ; <hi rend="i">un œil-de-bœuf</hi>, et <hi rend="i">des œils-de-bœufs</hi>.
          Il y en a d’autres, à la fin desquels elle ne met point d’<hi rend="i">s</hi>, quoiqu’ils
          soient au pluriel. Tels sont : <hi rend="i">des corps-de-garde</hi> ; <hi rend="i">des
           coq-à-l’âne</hi> ; <hi rend="i">des opéra</hi> ; et ceux qui sont pris du latin ; comme,
           <hi rend="i">des alibi</hi> ; <hi rend="i">des à-parte</hi> ; <hi rend="i">des
           errata</hi> ; <hi rend="i">des exeat</hi> ; <hi rend="i">des ex-voto</hi> ; <hi rend="i"
           >des impromptu</hi> ; <hi rend="i">des in-folio</hi> ; <hi rend="i">des item</hi>, etc.
          Elle écrit aussi : <hi rend="i">des lazzi</hi> ; <hi rend="i">des oui-dire</hi>, etc.</p>
         <p>Dans les noms qui se terminent en <hi rend="i">ent</hi>, ou <hi rend="i">ant</hi>, c’est
          aujourd’hui l’usage de supprimer au pluriel le <hi rend="i">t</hi>, qui devrait précéder
           l’<hi rend="i">s</hi>. Ainsi en écrivant au singulier : <hi rend="i">un mouvement
           violent</hi> ; <hi rend="i">un enfant charmant</hi>, etc., on écrit au pluriel : <hi
           rend="i">des mouvements violens</hi>, <hi rend="i">des enfants charmans</hi>, etc.
          Cependant on laisse le <hi rend="i">t</hi> dans les mots d’une seule syllabe, et l’on
          écrit : <hi rend="i">le vent, les vents</hi> ; <hi rend="i">une dent, les dents</hi> ; <hi
           rend="i">un chant, des chants</hi> ; <hi rend="i">un gant, des gants</hi> ; <hi rend="i"
           >un</hi> homme <hi rend="i">lent</hi>, <hi rend="i">des</hi> hommes <hi rend="i"
           >lents</hi>. Mais quoiqu’on écrive au singulier <hi rend="i">tout</hi>, on écrit au
          pluriel <hi rend="i">tous</hi>.</p>
        </div6>
        <div6 type="section">
         <head>Nombre des noms.</head>
         <p>Il y a des noms qui n’ont point de pluriel. Les substantifs de cette espèce sont, <hi
           rend="i">aide</hi> (secours) ; <hi rend="i">bercail</hi>, <hi rend="i">bien-être</hi>,
           <hi rend="i">butin</hi>, <hi rend="i">courroux</hi>, <hi rend="i">décri</hi> (perte de
          réputation et de crédit) ; <hi rend="i">estime</hi>, <hi rend="i">faim</hi>, <hi rend="i"
           >faste</hi> (vaine ostentation ; affectation de paraître avec éclat) ; <pb n="22"
           xml:id="p22"/><hi rend="i">gré</hi> (bonne, franche volonté), <hi rend="i">gloire</hi>
          (si l’on ne parle pas d’ouvrages de peinture, de sculpture, etc.) ; <hi rend="i"
           >renommée</hi>, <hi rend="i">repos</hi>, <hi rend="i">sang</hi>, <hi rend="i">soif</hi>,
           <hi rend="i">sommeil</hi>, <hi rend="i">etc.</hi></p>
         <p>Ajoutez à ces noms, 1°. les noms des métaux pris en général, c’est-à-dire, lorsqu’ils ne
          sont pas considérés comme mis en œuvre : <hi rend="i">l’or</hi>, <hi rend="i"
           >l’argent</hi>, <hi rend="i">le fer</hi>, <hi rend="i">le plomb</hi>, etc. Lorsqu’ils
          sont considérés comme mis en œuvre, ils ont un pluriel ; et c’est sous ce rapport
          seulement qu’on dit, <hi rend="i">des fers</hi>, <hi rend="i">des plombs</hi>, etc. 2°.
          Les noms des vertus et des vices ; comme <hi rend="i">foi</hi>, <hi rend="i"
           >sincérité</hi>, <hi rend="i">ambition</hi>, <hi rend="i">orgueil, etc.</hi> On connaîtra
          les autres par l’usage.</p>
         <p>Les adjectifs, <hi rend="i">amical</hi>, <hi rend="i">austral</hi>, <hi rend="i"
           >boréal</hi>, <hi rend="i">canonial</hi>, <hi rend="i">conjugal</hi>, <hi rend="i"
           >fatal</hi>, <hi rend="i">filial</hi>, <hi rend="i">frugal</hi>, <hi rend="i"
           >glacial</hi>, <hi rend="i">grammatical</hi>, <hi rend="i">idéal</hi>, <hi rend="i"
           >naval</hi>, <hi rend="i">pastoral</hi>, <hi rend="i">pectoral</hi>, <hi rend="i"
           >vénal</hi>, etc., n’ont point de pluriel au masculin. Ainsi, l’on ne pourra pas dire :
           <hi rend="i">des conseils amicaux</hi> ; <hi rend="i">les pays austraux</hi> ; <hi
           rend="i">les principes grammaticaux</hi> ; <hi rend="i">des trésors idéaux</hi>. Mais on
          dira fort bien : <hi rend="i">des exhortations amicales</hi> ; <hi rend="i">les terres
           australes</hi> ; <hi rend="i">les règles grammaticales</hi> ; <hi rend="i">des richesses
           idéales</hi>.</p>
         <p>Les substantifs qui n’ont point de singulier, sont <hi rend="i">accordailles</hi>, <hi
           rend="i">ancêtres</hi>, <hi rend="i">annales</hi>, <hi rend="i">appas</hi> (charmes) ;
           <hi rend="i">armoiries</hi>, <hi rend="i">arrhes</hi>, <hi rend="i">balayures</hi>, <hi
           rend="i">basses</hi> (bancs de sable, ou rochers cachés sous l’eau) ; <hi rend="i"
           >bésicles</hi> (sortes de lunettes) ; <hi rend="i">brisées</hi>, <hi rend="i"
           >broussailles</hi>, <hi rend="i">caravanes</hi> (campagnes que les chevaliers de Malte
          sont obligés de faire sur mer) ; <hi rend="i">catacombes</hi> (grottes souterraines où
          l’on enterrait les corps <pb n="23" xml:id="p23"/>morts) ; <hi rend="i">confins</hi>, <hi
           rend="i">conserves</hi> (lunettes) ; <hi rend="i">décombres</hi>, <hi rend="i"
          >ébats</hi>, <hi rend="i">échasses</hi>, <hi rend="i">effondrilles</hi> (parties
          grossières qui restent au fond d’un vase) ; <hi rend="i">élémens</hi> (principes d’un art,
          d’une science) ; <hi rend="i">émondes</hi> (branches superflues) ; <hi rend="i"
           >entours</hi> et <hi rend="i">environs</hi> (lieux d’alentour) ; <hi rend="i"
           >entrailles</hi>, <hi rend="i">entraves</hi>, <hi rend="i">épousailles</hi>, <hi rend="i"
           >fastes</hi> (tables, <hi rend="i">ou</hi> livres du calendrier des anciens romains) ;
           <hi rend="i">fiançailles</hi>, <hi rend="i">frais</hi> (dépense, dépens) ; <hi rend="i"
           >francs</hi> (pièce de monnoie) ; <hi rend="i">funérailles</hi>, <hi rend="i"
           >goguettes</hi> (propos joyeux) ; <hi rend="i">hardes</hi>, <hi rend="i">limites</hi>,
           <hi rend="i">matériaux</hi>, <hi rend="i">mœurs</hi>, <hi rend="i">obsèques</hi>, <hi
           rend="i">ossemens</hi>, <hi rend="i">pierreries</hi>, <hi rend="i">pleurs</hi>, <hi
           rend="i">prémices</hi>, <hi rend="i">ténèbres</hi>, <hi rend="i">us</hi> (usages) ; <hi
           rend="i">vacances</hi> (temps auquel les études cessent) ; <hi rend="i">vacations</hi>
          (cessation de séances des gens de justice) ; <hi rend="i">vergettes</hi> (époussette) ;
           <hi rend="i">vitraux</hi>, etc.</p>
        </div6>
       </div5>
       <div5 type="section">
        <head type="sur">II. </head>
        <head type="main"><hi rend="i">De l’Article.</hi></head>
        <p>Notre langue n’a qu’un article, qui est <hi rend="i">le</hi> pour le masculin singulier
         et dont on fait <hi rend="i">la</hi> pour le féminin, et <hi rend="i">les</hi> pour le
         pluriel des deux genres. Ce mot ne signifie rien par lui-même. On le place avant les noms
         substantifs, lorsqu’on veut les tirer d’une signification vague, pour leur en donner une
         précise et déterminée. Un nom en effet, employé tout seul, ne présente que la simple idée
         de la chose qu’il exprime, et par conséquent, n’a qu’une signification vague. Mais comme
         cette idée peut être ou <pb n="24" xml:id="p24"/>générale, c’est-à-dire, prise dans toute
         son étendue ; ou restreinte, c’est-à-dire, prise seulement dans une partie de son étendue ;
         on se sert de l’article, pour désigner l’étendue que l’on donne à cette idée ; et alors on
         détermine la signification du nom qui présente cette même idée. Prenons pour exemple une
         chose matérielle.</p>
        <p>Le mot <hi rend="i">pain</hi> ne présente que la simple idée de ce qu’on appelle <hi
          rend="i">pain</hi>, et par conséquent n’a qu’une signification indéterminée. Mais si je
         dis : le <hi rend="i">pain est un aliment nécessaire à l’homme</hi>, alors je détermine la
         signification du substantif <hi rend="i">pain</hi>, en lui donnant une signification
         générale, puisque je parle ici de toute l’espèce de pain. Si je dis : le <hi rend="i">pain
          de ce boulanger est très bon</hi>, je détermine encore la signification du substantif <hi
          rend="i">pain</hi>, en lui donnant une signification restreinte, puisque je ne parle ici
         que d’un pain particulier. M’objectera-t-on que ce sont les mots, <hi rend="i">de ce
          boulanger</hi>, qui restreignent la signification du substantif <hi rend="i">pain</hi> ?
         Je répondrai que je n’ai pu les employer, qu’en vertu de l’article placé avant ce nom, et
         que par conséquent c’est cet article qui en détermine principalement la signification.</p>
        <p>Il s’ensuit de là qu’on met l’article avant les noms, soit que l’on veuille par ces noms
         exprimer déterminément toute une espèce de choses ou de personnes ; comme les <hi rend="i"
          >hommes sont mortels</hi> ; soit que l’on ne veuille désigner qu’une ou plusieurs parties,
         un <pb n="25" xml:id="p25"/>ou plusieurs individus de cette espèce ; comme, les <hi
          rend="i">hommes vertueux ne se laissent point maîtriser par leurs passions</hi>.</p>
        <p>Observons qu’il n’y a que les noms substantifs exprimés ou sous-entendus, qui puissent
         être accompagnés de l’article. Si on le met avant des mots d’une toute autre espèce, ces
         mots deviennent alors de véritables substantifs. Tels sont : <hi rend="i">le vrai</hi>, <hi
          rend="i">le nécessaire</hi>, <hi rend="i">le beau</hi>, <hi rend="i">le sublime</hi>, <hi
          rend="i">le savoir</hi>, <hi rend="i">le boire</hi>, <hi rend="i">le manger</hi>, <hi
          rend="i">le devant</hi> de la maison, <hi rend="i">le dessus</hi> de la porte, <hi
          rend="i">le pourquoi</hi>, <hi rend="i">le comment</hi>, <hi rend="i">etc.</hi> Ces
         substantifs n’ont pas de pluriel.</p>
        <div6 type="section">
         <head>Article simple, article particulé.</head>
         <p>L’article est <hi rend="i">simple</hi>, ou <hi rend="i">particulé</hi> : simple,
          lorsqu’il précède tout seul le nom substantif ; <hi rend="i">le bonheur</hi> ; <hi
           rend="i">la bienfaisance</hi> : particulé, quand il est lui-même précédé de la particule
           <hi rend="i">à</hi> ou <hi rend="i">de</hi> ; <hi rend="i">à la franchise</hi> ; <hi
           rend="i">à la candeur</hi>.</p>
         <p>On disait autrefois <hi rend="i">de le</hi>, <hi rend="i">de les</hi>, <hi rend="i">à
           le</hi>, <hi rend="i">à les</hi> ; aujourd’hui, on dit par contraction <hi rend="i"
           >du</hi>, <hi rend="i">des</hi>, <hi rend="i">au</hi>, <hi rend="i">aux</hi> ; <hi
           rend="i">du trône, des trônes, au trône, aux trônes</hi>, pour <hi rend="i">de le trône,
           de les trônes, à le trône, à les trônes</hi>. Ainsi <hi rend="i">du</hi>, <hi rend="i"
           >des</hi>, <hi rend="i">au</hi>, <hi rend="i">aux</hi>, sont articles <hi rend="i"
           >particulés</hi>.</p>
         <p>Je dois remarquer ici qu’il y a des mots, qui, comme on le verra dans la suite, font la
          fonction de l’article. Tels sont les nombres cardinaux <hi rend="i">un</hi>, <hi rend="i"
           >deux</hi>, <hi rend="i">trois</hi>, etc. ; et les pronoms <hi rend="i">tout</hi>, <hi
           rend="i">chaque</hi>, <hi rend="i">nul</hi>, <hi rend="i">quelque</hi>, <hi rend="i"
           >certain</hi>, <hi rend="i">ce</hi>, <hi rend="i">mon</hi>, <hi rend="i">ton</hi>, <hi
           rend="i">son</hi>, etc.</p>
        </div6>
       </div5>
       <pb n="26" xml:id="p26"/>
       <div5 type="section">
        <head type="sur">III. </head>
        <head type="main"><hi rend="sc">Du Pronom</hi>.</head>
        <p>Le mot <hi rend="i">pronom</hi> dit assez par lui-même que c’est un mot qu’on met à la
         place d’un nom. On l’emploie pour rappeler l’idée de ce nom, dont on veut éviter la
         répétition trop fréquente.</p>
        <quote>
         <l>L’honneur est comme une île escarpée et sans bords :</l>
         <l>On n’y peut plus rentrer, dès qu’on <hi rend="i">en</hi> est dehors.</l>
        </quote>
        <quote>
         <l>Les peuples sont heureux, quand un seul <hi rend="i">les</hi> gouverne.</l>
        </quote>
        <p><hi rend="i">Y, en</hi>, et <hi rend="i">les</hi> sont pronoms, parce qu’ils sont mis,
         les deux premiers pour <hi rend="i">île</hi>, et le troisième pour <hi rend="i"
          >peuples</hi>. Ils rappellent l’idée de ces noms, et en font éviter la répétition.</p>
        <div6 type="section">
         <head>Division des pronoms.</head>
         <p>On divise ordinairement les pronoms, en pronoms <hi rend="i">personnels</hi>, <hi
           rend="i">relatifs</hi>, <hi rend="i">indéfinis</hi>, <hi rend="i">absolus</hi>, et <hi
           rend="i">démonstratifs</hi>. En admettant ces différentes espèces de pronoms, je ne
          m’attacherai cependant pas à cette division pour les faire connaître. Il me paraît plus
          commode de suivre celle de l’abbé d’<hi rend="i">Olivet</hi>, pour démêler ce que les
          pronoms de chaque espèce ont de particulier. Ils sont de vrais noms ; les uns <hi rend="i"
           >substantifs</hi>, les autres <hi rend="i">adjectifs</hi>, et d’autres tantôt <hi
           rend="i">substantifs</hi>, tantôt <hi rend="i">adjectifs</hi>.</p>
        </div6>
        <div6 type="section">
         <head>Pronoms substantifs.</head>
         <p>Il y a trois personnes, dont la première est celle qui parle ; la seconde celle à qui
          l’on parle ; la troisième celle dont on parle. <pb n="27" xml:id="p27"/>Les pronoms qui
          suppléent au nom de ces personnes, sont, pour la première, <hi rend="i">je</hi>, <hi
           rend="i">me</hi>, <hi rend="i">moi</hi>, singulier ; <hi rend="i">nous</hi>, pluriel des
          deux genres.</p>
         <p>Pour la seconde, <hi rend="i">tu</hi>, <hi rend="i">te</hi>, <hi rend="i">toi</hi>,
          singulier ; <hi rend="i">vous</hi>, pluriel des deux genres : il est singulier, quand on
          n’adresse la parole qu’à une personne.</p>
         <p>Pour la troisième, <hi rend="i">il</hi>, masculin singulier, qui fait au pluriel, <hi
           rend="i">ils</hi> ; <hi rend="i">elle</hi>, féminin singulier, qui fait au pluriel, <hi
           rend="i">elle</hi> ; <hi rend="i">eux</hi>, masculin pluriel ; <hi rend="i">lui</hi>,
          singulier des deux genres ; <hi rend="i">leur</hi>, des deux genres, toujours pluriel, et
          sans jamais prendre <hi rend="i">s</hi> finale ; <hi rend="i">se</hi>, <hi rend="i"
           >soi</hi>, des deux genres et des deux nombres. <hi rend="i">On</hi>, pronom appelé <hi
           rend="i">indéfini</hi>, parce qu’il n’exprime point d’objet déterminé, appartient à cette
          troisième personne.</p>
         <p><hi rend="i">Le</hi>, <hi rend="i">la</hi>, <hi rend="i">les</hi>, placés avant un
          verbe, sont des pronoms qu’on nomme <hi rend="i">relatifs</hi>, parce qu’ils ont rapport à
          un nom qui les précède : = <hi rend="i">il faut aimer la vertu et</hi> la <hi rend="i"
           >pratiquer</hi>.</p>
         <p><hi rend="i">En</hi> et <hi rend="i">y</hi> sont, par la même raison, des pronoms
          relatifs.</p>
         <p>Tous ces pronoms, ainsi que les pronoms indéfinis <hi rend="i">autrui</hi>, <hi rend="i"
           >personne</hi>, <hi rend="i">quelqu’un</hi>, <hi rend="i">chacun</hi>, sont substantifs.
          Il est aisé de le reconnaître, en ce qu’ils ne font que désigner un objet, sans le
          qualifier.</p>
        </div6>
        <div6 type="section">
         <head>Pronoms adjectifs.</head>
         <p>Les pronoms <hi rend="i">adjectifs</hi> sont principalement ceux qu’on appelle <hi
           rend="i">possessifs</hi>, parce qu’ils marquent à qui appartient la chose signifiée par
          leur substantif. Ce sont pour le <pb n="28" xml:id="p28"/>singulier, <hi rend="i"
          >mon</hi>, <hi rend="i">ton</hi>, <hi rend="i">son</hi>, masculin ; <hi rend="i">ma</hi>,
           <hi rend="i">ta</hi>, <hi rend="i">sa</hi>, féminin ; <hi rend="i">notre</hi>, <hi
           rend="i">votre</hi>, <hi rend="i">leur</hi>, des deux genres : pour le pluriel, <hi
           rend="i">mes</hi>, <hi rend="i">tes</hi>, <hi rend="i">ses</hi>, <hi rend="i">nos</hi>,
           <hi rend="i">vos</hi>, <hi rend="i">leurs</hi>, les uns et les autres également des deux
          genres. On voit que ces pronoms ont chacun un rapport de propriété aux divers pronoms des
          trois personnes.</p>
         <p><hi rend="i">Le mien</hi>, <hi rend="i">le tien</hi>, <hi rend="i">le sien</hi>, <hi
           rend="i">le nôtre</hi>, <hi rend="i">le vôtre</hi>, <hi rend="i">le leur</hi>, <hi
           rend="i">la leur</hi>, <hi rend="i">les leurs</hi>, sont des pronoms adjectifs, quand ils
          sont mis à la place des noms : = <hi rend="i">je défends son ami ; qu’il défende</hi> le
          mien.</p>
         <p>Mais on ne doit pas mettre au rang des pronoms <hi rend="i">le mien</hi>, <hi rend="i"
           >le tien</hi>, <hi rend="i">le sien</hi>, etc. signifiant le bien qui nous appartient, ni
           <hi rend="i">les miens</hi>, pour dire <hi rend="i">mes proches</hi>, <hi rend="i">mes
           alliés</hi>. Ils sont alors de vrais substantifs.</p>
         <p>Les pronoms indéfinis, <hi rend="i">quel</hi>, <hi rend="i">lequel</hi>, <hi rend="i"
           >quelque</hi>, <hi rend="i">quiconque</hi>, <hi rend="i">plusieurs</hi>, <hi rend="i"
           >tout</hi>, <hi rend="i">nul</hi>, <hi rend="i">pas un</hi>, sont <hi rend="i"
           >adjectifs</hi>. On voit que tous ces pronoms servent en quelque sorte à qualifier un
          objet. Voici ceux qui sont tantôt <hi rend="i">substantifs</hi>, tantôt <hi rend="i"
           >adjectifs</hi>.</p>
        </div6>
        <div6 type="section">
         <head>Pronoms tantôt substantifs, tantôt adjectifs.</head>
         <p><hi rend="i">Que</hi>, mis absolument, c’est-à-dire, sans être précédé d’un nom auquel
          il ait rapport, est <hi rend="i">substantif</hi> : = que <hi rend="i">vous est-il
           arrivé ?</hi>= <hi rend="i">Je ne sais</hi> que <hi rend="i">répondre</hi>. Il signifie
          ici <hi rend="i">quelle chose</hi>.</p>
         <p><hi rend="i">Que</hi>, ayant rapport à un nom qui le précède, et pour lors pronom <hi
           rend="i">relatif</hi>, est <hi rend="i">adjectif</hi> : = <hi rend="i">je n’oublierai
           jamais le service</hi> que <hi rend="i">vous m’avez rendu</hi>.</p>
         <p>Dans cette phrase : = <hi rend="i">ce qui est beau, mérite notre admiration</hi> ; <hi
           rend="i">ce</hi> est substantif, parce <pb n="29" xml:id="p29"/>qu’il signifie <hi
           rend="i">la chose qui</hi>. Dans celle-ci : = ce <hi rend="i">livre est bien écrit</hi> ;
           <hi rend="i">ce</hi> est <hi rend="i">adjectif</hi>, parce qu’il qualifie, en quelque
          sorte, le substantif <hi rend="i">livre</hi>.</p>
         <p>Celui <hi rend="i">qui veut se faire estimer, doit être vertueux</hi>. <hi rend="i"
           >Celui</hi> est <hi rend="i">substantif</hi>, parce qu’il signifie <hi rend="i">l’homme
           qui</hi>.</p>
         <p>En parlant de deux tableaux : = celui-ci <hi rend="i">est d’un grand peintre</hi>. <hi
           rend="i">Celui-ci</hi> est <hi rend="i">adjectif</hi>, parce qu’il sert, en quelque
          manière, de qualificatif au substantif <hi rend="i">tableau</hi>, dont il rappelle l’idée.
          Tel est le principe d’après lequel on jugera si un pronom est <hi rend="i"
          >substantif</hi>, ou <hi rend="i">adjectif</hi>.</p>
        </div6>
       </div5>
      </div4>
      <div4 type="article">
       <head type="sur"><hi rend="sc">Article</hi> II. </head>
       <head type="main"><hi rend="i">Du Verbe.</hi></head>
       <p>Le verbe est en général un mot qui exprime une action, soit intentionnelle, c’est-à-dire,
        produite par un principe spirituel ; soit réelle, c’est-à-dire, produite par un principe
        matériel, de quelque nature qu’il soit. On appelle <hi rend="i">sujet</hi>, la personne ou
        la chose qui est le principe de cette action. On appelle <hi rend="i">objet</hi>, la
        personne ou la chose qui en est le terme. = <hi rend="i">Nous aimons naturellement la
         vertu</hi> ; = <hi rend="i">vous ambitionnez trop les honneurs</hi> ; = <hi rend="i">le
         limon fertilise les terres</hi> ; = <hi rend="i">les vers rongent le bois</hi>. Dans ces
        phrases, les mots <hi rend="i">aimons</hi>, <hi rend="i">ambitionnez</hi>, <hi rend="i"
         >fertilise</hi>, <hi rend="i">rongent</hi>, expriment des actions, dont les deux premières
        sont <hi rend="i">intentionnelles</hi>, et les deux autres <hi rend="i">réelles</hi>.</p>
       <pb n="30" xml:id="p30"/>
       <p><hi rend="i">Nous</hi>, <hi rend="i">vous</hi>, <hi rend="i">limon</hi>, <hi rend="i"
         >vers</hi>, sont <hi rend="i">sujets</hi>, parce qu’ils sont les principes de ces actions,
        puisqu’ils les produisent. <hi rend="i">Vertu</hi>, <hi rend="i">honneurs</hi>, <hi rend="i"
         >terres</hi>, <hi rend="i">bois</hi>, sont <hi rend="i">objets</hi>, parce qu’ils sont les
        termes de ces actions, puisque c’est à eux qu’elles se terminent.</p>
       <p>L’action qu’exprime le verbe, peut être considérée sous quatre points de vue. De là
        naissent quatre sortes de verbes ; l’<hi rend="i">actif</hi>, le <hi rend="i">passif</hi>,
        le <hi rend="i">réciproque</hi>, et le <hi rend="i">neutre</hi>.</p>
       <div5 type="section">
        <head>Différentes espèces de verbes.</head>
        <p>Le verbe <hi rend="i">actif</hi> exprime une action que le sujet produit, et dont un
         objet étranger peut recevoir, ou souffrir l’impression : = <hi rend="i">l’homme sensible et
          compatissant</hi> aime <hi rend="i">et</hi> secourt <hi rend="i">les pauvres</hi> : = <hi
          rend="i">le tonnerre</hi> a renversé <hi rend="i">un grand édifice</hi>.</p>
        <p>Le verbe <hi rend="i">passif</hi> exprime une action, dont l’impression est reçue par le
         sujet : = <hi rend="i">les pauvres</hi> sont aimés <hi rend="i">et</hi> secourus <hi
          rend="i">par l’homme sensible et compatissant</hi> : = <hi rend="i">un grand édifice</hi>
         a été renversé <hi rend="i">par le tonnerre</hi>.</p>
        <p>Le verbe <hi rend="i">réciproque</hi> exprime une action, dont le sujet qui la produit,
         ressent l’impression ; en sorte qu’en agissant sur lui-même, il est tout à la fois et le
         sujet et l’objet de cette action : = <hi rend="i">je</hi> me promène <hi rend="i">tous les
          matins</hi> : = <hi rend="i">vous</hi> vous fatiguerez <hi rend="i">dans ce chemin
          sabloneux</hi> : = <hi rend="i">ce jeune fat</hi> se vante <hi rend="i">toujours</hi>. On
         voit que les verbes de cette espèce sont accompagnés de deux pronoms de la même personne,
         tandis que les autres n’en ont qu’un.</p>
        <p>Le verbe <hi rend="i">neutre</hi> exprime une action produite par le sujet, mais dont
         l’impression <pb n="31" xml:id="p31"/>ne peut être reçue ou soufferte par aucun objet : =
          <hi rend="i">les arbres</hi> fleurissent, <hi rend="i">et la verdure</hi> paraît : = <hi
          rend="i">cet homme</hi> pense <hi rend="i">juste, et</hi> raisonne <hi rend="i">de
          même</hi> : = <hi rend="i">nous</hi> dînions <hi rend="i">agréablement auprès d’une
          fontaine, lorsque les villageois</hi> dansaient <hi rend="i">sous ces ormeaux</hi>. Voici
         d’autres exemples qui feront sentir la différence essentielle qu’il y a entre un verbe <hi
          rend="i">actif</hi> et un verbe <hi rend="i">neutre</hi>.</p>
        <p>Quand je dis, <hi rend="i">le père</hi> corrige <hi rend="i">l’enfant</hi>, j’exprime par
         ce verbe une action que fait le père, et dont l’enfant peut recevoir ou souffrir
         l’impression. Je pourrais dire en effet, sans changer le sens de la phrase : <hi rend="i"
          >l’enfant</hi> est corrigé <hi rend="i">par le père</hi>. Alors l’impression de cette
         action serait reçue ou soufferte par l’enfant. Donc ce verbe <hi rend="i">corriger</hi> est
         un verbe <hi rend="i">actif</hi>.</p>
        <p>Mais si je dis, <hi rend="i">le méchant</hi> médit <hi rend="i">de tout le monde</hi> ;
          <hi rend="i">le maître</hi> a parlé <hi rend="i">aux disciples</hi> ; quoique j’exprime,
         par ces deux verbes, des actions qui passent hors des sujets qui en sont le principe, je ne
         pourrais cependant pas dire, <hi rend="i">tout le monde</hi> est médit <hi rend="i">par le
          méchant</hi> ; <hi rend="i">les disciples</hi> ont été parlés <hi rend="i">par le
          maître</hi>. Donc ces verbes <hi rend="i">médire</hi>, <hi rend="i">parler</hi>, expriment
         des actions, dont l’impression ne peut être reçue ou soufferte ; par conséquent ils sont
         des verbes <hi rend="i">neutres</hi>, et non des verbes <hi rend="i">actifs</hi>.</p>
        <p>Ainsi le verbe <hi rend="i">neutre</hi> est immuable de sa nature ; et le verbe <hi
          rend="i">actif</hi> peut être changé en passif, sans que, pour cela, le sens de la phrase
         soit altéré. Voilà pourquoi des Grammairiens, empruntant le langage de la philosophie, ont
         dit que les verbes proprement <pb n="32" xml:id="p32"/><hi rend="i">actifs</hi> signifient
         une action, à laquelle est opposée une <hi rend="i">passion</hi> ; mot qui veut dire ici
         une impression reçue dans un sujet.</p>
        <p>Enfin, pour ne rien omettre de ce qui peut empêcher les jeunes gens de confondre ces deux
         espèces de verbes, voici un moyen facile et sûr de les distinguer. Quand un verbe peut
         recevoir après lui les mots <hi rend="i">quelqu’un</hi>, <hi rend="i">quelque chose</hi>,
         employés tout seuls, il est <hi rend="i">actif</hi> : = <hi rend="i">flatter
         quelqu’un</hi> ; <hi rend="i">approuver quelque chose</hi>. Quand il ne peut pas les
         recevoir, il est <hi rend="i">neutre</hi>. On dit bien, <hi rend="i">nuire à
         quelqu’un</hi> ; <hi rend="i">insister sur quelque chose</hi>. Mais on ne peut pas dire,
          <hi rend="i">nuire quelqu’un</hi> ; <hi rend="i">insister quelque chose</hi>.</p>
        <p>En expliquant ainsi la différence qu’il y a entre un verbe actif et un verbe neutre, je
         n’ai fait que suivre le sentiment de tous nos bons Grammairiens, qui ont bien montré, par
         la force et la justesse de leurs raisonnements, qu’ils connaissaient toute la métaphysique
         de notre langue. On voit en effet que cette différence est fondée sur une dialectique très
         solide. Je dois ajouter qu’elle existe dans les diverses langues, du mélange desquelles la
         nôtre s’est formée en grande partie, et qu’elle sert, de plus, à simplifier autant qu’à
         affermir certaines règles essentielles de notre syntaxe. On doit donc regarder comme faux
         et inadmissible le principe, d’après lequel <hi rend="i">Wailly</hi> prétend que les verbes
          <hi rend="i">nuire</hi>, <hi rend="i">médire</hi>, <hi rend="i">parler</hi>, <hi rend="i"
          >danser</hi>, <hi rend="i">jouer</hi>, <hi rend="i">partir</hi>, <hi rend="i">venir</hi>,
         sont des verbes actifs.</p>
        <pb n="33" xml:id="p33"/>
        <p>Je dois dire également ici que la définition du sujet, donnée par le même auteur, ne
         paraît guère satisfaisante. <hi rend="i">Le sujet</hi>, dit-il en deux endroits, <hi
          rend="i">est la personne ou la chose dont on parle</hi>. Quel sera donc le sujet de ces
         deux phrases ? <hi rend="i">Dieu éprouve les justes</hi> : = <hi rend="i">l’aimant attire
          le fer</hi>. On y parle des <hi rend="i">justes</hi> comme de <hi rend="i">Dieu</hi>, et
         du <hi rend="i">fer</hi> comme de l’<hi rend="i">aimant</hi>.</p>
        <p>Les verbes qui ne peuvent être accompagnés que du pronom <hi rend="i">il</hi>, à la place
         duquel on ne peut pas mettre un nom, s’appellent <hi rend="i">impersonnels</hi> : = <hi
          rend="i">il faut</hi> : <hi rend="i">il importe</hi> : <hi rend="i">il pleut</hi> : <hi
          rend="i">il neige</hi>, etc.</p>
       </div5>
       <div5 type="section">
        <head>Verbes être et avoir.</head>
        <p>Nous avons dans notre Langue deux verbes qui méritent ici une observation particulière :
         ce sont les verbes <hi rend="i">être</hi> et <hi rend="i">avoir</hi>. Le premier signifie
         en lui-même <hi rend="i">exister</hi> ; et en ce sens il est <hi rend="i">neutre</hi> : =
          <hi rend="i">Jésus-Christ a voulu mourir pour tous les hommes qui</hi> ont été, <hi
          rend="i">qui</hi> sont, <hi rend="i">et qui</hi> seront. Mais dans sa signification la
         plus étendue, ce verbe n’exprime point d’action ; et les Grammairiens l’appellent verbe <hi
          rend="i">substantif</hi>. Un de ses principaux usages est de signifier l’affirmation que
         l’on fait, soit d’une personne, soit d’une chose qui en est le sujet : = <hi rend="i">la
          médiocrité</hi> est <hi rend="i">la sauvegarde de la vertu</hi> : = <hi rend="i">les
          riches</hi> sont <hi rend="i">heureux de pouvoir</hi> être <hi rend="i">les pères des
          pauvres</hi>. Je remarquerai ici que les verbes <hi rend="i">devenir</hi>, <hi rend="i"
          >paraître</hi>, <hi rend="i">sembler</hi>, etc., servant à ce même usage que le verbe <hi
          rend="i">être</hi>, sont aussi regardés comme des verbes <hi rend="i"
         >substantifs</hi>.</p>
        <p>Le verbe <hi rend="i">avoir</hi> signifie en lui-même <pb n="34" xml:id="p34"/><hi
          rend="i">posséder</hi> ; et en ce sens il est <hi rend="i">actif</hi>. = <hi rend="i">Ce
          seigneur</hi> a <hi rend="i">de grandes terres</hi> : = <hi rend="i">vous avez une belle
          bibliothèque</hi>. Mais ce verbe est plus généralement employé à un autre usage. Il sert
         ainsi que le verbe <hi rend="i">être</hi>, à conjuguer en grande partie tous les autres ;
         et c’est pour cette raison que l’on appelle ces deux verbes, <hi rend="i"
         >auxiliaires</hi>.</p>
       </div5>
       <div5 type="section">
        <head>Modes et temps du verbe.</head>
        <p>Tous les verbes ont différentes terminaisons ou variations finales : = <hi rend="i">je
          pense</hi> ; <hi rend="i">nous pensons</hi> ; <hi rend="i">je pensois</hi> ; <hi rend="i"
          >vous pensâtes</hi> ; <hi rend="i">ils pensèrent</hi>, etc. Assembler toutes les
         terminaisons d’un verbe, c’est le conjuguer. En le conjuguant, on exprime l’action de
         plusieurs manières ; et ces manières forment les <hi rend="i">modes</hi>, qui sont l’<hi
          rend="i">infinitif</hi>, l’<hi rend="i">indicatif</hi>, l’<hi rend="i">impératif</hi>, et
         le <hi rend="i">subjonctif</hi>. On exprime l’action avec tous ses rapports ; et ces
         rapports forment les <hi rend="i">temps</hi>, les <hi rend="i">nombres</hi>, et les <hi
          rend="i">personnes</hi>. J’ai déjà parlé des <hi rend="i">personnes</hi> : les <hi
          rend="i">nombres</hi> dans les verbes sont les mêmes que ceux des noms.</p>
        <p>Il n’y a proprement que trois temps dans la nature : le <hi rend="i">présent</hi> ; c’est
         le temps qui est actuellement : le <hi rend="i">passé</hi> ; c’est le temps qui a été : le
          <hi rend="i">futur</hi> ; c’est le temps qui sera. Mais comme dans ces trois temps, on
         peut envisager les choses de diverses manières, on en a introduit plusieurs autres, pour
         exprimer toutes ces manières. Ainsi au <hi rend="i">présent absolu</hi> se rapportent le
          <hi rend="i">conditionnel présent</hi>, et l’<hi rend="i">imparfait</hi> ou <hi rend="i"
          >présent relatif</hi> ; au <hi rend="i">parfait indéfini</hi> se rapportent le <hi
          rend="i">parfait défini</hi>, le <hi rend="i">parfait</hi>
         <pb n="35" xml:id="p35"/><hi rend="i">antérieur</hi>, le <hi rend="i"
         >plus-que-parfait</hi>, et le <hi rend="i">conditionnel passé</hi> ; au <hi rend="i">futur
          simple</hi> se rapporte le <hi rend="i">futur composé</hi>.</p>
        <p>Pour faire connaître ces divers temps, ainsi que les <hi rend="i">modes</hi>, je vais
         conjuguer un verbe, en plaçant la définition de chaque temps, à côté de ce même temps
         conjugué. Je joindrai à ce verbe les deux auxiliaires <hi rend="i">avoir</hi>, <hi rend="i"
          >être</hi>.</p>
        <pb n="36" xml:id="p36"/>
        <label>PREMIER MODE.</label>
        <label><hi rend="sc">Infinitif</hi>.</label>
        <p>L’<hi rend="i">infinitif</hi> exprime l’action d’une manière indéfinie et indéterminée,
         et par conséquent, n’a ni nombres ni personnes. En l’employant on fait entendre la
         signification d’un verbe d’une manière seulement générale.</p>
        <label><hi rend="sc">Présent</hi>.</label>
        <p>Le <hi rend="i">présent</hi> est toujours précédé d’un verbe, et se rapporte au temps
         marqué par ce verbe : = <hi rend="i">j’entends, j’ai entendu, j’entendrai votre frère</hi>
         chanter.</p>
        <label><hi rend="sc">Participe</hi>.</label>
        <p>Le <hi rend="i">participe</hi> a la signification du verbe, et de plus est souvent
         employé comme adjectif : = <hi rend="i">voilà un champ bien</hi> cultivé, <hi rend="i">des
          arbres bien</hi> émondés.</p>
        <label><hi rend="sc">Parfait</hi>.</label>
        <p>Le <hi rend="i">parfait</hi> désigne un temps passé, relatif au verbe qui le précède : =
          <hi rend="i">vous paraissez</hi> avoir étudié <hi rend="i">votre langue</hi>.</p>
        <label><hi rend="sc">Gérondif présent</hi>.</label>
        <p>Le <hi rend="i">gérondif présent</hi> se rapporte, comme le présent, au temps marqué par
         le verbe dont il est précédé : = <hi rend="i">il va, il est allé, il ira toujours</hi>
         courant.</p>
        <pb n="37" xml:id="p37"/>
        <label>PREMIER MODE.</label>
        <label><hi rend="sc">Infinitif</hi>.</label>
        <p><hi rend="i">Bien des personnes sont dans l’habitude de</hi> lire <hi rend="i">en se</hi>
         promenant, <hi rend="i">après</hi> avoir travaillé, <hi rend="i">durant plusieurs heures,
          dans leur cabinet</hi>.</p>
        <label><hi rend="sc">Présent</hi>.</label>
        <table>
         <row>
          <cell>blâmer.</cell>
          <cell>avoir.</cell>
          <cell>être.</cell>
         </row>
        </table>
        <label><hi rend="sc">Participe</hi>.</label>
        <table>
         <row>
          <cell>blâmé, ée.</cell>
          <cell>eu, eue.</cell>
          <cell>été.</cell>
         </row>
        </table>
        <label><hi rend="sc">Parfait</hi>.</label>
        <table>
         <row>
          <cell>avoir blâmé.</cell>
          <cell>eu.</cell>
          <cell>été.</cell>
         </row>
        </table>
        <label><hi rend="sc">Gérondif présent</hi>.</label>
        <table>
         <row>
          <cell>blâmant.</cell>
          <cell>ayant.</cell>
          <cell>étant.</cell>
         </row>
        </table>
        <pb n="38" xml:id="p38"/>
        <label><hi rend="sc">Gérondif passé</hi>.</label>
        <p>Le <hi rend="i">gérondif passé</hi> marque par lui-même un temps passé : = <hi rend="i"
          >je suis resté</hi>, ayant appris <hi rend="i">que vous deviez partir</hi>.</p>
        <label>DEUXIÈME MODE.</label>
        <label><hi rend="sc">Indicatif</hi>.</label>
        <p>L’<hi rend="i">indicatif</hi> exprime l’action d’une manière positive, et forme un sens
         par lui-même.</p>
        <label><hi rend="sc">Présent absolu</hi>.</label>
        <p>Le <hi rend="i">présent absolu</hi> désigne une chose qui est, ou se fait au temps où
         l’on parle ; = <hi rend="i">je</hi> vois <hi rend="i">notre ami qui</hi> arrive <hi
          rend="i">de la campagne</hi> ; ou qu’on est dans l’habitude de faire : = <hi rend="i">vous
          vous</hi> levez <hi rend="i">tous les jours trop matin</hi>.</p>
        <label><hi rend="sc">Conditionnel présent</hi>.</label>
        <p>Le <hi rend="i">conditionnel présent</hi> marque une chose qui se ferait moyennant une
         condition : = <hi rend="i">je vous</hi> aimerais, <hi rend="i">si vous remplissiez bien
          votre devoir</hi>.</p>
        <label><hi rend="sc">Imparfait</hi>
         <hi rend="i">ou</hi>
         <hi rend="sc">Présent relatif</hi>.</label>
        <p>L’<hi rend="i">imparfait</hi> ou <hi rend="i">présent relatif</hi> marque ou le
         commencement, le cours d’une action, sans en désigner précisément la fin : = <hi rend="i"
          >je me</hi> promenais <hi rend="i">ce matin au champ de Mars</hi> ; ou une action qui se
         faisait dans le temps qu’une autre s’est faite : = <hi rend="i">il</hi> pleuvait, <hi
          rend="i">lorsque je vous ai vu passer</hi>.</p>
        <pb n="39" xml:id="p39"/>
        <label><hi rend="sc">Gérondif passé</hi>.</label>
        <table>
         <row>
          <cell>ayant blâmé.</cell>
          <cell>eu.</cell>
          <cell>été.</cell>
         </row>
        </table>
        <label>DEUXIÈME MODE.</label>
        <label><hi rend="sc">Indicatif</hi>.</label>
        <p><hi rend="i">La pratique des vertus chrétiennes</hi> rehausse <hi rend="i">la gloire des
          plus grands Héros</hi>.</p>
        <label><hi rend="sc">Présent absolu</hi>.</label>
        <table>
         <row>
          <cell>je blâme.</cell>
          <cell>ai.</cell>
          <cell>suis.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>tu blâmes.</cell>
          <cell>as.</cell>
          <cell>es.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>il blâme.</cell>
          <cell>a.</cell>
          <cell>est.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>nous blâmons.</cell>
          <cell>avons.</cell>
          <cell>sommes.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>vous blâmez.</cell>
          <cell>avez.</cell>
          <cell>êtes.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>ils blâment.</cell>
          <cell>ont.</cell>
          <cell>sont.</cell>
         </row>
        </table>
        <label><hi rend="sc">Conditionnel présent</hi>.</label>
        <table>
         <row>
          <cell>je blâmerais.</cell>
          <cell>aurais.</cell>
          <cell>serais.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>tu blâmerais.</cell>
          <cell>aurais.</cell>
          <cell>serais.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>il blâmerait.</cell>
          <cell>aurait.</cell>
          <cell>serait.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>nous blâmerions.</cell>
          <cell>aurions.</cell>
          <cell>serions.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>vous blâmeriez.</cell>
          <cell>auriez.</cell>
          <cell>seriez.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>ils blâmeraient.</cell>
          <cell>auraient.</cell>
          <cell>seraient.</cell>
         </row>
        </table>
        <label><hi rend="sc">Imparfait</hi> <hi rend="i">ou</hi> <hi rend="sc">Présent
         relatif</hi>.</label>
        <table>
         <row>
          <cell>je blâmais.</cell>
          <cell>avais.</cell>
          <cell>étais.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>tu blâmais.</cell>
          <cell>avais.</cell>
          <cell>étais.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>il blâmait.</cell>
          <cell>avait.</cell>
          <cell>était.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>nous blâmions.</cell>
          <cell>avions.</cell>
          <cell>étions.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>vous blâmiez.</cell>
          <cell>aviez.</cell>
          <cell>étiez.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>ils blâmaient.</cell>
          <cell>avaient.</cell>
          <cell>étaient.</cell>
         </row>
        </table>
        <pb n="40" xml:id="p40"/>
        <label><hi rend="sc">Parfait indéfini</hi>.</label>
        <p>Le <hi rend="i">parfait indéfini</hi> marque une chose faite dans un temps qui n’est pas
         désigné, ou qui, s’il est désigné, n’est pas tout à fait écoulé : = <hi rend="i">notre
          pays</hi> a été <hi rend="i">le théâtre de bien des guerres sanglantes</hi> : = <hi
          rend="i">un habile marin</hi> a commandé <hi rend="i">cette année une escadre</hi>.</p>
        <label><hi rend="sc">Parfait défini</hi>.</label>
        <p>Le <hi rend="i">parfait défini</hi> marque une chose faite dans un temps qui est
         entièrement écoulé : = <hi rend="i">je</hi> reçus <hi rend="i">hier votre lettre</hi>.</p>
        <label><hi rend="sc">Parfait antérieur</hi>.</label>
        <p>Le <hi rend="i">parfait antérieur</hi> marque une chose faite avant une autre qui se fit
         dans un temps dont il ne reste plus rien : = <hi rend="i">je vis hier votre ami, après que
          je vous</hi> eus quitté.</p>
        <label><hi rend="sc">Plus-que-parfait</hi>.</label>
        <p>Le <hi rend="i">plus-que-parfait</hi> marque une chose qui était déjà faite, quand une
         autre s’est</p>
        <pb n="41" xml:id="p41"/>
        <label><hi rend="sc">Parfait indéfini</hi>.</label>
        <table>
         <row>
          <cell>j’ai blâmé.</cell>
          <cell>eu.</cell>
          <cell>été.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>tu as blâmé.</cell>
          <cell>eu.</cell>
          <cell>été.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>il a blâmé.</cell>
          <cell>eu.</cell>
          <cell>été.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>nous avons blâmé.</cell>
          <cell>eu.</cell>
          <cell>été.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>vous avez blâmé.</cell>
          <cell>eu.</cell>
          <cell>été.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>ils ont blâmé.</cell>
          <cell>eu.</cell>
          <cell>été.</cell>
         </row>
        </table>
        <label><hi rend="sc">Parfait défini</hi>.</label>
        <table>
         <row>
          <cell>je blâmai.</cell>
          <cell>eus.</cell>
          <cell>fus.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>tu blâmas.</cell>
          <cell>eus.</cell>
          <cell>fus.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>il blâma.</cell>
          <cell>eut.</cell>
          <cell>fut.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>nous blâmâmes.</cell>
          <cell>eûmes.</cell>
          <cell>fûmes.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>vous blâmâtes.</cell>
          <cell>eûtes.</cell>
          <cell>fûtes.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>ils blâmèrent.</cell>
          <cell>eurent.</cell>
          <cell>furent.</cell>
         </row>
        </table>
        <label><hi rend="sc">Parfait antérieur</hi>.</label>
        <table>
         <row>
          <cell>j’eus blâmé.</cell>
          <cell>eu.</cell>
          <cell>été.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>tu eus blâmé.</cell>
          <cell>eu.</cell>
          <cell>été.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>il eut blâmé.</cell>
          <cell>eu.</cell>
          <cell>été.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>nous eûmes blâmé.</cell>
          <cell>eu.</cell>
          <cell>été.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>vous eûtes blâmé.</cell>
          <cell>eu.</cell>
          <cell>été.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>ils eurent blâmé.</cell>
          <cell>eu.</cell>
          <cell>été.</cell>
         </row>
        </table>
        <label><hi rend="sc">Plus-que-parfait</hi>.</label>
        <table>
         <row>
          <cell>j’avais blâmé.</cell>
          <cell>eu.</cell>
          <cell>été.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>tu avais blâmé.</cell>
          <cell>eu.</cell>
          <cell>été.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>il avait blâmé.</cell>
          <cell>eu.</cell>
          <cell>été.</cell>
         </row>
        </table>
        <pb n="42" xml:id="p42"/>
        <p>faite : = <hi rend="i">j’</hi>avais achevé <hi rend="i">ma besogne, quand vous avez
          commencé la vôtre</hi>.</p>
        <label><hi rend="sc">Conditionnel passé</hi>.</label>
        <p>Le <hi rend="i">conditionnel passé</hi> marque une chose qui aurait été faite, si
         certaine condition avait eu lieu : = <hi rend="i">j’</hi>aurais lu <hi rend="i">votre
          ouvrage, si j’en avais eu le temps</hi>.</p>
        <label><hi rend="sc">Futur simple</hi>.</label>
        <p>Le <hi rend="i">futur simple</hi> marque une chose qui sera ou se fera : = <hi rend="i"
          >la vertu</hi> sera récompensée.</p>
        <label><hi rend="sc">Futur composé</hi>.</label>
        <p>Le <hi rend="i">futur composé</hi> marque une chose qui aura été faite, quand une autre
         se fera : = <hi rend="i">j’</hi>aurai fini <hi rend="i">toutes mes affaires, quand vous me
          verrez partir</hi>.</p>
        <table>
         <pb n="43" xml:id="p43"/>
         <row>
          <cell>nous avions blâmé.</cell>
          <cell>eu.</cell>
          <cell>été.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>vous aviez blâmé.</cell>
          <cell>eu.</cell>
          <cell>été.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>ils avaient blâmé.</cell>
          <cell>eu.</cell>
          <cell>été.</cell>
         </row>
        </table>
        <label><hi rend="sc">Conditionnel passé</hi>.</label>
        <table>
         <row>
          <cell>j’aurais <hi rend="i">ou</hi> j’eusse</cell>
          <cell>blâmé.</cell>
          <cell>eu.</cell>
          <cell>été.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>tu aurais <hi rend="i">ou</hi> tu eusses</cell>
          <cell>blâmé.</cell>
          <cell>eu.</cell>
          <cell>été.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>il aurait <hi rend="i">ou</hi> il eût</cell>
          <cell>blâmé.</cell>
          <cell>eu.</cell>
          <cell>été.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>nous aurions <hi rend="i">ou</hi> nous eussions</cell>
          <cell>blâmé.</cell>
          <cell>eu.</cell>
          <cell>été.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>vous auriez <hi rend="i">ou</hi> vous eussiez</cell>
          <cell>blâmé.</cell>
          <cell>eu.</cell>
          <cell>été.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>ils auraient <hi rend="i">ou</hi> ils eussent</cell>
          <cell>blâmé.</cell>
          <cell>eu.</cell>
          <cell>été.</cell>
         </row>
        </table>
        <label><hi rend="sc">Futur simple</hi>.</label>
        <table>
         <row>
          <cell>je blâmerai.</cell>
          <cell>aurai.</cell>
          <cell>serai.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>tu blâmeras.</cell>
          <cell>auras.</cell>
          <cell>seras.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>il blâmera.</cell>
          <cell>aura.</cell>
          <cell>sera.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>nous blâmerons.</cell>
          <cell>aurons.</cell>
          <cell>serons.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>vous blâmerez.</cell>
          <cell>aurez.</cell>
          <cell>serez.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>ils blâmeront.</cell>
          <cell>auront.</cell>
          <cell>seront.</cell>
         </row>
        </table>
        <label><hi rend="sc">Futur composé</hi>.</label>
        <table>
         <row>
          <cell>j’aurai blâmé.</cell>
          <cell>eu.</cell>
          <cell>été.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>tu auras blâmé.</cell>
          <cell>eu.</cell>
          <cell>été.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>il aura blâmé.</cell>
          <cell>eu.</cell>
          <cell>été.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>nous aurons blâmé.</cell>
          <cell>eu.</cell>
          <cell>été.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>vous aurez blâmé.</cell>
          <cell>eu.</cell>
          <cell>été.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>ils auront blâmé.</cell>
          <cell>eu.</cell>
          <cell>été.</cell>
         </row>
        </table>
        <pb n="44" xml:id="p44"/>
        <label>TROISIÈME MODE.</label>
        <label><hi rend="sc">Impératif</hi>.</label>
        <p>L’<hi rend="i">impératif</hi> exprime l’action d’une manière qui signifie le
         commandement, la prière, ou l’exhortation.</p>
        <label><hi rend="sc">Présent</hi> <hi rend="i">ou</hi> <hi rend="sc">Futur</hi>.</label>
        <p>Ce temps marque un présent par rapport à l’action de commander, et un futur par rapport à
         la chose commandée : = soyez soumis <hi rend="i">aux puissances de la terre</hi>, veut
         dire ; <hi rend="i">vous serez soumis</hi>, etc.</p>
        <label>QUATRIÈME MODE.</label>
        <label><hi rend="sc">Subjonctif</hi>.</label>
        <p>Le <hi rend="i">subjonctif</hi> exprime l’action d’une manière indirecte, et dépend
         tellement de ce qui le précède, que si on l’en sépare, il ne forme plus de sens clair.</p>
        <label><hi rend="sc">Présent</hi> <hi rend="i">ou</hi> <hi rend="sc">Futur</hi>.</label>
        <p>Ce temps est appelé <hi rend="i">présent</hi> ou <hi rend="i">futur</hi>, parce qu’il
         s’emploie aussi souvent pour l’un que pour l’autre : = <hi rend="i">croyez-vous que votre
          frère</hi> vienne ? Le verbe <hi rend="i">vienne</hi> marque un présent, si l’on veut dire
         que votre frère est en chemin, et un futur, si l’on veut dire qu’il viendra.</p>
        <p>La définition des trois temps suivants est la même que celle des pareils temps de
         l’indicatif.</p>
        <label><pb n="45" xml:id="p45"/>TROISIÈME MODE.</label>
        <label><hi rend="sc">Impératif</hi>.</label>
        <quote>
         <l>Cieux, <hi rend="i">écoutez</hi> ma voix ; terre, <hi rend="i">prête</hi> l’oreille.</l>
         <l>Ne <hi rend="i">dis</hi> plus, ô Jacob<note n="1" place="bottom">Voyez ce mot dans les
           notes à la fin de ce volume.</note>, que ton Seigneur sommeille.</l>
         <l>Pécheurs, <hi rend="i">disparaissez</hi> ; le Seigneur se réveille.</l>
        </quote>
        <label><hi rend="sc">Présent</hi> <hi rend="i">ou</hi> <hi rend="sc">Futur</hi>.</label>
        <table>
         <row>
          <cell>blâme.</cell>
          <cell>aie.</cell>
          <cell>sois.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>qu’il blâme.</cell>
          <cell>ait.</cell>
          <cell>soit.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>blâmons.</cell>
          <cell>ayons.</cell>
          <cell>soyons.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>blâmez.</cell>
          <cell>ayez.</cell>
          <cell>soyez.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>qu’ils blâment.</cell>
          <cell>aient.</cell>
          <cell>soient.</cell>
         </row>
        </table>
        <label>QUATRIÈME MODE.</label>
        <label><hi rend="sc">Subjonctif</hi>.</label>
        <p><hi rend="i">Il faut que l’innocence</hi> soit justifiée. Si l’on supprimoit, <hi
          rend="i">il faut que</hi>, le reste n’aurait plus un sens déterminé.</p>
        <label><hi rend="sc">Présent</hi> <hi rend="i">ou</hi> <hi rend="sc">Futur</hi>.</label>
        <table>
         <row>
          <cell>que je blâme.</cell>
          <cell>aie.</cell>
          <cell>sois.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>que tu blâmes.</cell>
          <cell>aies.</cell>
          <cell>sois.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>qu’il blâme.</cell>
          <cell>ait.</cell>
          <cell>soit.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>que nous blâmions.</cell>
          <cell>ayons.</cell>
          <cell>soyons.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>que vous blâmiez.</cell>
          <cell>ayez.</cell>
          <cell>soyez.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>qu’ils blâment.</cell>
          <cell>aient.</cell>
          <cell>soient.</cell>
         </row>
        </table>
        <pb n="46" xml:id="p46"/>
        <label><hi rend="sc">Imparfait</hi>.</label>
        <p><hi rend="i">Il n’était pas nécessaire que</hi> vous vous en allassiez <hi rend="i">si
          promptement</hi>.</p>
        <label><hi rend="sc">Parfait</hi>.</label>
        <p><hi rend="i">Cet homme est trop franc et trop sincère, pour qu’</hi> il <hi rend="i"
          >n’</hi> ait <hi rend="i">point</hi> dit <hi rend="i">la vérité</hi>.</p>
        <label><hi rend="sc">Plus-que-parfait</hi>.</label>
        <p><hi rend="i">Il a bien fallu que</hi> j’eusse terminé, <hi rend="i">à votre arrivée, une
          affaire d’une telle importance</hi>.</p>
        <pb n="47" xml:id="p47"/>
        <label><hi rend="sc">Imparfait</hi>.</label>
        <table>
         <row>
          <cell>que je blâmasse.</cell>
          <cell>eusse.</cell>
          <cell>fusse.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>que tu blâmasses.</cell>
          <cell>eusses.</cell>
          <cell>fusses.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>qu’il blâmât.</cell>
          <cell>eût.</cell>
          <cell>fût.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>que nous blâmassions.</cell>
          <cell>eussions.</cell>
          <cell>fussions.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>que vous blâmassiez.</cell>
          <cell>eussiez.</cell>
          <cell>fussiez.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>qu’ils blâmassent.</cell>
          <cell>eussent.</cell>
          <cell>fussent.</cell>
         </row>
        </table>
        <label><hi rend="sc">Parfait</hi>.</label>
        <table>
         <row>
          <cell>que j’aie blâmé.</cell>
          <cell>eu.</cell>
          <cell>été.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>que tu aies blâmé.</cell>
          <cell>eu.</cell>
          <cell>été.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>qu’il ait blâmé.</cell>
          <cell>eu.</cell>
          <cell>été.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>que nous ayons blâmé.</cell>
          <cell>eu.</cell>
          <cell>été.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>que vous ayez blâmé.</cell>
          <cell>eu.</cell>
          <cell>été.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>qu’ils aient blâmé.</cell>
          <cell>eu.</cell>
          <cell>été.</cell>
         </row>
        </table>
        <label><hi rend="sc">Plus-que-parfait</hi>.</label>
        <table>
         <row>
          <cell>que j’eusse blâmé.</cell>
          <cell>eu.</cell>
          <cell>été.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>que tu eusses blâmé.</cell>
          <cell>eu.</cell>
          <cell>été.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>qu’il eût blâmé.</cell>
          <cell>eu.</cell>
          <cell>été.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>que nous eussions blâmé.</cell>
          <cell>eu.</cell>
          <cell>été.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>que vous eussiez blâmé.</cell>
          <cell>eu.</cell>
          <cell>été.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>qu’ils eussent blâmé.</cell>
          <cell>eu.</cell>
          <cell>été.</cell>
         </row>
        </table>
        <pb n="48" xml:id="p48"/>
        <p>Ce verbe, que je viens de conjuguer, est actif. Pour en avoir le passif, il ne faudrait
         que mettre son participe (<hi rend="i">blâmé</hi>) après le verbe <hi rend="i">être</hi>
         dans tous ses temps : = <hi rend="i">je suis blâmé</hi> ; <hi rend="i">j’étois blâmé</hi> ;
          <hi rend="i">je serai blâmé</hi>, etc. Ce même verbe serait réciproque, si on le
         conjuguoit avec deux pronoms de la même personne ; comme <hi rend="i">je me blâme</hi> ;
          <hi rend="i">je me blâmais</hi> ; <hi rend="i">je me blâmerai</hi>, etc. Alors plusieurs
         de ses temps se conjugueraient avec le verbe <hi rend="i">être</hi>. Ainsi, dans
         l’infinitif, le parfait serait, <hi rend="i">s’être blâmé</hi> ; le gérondif passé, <hi
          rend="i">s’étant blâmé</hi>. Dans l’indicatif, le présent indéfini serait, <hi rend="i">je
          me suis blâmé</hi> ; le parfait antérieur, <hi rend="i">je me fus blâmé</hi> ; le
         plus-que-parfait, <hi rend="i">je m’étais blâmé</hi> ; le conditionnel passé, <hi rend="i"
          >je me serais</hi> ou <hi rend="i">je me fusse blâmé</hi> le futur composé, <hi rend="i"
          >je me serai blâmé</hi>. Dans l’impératif, on dirait <hi rend="i">blâme-toi</hi>, etc.
         Dans le subjonctif, le parfait serait, <hi rend="i">que je me sois blâmé</hi> ; le
         plus-que-parfait, <hi rend="i">que je me fusse blâmé</hi>.</p>
       </div5>
       <div5 type="section">
        <head>Diverses conjugaisons des verbes.</head>
        <p>Tous les verbes ne se conjuguent pas de la même manière. Cette différence des
         conjugaisons dépend de la différence qui se trouve dans les terminaisons de toutes les
         parties des verbes, et principalement dans celle de l’infinitif. Les différentes
         terminaisons de l’infinitif dans les verbes, se réduisent à quatre, qui forment autant de
         conjugaisons.</p>
        <p>La première comprend les verbes, dont l’infinitif est terminé en <hi rend="i">er</hi>, =
          <hi rend="i">aimer</hi>. La seconde, ceux dont l’infinitif est terminé en <hi rend="i"
          >ir</hi>, = <hi rend="i">punir</hi>. La troisième, ceux dont <pb n="49" xml:id="p49"
         />l’infinitif est terminé en <hi rend="i">oir</hi>, = <hi rend="i">recevoir</hi>. La
         quatrième, ceux dont l’infinitif est terminé en <hi rend="i">re</hi>, = <hi rend="i"
          >rendre</hi>. On voit que le verbe que j’ai conjugué, est de la première conjugaison. Je
         vais, dans un même tableau, en présenter un de chacune des trois autres. Mais je ne mettrai
         que la première personne du <hi rend="i">conditionnel présent</hi>, de l’<hi rend="i"
          >imparfait</hi> de l’indicatif, du <hi rend="i">futur simple</hi>, et des temps qui
         prennent le verbe <hi rend="i">avoir</hi>, parce que tous ces temps se conjuguent de même
         dans toutes les conjugaisons.</p>
        <label>INFINITIF</label>
        <label><hi rend="sc">Présent</hi>.</label>
        <table>
         <row>
          <cell>punir.</cell>
          <cell>recevoir.</cell>
          <cell>rendre.</cell>
         </row>
        </table>
        <label><hi rend="sc">Participe</hi>.</label>
        <table>
         <row>
          <cell>puni.</cell>
          <cell>reçu.</cell>
          <cell>rendu.</cell>
         </row>
        </table>
        <label><hi rend="sc">Parfait</hi>.</label>
        <table>
         <row>
          <cell>avoir puni.</cell>
          <cell>reçu.</cell>
          <cell>rendu.</cell>
         </row>
        </table>
        <label><hi rend="sc">Gérondif présent</hi>.</label>
        <table>
         <row>
          <cell>punissant.</cell>
          <cell>recevant.</cell>
          <cell>rendant.</cell>
         </row>
        </table>
        <label><hi rend="sc">Gérondif passé</hi>.</label>
        <table>
         <row>
          <cell>ayant puni.</cell>
          <cell>reçu.</cell>
          <cell>rendu.</cell>
         </row>
        </table>
        <label>INDICATIF</label>
        <label><hi rend="sc">Présent absolu</hi>.</label>
        <table>
         <row>
          <cell>je punis.</cell>
          <cell>reçois.</cell>
          <cell>rends.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>tu punis.</cell>
          <cell>reçois.</cell>
          <cell>rends.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell><pb n="50" xml:id="p50"/>il punit.</cell>
          <cell>reçoit.</cell>
          <cell>rend.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>nous punissons.</cell>
          <cell>recevons.</cell>
          <cell>rendons.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>vous punissez.</cell>
          <cell>recevez.</cell>
          <cell>rendez.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>ils punissent.</cell>
          <cell>reçoivent.</cell>
          <cell>rendent.</cell>
         </row>
        </table>
        <label><hi rend="sc">Conditionnel présent</hi>.</label>
        <table>
         <row>
          <cell>je punirais.</cell>
          <cell>recevrais.</cell>
          <cell>rendrais.</cell>
         </row>
        </table>
        <label><hi rend="sc">Imparfait</hi> <hi rend="i">ou</hi> <hi rend="sc">présent
         relatif</hi>.</label>
        <table>
         <row>
          <cell>je punissais.</cell>
          <cell>recevais.</cell>
          <cell>rendais.</cell>
         </row>
        </table>
        <label><hi rend="sc">Parfait indéfini</hi>.</label>
        <table>
         <row>
          <cell>j’ai puni.</cell>
          <cell>reçu.</cell>
          <cell>rendu.</cell>
         </row>
        </table>
        <label><hi rend="sc">Parfait défini</hi>.</label>
        <table>
         <row>
          <cell>je punis.</cell>
          <cell>reçus.</cell>
          <cell>rendis.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>tu punis.</cell>
          <cell>reçus.</cell>
          <cell>rendis.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>il punit.</cell>
          <cell>reçut.</cell>
          <cell>rendit.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>nous punîmes.</cell>
          <cell>reçûmes.</cell>
          <cell>rendîmes.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>vous punîtes.</cell>
          <cell>reçûtes.</cell>
          <cell>rendîtes.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>ils punirent.</cell>
          <cell>reçurent.</cell>
          <cell>rendirent.</cell>
         </row>
        </table>
        <label><hi rend="sc">Parfait antérieur</hi>.</label>
        <table>
         <row>
          <cell>j’eus puni.</cell>
          <cell>reçu.</cell>
          <cell>rendu.</cell>
         </row>
        </table>
        <label><hi rend="sc">Plus-que-parfait</hi>.</label>
        <table>
         <row>
          <cell>j’avais puni.</cell>
          <cell>reçu.</cell>
          <cell>rendu.</cell>
         </row>
        </table>
        <label><hi rend="sc">Conditionnel passé</hi>.</label>
        <table>
         <row>
          <cell>j’aurais <hi rend="i">ou</hi> j’eusse puni.</cell>
          <cell>reçu.</cell>
          <cell>rendu.</cell>
         </row>
        </table>
        <label><hi rend="sc">Futur simple</hi>.</label>
        <table>
         <row>
          <cell>je punirai.</cell>
          <cell>recevrai.</cell>
          <cell>rendrai.</cell>
         </row>
        </table>
        <pb n="51" xml:id="p51"/>
        <label><hi rend="sc">Futur composé</hi>.</label>
        <table>
         <row>
          <cell>j’aurai puni.</cell>
          <cell>reçu.</cell>
          <cell>rendu.</cell>
         </row>
        </table>
        <label>IMPÉRATIF</label>
        <label><hi rend="sc">Présent</hi> <hi rend="i">ou</hi> <hi rend="sc">Futur</hi>.</label>
        <table>
         <row>
          <cell>punis.</cell>
          <cell>reçois.</cell>
          <cell>rends.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>qu’il punisse.</cell>
          <cell>reçoive.</cell>
          <cell>rende.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>punissons.</cell>
          <cell>recevons.</cell>
          <cell>rendons.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>punissez.</cell>
          <cell>recevez.</cell>
          <cell>rendez.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>qu’ils punissent.</cell>
          <cell>reçoivent.</cell>
          <cell>rendent.</cell>
         </row>
        </table>
        <label>SUBJONCTIF</label>
        <label><hi rend="sc">Présent</hi> <hi rend="i">ou</hi> <hi rend="sc">Futur</hi>.</label>
        <table>
         <row>
          <cell>que je punisse.</cell>
          <cell>reçoive.</cell>
          <cell>rende.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>que tu punisses.</cell>
          <cell>reçoives.</cell>
          <cell>rendes.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>qu’il punisse.</cell>
          <cell>reçoive.</cell>
          <cell>rende.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>que nous punissions.</cell>
          <cell>recevions.</cell>
          <cell>rendions.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>que vous punissiez.</cell>
          <cell>receviez.</cell>
          <cell>rendiez.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>qu’ils punissent.</cell>
          <cell>reçoivent.</cell>
          <cell>rendent.</cell>
         </row>
        </table>
        <label><hi rend="sc">Imparfait</hi>.</label>
        <table>
         <row>
          <cell>que je punisse.</cell>
          <cell>reçusse.</cell>
          <cell>rendisse.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>que tu punisses.</cell>
          <cell>reçusses.</cell>
          <cell>rendisses.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>qu’il punît.</cell>
          <cell>reçut.</cell>
          <cell>rendît.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>que nous punissions.</cell>
          <cell>reçussions.</cell>
          <cell>rendissions.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>que vous punissiez.</cell>
          <cell>reçussiez.</cell>
          <cell>rendissiez.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>qu’ils punissent.</cell>
          <cell>reçussent.</cell>
          <cell>rendissent. </cell>
         </row>
        </table>
        <label><hi rend="sc">Parfait</hi>.</label>
        <table>
         <row>
          <cell>que j’aie puni.</cell>
          <cell>reçu.</cell>
          <cell>rendu.</cell>
         </row>
        </table>
        <pb n="52" xml:id="p52"/>
        <label><hi rend="sc">Plus-que-parfait</hi>.</label>
        <table>
         <row>
          <cell>que j’eusse puni.</cell>
          <cell>reçu.</cell>
          <cell>rendu.</cell>
         </row>
        </table>
        <p>La conjugaison en <hi rend="i">ir</hi>, a trois branches, qui ne sont autre chose que des
         différences dans cette même conjugaison ; c’est-à dire, qu’outre les verbes en <hi rend="i"
          >ir</hi>, qui sont entièrement semblables à celui que nous venons de conjuguer, il y en a
         de trois espèces, qui ont des terminaisons différentes aux mêmes temps et aux mêmes
         personnes. Tels sont les verbes suivants.</p>
        <label>INFINITIF</label>
        <label><hi rend="sc">Présent</hi>.</label>
        <table>
         <row>
          <cell>sentir.</cell>
          <cell>tenir.</cell>
          <cell>couvrir.</cell>
         </row>
        </table>
        <label><hi rend="sc">Participe</hi>.</label>
        <table>
         <row>
          <cell>senti.</cell>
          <cell>tenu.</cell>
          <cell>couvert.</cell>
         </row>
        </table>
        <label><hi rend="sc">Parfait</hi>.</label>
        <table>
         <row>
          <cell>avoir senti.</cell>
          <cell>tenu.</cell>
          <cell>couvert.</cell>
         </row>
        </table>
        <label><hi rend="sc">Gérondif présent</hi>.</label>
        <table>
         <row>
          <cell>sentant.</cell>
          <cell>tenant.</cell>
          <cell>couvrant.</cell>
         </row>
        </table>
        <label><hi rend="sc">Gérondif passé</hi>.</label>
        <table>
         <row>
          <cell>ayant senti.</cell>
          <cell>tenu.</cell>
          <cell>couvert.</cell>
         </row>
        </table>
        <label>INDICATIF</label>
        <label><hi rend="sc">présent absolu</hi>.</label>
        <table>
         <row>
          <cell>je sens.</cell>
          <cell>tiens.</cell>
          <cell>couvre.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>tu sens.</cell>
          <cell>tiens.</cell>
          <cell>couvres.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell><pb n="53" xml:id="p53"/>il sent.</cell>
          <cell>tient.</cell>
          <cell>couvre.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>nous sentons.</cell>
          <cell>tenons.</cell>
          <cell>couvrons.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>vous sentez.</cell>
          <cell>tenez.</cell>
          <cell>couvrez.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>ils sentent.</cell>
          <cell>tiennent.</cell>
          <cell>couvrent.</cell>
         </row>
        </table>
        <label><hi rend="sc">Conditionnel présent</hi>.</label>
        <table>
         <row>
          <cell>je sentirais.</cell>
          <cell>tiendrais.</cell>
          <cell>couvrirais.</cell>
         </row>
        </table>
        <label><hi rend="sc">Imparfait</hi> <hi rend="i">ou</hi> <hi rend="sc">Présent
         relatif</hi>.</label>
        <table>
         <row>
          <cell>je sentais.</cell>
          <cell>tenais.</cell>
          <cell>couvrais.</cell>
         </row>
        </table>
        <label><hi rend="sc">Parfait indéfini</hi>.</label>
        <table>
         <row>
          <cell>j’ai senti.</cell>
          <cell>tenu.</cell>
          <cell>couvert.</cell>
         </row>
        </table>
        <label><hi rend="sc">Parfait défini</hi>.</label>
        <table>
         <row>
          <cell>je sentis.</cell>
          <cell>tins.</cell>
          <cell>couvris.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>tu sentis.</cell>
          <cell>tins.</cell>
          <cell>couvris.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>il sentit.</cell>
          <cell>tint.</cell>
          <cell>couvrit.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>nous sentîmes.</cell>
          <cell>tînmes.</cell>
          <cell>couvrîmes.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>vous sentîtes.</cell>
          <cell>tîntes.</cell>
          <cell>couvrîtes.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>ils sentirent.</cell>
          <cell>tinrent.</cell>
          <cell>couvrirent.</cell>
         </row>
        </table>
        <label><hi rend="sc">Parfait antérieur</hi>.</label>
        <table>
         <row>
          <cell>j’eus senti.</cell>
          <cell>tenu.</cell>
          <cell>couvert.</cell>
         </row>
        </table>
        <label><hi rend="sc">Plus-que-parfait</hi>.</label>
        <table>
         <row>
          <cell>j’avais senti.</cell>
          <cell>tenu.</cell>
          <cell>couvert.</cell>
         </row>
        </table>
        <label><hi rend="sc">Conditionnel passé</hi>.</label>
        <table>
         <row>
          <cell>j’aurais <hi rend="i">ou</hi> j’eusse senti.</cell>
          <cell>tenu.</cell>
          <cell>couvert.</cell>
         </row>
        </table>
        <label><hi rend="sc">Futur simple</hi>.</label>
        <table>
         <row>
          <cell>je sentirai.</cell>
          <cell>tiendrai.</cell>
          <cell>couvrirai.</cell>
         </row>
        </table>
        <label><pb n="54" xml:id="p54"/><hi rend="sc">Futur composé</hi>.</label>
        <table>
         <row>
          <cell>j’aurai senti.</cell>
          <cell>tenu.</cell>
          <cell>couvert.</cell>
         </row>
        </table>
        <label>IMPÉRATIF</label>
        <label><hi rend="sc">Présent</hi> <hi rend="i">ou</hi> <hi rend="sc">Futur</hi>.</label>
        <table>
         <row>
          <cell>sens.</cell>
          <cell>tiens.</cell>
          <cell>couvre.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>qu’il sente.</cell>
          <cell>tienne.</cell>
          <cell>couvre.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>sentons.</cell>
          <cell>tenons.</cell>
          <cell>couvrons.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>sentez.</cell>
          <cell>tenez.</cell>
          <cell>couvrez.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>qu’ils sentent.</cell>
          <cell>tiennent.</cell>
          <cell>couvrent.</cell>
         </row>
        </table>
        <label>SUBJONCTIF</label>
        <label><hi rend="sc">Présent</hi> <hi rend="i">ou</hi> <hi rend="sc">Futur</hi>.</label>
        <table>
         <row>
          <cell>que je sente.</cell>
          <cell>tienne.</cell>
          <cell>couvre.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>que tu sentes.</cell>
          <cell>tiennes.</cell>
          <cell>couvres.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>qu’il sente.</cell>
          <cell>tienne.</cell>
          <cell>couvre.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>que nous sentions.</cell>
          <cell>tenions.</cell>
          <cell>couvrions.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>que vous sentiez.</cell>
          <cell>teniez.</cell>
          <cell>couvriez.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>qu’ils sentent.</cell>
          <cell>tiennent.</cell>
          <cell>couvrent.</cell>
         </row>
        </table>
        <label><hi rend="sc">Imparfait</hi>.</label>
        <table>
         <row>
          <cell>que je sentisse.</cell>
          <cell>tinsse.</cell>
          <cell>couvrisse.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>que tu sentisses.</cell>
          <cell>tinsses.</cell>
          <cell>couvrisses.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>qu’il sentît.</cell>
          <cell>tînt.</cell>
          <cell>couvrît.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>que nous sentissions.</cell>
          <cell>tinssions.</cell>
          <cell>couvrissions.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>que vous sentissiez.</cell>
          <cell>tinssiez.</cell>
          <cell>couvrissiez.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>qu’ils sentissent.</cell>
          <cell>tinssent.</cell>
          <cell>couvrissent.</cell>
         </row>
        </table>
        <label><hi rend="sc">Parfait</hi>.</label>
        <table>
         <row>
          <cell>que j’aie senti.</cell>
          <cell>tenu.</cell>
          <cell>couvert.</cell>
         </row>
        </table>
        <pb n="55" xml:id="p55"/>
        <label><hi rend="sc">Plus-que-parfait</hi>.</label>
        <table>
         <row>
          <cell>que j’eusse senti.</cell>
          <cell>tenu.</cell>
          <cell>couvert.</cell>
         </row>
        </table>
        <p>La conjugaison en <hi rend="i">re</hi> a quatre branches. Les voici :</p>
        <label>INFINITIF</label>
        <label><hi rend="sc">Présent</hi>.</label>
        <table>
         <row>
          <cell>craindre.</cell>
          <cell>plaire.</cell>
          <cell>réduire.</cell>
          <cell>paraître.</cell>
         </row>
        </table>
        <label><hi rend="sc">Participe</hi>.</label>
        <table>
         <row>
          <cell>craint.</cell>
          <cell>plu.</cell>
          <cell>réduit.</cell>
          <cell>paru.</cell>
         </row>
        </table>
        <label><hi rend="sc">Parfait</hi>.</label>
        <table>
         <row>
          <cell>avoir craint.</cell>
          <cell>plu.</cell>
          <cell>réduit.</cell>
          <cell>paru.</cell>
         </row>
        </table>
        <label><hi rend="sc">Gérondif présent</hi>.</label>
        <table>
         <row>
          <cell>craignant.</cell>
          <cell>plaisant.</cell>
          <cell>réduisant.</cell>
          <cell>paraissant.</cell>
         </row>
        </table>
        <label><hi rend="sc">Gérondif passé</hi>.</label>
        <table>
         <row>
          <cell>ayant craint.</cell>
          <cell>plu.</cell>
          <cell>réduit.</cell>
          <cell>paru.</cell>
         </row>
        </table>
        <label>INDICATIF</label>
        <label><hi rend="sc">présent absolu</hi>.</label>
        <table>
         <row>
          <cell>je crains.</cell>
          <cell>plais.</cell>
          <cell>réduis.</cell>
          <cell>parais.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>tu crains.</cell>
          <cell>plais.</cell>
          <cell>réduis.</cell>
          <cell>parais.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>il craint.</cell>
          <cell>plaît.</cell>
          <cell>réduit.</cell>
          <cell>paraît.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>nous craignons.</cell>
          <cell>plaisons.</cell>
          <cell>réduisons.</cell>
          <cell>paraissons.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>vous craignez.</cell>
          <cell>plaisez.</cell>
          <cell>réduisez.</cell>
          <cell>paraissez.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>ils craignent.</cell>
          <cell>plaisent.</cell>
          <cell>réduisent.</cell>
          <cell>paraissent.</cell>
         </row>
        </table>
        <label><hi rend="sc">Conditionnel présent</hi>.</label>
        <table>
         <row>
          <cell>je craindrais.</cell>
          <cell>plairais.</cell>
          <cell>réduirais.</cell>
          <cell>paraîtrais.</cell>
         </row>
        </table>
        <label><pb n="56" xml:id="p56"/><hi rend="sc">Imparfait</hi> <hi rend="i">ou</hi> <hi
          rend="sc">Présent relatif</hi>.</label>
        <table>
         <row>
          <cell>je craignais.</cell>
          <cell>plaisais.</cell>
          <cell>réduisais.</cell>
          <cell>paraissais.</cell>
         </row>
        </table>
        <label><hi rend="sc">Parfait indéfini</hi>.</label>
        <table>
         <row>
          <cell>j’ai craint.</cell>
          <cell>plus.</cell>
          <cell>réduit.</cell>
          <cell>paru.</cell>
         </row>
        </table>
        <label><hi rend="sc">Parfait défini</hi>.</label>
        <table>
         <row>
          <cell>je craignis.</cell>
          <cell>plus.</cell>
          <cell>réduisis.</cell>
          <cell>parus.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>tu craignis.</cell>
          <cell>plus.</cell>
          <cell>réduisis.</cell>
          <cell>parus.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>il craignit.</cell>
          <cell>plut.</cell>
          <cell>réduisit.</cell>
          <cell>parut.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>nous craignîmes.</cell>
          <cell>plûmes.</cell>
          <cell>réduisîmes.</cell>
          <cell>parûmes.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>vous craignîtes.</cell>
          <cell>plûtes.</cell>
          <cell>réduisîtes.</cell>
          <cell>parûtes.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>ils craignirent.</cell>
          <cell>plurent.</cell>
          <cell>réduisirent.</cell>
          <cell>parurent.</cell>
         </row>
        </table>
        <label><hi rend="sc">Parfait antérieur</hi>.</label>
        <table>
         <row>
          <cell>j’eus craint.</cell>
          <cell>plu.</cell>
          <cell>réduit.</cell>
          <cell>paru.</cell>
         </row>
        </table>
        <label><hi rend="sc">Plus-que-parfait</hi>.</label>
        <table>
         <row>
          <cell>j’avais.</cell>
          <cell>craint.</cell>
          <cell>plu.</cell>
          <cell>réduit.</cell>
          <cell>paru.</cell>
         </row>
        </table>
        <label><hi rend="sc">Conditionnel passé</hi>.</label>
        <table>
         <row>
          <cell>j’aurais <hi rend="i">ou</hi> j’eusse craint.</cell>
          <cell>plu.</cell>
          <cell>réduit.</cell>
          <cell>paru.</cell>
         </row>
        </table>
        <label><hi rend="sc">Futur simple</hi>.</label>
        <table>
         <row>
          <cell>je craindrai.</cell>
          <cell>plairai.</cell>
          <cell>réduirai.</cell>
          <cell>paraîtrai.</cell>
         </row>
        </table>
        <label><hi rend="sc">Futur composé</hi>.</label>
        <table>
         <row>
          <cell>j’aurai craint.</cell>
          <cell>plu.</cell>
          <cell>réduit.</cell>
          <cell>paru.</cell>
         </row>
        </table>
        <label><pb n="57" xml:id="p57"/>IMPÉRATIF</label>
        <label><hi rend="sc">Présent</hi> <hi rend="i">ou</hi> <hi rend="sc">Futur</hi>.</label>
        <table>
         <row>
          <cell>crains.</cell>
          <cell>plais.</cell>
          <cell>réduis.</cell>
          <cell>parais.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>qu’il craigne.</cell>
          <cell>plaise.</cell>
          <cell>réduise.</cell>
          <cell>paraisse.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>craignons.</cell>
          <cell>plaisons.</cell>
          <cell>réduisons.</cell>
          <cell>paraissons.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>craignez.</cell>
          <cell>plaisez.</cell>
          <cell>réduisez.</cell>
          <cell>paraissez.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>qu’ils craignent.</cell>
          <cell>plaisent.</cell>
          <cell>réduisent.</cell>
          <cell>paraissent.</cell>
         </row>
        </table>
        <label>SUBJONCTIF</label>
        <label><hi rend="sc">Présent</hi> <hi rend="i">ou</hi> <hi rend="sc">Futur</hi>.</label>
        <table>
         <row>
          <cell>que je craigne.</cell>
          <cell>plaise.</cell>
          <cell>réduise.</cell>
          <cell>paraisse.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>que tu craignes.</cell>
          <cell>plaises.</cell>
          <cell>réduises.</cell>
          <cell>paraisses.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>qu’il craigne.</cell>
          <cell>plaise.</cell>
          <cell>réduise.</cell>
          <cell>paraisse.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>q. n. craignions.</cell>
          <cell>plaisions.</cell>
          <cell>réduisions.</cell>
          <cell>paraissions.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>q. v. craigniez.</cell>
          <cell>plaisiez.</cell>
          <cell>réduisiez.</cell>
          <cell>paraissiez.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>qu’ils craignent.</cell>
          <cell>plaisent.</cell>
          <cell>réduisent.</cell>
          <cell>paraissent.</cell>
         </row>
        </table>
        <label><hi rend="sc">Imparfait</hi>.</label>
        <table>
         <row>
          <cell>que je craignisse.</cell>
          <cell>plusse.</cell>
          <cell>réduisisse.</cell>
          <cell>parusse.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>que tu craignisses.</cell>
          <cell>plusses.</cell>
          <cell>réduisisses.</cell>
          <cell>parusses.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>qu’il craignît.</cell>
          <cell>plût.</cell>
          <cell>réduisît.</cell>
          <cell>parût.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>q. n. craignissions.</cell>
          <cell>plussions.</cell>
          <cell>réduisissions.</cell>
          <cell>parussions.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>q. v. craignissiez.</cell>
          <cell>plussiez.</cell>
          <cell>réduisissiez.</cell>
          <cell>parussiez.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>qu’ils craignissent.</cell>
          <cell>plussent.</cell>
          <cell>réduisissent.</cell>
          <cell>parussent.</cell>
         </row>
        </table>
        <label><hi rend="sc">Parfait</hi>.</label>
        <table>
         <row>
          <cell>que j’aie craint.</cell>
          <cell>plu.</cell>
          <cell>réduit.</cell>
          <cell>paru.</cell>
         </row>
        </table>
        <label><hi rend="sc">Plus-que-parfait</hi>.</label>
        <table>
         <row>
          <cell>que j’eusse craint.</cell>
          <cell>plu.</cell>
          <cell>réduit.</cell>
          <cell>paru.</cell>
         </row>
        </table>
        <p>Voilà les onze conjugaisons (en y comprenant <pb n="58" xml:id="p58"/>les quatre
         principales, qui sont comme la tige des sept autres) qu’on peut distinguer, et qu’on
         distingue en effet dans notre langue.</p>
        <p>Il y a des verbes qu’on appelle verbes <hi rend="i">simples</hi>, d’autres qu’on appelle
         verbes <hi rend="i">composés</hi>. Les verbes <hi rend="i">simples</hi> sont ceux qui
         servent à en former d’autres. Les verbes <hi rend="i">composés</hi> sont ceux qu’on forme
         d’un verbe <hi rend="i">simple</hi>, en y ajoutant une ou plusieurs syllabes. Ainsi, <hi
          rend="i">permettre</hi>, <hi rend="i">promettre</hi>, <hi rend="i">commettre</hi>, <hi
          rend="i">compromettre</hi>, sont des verbes composés du verbe <hi rend="i"
         >mettre</hi>.</p>
       </div5>
       <div5 type="section">
        <head>Formation des temps et leurs terminaisons.</head>
        <p>Les temps dans les verbes sont également <hi rend="i">simples</hi> ou <hi rend="i"
          >composés</hi>. Les temps <hi rend="i">simples</hi> sont ceux qui n’empruntent aucun des
         temps des verbes auxiliaires, <hi rend="i">avoir</hi>, <hi rend="i">être</hi> ; = <hi
          rend="i">je finissais</hi> ; = <hi rend="i">il venait</hi>. Les temps <hi rend="i"
          >composés</hi> sont, au contraire, formés de quelque temps de ces deux verbes auxiliaires
         et du participe : = <hi rend="i">j’avais fini</hi> ; = <hi rend="i">il était venu</hi>.</p>
        <p>Parmi les temps simples, on appelle temps <hi rend="i">primitifs</hi>, ceux qui servent à
         former les autres. Ce sont le présent de l’infinitif, le participe, le gérondif, le présent
         absolu, et le parfait défini. Il ne sera pas inutile de rappeler ici ces cinq temps des
         quatre conjugaisons, et de leurs différentes branches.</p>
        <label>1<hi rend="sup">re</hi> <hi rend="sc">Conjugaison</hi>.</label>
        <p>Blâm<hi rend="i">er</hi>. Blâm<hi rend="i">é</hi>. Blâm<hi rend="i">ant</hi>. Je blâm<hi
          rend="i">e</hi>. Je blâm<hi rend="i">ai</hi>.</p>
        <label>2<hi rend="sup">e</hi> <hi rend="sc">Conjugaison</hi>.</label>
        <p>Pun<hi rend="i">ir</hi>. Pun<hi rend="i">i</hi>. Pun<hi rend="i">issant</hi>. Je pun<hi
          rend="i">is</hi>. Je pun<hi rend="i">issai</hi>.</p>
        <pb n="59" xml:id="p59"/>
        <label><hi rend="sc">Branches de la 2<hi rend="sup">e</hi> conjugaison</hi>.</label>
        <p>Sent<hi rend="i">ir</hi>. Sent<hi rend="i">i</hi>. Sent<hi rend="i">ant</hi>. Je s<hi
          rend="i">ens</hi>. Je sent<hi rend="i">is</hi>.</p>
        <p>Ten<hi rend="i">ir</hi>. Ten<hi rend="i">u</hi>. Ten<hi rend="i">ant</hi>. Je t<hi
          rend="i">iens</hi>. Je t<hi rend="i">ins</hi>.</p>
        <p>Couvr<hi rend="i">ir</hi>. Couv<hi rend="i">ert</hi>. Couv<hi rend="i">rant</hi>. Je
          couv<hi rend="i">re</hi>. Je couv<hi rend="i">ris</hi>.</p>
        <label>3<hi rend="sup">e</hi> <hi rend="sc">Conjugaison</hi>.</label>
        <p>Recev<hi rend="i">oir</hi>. Reç<hi rend="i">u</hi>. Recev<hi rend="i">ant</hi>. Je reç<hi
          rend="i">ois</hi>. Je reç<hi rend="i">us</hi>.</p>
        <label>4<hi rend="sup">e</hi> <hi rend="sc">Conjugaison</hi>.</label>
        <p>Rend<hi rend="i">re</hi>. Rend<hi rend="i">u</hi>. Rend<hi rend="i">ant</hi>. Je rend<hi
          rend="i">s</hi>. Je rend<hi rend="i">is</hi>.</p>
        <label><hi rend="sc">Branches de la 4<hi rend="sup">e</hi> conjugaison</hi>.</label>
        <p>Craind<hi rend="i">re</hi>. Cra<hi rend="i">int</hi>. Craign<hi rend="i">ant</hi>. Je
          cra<hi rend="i">ins</hi>. Je craign<hi rend="i">is</hi>.</p>
        <p>Plai<hi rend="i">re</hi>. Pl<hi rend="i">u</hi>. Plais<hi rend="i">ant</hi>. Je pl<hi
          rend="i">ais</hi>. Je pl<hi rend="i">us</hi>.</p>
        <p>Rédui<hi rend="i">re</hi>. Réd<hi rend="i">uit</hi>. Réduis<hi rend="i">ant</hi>. Je
          réd<hi rend="i">uis</hi>. Je rédui<hi rend="i">sis</hi>.</p>
        <p>Paraît<hi rend="i">re</hi>. Par<hi rend="i">u</hi>. Parai<hi rend="i">ssant</hi>. Je
          par<hi rend="i">ais</hi>. Je par<hi rend="i">us</hi>.</p>
        <p>Pour savoir conjuguer un verbe régulier, il suffit d’en connaître les cinq temps
         primitifs, et la manière dont les autres temps en dérivent. La voici. J’y joindrai les
         terminaisons propres aux temps simples : elles sont les mêmes dans tous les verbes.</p>
        <p>Du présent de l’infinitif on forme le futur en changeant <hi rend="i">r</hi> ou <hi
          rend="i">re</hi> en <hi rend="i">rai</hi>, <hi rend="i">ras</hi>, <hi rend="i">ra</hi>,
          <hi rend="i">rons</hi>, <hi rend="i">rez</hi>, <hi rend="i">ront</hi> ; = Fin<hi rend="i"
          >ir</hi>. Je fini<hi rend="i">rai</hi> ; tu fini<hi rend="i">ras</hi> ; il fini<hi
          rend="i">ra</hi> ; nous finir<hi rend="i">ons</hi> ; vous fini<hi rend="i">rez</hi> ; ils
          fini<hi rend="i">ront</hi> ; = Rend<hi rend="i">re</hi>. Je rend<hi rend="i">rai</hi> ; tu
          rend<hi rend="i">ras</hi> ; il rend<hi rend="i">ra</hi> ; nous rend<hi rend="i"
         >rons</hi> ; ils rend<hi rend="i">ront</hi>.</p>
        <p>Pour le conditionnel présent, on change <hi rend="i">r</hi>
         <pb n="60" xml:id="p60"/>ou <hi rend="i">re</hi> en <hi rend="i">rais, rais, rait, rions,
          riez, raient</hi> ; = je fini<hi rend="i">rais</hi> ; tu fini<hi rend="i">rais</hi> ; il
          fini<hi rend="i">rait</hi> ; nous fini<hi rend="i">rions</hi> ; vous fini<hi rend="i"
          >riez</hi> ; ils fini<hi rend="i">raient</hi>.</p>
        <p>Cependant les verbes dont l’infinitif est en <hi rend="i">enir</hi> et en <hi rend="i"
          >voir</hi>, font au futur, <hi rend="i">iendrai</hi> et <hi rend="i">vrai</hi>, et au
         conditionnel présent, <hi rend="i">iendrais</hi> et <hi rend="i">vrais</hi> ; = Te<hi
          rend="i">nir</hi>. Je ti<hi rend="i">endrai</hi> ; je ti<hi rend="i">endrais</hi>. =
          Rece<hi rend="i">voir</hi>. Je rece<hi rend="i">vrai</hi> ; je rece<hi rend="i"
         >vrais</hi>.</p>
        <p>Du participe on forme tous les temps composés, en y joignant les temps des verbes <hi
          rend="i">avoir</hi> ou <hi rend="i">être</hi> ; = <hi rend="i">j’ai aimé</hi> ; = <hi
          rend="i">je suis tombé</hi>.</p>
        <p>Le gérondif sert à former les trois personnes plurielles du présent de l’indicatif. On
         change pour cela <hi rend="i">ant</hi> en <hi rend="i">ons</hi>, <hi rend="i">ez</hi>, <hi
          rend="i">ent</hi> ; = sent<hi rend="i">ant</hi>. Nous sent<hi rend="i">ons</hi> ; vous
          sent<hi rend="i">ez</hi> ; ils sent<hi rend="i">ent</hi>. On en forme encore l’imparfait
         de l’indicatif, = je sent<hi rend="i">ais</hi> ; tu sent<hi rend="i">ais</hi> ; il sent<hi
          rend="i">ait</hi> ; nous sent<hi rend="i">ions</hi> ; vous sent<hi rend="i">iez</hi> ; ils
          sent<hi rend="i">aient</hi>.</p>
        <p>Si la première personne du présent de l’indicatif se termine en <hi rend="i">e</hi>, on
         ajoute une <hi rend="i">s</hi> pour la seconde : la troisième est semblable à la première ;
         = <hi rend="i">je frappe ; tu frappes ; il frappe</hi>. Ce serait une faute grossière de ne
         point mettre une <hi rend="i">s</hi> à la fin de la seconde personne. On doit donc bien se
         garder d’imiter ce poète, qui dit :</p>
        <quote>
         <l>Car dans l’instant que tu <hi rend="i">combine</hi></l>
         <l>Quel est mon nom, mon origine, <hi rend="i">etc.</hi></l>
        </quote>
        <p>Il aurait fallu <hi rend="i">combines</hi>. Cette règle a lieu pour le présent et
         l’imparfait du subjonctif, dont la première personne se termine toujours en <hi rend="i"
          >e</hi>.</p>
        <pb n="61" xml:id="p61"/>
        <p>Mais observons ici que quand on place le pronom <hi rend="i">je</hi> après la première
         personne, on change l’<hi rend="i">e</hi> muet en <hi rend="i">e</hi> fermé. Ainsi au lieu
         de dire : <hi rend="i">par</hi>le<hi rend="i">-je mal-à-propos ?</hi>
         <hi rend="i">puisse-je réussir !</hi>
         <hi rend="i">dusse-je faire cela</hi> ; on dit et l’on écrit : <hi rend="i">par</hi>lé-<hi
          rend="i">je mal-à-propos ?</hi>
         <hi rend="i">puissé-je réussir !</hi>
         <hi rend="i">dussé-je faire cela</hi>. De plus, si les pronoms <hi rend="i">on</hi>, <hi
          rend="i">il</hi>, <hi rend="i">elle</hi>, sont après une troisième personne du présent
         absolu, du futur, ou du présent du subjonctif, qui se termine par une voyelle, on ajoute un
          <hi rend="i">t</hi> avec un trait d’union entre le verbe et le pronom ; = <hi rend="i"
          >aime</hi>-t-<hi rend="i">il l’étude ?</hi>
         <hi rend="i">viendra</hi>-t-<hi rend="i">on ?</hi>
         <hi rend="i">puisse</hi>-t-<hi rend="i">elle être heureuse !</hi></p>
        <p>Quand la première personne du présent de l’indicatif est terminée en <hi rend="i">s</hi>
         ou <hi rend="i">x</hi>, la seconde est semblable à la première ; et l’on change à la
         troisième <hi rend="i">s</hi> ou <hi rend="i">x</hi> en <hi rend="i">t</hi> : = <hi
          rend="i">je viens ; tu viens ; il vient</hi> : = <hi rend="i">je veux ; tu veux ; il
          veut</hi>. Si la première se termine en <hi rend="i">cs</hi>, <hi rend="i">ds</hi>, ou <hi
          rend="i">ts</hi>, on retranche <hi rend="i">s</hi> à la troisième : = <hi rend="i">je
          convaincs ; il convainc</hi> : = <hi rend="i">je pren</hi>ds ; <hi rend="i">il
         pren</hi>d : = <hi rend="i">je comba</hi>ts ; <hi rend="i">il comb</hi>at.</p>
        <p>La seconde personne singulière, la première et la seconde plurielles de l’impératif, sont
         les mêmes que la première personne singulière, la première et la seconde plurielles du
         présent de l’indicatif. On supprime seulement le pronom personnel.</p>
        <quote>
         <l><hi rend="sc">indic</hi>. je donne. nous donnons. vous donnez</l>
         <l><hi rend="sc">impér</hi>. donne. donnons. donnez.</l>
        </quote>
        <p>Mais quand la seconde personne singulière de l’impératif terminant en <hi rend="i"
         >e</hi>, est suivie de <hi rend="i">y</hi> ou de <hi rend="i">en</hi>, elle prend une <hi
          rend="i">s</hi> : = donnes-en <pb n="62" xml:id="p62"/><hi rend="i">tant que tu
          voudras</hi> : = <hi rend="i">c’est une affaire importante</hi>, donnes-y <hi rend="i">tes
          soins</hi>.</p>
        <p>De la troisième personne plurielle du présent de l’indicatif, se forment les troisièmes
         de l’impératif, les trois singulières, et la troisième plurielle du subjonctif.</p>
        <table>
         <row>
          <cell><hi rend="sc">indic.</hi></cell>
          <cell>ils écriv<hi rend="i">ent</hi>.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell><hi rend="sc">impér.</hi></cell>
          <cell>qu’il écriv<hi rend="i">e</hi>. qu’ils écriv<hi rend="i">ent</hi>.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell><hi rend="sc">subj.</hi></cell>
          <cell>que j’écriv<hi rend="i">e</hi>. que tu écriv<hi rend="i">es</hi>.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell/>
          <cell>qu’il écriv<hi rend="i">e</hi>. qu’ils écriv<hi rend="i">ent</hi>.</cell>
         </row>
        </table>
        <p>La première et la seconde personne plurielles du présent du subjonctif, sont semblables
         aux deux mêmes personnes de l’imparfait de l’indicâtif.</p>
        <p>Le parfait défini a quatre terminaisons, <hi rend="i">ai</hi>, <hi rend="i">is</hi>, <hi
          rend="i">us</hi>, <hi rend="i">ins</hi>.</p>
        <table>
         <row>
          <cell>je chant<hi rend="i">ai</hi> ;</cell>
          <cell>tu chant<hi rend="i">as</hi> ; il chant<hi rend="i">a</hi> ; nous chant<hi rend="i"
            >âmes</hi> ; vous chant<hi rend="i">âtes</hi> ; ils chant<hi rend="i">èrent</hi>.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>je couvr<hi rend="i">is</hi> ;</cell>
          <cell>tu couvr<hi rend="i">is</hi> ; il couvr<hi rend="i">it</hi> ; nous couvr<hi rend="i"
            >îmes</hi> ; vous couvr<hi rend="i">îtes</hi> ; ils couvr<hi rend="i">irent</hi>.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>je reç<hi rend="i">us</hi> ;</cell>
          <cell>tu reç<hi rend="i">us</hi> ; il reç<hi rend="i">ut</hi> ; nous reç<hi rend="i"
            >ûmes</hi> ; vous reç<hi rend="i">ûtes</hi> ; ils reç<hi rend="i">urent</hi>.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>je dev<hi rend="i">ins</hi> ;</cell>
          <cell>tu dev<hi rend="i">ins</hi> ; il dev<hi rend="i">int</hi> ; nous dev<hi rend="i"
            >înmes</hi> ; vous dev<hi rend="i">întes</hi> ; ils dev<hi rend="i">inrent</hi>.</cell>
         </row>
        </table>
        <p>Il sert à former l’imparfait du subjonctif, par le changement d’<hi rend="i">ai</hi> en
          <hi rend="i">asse</hi> pour la première conjugaison.</p>
        <table>
         <row>
          <cell>je chant<hi rend="i">asse</hi> ;</cell>
          <cell>tu chant<hi rend="i">asses</hi> ; il chant<hi rend="i">ât</hi> ; nous chant<hi
            rend="i">assions</hi> ; vous chant<hi rend="i">assiez</hi> ; ils chant<hi rend="i"
            >assent</hi>.</cell>
         </row>
        </table>
        <p>Et par l’addition de <hi rend="i">se</hi> pour les autres.</p>
        <table>
         <pb n="63" xml:id="p63"/>
         <row>
          <cell>je couvr<hi rend="i">isse</hi> ;</cell>
          <cell>tu couvr<hi rend="i">isses</hi> ; il couvr<hi rend="i">ît</hi> ; nous couvr<hi
            rend="i">issions</hi> ; vous couvr<hi rend="i">issiez</hi> ; ils couvr<hi rend="i"
            >issent</hi>.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>je reç<hi rend="i">usse</hi> ;</cell>
          <cell>tu reç<hi rend="i">usses</hi> ; il reç<hi rend="i">ût</hi> ; nous reç<hi rend="i"
            >ussions</hi> ; vous reç<hi rend="i">ussiez</hi> ; ils reç<hi rend="i"
           >ussent</hi>.</cell>
         </row>
         <row>
          <cell>je dev<hi rend="i">insse</hi> ;</cell>
          <cell>tu dev<hi rend="i">insses</hi> ; il dev<hi rend="i">înt</hi> ; nous dev<hi rend="i"
            >inssions</hi> ; vous dev<hi rend="i">inssiez</hi> ; ils dev<hi rend="i"
           >inssent</hi>.</cell>
         </row>
        </table>
       </div5>
       <div5 type="section">
        <head>Verbes irréguliers, et verbes défectueux.</head>
        <p>Un verbe, dont les cinq temps primitifs se terminent de la même manière que ceux de
         quelqu’une des quatre conjugaisons ou de leurs différentes branches, et dont les autres
         temps se forment suivant les règles que je viens d’exposer succinctement, est appelé verbe
          <hi rend="i">régulier</hi>. Un verbe au contraire, dont les temps primitifs ne se
         terminent pas de la même manière que ceux de quelqu’une des différentes conjugaisons, ou
         dont les autres temps ne se forment pas suivant les règles communes, est appelé verbe <hi
          rend="i">irrégulier</hi>. Celui auquel il manque certains temps, ou certaines personnes
         que l’usage n’admet pas, est appelé verbe <hi rend="i">défectueux</hi>.</p>
        <p>Je crois qu’il serait superflu de conjuguer ici tous les verbes de ces deux dernières
         espèces. Il suffira de dire un mot des moins connus, concernant les temps, les personnes,
         les terminaisons qui peuvent embarrasser les jeunes gens. C’est ce que je vais faire, en
         suivant l’ordre des quatre principales conjugaisons.</p>
        <div6 type="section">
         <head>Conjugaison en <hi rend="i">er</hi>.</head>
         <p><hi rend="i">Aller</hi>, fait au présent absolu, <hi rend="i">je vais</hi>, ou <pb
           n="64" xml:id="p64"/><hi rend="i">je vas</hi>, moins usité, <hi rend="i">tu vas</hi>,
          etc. La seconde personne de l’impératif est <hi rend="i">va</hi>, qui prend une <hi
           rend="i">s</hi>, lorsqu’il est suivi de <hi rend="i">y</hi> ; <hi rend="i">vas-y</hi> ;
          et un <hi rend="i">t</hi>, lorsqu’il est suivi de <hi rend="i">en</hi> ; <hi rend="i"
           >va-t-en</hi>. Les temps composés se forment avec le verbe <hi rend="i">être</hi> et le
          participe <hi rend="i">allé</hi>, lorsqu’ils marquent que quelqu’un est ou était encore
          dans l’endroit dont on parle. Mais s’ils marquent qu’on n’est plus dans cet endroit, ils
          se forment avec le verbe <hi rend="i">avoir</hi> et le participe <hi rend="i">été</hi>.
          Alors il fait au parfait défini, <hi rend="i">je fus</hi> ; au plus-que-parfait, <hi
           rend="i">j’avais été</hi>, etc. Ainsi, <hi rend="i">il est allé à la campagne</hi>,
          signifie qu’il y est encore. <hi rend="i">Il a été à la campagne</hi>, signifie qu’il en
          est revenu.</p>
         <p>Je dois observer ici que, quand ce verbe se conjugue avec un second pronom personnel et
          la particule <hi rend="i">en</hi>, cette particule précède toujours le verbe <hi rend="i"
           >être</hi> dans les temps composés : <hi rend="i">s’en être allé : s’en étant allé : il
           s’en est allé : elles s’en sont allées</hi>. C’est le sentiment de l’Académie.</p>
         <p><hi rend="i">Envoyer</hi>, et ses composés, font au futur et au conditionnel présent,
           <hi rend="i">j’enverrai ; j’enverrois</hi>.</p>
         <p><hi rend="i">Dialoguer</hi>, suivant l’Académie, n’est guère d’usage qu’au passif : =
           <hi rend="i">cette scène est bien dialoguée</hi>.</p>
         <p><hi rend="i">Puer</hi>, fait au présent ; <hi rend="i">je pus, tu pus, il put, nous
           puons, vous puez, ils puent</hi>. Il n’a ni participe ni parfait défini.</p>
         <p><hi rend="i">Tisser</hi> (faire un tissu) et <hi rend="i">tistre</hi> (faire de la toile
          ou des étoffes, en entrelaçant les fils dont on doit les composer) font au participe <hi
           rend="i">tissu</hi>. Mais <hi rend="i">tistre</hi> n’est plus en usage qu’aux <pb n="65"
           xml:id="p65"/>temps formés de son participe : = <hi rend="i">il a tissu du coton</hi> :
           <hi rend="i">il a tissu cette toile</hi>.</p>
        </div6>
        <div6 type="section">
         <head>Conjugaison en <hi rend="i">ir</hi>.</head>
         <p><hi rend="i">Alourdir</hi>, suivant l’Académie, n’a guère d’usage qu’au participe et aux
          temps composés : = <hi rend="i">j’ai la tête alourdie</hi> : <hi rend="i">cela m’a tout
           alourdi</hi>.</p>
         <p><hi rend="i">Bénir</hi>, fait au participe <hi rend="i">béni, bénie</hi>. Mais il fait
           <hi rend="i">bénit, bénite</hi>, lorsqu’on parle de certaines choses, sur lesquelles la
          bénédiction du prêtre a été donnée : = <hi rend="i">du pain bénit</hi> ; <hi rend="i">de
           l’eau bénite</hi>.</p>
         <p><hi rend="i">Bouillir</hi>, fait au présent absolu, <hi rend="i">je bous, tu bous, il
           bout, nous bouillons</hi>, etc. <hi rend="i">Ébouillir</hi>, son composé, se conjugueroit
          de même. Mais, suivant l’Académie, il ne s’emploie guère qu’au présent de l’infinitif et
          au participe : = <hi rend="i">ne laissez point tant ébouillir le pot</hi>. <hi rend="i">Le
           pot est trop ébouilli</hi>.</p>
         <p><hi rend="i">Courir</hi> (quelquefois <hi rend="i">courre</hi>), et ses composés, font
          au futur et au conditionnel présent ; <hi rend="i">je courrai, je courrais</hi>. Les deux
           <hi rend="i">rr</hi> se prononcent.</p>
         <p><hi rend="i">Cueillir</hi>, et ses composés <hi rend="i">accueillir</hi>, <hi rend="i"
           >recueillir</hi>, font au gérondif, <hi rend="i">cueillant</hi> ; au présent absolu, <hi
           rend="i">je cueille</hi> ; au futur et au conditionnel présent, <hi rend="i">je
           cueillerai, je cueillerais</hi>.</p>
         <p><hi rend="i">Faillir</hi>, participe <hi rend="i">failli</hi>, et son composé <hi
           rend="i">défaillir</hi>, ne sont guère d’usage qu’à l’infinitif, au parfait défini, <hi
           rend="i">je faillis</hi>, et aux temps composés.</p>
         <p><hi rend="i">Fleurir</hi>, fait au gérondif, <hi rend="i">fleurissant</hi>, et à
          l’imparfait de l’indicatif, <hi rend="i">fleurissais</hi>. Mais <pb n="66" xml:id="p66"
          />dans le sens figuré, c’est-à-dire, si l’on parle des arts et des sciences, il fait <hi
           rend="i">florissant</hi>, <hi rend="i">florissais</hi> : = <hi rend="i">la poésie et
           l’éloquence florissaient</hi>, ou <hi rend="i">étaient florissantes</hi>.</p>
         <p><hi rend="i">Gésir</hi> (être couché) n’est plus usité. On ne l’emploie qu’à la
          troisième personne du présent absolu. <hi rend="i">Il gît</hi>. Cependant on dit encore,
           <hi rend="i">nous gisons, vous gisez, ils gisent, il gisait</hi>.</p>
         <p>Le gérondif <hi rend="i">gisant</hi> est aussi en usage.</p>
         <p><hi rend="i">Haïr</hi>. Participe, <hi rend="i">haï</hi>. Présent absolu, <hi rend="i"
           >je hais, tu hais, il hait</hi>, qu’on prononce comme dans <hi rend="i">je fais, tu fais,
           il fait</hi>. La seconde personne de l’impératif, <hi rend="i">hais</hi>, n’est guère en
          usage, non plus que le parfait défini.</p>
         <p><hi rend="i">Ouïr</hi>. Participe, <hi rend="i">ouï</hi>. Parfait défini, <hi rend="i"
           >j’ouïs</hi>. Imparfait du subjonctif, <hi rend="i">que j’ouïsse</hi>. Les autres temps
          simples n’en sont pas usités.</p>
         <p><hi rend="i">Quérir</hi>, n’a que le présent de l’infinitif avec les verbes <hi rend="i"
           >aller</hi>, <hi rend="i">venir</hi>, <hi rend="i">envoyer</hi> : = <hi rend="i">aller
           quérir quelqu’un</hi>. <hi rend="i">Il m’est venu quérir</hi>. <hi rend="i">Je les ai
           envoyé quérir</hi>. Ses composés <hi rend="i">acquérir</hi>, <hi rend="i">enquérir</hi>,
          et <hi rend="i">requérir</hi> ont tous les temps. Participe, <hi rend="i">acquis</hi>.
          Gérondif, <hi rend="i">acquérant</hi>. Présent absolu, <hi rend="i">j’acquiers, nous
           acquérons, ils acquièrent</hi>. Futur, <hi rend="i">j’acquerrai</hi>, etc. Mais <hi
           rend="i">conquérir</hi>, autre verbe composé, ne s’emploie bien qu’au présent de
          l’infinitif ; au parfait défini, <hi rend="i">je conquis</hi> ; à l’imparfait du
          subjonctif, <hi rend="i">je conquisse</hi> ; et aux temps composés.</p>
         <p><hi rend="i">Saillir</hi>, signifiant <hi rend="i">jaillir, sortir avec
          impétuosité</hi>, n’a, suivant quelques grammairiens, que les troisièmes personnes de tous
          les temps. Mais, suivant l’Académie, il les a toutes : il fait au gérondif <hi rend="i"
           >saillissant</hi>, et se conjugue comme <hi rend="i">punir</hi>.</p>
         <pb n="67" xml:id="p67"/>
         <p><hi rend="i">Saillir</hi>, signifiant, en terme d’architecture, <hi rend="i">s’avancer
           en dehors</hi>, ne s’emploie qu’au présent de l’infinitif ; au gérondif, <hi rend="i"
           >saillant</hi>, et aux troisièmes personnes. Présent absolu, <hi rend="i">il saille, ils
           saillent</hi>. Imparfait, <hi rend="i">il saillait</hi>. Futur, <hi rend="i">il
           saillera</hi>. Conditionnel présent, <hi rend="i">il saillerait</hi>. Subjonctif présent,
           <hi rend="i">qu’il saille</hi>. Imparfait, <hi rend="i">qu’il saillit</hi>. Ses composés,
           <hi rend="i">assaillir</hi> et <hi rend="i">tressaillir</hi> se conjuguent de même avec
          toutes les personnes. <hi rend="i">J’assaille, tu assailles, il assaille</hi>, etc. Ils
          ont de plus un participe, <hi rend="i">assailli</hi>, <hi rend="i">tressailli</hi>, et par
          conséquent tous les temps composés. Mais ils font au futur et au conditionnel présent, <hi
           rend="i">j’assaillirai, j’assaillirais</hi> ; <hi rend="i">je tressaillirai, je
           tressaillirais</hi>.</p>
         <p><hi rend="i">Vêtir</hi>. Participe, <hi rend="i">vêtu</hi>. Gérondif, <hi rend="i"
           >vêtant</hi>. Présent absolu, <hi rend="i">je vêts, tu vêts, il vêt, nous vêtons, vous
           vêtez, ils vêtent</hi>. Mais le singulier de ce temps n’est guère en usage. Il l’est dans
          ses composés <hi rend="i">dévêtir</hi>, et <hi rend="i">revêtir</hi>, qui se conjuguent de
          même.</p>
        </div6>
        <div6 type="section">
         <head>Conjugaison en <hi rend="i">oir</hi>.</head>
         <p><hi rend="i">Choir</hi>. Participe, <hi rend="i">chu</hi>. Les autres temps ne sont pas
          en usage.</p>
         <p><hi rend="i">Déchoir</hi> a tous les temps, excepté le gérondif et l’imparfait de
          l’indicatif. Participe, <hi rend="i">déchu</hi>. Présent absolu, <hi rend="i">je déchois,
           nous déchoyons</hi>. Parfait défini, <hi rend="i">je déchus</hi>. Futur, <hi rend="i">je
           décherrai</hi>. Conditionnel présent, <hi rend="i">je décherrais</hi>. Subjonctif
          présent, <hi rend="i">que je déchoie</hi>. Imparfait, <hi rend="i">que je déchusse</hi>.
           <hi rend="i">Échoir</hi>, gérondif, <hi rend="i">échéant</hi>, se conjugue de même, avec
          cette différence qu’au présent absolu la troisième <pb n="68" xml:id="p68"/>personne, <hi
           rend="i">il échoit</hi>, ou <hi rend="i">il échet</hi>, est la seule usitée.</p>
         <p><hi rend="i">Mouvoir</hi>, participe <hi rend="i">mu</hi>. Gérondif, <hi rend="i"
           >mouvant</hi>. Présent absolu, <hi rend="i">je meus, nous mouvons, ils meuvent</hi>.
          Imparfait, <hi rend="i">je mouvais</hi>, etc. Parfait défini, <hi rend="i">je mus</hi>,
          etc. Futur, <hi rend="i">je mouvrai</hi>. Conditionnel présent, <hi rend="i">je
           mouvrais</hi>. Subjonctif présent, <hi rend="i">que je meuve, que nous mouvions</hi>,
          etc. Imparfait, <hi rend="i">que je musse</hi>, etc. Conjuguez de même son composé <hi
           rend="i">émouvoir</hi>.</p>
         <p><hi rend="i">Savoir</hi>, participe <hi rend="i">su</hi>, fait au présent absolu, <hi
           rend="i">je sai</hi>, ou <hi rend="i">je sais, tu sais</hi>, etc. <hi rend="i">Je
           sache</hi>, présent du subjonctif, s’emploie quelquefois pour le présent de l’indicatif.
          On dit, suivant l’Académie, <hi rend="i">je ne sache personne ; je ne sache rien de si
           beau</hi> : pour dire, <hi rend="i">je ne connais personne ; je ne connais rien de si
           beau</hi> : mais il ne se dit jamais qu’avec la négation. <hi rend="i">Que je sache</hi>,
          se met à la fin d’une phrase : = <hi rend="i">il n’y a personne que je sache</hi> : = <hi
           rend="i">il n’a point été à la campagne, que je sache</hi>.</p>
         <p><hi rend="i">Seoir</hi>, signifiant <hi rend="i">être convenable</hi>, n’est plus en
          usage à l’infinitif (on peut, en certaines occasions, y substituer <hi rend="i">être
           séant</hi>). Il ne s’emploie qu’aux troisièmes personnes des temps suivants. Présent
          absolu, <hi rend="i">il sied, ils siéent</hi>. Imparfait, <hi rend="i">il seyait, ils
           seyaient</hi>. Futur, <hi rend="i">il siéra, ils siéront</hi>. Conditionnel présent, <hi
           rend="i">il siérait, ils siéraient</hi>. Subjonctif présent, <hi rend="i">qu’il siée,
           qu’ils siéent</hi>. Il a aussi le gérondif <hi rend="i">seyant</hi>.</p>
         <p><hi rend="i">Seoir</hi>, signifiant <hi rend="i">être assis</hi>, n’est plus en usage
          qu’au présent de l’infinitif ; au participe, <hi rend="i">sis</hi> ; et au gérondif, <hi
           rend="i">séant</hi>. <hi rend="i">Asseoir</hi>, son <pb n="69" xml:id="p69"/>composé, se
          conjugue ainsi, suivant l’Académie. Participe, <hi rend="i">assis</hi>. Gérondif, <hi
           rend="i">asseyant</hi>. Présent absolu, <hi rend="i">j’assieds, tu assieds, il assied,
           nous asseyons, vous asseyez, ils asseyent</hi>. Imparfait, <hi rend="i">j’asseyais</hi>.
          Parfait défini, <hi rend="i">j’assis</hi>. Futur, <hi rend="i">j’asseyerai</hi> ou <hi
           rend="i">j’assiérai</hi>. Conditionnel présent, <hi rend="i">j’asseyerais</hi> ou <hi
           rend="i">j’assiérais</hi>. Impératif, <hi rend="i">assieds</hi>. Subjonctif présent, que
           <hi rend="i">j’asseye</hi>. Imparfait, <hi rend="i">que j’assisse</hi>. Conjuguez de même
           <hi rend="i">s’asseoir</hi> et <hi rend="i">se rasseoir</hi>. Mais, <hi rend="i"
           >surseoir</hi>, se conjugue différemment. Participe, <hi rend="i">sursis</hi>. Gérondif,
           <hi rend="i">sursoyant</hi>. Présent absolu, <hi rend="i">je sursois</hi>. Imparfait, <hi
           rend="i">je sursoyais</hi>. Parfait défini, <hi rend="i">je sursis</hi>. Futur, <hi
           rend="i">je surseoirai</hi>. Conditionnel présent, <hi rend="i">je surseoirais</hi>.
          Impératif, <hi rend="i">surseois</hi>. Subjonctif présent, <hi rend="i">que je
           surseoie</hi>. Imparfait, <hi rend="i">que je sursisse</hi>.</p>
         <p><hi rend="i">Voir</hi>, et ses composés <hi rend="i">revoir</hi>, <hi rend="i"
           >entrevoir</hi>, font au futur, <hi rend="i">je verrai</hi>, et au conditionnel présent,
           <hi rend="i">je verrais</hi>. Mais <hi rend="i">pourvoir</hi> et <hi rend="i"
           >prévoir</hi> font, <hi rend="i">je pourvoirai, je prévoirai</hi> ; <hi rend="i">je
           pourvoirais, je prévoirais</hi>. <hi rend="i">Pourvoir</hi>, fait de plus au parfait
          défini, <hi rend="i">je pourvus</hi>, et à l’imparfait du subjonctif, <hi rend="i">je
           pourvusse</hi>.</p>
        </div6>
        <div6 type="section">
         <head>Conjugaison en <hi rend="i">re</hi>.</head>
         <p><hi rend="i">Braire</hi>, ne se dit qu’au présent de l’infinitif ; aux troisièmes
          personnes du présent absolu, <hi rend="i">il brait, ils braient</hi> ; du futur, <hi
           rend="i">il braira, ils brairont</hi>, et du conditionnel présent, <hi rend="i">il
           brairait, ils brairaient</hi>.</p>
         <p><hi rend="i">Bruire</hi>, ne s’emploie qu’au gérondif, <hi rend="i">bruyant</hi>, et aux
          troisièmes personnes de l’imparfait de l’indicatif, <hi rend="i">il bruyait, ils
           bruyaient</hi>.</p>
         <pb n="70" xml:id="p70"/>
         <p><hi rend="i">Clore</hi>. Participe, <hi rend="i">clos</hi>. Présent absolu, <hi rend="i"
           >je clos, tu clos, il clôt</hi>. Le pluriel n’est pas en usage. Futur, <hi rend="i">je
           clorrai</hi>. Conditionnel présent, <hi rend="i">je clorrais</hi>. Impératif, <hi
           rend="i">clos</hi>, sans autres personnes. <hi rend="i">Enclore</hi> et <hi rend="i"
           >reclore</hi>, se conjuguent de même. <hi rend="i">Éclore</hi> a aussi ses temps
          composés. Mais il n’est usité qu’aux troisièmes personnes dans les temps suivants. Présent
          absolu, <hi rend="i">il éclot, ils éclosent</hi>. Futur, <hi rend="i">il éclora, ils
           écloront</hi>. Conditionnel présent, <hi rend="i">il éclorait, ils écloraient</hi>.
          Subjonctif présent, <hi rend="i">qu’il éclose, qu’ils éclosent</hi>.</p>
         <p><hi rend="i">Conclure</hi> et <hi rend="i">exclure</hi> ont la même conjugaison, avec
          cette différence qu’<hi rend="i">exclure</hi> fait au participe <hi rend="i">exclus,
           excluse</hi>, ou <hi rend="i">exclu, exclue</hi>, tandis que <hi rend="i">conclure</hi>
          fait toujours <hi rend="i">conclu</hi>. <hi rend="i">Reclure</hi> (renfermer dans une
          clôture étroite et rigoureuse), n’a d’usage qu’à l’infinitif, et aux temps formés de son
          participe <hi rend="i">reclus, recluse</hi>.</p>
         <p><hi rend="i">Circoncire</hi>. Participe, <hi rend="i">circoncis</hi>. Parfait défini,
           <hi rend="i">je circoncis</hi>. Imparfait du subjonctif, <hi rend="i">que je
           circoncisse</hi>.</p>
         <p><hi rend="i">Confire</hi>. Participe <hi rend="i">confit</hi>. Parfait défini, <hi
           rend="i">je confis</hi>. Imparfait du subjonctif, <hi rend="i">que je confisse</hi>.</p>
         <p><hi rend="i">Coudre</hi> et ses composés <hi rend="i">découdre, recoudre</hi>.
          Participe, <hi rend="i">cousu</hi>. Gérondif, <hi rend="i">cousant</hi>. Parfait défini,
           <hi rend="i">je cousis</hi>. Imparfait du subjonctif, <hi rend="i">que je
          cousisse</hi>.</p>
         <p><hi rend="i">Croire</hi>. L’Académie écrit à l’impératif, <hi rend="i">crois</hi>, ou
           <hi rend="i">croi</hi>. <hi rend="i">Accroire</hi>, son composé, ne s’emploie qu’à
          l’infinitif, avec le verbe <hi rend="i">faire</hi> : = vous voudriez <hi rend="i">m’en
           faire accroire</hi>.</p>
         <p><hi rend="i">Dire</hi>, et son composé <hi rend="i">redire</hi>, font à la seconde
          personne plurielle du présent absolu, <pb n="71" xml:id="p71"/><hi rend="i">vous dites,
           vous redites</hi>. Mais <hi rend="i">contredire</hi>, <hi rend="i">dédire</hi>, <hi
           rend="i">interdire</hi>, <hi rend="i">médire</hi> et <hi rend="i">prédire</hi>, font <hi
           rend="i">vous contredisez</hi>, <hi rend="i">vous dédisez</hi>, <hi rend="i">vous
           interdisez</hi>, <hi rend="i">vous médisez</hi>, <hi rend="i">vous prédisez</hi>. <hi
           rend="i">Maudire</hi>, prend deux <hi rend="i">ss</hi> dans <hi rend="i">vous
           maudissez</hi>, ainsi que dans les autres temps et les autres personnes formées de cette
          manière.</p>
         <p><hi rend="i">Éprendre</hi>, <hi rend="i">s’éprendre</hi> (se laisser surprendre par une
          passion), n’a guère d’usage qu’au participe : = <hi rend="i">il est épris d’un fol amour
           pour cette femme</hi>.</p>
         <p><hi rend="i">Frire</hi>. Participe, <hi rend="i">frit</hi>. Présent absolu, <hi rend="i"
           >je fris, tu fris, il frit</hi>, sans pluriel. Futur, <hi rend="i">je frirai</hi>.
          Conditionnel présent, <hi rend="i">je frirais</hi>. Impératif, <hi rend="i">fris</hi>,
          sans autres personnes. Les autres temps simples ne sont pas usités.</p>
         <p><hi rend="i">Luire</hi> et <hi rend="i">nuire</hi> font au participe <hi rend="i"
           >lui</hi> et <hi rend="i">nui</hi>.</p>
         <p><hi rend="i">Moudre</hi>, et ses composés <hi rend="i">émoudre</hi>, <hi rend="i"
           >remoudre</hi>. Participe, <hi rend="i">moulu</hi>. Présent absolu, <hi rend="i">je
           mouds, tu mouds, il moud, nous moulons</hi>, etc.</p>
         <p><hi rend="i">Paître</hi>, se conjugue comme <hi rend="i">repaître</hi>, qui est un verbe
          régulier. Mais il n’a ni participe (par conséquent point de temps composés), ni parfait
          défini ni imparfait du subjonctif. Ainsi, l’on ne pourrait pas dire <hi rend="i">j’ai pu,
           je pus, je pusse</hi>, comme l’on dit, <hi rend="i">j’ai repu, je repus, je
          repusse</hi>.</p>
         <p><hi rend="i">Poindre</hi> signifiant <hi rend="i">piquer</hi>, n’a guère d’usage,
          suivant l’Académie, qu’en cette phrase proverbiale : = <hi rend="i">oignez vilain, il vous
           poindra ; poignez vilain, il vous caressera</hi>. <hi rend="i">Poindre</hi> se disant du
          jour qui commence à paraître, et des herbes qui commencent à pousser, n’est guère usité
          qu’au présent de l’infinitif : = <hi rend="i">le jour ne faisait que poindre</hi>. <hi
           rend="i">Les herbes commencent à poindre</hi>.</p>
         <pb n="72" xml:id="p72"/>
         <p><hi rend="i">Soudre</hi>, n’est en usage qu’au présent de l’infinitif ; et encore même
          est-il vieux : = <hi rend="i">soudre un problème, un argument</hi> (on ne dit plus que <hi
           rend="i">résoudre</hi>). Ses composés <hi rend="i">absoudre</hi>, <hi rend="i"
           >dissoudre</hi>, font au participe, <hi rend="i">absous, dissous</hi>, féminin <hi
           rend="i">absoute</hi> ; au gérondif, <hi rend="i">absolvant</hi> ; au présent absolu, <hi
           rend="i">j’absous, tu absous, il absout, nous absolvons</hi> ; à l’imparfait, <hi
           rend="i">j’absolvais</hi> ; au futur, <hi rend="i">j’absoudrai</hi> ; au conditionnel
          présent, <hi rend="i">j’absoudrais</hi> ; à l’impératif, <hi rend="i">absous, qu’il
           absolve</hi>, et au subjonctif présent, <hi rend="i">que j’absolve</hi>. Ces verbes n’ont
          ni parfait défini, ni imparfait du subjonctif. <hi rend="i">Résoudre</hi>, qui se conjugue
          de même, a le parfait défini, <hi rend="i">je résolus</hi>, et l’imparfait du subjonctif,
           <hi rend="i">je résolusse</hi>. Il fait au participe, <hi rend="i">résolu</hi>, lorsqu’il
          signifie <hi rend="i">déterminé</hi>, <hi rend="i">décidé</hi> : = <hi rend="i">il a
           résolu la difficulté</hi>. Il fait <hi rend="i">résous</hi>, sans féminin, lorsqu’il
          signifie <hi rend="i">réduit</hi>, <hi rend="i">changé</hi> en quelque autre chose : = <hi
           rend="i">le soleil a résous la pluie en brouillard</hi>.</p>
         <p><hi rend="i">Traire</hi>, et ses composés <hi rend="i">abstraire</hi>, <hi rend="i"
           >attraire</hi>, <hi rend="i">distraire</hi>, <hi rend="i">extraire</hi>, <hi rend="i"
           >rentraire</hi>, <hi rend="i">retraire</hi>, <hi rend="i">soustraire</hi>, font au
          participe, <hi rend="i">trait</hi> ; au gérondif, <hi rend="i">trayant</hi>, et au présent
          absolu, <hi rend="i">je trais, tu trais, il trait, nous trayons</hi>. Ils n’ont ni parfait
          défini, ni imparfait du subjonctif.</p>
         <p><hi rend="i">Vivre</hi>, et ses composés <hi rend="i">revivre</hi>, <hi rend="i"
           >survivre</hi>, font au participe, <hi rend="i">vécu</hi>. On ne dit plus au parfait
          défini, <hi rend="i">je véquis</hi>, <hi rend="i">je survéquis</hi>. Il faut dire, <hi
           rend="i">je vécus</hi>, <hi rend="i">je survécus</hi>.</p>
        </div6>
       </div5>
       <div5 type="section">
        <head>Emploi des verbes avoir et être.</head>
        <p>J’ai déjà dit que les verbes <hi rend="i">avoir</hi> et <hi rend="i">être</hi> servent à
         conjuguer, en grande partie, tous les autres. C’est ici le lieu de dire <pb n="73"
          xml:id="p73"/>quel est l’emploi de ces deux auxiliaires.</p>
        <p>On a vu que le verbe <hi rend="i">avoir</hi> est employé dans ses propres temps
         composés ; <hi rend="i">j’ai eu, j’avais eu</hi> ; dans ceux du verbe <hi rend="i">être ;
          j’eus été, j’aurais été</hi>, et dans ceux de tous les verbes actifs. Il est aussi employé
         dans les temps composés de la plupart des verbes neutres : = <hi rend="i">il a dormi</hi> ;
          <hi rend="i">ils avaient soupé</hi> ; <hi rend="i">nous aurions parlé</hi> ; <hi rend="i"
          >vous avez couru</hi>, etc.</p>
        <p>Le verbe <hi rend="i">être</hi> sert, comme je l’ai déjà dit, à conjuguer les verbes
         passifs dans tous les temps. Il sert aussi à conjuguer les temps composés de quelques
         verbes neutres, tels que <hi rend="i">aller</hi>, <hi rend="i">arriver</hi>, <hi rend="i"
          >choir</hi>, <hi rend="i">déchoir</hi>, <hi rend="i">échoir</hi>, <hi rend="i"
          >décéder</hi>, <hi rend="i">descendre</hi>, <hi rend="i">entrer</hi>, <hi rend="i"
          >monter</hi>, <hi rend="i">mourir</hi>, <hi rend="i">naître</hi>, <hi rend="i"
         >partir</hi>, <hi rend="i">rester</hi>, <hi rend="i">sortir</hi>, <hi rend="i">tomber</hi>,
          <hi rend="i">venir</hi>, et ses composés <hi rend="i">devenir</hi>, <hi rend="i"
          >intervenir</hi>, <hi rend="i">parvenir</hi>, <hi rend="i">revenir</hi> et <hi rend="i"
          >survenir</hi> ; mais <hi rend="i">subvenir</hi> prend toujours <hi rend="i">avoir</hi> ;
         = <hi rend="i">vous</hi> avez subvenu <hi rend="i">à votre ami dans ses besoins</hi>. <hi
          rend="i">Contrevenir</hi> prend <hi rend="i">avoir</hi> ou <hi rend="i">être</hi> ; = <hi
          rend="i">il prétendoit n’</hi>avoir <hi rend="i">point contrevenu</hi>, <hi rend="i"
          >n’</hi>être <hi rend="i">point contrevenu à la loi</hi>.</p>
        <p>Il y a des verbes neutres, qui, comme ces derniers, se conjuguent indifféremment avec <hi
          rend="i">avoir</hi> ou <hi rend="i">être</hi>. Tels sont <hi rend="i">aborder</hi>, <hi
          rend="i">accourir</hi>, <hi rend="i">périr</hi>, <hi rend="i">cesser</hi>, <hi rend="i"
          >échapper</hi>, <hi rend="i">apparaître</hi>, <hi rend="i">comparaître</hi>, <hi rend="i"
          >disparaître</hi>, <hi rend="i">croître</hi>, <hi rend="i">accroître</hi>, <hi rend="i"
          >décroître</hi>, <hi rend="i">recroître</hi>, etc. Ainsi l’on peut dire, <hi rend="i"
          >vous</hi> avez <hi rend="i">abordé</hi> ou <hi rend="i">vous</hi> êtes <hi rend="i"
          >abordé</hi>. <hi rend="i">Nous</hi> avons <hi rend="i">accouru</hi>, ou nous sommes <hi
          rend="i">accourus</hi>. <hi rend="i">Il</hi> a <hi rend="i">péri</hi>, ou <hi rend="i"
          >il</hi> est <hi rend="i">péri</hi>. <hi rend="i">Sa fièvre</hi> a <hi rend="i"
         >cessé</hi>, ou est <hi rend="i">cessée</hi>.</p>
        <p><hi rend="i">Le cerf</hi> a <hi rend="i">échappé</hi>, ou est <hi rend="i">échappé aux
          chiens</hi>.</p>
        <p><hi rend="i">La rivière</hi> a <hi rend="i">cru</hi> ou est <hi rend="i">crue</hi>.</p>
        <pb n="74" xml:id="p74"/>
        <p>D’autres prennent <hi rend="i">être</hi> ou <hi rend="i">avoir</hi>, suivant leur
         signification et la manière dont ils sont employés ; en voici quelques-uns :</p>
        <p><hi rend="i">Accoucher</hi>, signifiant <hi rend="i">enfanter</hi>, est neutre, et prend
          <hi rend="i">être</hi> : = <hi rend="i">la femme de mon ami</hi> est <hi rend="i"
          >accouchée heureusement</hi>. Il est actif, et prend <hi rend="i">avoir</hi>, lorsqu’il
         signifie, <hi rend="i">aider à une femme à accoucher</hi> : = <hi rend="i">cette
          sage-femme</hi> a <hi rend="i">accouché plusieurs dames</hi>.</p>
        <p><hi rend="i">Accroître</hi>, <hi rend="i">cesser</hi>, <hi rend="i">descendre</hi>, <hi
          rend="i">monter</hi>, <hi rend="i">sortir</hi>, verbes neutres, sont quelquefois employés
         comme verbes actifs ; et alors ils doivent se conjuguer avec <hi rend="i">avoir</hi> : =
          <hi rend="i">vous</hi> avez <hi rend="i">accru votre bien</hi> : = <hi rend="i">il</hi> a
          <hi rend="i">cessé ses plaintes</hi> : = <hi rend="i">on</hi> a <hi rend="i">descendu du
          vin à la cave</hi> : = <hi rend="i">l’horloger</hi> a <hi rend="i">monté la pendule</hi> :
         = <hi rend="i">vous</hi> avez <hi rend="i">sorti votre ami d’une affaire bien
          désagréable</hi>. Il en est de même du verbe <hi rend="i">échapper</hi>, lorsqu’il
         signifie <hi rend="i">éviter</hi> : = <hi rend="i">nous</hi> avons <hi rend="i">échappé un
          grand danger</hi>.</p>
        <p><hi rend="i">Convenir</hi>, signifiant <hi rend="i">être convenable</hi>, prend <hi
          rend="i">avoir</hi> : = <hi rend="i">ce jardin vous</hi> aurait <hi rend="i">convenu</hi>.
         Il prend <hi rend="i">être</hi>, quand il signifie <hi rend="i">être d’accord</hi> : = <hi
          rend="i">ils</hi> sont <hi rend="i">convenus du prix de cette maison</hi>.</p>
        <p><hi rend="i">Demeurer</hi>, signifiant <hi rend="i">faire sa demeure</hi>, prend <hi
          rend="i">être</hi>, quand il doit marquer qu’on est encore dans un lieu : = <hi rend="i"
          >il</hi> est <hi rend="i">demeuré à Paris pour se former le goût</hi>. Il prend <hi
          rend="i">avoir</hi>, quand il marque qu’on n’est plus dans un lieu : = <hi rend="i"
          >il</hi> a <hi rend="i">demeuré quelque temps à Rome</hi>. <hi rend="i">Demeurer</hi>,
         signifiant <hi rend="i">rester</hi>, prend toujours <hi rend="i">être</hi> : = <hi rend="i"
          >il</hi> est <hi rend="i">demeuré deux mille hommes sur la place</hi>. Ainsi, <hi rend="i"
          >Racine <pb n="75" xml:id="p75"/>et Boileau</hi> ont fait une faute, en disant :</p>
        <quote>
         <l>                                          Ma langue embarrassée</l>
         <l>Dans ma bouche, vingt fois, <hi rend="i">a demeuré</hi> glacée.</l>
        </quote>
        <quote>
         <l>Grand Roi, si jusqu’ici, par un trait de prudence,</l>
         <l><hi rend="i">J’ai demeuré</hi>, pour toi, dans un humble silence.</l>
        </quote>
        <p>Il aurait fallu, <hi rend="i">est demeurée</hi> : <hi rend="i">je suis demeuré</hi>.</p>
        <p><hi rend="i">Expirer</hi>, suivant l’Académie, prend <hi rend="i">être</hi>, lorsqu’on
         parle d’une chose qui est finie, et qui avait une durée : = <hi rend="i">le temps</hi> est
          <hi rend="i">expiré</hi> : <hi rend="i">la trêve est expirée</hi>. Mais en parlant d’un
         homme qui vient de mourir, il faut dire ; <hi rend="i">il</hi> a <hi rend="i">expiré</hi>,
         et non, <hi rend="i">il</hi> est <hi rend="i">expiré</hi>. Ainsi, il y a une faute dans ce
         vers de <hi rend="i">Racine</hi> :</p>
        <quote>
         <l>              Ce Héros <hi rend="i">expiré</hi></l>
         <l>N’a laissé, dans mes bras, qu’un corps défiguré.</l>
        </quote>
        <p>Parce qu’on ne peut pas supprimer, avant le participe, le gérondif <hi rend="i"
          >ayant</hi>, comme on supprime quelquefois le gérondif <hi rend="i">étant</hi>. De-là,
         l’abbé d’<hi rend="i">Olivet</hi> conclut que, <hi rend="i">ce héros expiré</hi>, n’est pas
         plus français, que <hi rend="i">ce héros parlé</hi>, pour <hi rend="i">ayant
         parlé</hi>.</p>
        <p><hi rend="i">Passer</hi>, suivi d’un nom substantif, prend <hi rend="i">avoir</hi> : =
          <hi rend="i">les troupes</hi> ont <hi rend="i">passé un grand fleuve</hi> : = <hi rend="i"
          >elles</hi> ont <hi rend="i">passé par notre province</hi>. Ainsi, il y a une faute dans
         cette phrase : <hi rend="i">l’esprit de révolte n’était pas éteint : il</hi> était passé
          <hi rend="i">parmi de nouveaux factieux</hi>. Il fallait dire <hi rend="i">avait
          passé</hi>. Quand ce verbe n’est pas suivi d’un nom, il prend <hi rend="i">être</hi> : =
          <hi rend="i">l’armée</hi> est <hi rend="i">passée</hi> : <hi rend="i">ces fleurs</hi> sont
          <hi rend="i">passées</hi>. <pb n="76" xml:id="p76"/>Cependant il prend <hi rend="i"
          >avoir</hi>, quand il signifie <hi rend="i">être reçu</hi> : = <hi rend="i">ce mot</hi> a
          <hi rend="i">passé</hi>. Il prend indifféremment <hi rend="i">avoir</hi> ou <hi rend="i"
          >être</hi>, quand il signifie <hi rend="i">mourir</hi>, <hi rend="i">expirer</hi> : = <hi
          rend="i">il</hi> a <hi rend="i">passé</hi> ou <hi rend="i">il</hi> est <hi rend="i"
          >passé</hi>.</p>
        <p><hi rend="i">Rester</hi>, prend toujours, comme je l’ai déjà dit, le verbe <hi rend="i"
          >être</hi>. Ne dites donc pas, avec deux écrivains modernes : <hi rend="i">combien de
          grands hommes, dont le nom</hi> a resté <hi rend="i">dans l’oubli</hi> ! = les ennemis,
          <hi rend="i">après</hi> avoir resté <hi rend="i">quelque temps dans l’irrésolution,
          rétrogradèrent lentement</hi>. Il fallait dire : <hi rend="i">est resté</hi> : <hi
          rend="i">être restés</hi>.</p>
        <p>Voici une règle pour connaître les verbes neutres qui prennent, dans leurs temps
         composés, l’auxiliaire <hi rend="i">être</hi>, et ceux qui prennent <hi rend="i"
         >avoir</hi>. Si le participe d’un verbe neutre peut être joint à un substantif, ce verbe se
         conjugue avec l’auxiliaire <hi rend="i">être</hi>. On dit, <hi rend="i">je</hi> suis <hi
          rend="i">tombé</hi>, <hi rend="i">elle</hi> est <hi rend="i">décédée</hi>, parce qu’on
         peut dire, <hi rend="i">un homme tombé</hi>, <hi rend="i">une femme décédée</hi>. Si le
         participe, au contraire, ne peut pas être joint à un substantif, le verbe se conjugue avec
         l’auxiliaire <hi rend="i">avoir</hi>. On dit, <hi rend="i">j’</hi>ai <hi rend="i"
          >frémi</hi> ; <hi rend="i">elle</hi> a <hi rend="i">tremblé</hi>, parce qu’on ne peut pas
         dire, <hi rend="i">un homme frémi</hi>, <hi rend="i">une femme tremblée</hi>. Cette règle
         est généralement sûre : mais l’usage est ici le meilleur maître.</p>
       </div5>
      </div4>
      <div4 type="article">
       <pb n="77" xml:id="p77"/>
       <head type="sur"><hi rend="sc">Article</hi> III. </head>
       <head type="main"><hi rend="i">Des autres parties de l’Oraison</hi>.</head>
       <div5 type="section">
        <head type="sur">I. </head>
        <head type="main"><hi rend="i">De la Préposition</hi>.</head>
        <p>Les <hi rend="i">prépositions</hi> sont des mots, qui marquent les différens rapports,
         c’est-à-dire, l’espèce de liaison et de relation, que les choses ont les unes avec les
         autres. Par exemple, si je dis simplement : <hi rend="i">le soleil brille</hi> ; <hi
          rend="i">les arts fleurissent</hi> ; <hi rend="i">votre frère est parti</hi> : je
         considérerai le <hi rend="i">soleil</hi>, les <hi rend="i">arts</hi>, votre <hi rend="i"
          >frère</hi>, sans aucun rapport avec d’autres objets. Mais si je dis : <hi rend="i">le
          soleil brille</hi> sur <hi rend="i">nos contrées</hi> ; <hi rend="i">les arts
          fleurissent</hi> chez <hi rend="i">les peuples policés</hi> ; <hi rend="i">votre frère est
          parti</hi> pour <hi rend="i">la campagne</hi> ; j’exprimerai, par ces mots, <hi rend="i"
          >sur</hi>, <hi rend="i">chez</hi>, <hi rend="i">pour</hi>, les rapports qu’il y a entre le
          <hi rend="i">soleil</hi> et nos <hi rend="i">contrées</hi>, les <hi rend="i">arts</hi> et
         les <hi rend="i">peuples policés</hi>, votre <hi rend="i">frère</hi> et la <hi rend="i"
          >campagne</hi>. Par conséquent, ces mots, <hi rend="i">sur</hi>, <hi rend="i">chez</hi>,
          <hi rend="i">pour</hi>, sont des prépositions.</p>
        <p>On peut voir, dans ces exemples, que les <hi rend="i">prépositions</hi> ne présentent
         seules et d’elles-mêmes, qu’un sens incomplet. Voilà pourquoi elles doivent être suivies de
         quelques mots, qui, en formant le sens entier, leur servent de complément. Ces mots en sont
         appelés le <hi rend="i">régime</hi> ; et les <hi rend="i">prépositions</hi> sont ainsi
         nommées, parce qu’on les place toujours avant ces mots qu’elles régissent.</p>
        <div6 type="section">
         <pb n="78" xml:id="p78"/>
         <head>Différentes espèces de prépositions.</head>
         <p>Il serait bien difficile, ou du moins bien long, d’indiquer exactement les différentes
          espèces de prépositions. Il y en a autant qu’il y a de manières de considérer les choses,
          les unes à l’égard des autres ; et ces manières sont presque infinies. Je me bornerai donc
          à faire connaître celles que l’abbé <hi rend="i">Girard</hi> distingue.</p>
         <p>Ce sont 1°. les prépositions qui marquent la place, et qui sont, <hi rend="i">chez</hi>,
           <hi rend="i">dans</hi>, <hi rend="i">sous</hi>, <hi rend="i">sur</hi>, <hi rend="i"
           >devant</hi>, <hi rend="i">derrière</hi>, <hi rend="i">parmi</hi>, <hi rend="i"
          >vers</hi>, etc. 2°. Celles qui marquent l’ordre, et qui sont, <hi rend="i">avant</hi>,
           <hi rend="i">après</hi>, <hi rend="i">entre</hi>, <hi rend="i">depuis</hi>, etc. 3°.
          Celles qui marquent l’union, et qui sont, <hi rend="i">avec</hi>, <hi rend="i">selon</hi>,
           <hi rend="i">suivant</hi>, <hi rend="i">par</hi>, <hi rend="i">outre</hi>, <hi rend="i"
           >durant</hi>, <hi rend="i">pendant</hi>, etc. 4°. Celles qui marquent la séparation, et
          qui sont, <hi rend="i">sans, excepté</hi>, <hi rend="i">hors</hi>, <hi rend="i"
           >hormis</hi>, etc. 5°. Celles qui marquent l’opposition, et qui sont, <hi rend="i"
           >contre</hi>, <hi rend="i">malgré</hi>, <hi rend="i">nonobstant</hi>, etc. 6°. Celles qui
          marquent le but, et qui sont, <hi rend="i">envers</hi>, <hi rend="i">touchant</hi>, <hi
           rend="i">pour</hi>, etc. 7°. Celles qui marquent la spécification, c’est-à-dire, la
          manière d’exprimer et de déterminer, en particulier, une chose, et qui sont, <hi rend="i"
           >à</hi>, <hi rend="i">de</hi> et <hi rend="i">en</hi>.</p>
         <p>Il y a bien d’autres rapports qui peuvent être marqués par les prépositions ; et
          j’observerai qu’il arrive, bien souvent, que la même en indique plusieurs différents. En
          voici des exemples. <hi rend="i">Cela se fait</hi> par <hi rend="i">tout pays</hi> : ici
           <hi rend="i">par</hi> marque le lieu. <hi rend="i">Il l’a mené</hi> par <hi rend="i">la
           main</hi> : ici <hi rend="i">par</hi> marque l’endroit de la chose. <hi rend="i">Il se
           promène</hi> par <hi rend="i">la ville</hi> : ici <hi rend="i">par</hi> marque le
          mouvement. <hi rend="i">Il a entrepris un voyage</hi> par <hi rend="i">ce grand
          froid</hi> : ici <hi rend="i">par</hi> marque le temps. <hi rend="i">Il a fait cela</hi>
          <pb n="79" xml:id="p79"/>par <hi rend="i">crainte</hi>, par <hi rend="i">haine</hi> : ici
           <hi rend="i">par</hi> marque la cause, le motif. <hi rend="i">Il est venu à bout</hi>,
          par <hi rend="i">ses flatteries, de captiver sa bienveillance</hi> : ici <hi rend="i"
           >par</hi> marque le moyen. <hi rend="i">Il a dit cela</hi> par <hi rend="i">ironie</hi> :
          ici <hi rend="i">par</hi> marque la manière.</p>
         <p>Quoique la préposition soit un mot simple, cependant ces expressions, <hi rend="i">à
           couvert de, en présence de, en dépit de, à cause de</hi>, et autres semblables, sont
          regardées comme des prépositions, qu’on appelle <hi rend="i">composées</hi>.</p>
        </div6>
       </div5>
       <div5 type="section">
        <head type="sur">II. </head>
        <head type="main"><hi rend="i">De l’Adverbe</hi>.</head>
        <p>L’<hi rend="i">Adverbe</hi>, différent de la préposition, n’est point susceptible de
         régime, et forme, de lui-même, un sens complet. Tels sont les adverbes <hi rend="i"
          >généreusement</hi>, <hi rend="i">aujourd’hui</hi>, <hi rend="i">ici</hi>, qui signifient
          <hi rend="i">avec générosité</hi>, <hi rend="i">en ce jour</hi>, <hi rend="i">en ce
          lieu</hi>.</p>
        <p>On définit l’<hi rend="i">adverbe</hi>, un mot qui sert à modifier la signification d’un
         autre mot auquel il a rapport. <hi rend="i">Modifier</hi>, qui signifie, en général, donner
         une manière d’être, signifie ici, déterminer la signification d’un mot, en exprimant
         quelque circonstance ou particularité qui accompagne ce mot. Si l’on dit, <hi rend="i">il
          faut s’occuper</hi>, la signification du mot <hi rend="i">s’occuper</hi>, sera simple et
         sans aucune circonstance. Mais si l’on dit, <hi rend="i">il faut s’occuper</hi> utilement,
         la signification de ce verbe sera modifiée, ou déterminée, par l’<hi rend="i">adverbe
          utilement</hi>, puisque celui-ci sera employé, pour <pb n="80" xml:id="p80"/>faire
         entendre qu’il faut <hi rend="i">s’occuper</hi> d’une manière plutôt que d’une autre.</p>
        <p>L’adverbe sert à modifier l’adjectif. = <hi rend="i">Ce dessein est</hi> parfaitement <hi
          rend="i">beau</hi> ; et quelquefois un autre adverbe : = <hi rend="i">Vous êtes mis</hi>
         trop <hi rend="i">richement</hi>. Mais il modifie plus souvent le verbe que les autres
         mots ; et c’est pour cette raison qu’il est appelé <hi rend="i">adverbe</hi>.</p>
        <div6 type="section">
         <head>Différentes espèces d’adverbes.</head>
         <p>On peut réduire toutes les espèces d’<hi rend="i">adverbes</hi> à cinq. Ce sont, 1°. les
          adverbes de <hi rend="i">manière</hi>, qui expriment la manière dont les choses se font ;
          comme <hi rend="i">amicalement</hi>, <hi rend="i">fortement</hi>, <hi rend="i"
           >inconsidérément</hi>, <hi rend="i">modestement</hi>, <hi rend="i">patiemment</hi>, <hi
           rend="i">vivement</hi>, etc. ; 2°. les adverbes d’<hi rend="i">ordre</hi> qui expriment
          comment les choses sont arrangées : tels sont, <hi rend="i">premièrement</hi>, <hi
           rend="i">secondement</hi>, <hi rend="i">d’abord</hi>, <hi rend="i">ensuite</hi>, <hi
           rend="i">auparavant</hi>, etc. ; 3°. les adverbes de lieu, qui servent à marquer les
          situations ; comme, <hi rend="i">où</hi>, <hi rend="i">ici</hi>, <hi rend="i">là</hi>, <hi
           rend="i">dedans</hi>, <hi rend="i">dehors</hi>, <hi rend="i">dessus</hi>, <hi rend="i"
           >dessous</hi>, <hi rend="i">partout</hi>, etc. Je comprends dans ceux-là les adverbes de
           <hi rend="i">distance</hi>, <hi rend="i">près</hi>, <hi rend="i">loin</hi> ; 4°. les
          adverbes de <hi rend="i">temps</hi>, qui expriment quelques circonstances, ou rapports de
          temps ; comme, <hi rend="i">hier</hi>, <hi rend="i">autrefois</hi>, <hi rend="i"
           >aujourd’hui</hi>, <hi rend="i">demain</hi>, <hi rend="i">désormais</hi>, <hi rend="i"
           >tard</hi>, <hi rend="i">matin</hi>, <hi rend="i">souvent</hi>, <hi rend="i"
           >quelquefois</hi>, <hi rend="i">ordinairement</hi>, <hi rend="i">incessamment</hi>, <hi
           rend="i">toujours</hi>, <hi rend="i">jamais</hi>, etc. ; 5°. les adverbes de <hi rend="i"
           >quantité</hi>, qui servent à marquer une quantité, ou un nombre ; comme, <hi rend="i"
           >assez</hi>, <hi rend="i">suffisamment</hi>, <hi rend="i">trop</hi>, <hi rend="i"
           >peu</hi>, <hi rend="i">beaucoup</hi>, <hi rend="i">guère</hi>, <hi rend="i">plus</hi>,
           <hi rend="i">moins</hi>, <hi rend="i">davantage</hi>, <hi rend="i">infiniment</hi>, <hi
           rend="i">autant</hi>, <hi rend="i">pas</hi>, <hi rend="i">point</hi>, etc.</p>
         <p>L’adverbe est, comme la préposition, un mot simple. Cependant on met au nombre <pb
           n="81" xml:id="p81"/>des adverbes, qu’on appelle <hi rend="i">composés</hi>, ces
          expressions, <hi rend="i">pour le présent</hi>, <hi rend="i">à l’avenir</hi>, <hi rend="i"
           >tour à tour</hi>, <hi rend="i">tout à fait</hi>, <hi rend="i">mal à propos</hi>, <hi
           rend="i">à contretemps</hi>, etc.</p>
        </div6>
        <div6 type="section">
         <head>Formation de l’adverbe.</head>
         <p>La plupart des adjectifs ont chacun leur adverbe, qui se forme 1°. du masculin,
          lorsqu’il se termine par une voyelle, en y ajoutant <hi rend="i">ment</hi> : = <hi
           rend="i">utile, utilement</hi> ; <hi rend="i">vrai, vraiment</hi> ; <hi rend="i">ingénu,
           ingénument</hi> ; <hi rend="i">aisé, aisément</hi> ; <hi rend="i">poli, poliment</hi> ;
           <hi rend="i">infini, infiniment</hi>, etc. Mais l’adjectif <hi rend="i">gentil</hi>, fait
           <hi rend="i">gentiment</hi>, et <hi rend="i">impuni</hi> fait <hi rend="i"
           >impunément</hi>.</p>
         <p>2°. Du féminin, quand l’adjectif se termine au masculin par une consonne : = <hi
           rend="i">doux, douce, doucement</hi> ; <hi rend="i">bon, bonne, bonnement</hi> ; <hi
           rend="i">franc, franche, franchement</hi> ; <hi rend="i">civil, civile, civilement</hi>,
          etc.</p>
         <p>Les adjectifs <hi rend="i">lent, lente</hi> ; <hi rend="i">présent, présente</hi>,
          suivent cette règle, et font <hi rend="i">lentement</hi>, <hi rend="i">présentement</hi>.
          Mais les autres terminés en <hi rend="i">ent</hi> et <hi rend="i">ant</hi>, changent les
          deux dernières lettres <hi rend="i">nt</hi> en <hi rend="i">mment : = prudent,
           prudemment</hi> ; <hi rend="i">élégant, élégamment</hi>.</p>
        </div6>
       </div5>
       <div5 type="section">
        <head type="sur">III. </head>
        <head type="main"><hi rend="i">De la Conjonction</hi>.</head>
        <p>Les <hi rend="i">conjonctions</hi> sont des mots qui servent à lier d’autres mots, ou les
         différentes parties du discours. J’en vais citer des exemples, en faisant connaître les
         diverses espèces de conjonctions que distinguent les grammairiens. Ils en comptent jusqu’à
         douze.</p>
        <div6 type="section">
         <pb n="82" xml:id="p82"/>
         <head>Différentes espèces de conjonctions.</head>
         <p>1°. Les conjonctions <hi rend="i">copulatives</hi> qui lient les mots avec affirmation,
          ou avec négation, et qui sont, <hi rend="i">et</hi>, <hi rend="i">ni</hi> : = <hi rend="i"
           >La science</hi> et <hi rend="i">la vertu sont estimables</hi> : = <hi rend="i">Il ne
           faut</hi> ni <hi rend="i">trop se livrer aux plaisirs honnêtes</hi>, ni <hi rend="i">s’en
           abstenir entièrement</hi>.</p>
         <p>2°. Les <hi rend="i">augmentatives</hi>, qui lient en ajoutant à ce qui précède, et qui
          sont, <hi rend="i">de plus</hi>, <hi rend="i">d’ailleurs</hi>, <hi rend="i">encore</hi>,
          etc. = <hi rend="i">Mangez de ce fruit : il est agréable au goût</hi> ; de plus, <hi
           rend="i">il est bon pour la santé.</hi> = <hi rend="i">Ce n’est pas assez de fuir le
           vice, il faut</hi> encore <hi rend="i">pratiquer la vertu.</hi></p>
         <p>3°. Les <hi rend="i">alternatives</hi>, qui lient, soit en laissant la liberté du choix
          entre plusieurs choses ; soit en substituant positivement, dans cette offre, une chose au
          défaut d’une autre ; soit en présentant plusieurs choses qui agissent continuellement
          l’une après l’autre. Ces conjonctions sont, <hi rend="i">ou</hi>, <hi rend="i">sinon</hi>,
           <hi rend="i">tantôt</hi> : = <hi rend="i">Il faut que dans l’instant même, vous
           accordiez</hi> ou <hi rend="i">vous refusiez ce que l’on vous demande</hi> : = <hi
           rend="i">Obéissez</hi> ; sinon <hi rend="i">vous serez puni</hi> : = <hi rend="i">L’homme
           inconstant veut</hi> tantôt <hi rend="i">une chose</hi>, tantôt <hi rend="i">une
           autre</hi>.</p>
         <p>4°. Les <hi rend="i">hypothétiques</hi>, qui lient par supposition, ou en marquant une
          condition, et qui sont, <hi rend="i">si</hi>, <hi rend="i">soit</hi>, <hi rend="i">pourvu
           que</hi>, <hi rend="i">quand</hi>, <hi rend="i">sauf</hi>, etc. : = <hi rend="i">Nous
           remporterons la victoire</hi>, si <hi rend="i">nous sommes bien commandés</hi>, ou,
          pourvu que <hi rend="i">nous soyons bien commandés</hi> : = <hi rend="i">L’homme sage est
           toujours le même</hi>, soit <hi rend="i">dans la prospérité</hi>, soit <hi rend="i">dans
           l’adversité</hi>.</p>
         <p>5°. Les <hi rend="i">adversatives</hi>, qui lient deux propositions, en marquant
          l’opposition de la <pb n="83" xml:id="p83"/>seconde à la première, et qui sont, <hi
           rend="i">mais</hi>, <hi rend="i">quoique</hi>, <hi rend="i">cependant</hi>, <hi rend="i"
           >pourtant</hi>, <hi rend="i">néanmoins</hi>, <hi rend="i">toutefois</hi>, etc. : = <hi
           rend="i">Votre ami est vif</hi> ; mais <hi rend="i">il est sensible et bon</hi> : = <hi
           rend="i">Cette affaire n’est pas bien sérieuse ; il ne faut</hi> pourtant <hi rend="i"
           >pas la négliger</hi>.</p>
         <p>6°. Les <hi rend="i">extensives</hi>, qui lient en étendant le sens, et qui sont, <hi
           rend="i">jusque</hi>, <hi rend="i">encore</hi>, <hi rend="i">aussi</hi>, <hi rend="i"
           >même</hi>, <hi rend="i">enfin</hi>, etc. : = <hi rend="i">Ce vin est clair, et bon</hi>
           jusqu’<hi rend="i">à la lie</hi> : = <hi rend="i">Il faut aimer tout le monde</hi>, même
           <hi rend="i">ses ennemis</hi>.</p>
         <p>7°. Les <hi rend="i">périodiques</hi>, qui lient en marquant le temps, et qui sont, <hi
           rend="i">quand</hi>, <hi rend="i">lorsque</hi>, <hi rend="i">tandis que</hi>, etc. : <hi
           rend="i">Nous sentons moins la chaleur du soleil</hi>, quand il <hi rend="i">est plus
           près de nous</hi>.</p>
         <p>8°. Les <hi rend="i">motivales</hi>, qui lient en exprimant la cause, et qui sont, <hi
           rend="i">afin</hi>, <hi rend="i">parce que</hi>, <hi rend="i">puisque</hi>, <hi rend="i"
           >car</hi>, etc. : = <hi rend="i">Allons nous promener</hi>, puisque <hi rend="i">le temps
           est beau</hi>.</p>
         <p>9°. Les <hi rend="i">conclusives</hi>, qui lient en exprimant une conséquence qu’on tire
          d’une proposition, et qui sont, <hi rend="i">donc</hi>, <hi rend="i">ainsi</hi>, <hi
           rend="i">partant</hi>, etc. : = <hi rend="i">La vertu seule peut faire notre
          bonheur</hi> : donc <hi rend="i">nous devons la préférer à tout</hi>.</p>
         <p>10°. Les <hi rend="i">explicatives</hi>, qui lient en expliquant, et qui sont, <hi
           rend="i">comme</hi>, <hi rend="i">savoir</hi>, <hi rend="i">surtout</hi>, etc. : = <hi
           rend="i">Il y a trois vertus théologales</hi>, savoir, <hi rend="i">la foi, l’espérance
           et la charité</hi> : = <hi rend="i">Cet homme est propre à bien des choses</hi>, surtout
           <hi rend="i">aux négociations</hi>.</p>
         <p>11°. Les <hi rend="i">transitives</hi>, qui lient en passant d’une chose à une autre, et
          qui sont, <hi rend="i">or</hi>, <hi rend="i">au reste</hi>, <hi rend="i">pour</hi>, <hi
           rend="i">quant</hi>, etc. : = <hi rend="i">Tous les arts sont estimables</hi> : or <hi
           rend="i">la peinture est <pb n="84" xml:id="p84"/>un art</hi> : = <hi rend="i">La
           nouvelle de la victoire est sûre</hi> : quant <hi rend="i">au nombre</hi> (<hi rend="i"
           >ou</hi>) pour <hi rend="i">le nombre des morts, on ne le sait pas positivement</hi>.</p>
         <p>12°. La <hi rend="i">conductive</hi>, qui lie en conduisant le sens à sa perfection :
          c’est <hi rend="i">que</hi> : = <hi rend="i">Il n’est pas douteux</hi> que <hi rend="i"
           >l’étude de notre langue ne soit des plus nécessaires</hi> : = <hi rend="i">Rien de si
           agréable</hi> que <hi rend="i">de converser avec des gens instruits</hi> : = <hi rend="i"
           >Si vous venez, et</hi> que <hi rend="i">nous soyons seuls, nous lirons l’ouvrage de
           votre ami</hi>.</p>
         <p>Je dois observer ici qu’une conjonction se rapporte bien souvent à plusieurs espèces,
          suivant le sens dans lequel elle est employée : = Comme <hi rend="i">vous êtes honnête
           homme, vous ne manquerez pas à votre parole</hi> : = <hi rend="i">C’est une affaire très
           importante</hi> : aussi <hi rend="i">devons-nous y apporter tous nos soins</hi>. Dans ces
          phrases, <hi rend="i">comme</hi> et <hi rend="i">aussi</hi> sont des conjonctions
          motivales : = <hi rend="i">Tout s’est passé</hi> comme <hi rend="i">on vous l’a dit</hi>.
          Ici, <hi rend="i">comme</hi> est une conjonction explicative : = <hi rend="i">Les ennemis
           se sont retirés en désordre : ils nous ont</hi> aussi <hi rend="i">abandonné leur
           artillerie</hi>. Ici, <hi rend="i">aussi</hi> est une conjonction extensive.</p>
         <p>Il en est de la <hi rend="i">conjonction</hi>, comme de la préposition et de l’adverbe.
          Quoiqu’elle soit un mot simple et unique, il y a beaucoup d’expressions qu’on regarde
          comme des conjonctions composées. Telles sont, <hi rend="i">à la bonne heure</hi>, <hi
           rend="i">à la vérité</hi>, <hi rend="i">après que</hi>, <hi rend="i">au cas que</hi>, <hi
           rend="i">aussi bien que</hi>, <hi rend="i">attendu que</hi>, <hi rend="i">c’est
           pourquoi</hi>, <hi rend="i">de sorte que</hi>, <hi rend="i">par conséquent</hi>, <hi
           rend="i">si ce n’est que</hi>, <hi rend="i">supposé que</hi>, etc.</p>
        </div6>
       </div5>
       <pb n="85" xml:id="p85"/>
       <div5 type="section">
        <head type="sur">IV. </head>
        <head type="main"><hi rend="i">De la Particule ou Interjection</hi>.</head>
        <p>Les <hi rend="i">particules</hi> ou <hi rend="i">interjections</hi> sont des mots, dont
         nous nous servons, pour exprimer un mouvement ou un sentiment de notre âme, soit de joie,
         soit de tristesse, soit de crainte, soit d’aversion, etc. Tels sont les mots <hi rend="i"
          >ha</hi>, <hi rend="i">bon</hi>, <hi rend="i">aïe</hi>, <hi rend="i">ouf</hi>, <hi
          rend="i">hélas</hi>, <hi rend="i">hé</hi>, <hi rend="i">fi</hi>, etc. On s’en sert aussi
         pour exciter, encourager, avertir, appeler, etc., comme, <hi rend="i">ça</hi>, <hi rend="i"
          >allons</hi>, <hi rend="i">courage</hi>, <hi rend="i">gare</hi>, <hi rend="i">holà</hi>,
          <hi rend="i">hem</hi>, etc.</p>
        <p>Le mot <hi rend="i">que</hi> est souvent particule, et marque l’admiration, le reproche,
         le commandement, le souhait : = Que <hi rend="i">la campagne est belle !</hi> = Que <hi
          rend="i">n’obéissez-vous ?</hi> = Que <hi rend="i">chacun fasse son devoir</hi>. = Que <hi
          rend="i">tous vos désirs soient accomplis</hi>.</p>
        <p><hi rend="i">De</hi> est appelé particule en bien des circonstances, comme on aura
         occasion de le voir.</p>
       </div5>
      </div4>
      <div4 type="article">
       <head>Récapitulation des huit parties de l’oraison.</head>
       <p>Telles sont les huit espèces de mots qui composent le discours, et dont on ne saurait trop
        bien retenir les définitions que je vais rappeler ici.</p>
       <p>Le <hi rend="i">nom</hi> désigne les objets (c’est le <hi rend="i">substantif</hi>), ou en
        exprime quelque qualité (c’est l’<hi rend="i">adjectif</hi>).</p>
       <p>L’<hi rend="i">article</hi> tire les noms d’une signification vague, pour leur en donner
        une précise et déterminée.</p>
       <p>Le <hi rend="i">pronom</hi> tient la place d’un nom, en rappelle l’idée, et en fait éviter
        la répétition.</p>
       <pb n="86" xml:id="p86"/>
       <p>Le <hi rend="i">verbe</hi> exprime une action produite par un principe spirituel, ou par
        un principe matériel.</p>
       <p>La <hi rend="i">préposition</hi> marque les différents rapports que les choses ont les
        unes avec les autres.</p>
       <p>L’<hi rend="i">adverbe</hi> modifie la signification d’un autre mot, en exprimant quelque
        circonstance ou particularité qui accompagne ce mot.</p>
       <p>La <hi rend="i">conjonction</hi> sert à lier les mots, ou les différentes parties du
        discours.</p>
       <p>L’<hi rend="i">interjection</hi> exprime un mouvement ou un sentiment de notre âme.</p>
      </div4>
     </div3>
     <div3 type="chapter">
      <head type="sur">Chapitre II. </head>
      <head type="main"><hi rend="i">De l’arrangement des Mots</hi>.</head>
      <p>Plusieurs mots joints ensemble, et formant un sens, composent la phrase : = <hi rend="i">La
        modestie est au vrai mérite, ce que les ombres sont aux figures dans un tableau</hi> : = <hi
        rend="i">L’esprit de politesse est une certaine attention à faire que, par nos paroles et
        nos manières, les autres soient contents de nous et d’eux-mêmes</hi>.</p>
      <p>L’arrangement des mots et la construction des phrases, suivant les règles de la grammaire,
       sont ce qu’on appelle <hi rend="i">syntaxe</hi>. Avant d’exposer ces règles relativement à
       chaque espèce de mots, il est essentiel d’observer que, dans le discours, un nom <pb n="87"
        xml:id="p87"/>peut être employé de trois manières : 1°. au <hi rend="i">vocatif</hi>, mot
       qui vient du mot latin <hi rend="i">vocare</hi>, signifiant <hi rend="i">appeler</hi> : 2°.
       en sujet : 3°. en régime.</p>
      <p>Un nom est au <hi rend="i">vocatif</hi>, quand, par ce nom, on adresse la parole à une
       personne ou à une chose : = <hi rend="i">Souviens-toi</hi>, ô homme, <hi rend="i">que tu es
        poussière</hi> : = Glaive <hi rend="i">du Seigneur, quel coup venez-vous de frapper !</hi>
       Dans ces phrases, <hi rend="i">homme</hi> et <hi rend="i">glaive</hi> sont au vocatif.</p>
      <p>Un nom est employé en <hi rend="i">sujet</hi>, quand, par ce nom, on désigne la personne ou
       la chose, qui, comme je l’ai dit ailleurs, est le principe de l’action exprimée par le verbe.
       Il est employé en <hi rend="i">régime</hi>, lorsqu’il désigne l’objet ou le terme de cette
       action. Mais ce n’est point encore là une définition entière et complète de ce qu’on appelle
        <hi rend="i">régime</hi> dans le discours. La voici :</p>
      <div4 type="article">
       <head>Du Régime.</head>
       <p>Tous les mots qui composent une phrase, ont nécessairement un certain rapport entre eux,
        et dépendent les uns des autres. Mais il y en a toujours quelques-uns, dont le rapport et la
        dépendance sont plus marqués. Ce sont les mots qui régissent, et ceux qui sont régis. Je
        définirai donc le <hi rend="i">régime</hi> en général, un mot auquel la signification d’un
        autre mot, dont il dépend (celui-ci est le régissant), a particulièrement rapport : = <hi
         rend="i">Le luxe</hi> entraîne <hi rend="i">presque toujours la</hi> corruption <hi
         rend="i">des</hi> mœurs : = <hi rend="i">Le vrai chrétien</hi> désire <hi rend="i">le</hi>
        bonheur <hi rend="i">de ses</hi> ennemis. Ici les mots <hi rend="i">corruption</hi>, <hi
         rend="i">bonheur</hi>, dépendent des mots <hi rend="i">entraîne</hi>, <hi rend="i"
         >désire</hi> ; et la signification de ceux-ci tombe <pb n="88" xml:id="p88"
        />particulièrement sur les premiers. Par conséquent ; les mots <hi rend="i">corruption</hi>,
         <hi rend="i">bonheur</hi>, sont les régimes des mots <hi rend="i">entraîne</hi>, <hi
         rend="i">désire</hi>, qui en sont les régissans. Dites-en autant des mots, <hi rend="i"
         >mœurs</hi>, <hi rend="i">ennemis</hi>, relativement aux mots, <hi rend="i"
        >corruption</hi>, <hi rend="i">bonheur</hi>.</p>
       <p>On doit juger, par ce seul exemple, que les noms substantifs peuvent être régimes et
        régissants. Il en est de même des noms adjectifs, des pronoms et des verbes. En voici des
        exemples : = <hi rend="i">À la lecture de ce discours, on</hi> reconnaît <hi rend="i">le
         plus</hi> éloquent <hi rend="i">de nos</hi> orateurs. Voilà l’adjectif <hi rend="i"
         >éloquent</hi>, régime du verbe <hi rend="i">reconnaît</hi>, et en même temps régissant du
        substantif <hi rend="i">orateurs</hi>. <hi rend="i">J’ai acheté les deux ouvrages nouveaux,
         et je</hi> lis <hi rend="i">en ce moment</hi> celui <hi rend="i">de votre</hi> ami. Voilà
        le pronom <hi rend="i">celui</hi>, régime du verbe <hi rend="i">lis</hi>, et en même temps
        régissant du substantif <hi rend="i">ami</hi> : = <hi rend="i">Votre frère</hi> veut un <hi
         rend="i">peu trop tard</hi> apprendre <hi rend="i">à</hi> danser. Voilà le verbe <hi
         rend="i">apprendre</hi>, régime du verbe <hi rend="i">veut</hi>, et en même temps régissant
        du verbe <hi rend="i">danser</hi>. Les prépositions sont toujours, et de leur nature, des
        mots régissants.</p>
      </div4>
      <div4 type="article">
       <head>Régime simple, régime composé.</head>
       <p>Il y a deux sortes de régimes, dont il est très important de bien saisir la différence ;
        le régime <hi rend="i">simple</hi> ou <hi rend="i">absolu</hi>, et le régime <hi rend="i"
         >composé</hi> ou <hi rend="i">relatif</hi>.</p>
       <p>Le régime est <hi rend="i">simple</hi>, quand il y a un rapport direct entre le mot régi,
        et le mot régissant : il n’est jamais précédé d’aucune préposition exprimée ou
        sous-entendue : = <hi rend="i">Cultivons les</hi> arts, <hi rend="i">et lisons les
         beaux</hi> ouvrages. Ici l’action de <hi rend="i">cultiver</hi>, et celle <pb n="89"
         xml:id="p89"/>de <hi rend="i">lire</hi> se rapportent ou se terminent directement aux <hi
         rend="i">arts</hi> et aux beaux <hi rend="i">ouvrages</hi>. Ainsi ce régime ne peut
        convenir qu’au verbe actif.</p>
       <p>Le régime est <hi rend="i">composé</hi>, quand il n’y a qu’un rapport indirect entre le
        mot régi et le régissant : il est toujours précédé d’une préposition exprimée ou
        sous-entendue : = <hi rend="i">Profitons</hi> de l’exemple <hi rend="i">qui</hi> nous <hi
         rend="i">est offert</hi>. Le mot <hi rend="i">exemple</hi> a sa préposition exprimée, et
         <hi rend="i">nous</hi> l’a sous-entendue, puisqu’on peut le tourner par <hi rend="i">à
         nous</hi>. Ici l’action de <hi rend="i">profiter</hi> et celle d’<hi rend="i">offrir</hi>
        ne se rapportent ou ne se terminent qu’indirectement aux mots <hi rend="i">exemple</hi> et
         <hi rend="i">nous</hi>.</p>
       <p>Il arrive souvent qu’un nom substantif, quoique <hi rend="i">de</hi> le précède, est en
        régime simple, parce qu’alors <hi rend="i">de</hi> n’est que le particule. C’est pourquoi il
        faut ne pas confondre <hi rend="i">de</hi> particule, avec <hi rend="i">de</hi>
        préposition : voici pour cela un principe sûr.</p>
       <p>Quand un nom substantif, que <hi rend="i">de</hi> précède, peut répondre à la question <hi
         rend="i">qui ?</hi> ou <hi rend="i">quoi ?</hi> il est en régime simple ; et <hi rend="i"
         >de</hi> est alors particule. Quand ce même nom peut répondre à la question <hi rend="i">de
         qui ?</hi> ou <hi rend="i">de quoi ?</hi> il est en régime composé ; et <hi rend="i"
         >de</hi> est alors préposition. Dans cette phrase : <hi rend="i">Il est quelquefois permis
         de manger</hi> de la viande <hi rend="i">en carême</hi> ; <hi rend="i">viande</hi> est en
        régime simple, et <hi rend="i">de</hi> est particule, parce qu’on peut dire : <hi rend="i"
         >il est quelquefois permis de manger</hi>, quoi ? <hi rend="i">de la viande</hi>. Dans
        celle-ci : <hi rend="i">il faut s’abstenir</hi> de la viande <hi rend="i">en carême</hi> ;
         <hi rend="i">viande</hi> est en régime composé, et <hi rend="i">de</hi> est préposition,
         <pb n="90" xml:id="p90"/>parce qu’on peut dire, <hi rend="i">il faut s’abstenir</hi>, de
        quoi ? <hi rend="i">de la viande</hi>.</p>
      </div4>
      <div4 type="article">
       <head type="sur"><hi rend="sc">Article I</hi>. </head>
       <head type="main"><hi rend="i">Observations sur l’Article</hi>.</head>
       <p>L’article devant être placé avant les noms, pour leur donner un sens précis et déterminé,
        il s’ensuit que les noms qu’on emploie dans un sens vague et indéterminé, n’ont pas besoin
        de l’article, ainsi qu’on le voit dans ces vers de <hi rend="i">Corneille</hi> :</p>
       <quote>
        <l>À vaincre sans péril, on triomphe sans gloire…..</l>
        <l>Vous parlez en soldat : je dois agir en roi.</l>
       </quote>
       <p>Dans le premier vers, le poète n’exprime que vaguement et indéterminément le <hi rend="i"
         >péril</hi> qu’il y a à <hi rend="i">vaincre</hi>, la <hi rend="i">gloire</hi> qu’il y a à
         <hi rend="i">triompher</hi>. Dans le second vers, il ne désigne ni les <hi rend="i"
         >soldats</hi>, les <hi rend="i">rois</hi> pris universellement ; ni aucun <hi rend="i"
         >soldat</hi>, aucun <hi rend="i">roi</hi> pris individuellement.</p>
       <div5 type="section">
        <head>Suppression de l’article.</head>
        <p>On supprime encore l’article avant les noms communs, pris dans une partie indéterminée de
         leur signification, lorsque ces noms sont précédés de leur adjectif, ou d’un adverbe qui
         renferme une idée de quantité : = <hi rend="i">Quand on a</hi> des <hi rend="i"
          >connaissances étendues</hi>, de <hi rend="i">grands sentiments, et beaucoup</hi> de <hi
          rend="i">jugement, on peut se consoler d’avoir peu</hi> de <hi rend="i">fortune</hi>. Les
         noms substantifs, <hi rend="i">connaissances</hi>, <hi rend="i">sentiments</hi>, <hi
          rend="i">jugement</hi>, <hi rend="i">fortune</hi>, sont pris ici dans un sens partitif et
         indéterminé, puisqu’on prétend désigner, <pb n="91" xml:id="p91"/>non toutes les <hi
          rend="i">connaissances</hi>, tous les <hi rend="i">sentiments</hi>, tous le <hi rend="i"
          >jugement</hi>, toute la <hi rend="i">fortune</hi> imaginables ; mais seulement quelques
          <hi rend="i">connaissances</hi>, quelques <hi rend="i">sentiments</hi>, quelque portion de
          <hi rend="i">jugement</hi> et de <hi rend="i">fortune</hi>, sans vouloir cependant les
         spécifier. Je mets donc l’article particulé <hi rend="i">des</hi> pour <hi rend="i">de
          les</hi>, avant <hi rend="i">connaissances</hi>, parce que ce nom n’est point précédé de
         son adjectif ; et par la raison contraire, je le supprime avant <hi rend="i"
          >sentiments</hi>. Je le supprime aussi avant <hi rend="i">jugement</hi> et <hi rend="i"
          >fortune</hi>, parce que ces noms sont précédés des adverbes de quantité, <hi rend="i"
          >peu</hi>, <hi rend="i">beaucoup</hi>.</p>
        <p>Ainsi <hi rend="i">Racine</hi> a fait une faute, en disant dans sa tragédie de <hi
          rend="i">Mithridate</hi> ; <hi rend="i">qui sait si ce roi</hi></p>
        <quote>
         <l>N’accuse point le ciel qui le laisse outrager,</l>
         <l>Et <hi rend="i">des</hi> indignes fils qui n’osent le venger.</l>
        </quote>
        <p>Il aurait fallu <hi rend="i">d’indignes fils</hi>.</p>
        <p>J’ai dit que les noms substantifs, précédés de leur adjectif, et avant lesquels on
         supprime l’article, doivent être pris dans un sens partitif et indéterminé ; comme dans cet
         exemple : <hi rend="i">Cet homme n’est pas dépourvu</hi> de <hi rend="i">grands
          talents</hi>. Mais s’ils sont employés dans un sens déterminé, il faut mettre l’article :
         = <hi rend="i">Cet homme n’est pas dépourvu</hi> des <hi rend="i">grands talents qu’exige
          sa place</hi>. Le substantif, <hi rend="i">talents</hi>, a ici un sens déterminé, que ces
         mots, <hi rend="i">qu’exige sa place</hi>, servent à lui donner.</p>
        <p>On dira aussi sans l’article : <hi rend="i">ce marchand a fait l’acquisition</hi> de <hi
          rend="i">belles étoffes, qu’il <pb n="92" xml:id="p92"/>a achetées à un pris
         modique</hi> ; parce que le substantif, <hi rend="i">étoffes</hi>, est pris dans un sens
         indéterminé. Ces mots, <hi rend="i">qu’il a achetées à un prix modique</hi>, ne renfermant
         qu’une idée accessoire, qui n’est pas nécessairement liée à la première, ne peuvent servir
         à donner à ce substantif une signification déterminée. Mais on dira avec l’article : <hi
          rend="i">ce marchand s’est défait avantageusement</hi> des <hi rend="i">belles étoffes
          qu’il avait achetées à un prix modique</hi>. Le substantif, <hi rend="i">étoffes</hi>, est
         employé ici dans un sens déterminé, que ces mots, <hi rend="i">qu’il avait achetées à un
          prix modique</hi>, servent à lui donner, parce qu’ils renferment une idée nécessairement
         liée à la première.</p>
        <p>La règle, que je viens d’exposer, est sûre, et ne souffre que deux exceptions :</p>
       </div5>
       <div5 type="section">
        <head>Emploi de l’article.</head>
        <p>1°. Quant à l’adjectif qui précéde son substantif, lorsqu’ils forment tous deux un sens
         indivisible. Il faut alors mettre l’article : = <hi rend="i">Cet homme a</hi> des <hi
          rend="i">belles-lettres</hi> ; c’est-à-dire, <hi rend="i">de la littérature</hi> ; = <hi
          rend="i">il voit</hi> des <hi rend="i">beaux esprits</hi>, des <hi rend="i">grands
          Seigneurs</hi> ; c’est-à-dire, <hi rend="i">des gens de lettres</hi>, <hi rend="i">des
          gens de qualité</hi>.</p>
        <p>2°. Quant aux adverbes de quantité <hi rend="i">pas</hi> et <hi rend="i">point</hi>,
         lorsque, sans influer sur le nom substantif qu’ils précédent, ils tombent sur un autre mot.
         On doit alors employer l’article, comme l’a fait <hi rend="i">Racine</hi> dans ce vers de
         sa tragédie de <hi rend="i">Bajazet</hi> :</p>
        <quote>
         <l>Je ne vous ferai point <hi rend="i">des</hi> reproches frivoles.</l>
        </quote>
        <p>c’est Roxane qui parle à Bajazet, à qui elle <pb n="93" xml:id="p93"/>fait des reproches
         dans toute cette scène. Elle ne veut donc pas dire qu’elle ne lui fera <hi rend="i">point
          de reproches</hi> ; mais qu’elle ne lui fera <hi rend="i">point</hi> de ces <hi rend="i"
          >reproches</hi> qui ne seraient que <hi rend="i">frivoles</hi>. Ainsi l’adverbe <hi
          rend="i">point</hi> n’influe pas sur le substantif <hi rend="i">reproches</hi> : il ne
         tombe que sur le verbe <hi rend="i">ferai</hi>. La même remarque doit avoir lieu sur ce
         vers du même poète, dans sa tragédie de <hi rend="i">Phèdre</hi> :</p>
        <quote>
         <l>Madame, je n’ai point <hi rend="i">des</hi> sentiments si bas.</l>
         <l>c’est-à-dire, de ces <hi rend="i">sentiments</hi> qui seraient si bas.</l>
        </quote>
        <p><hi rend="i">Bien</hi>, mis pour <hi rend="i">beaucoup</hi>, n’est pas précisément un
         adverbe qui renferme une idée de quantité : mais il signifie seulement <hi rend="i">en
          abondance</hi>, <hi rend="i">largement</hi>. Ainsi il doit être suivi de l’article : = <hi
          rend="i">Cet homme a beaucoup</hi> de <hi rend="i">vertu</hi>, et <hi rend="i">bien</hi>
         de la <hi rend="i">vertu</hi> ; <hi rend="i">beaucoup</hi> de <hi rend="i">courage</hi>, et
          <hi rend="i">bien</hi> du <hi rend="i">courage</hi>.</p>
       </div5>
       <div5 type="section">
        <head>Remarque essentielle.</head>
        <p>Il y a encore une observation bien essentielle à faire sur cette règle, qui veut qu’on
         n’emploie pas l’article avant un nom précédé de son adjectif. Elle ne souffre à cet égard
         aucune difficulté, quand ce nom est au pluriel. Mais doit-elle être observée, quand ce nom
         est au singulier ? C’est ce que les grammairiens n’ont pas dit.</p>
        <p><hi rend="i">Restaut</hi>, observateur de cette règle, n’emploie pas l’article : il dit
         dans sa <hi rend="i">Grammaire</hi>, pag. 465 et 466 : de <hi rend="i">bon pain et</hi> de
          <hi rend="i">bonne eau suffisent pour la nourriture du corps humain</hi>. <hi rend="i">Les
          gens de guerre sont souvent réduits à</hi> de <hi rend="i">mauvais pain et à</hi> de <hi
          rend="i">mauvaise <pb n="94" xml:id="p94"/>viande</hi>. <hi rend="i">Pour bien écrire, il
          faut</hi> de <hi rend="i">bon papier et</hi> de <hi rend="i">bonne encore</hi>.</p>
        <p>L’abbé <hi rend="i">Girard</hi> au contraire, violateur de cette règle, fait usage de
         l’article : il dit, dans ses <hi rend="i">Principes de la langue française</hi>, tom. 2,
         pag. 22 : <hi rend="i">j’ai fait ce matin</hi> de la <hi rend="i">bonne besogne</hi>.
         Venons à une autorité bien plus respectable, et la seule capable de fixer notre
         incertitude.</p>
        <p>L’Académie française, dans son <hi rend="i">Dictionnaire</hi>, édit. de Paris 1762, dit
         au mot <hi rend="i">papier</hi> : du <hi rend="i">grand papier</hi> ; du <hi rend="i">petit
          papier</hi> ; et au mot <hi rend="i">viande</hi>, elle dit : de <hi rend="i">bonne
          viande</hi> ; de <hi rend="i">belle viande</hi>. Pourquoi le premier nom est-il précédé de
         l’article particulé <hi rend="i">du</hi> ? et pourquoi le second n’est-il précédé que de la
         particule <hi rend="i">de</hi> ? Dirait-on que c’est à cause de la différence du genre,
         différence qui, comme cela arrive quelquefois, pourrait ici changer la règle établie ? Mais
         la même Académie, dans le même ouvrage, après avoir employé l’article avant un nom
         masculin, le supprime avant un autre nom de ce genre : après avoir dit, du <hi rend="i"
          >petit papier</hi>, elle dit au mot <hi rend="i">sang</hi> : <hi rend="i">cela fait
          faire</hi> de <hi rend="i">mauvais sang</hi>. Ne sommes-nous donc pas en droit de conclure
         que cette règle ne regarde point les noms qui sont au singulier, et qu’on peut
         indifféremment employer, ou ne pas employer l’article avant ces noms ?</p>
       </div5>
       <div5 type="section">
        <head>Observation sur une remarque de Wailly</head>
        <p><hi rend="i">Wailly</hi>, qui m’a cité dans la nouvelle édition de sa Grammaire (1786),
         touche légèrement cette question, pag. 123 ; et <pb n="95" xml:id="p95"/>il tranche la
         difficulté, en disant qu’<hi rend="i">il faut regarder</hi> du grand papier, <hi rend="i"
          >comme une faute d’impression</hi>. Mais dans ce même Dictionnaire, même édit. de Paris
         1762, nous lisons au mot <hi rend="i">écrire</hi> : <quote><hi rend="i">On dit figurément
           et familièrement écrire</hi> de bonne encre, de la bonne encre <hi rend="i">à quelqu’un,
           pour dire, lui écrire fortement sur quelque chose.</hi></quote> Nous lisons au mot <hi
          rend="i">encre</hi> : <quote><hi rend="i">on dit figurément et familièrement, écrire</hi>
          de bonne encre, de la bonne encre <hi rend="i">à quelqu’un, pour dire, en termes forts et
           pressants, et même menaçants</hi></quote>. Faudra-t-il aussi regarder cet exemple,
         rapporté en deux endroits différents, comme une faute d’impression ? J’en citerai ici un
         autre, où un substantif singulier, sans adjectif, est mis avec l’article et sans l’article.
         La même Académie dit au mot <hi rend="i">faire</hi> : <hi rend="i">il ne faut faire de
          peine</hi>, de la peine <hi rend="i">à personne</hi>.</p>
       </div5>
       <div5 type="section">
        <head>Autre emploi de l’article.</head>
        <p>Quoiqu’on emploie principalement l’article, pour déterminer la signification des noms
         communs, soit, comme je l’ai dit ailleurs, qu’on veuille par ces noms exprimer toute une
         espèce de choses, soit qu’on ne veuille désigner qu’une ou plusieurs parties de cette
         espèce, on le met cependant quelquefois avant les noms propres d’hommes. Mais faut-il alors
         mettre ces noms au singulier, ou au pluriel ? Pour résoudre cette question, j’adopterai
         bien volontiers la distinction que fait l’abbé <hi rend="i">Girard</hi>. En voici le sens,
         avec les exemples qu’il cite.</p>
        <p>Si ces substantifs ne servent, <pb n="96" xml:id="p96"/>précisément, qu’à distinguer les
         personnes par leur nom, ils doivent être mis au singulier. On dira donc : les <hi rend="i"
          >deux</hi> Corneille <hi rend="i">se sont distingués dans la républiques des
         lettres</hi> : = <hi rend="i">il est peu de magistrats aussi anciens dans la robe, que</hi>
         les Nicolaï, <hi rend="i">et</hi> les Lamoignon : = <hi rend="i">c’est ainsi que se sont
          conduits les plus grands capitaines, tels que</hi> les Scipion, les Turenne, <hi rend="i"
          >et</hi> les Maurice. Mais si par ces noms de personne, on veut exprimer une qualité, on
         doit alors les mettre au pluriel. On dira donc : <hi rend="i">ces deux princes ont été</hi>
         les Alexandres <hi rend="i">de leur siècle : ils sont tous braves comme</hi> des
         Césars.</p>
        <p>L’article accompagne encore les adjectifs placés avant ou après un nom propre. = <hi
          rend="i">Henri</hi> le <hi rend="i">Grand</hi> ; le <hi rend="i">grand Henri</hi> ; <hi
          rend="i">Louis</hi> le <hi rend="i">grand</hi> ; le <hi rend="i">grand Louis</hi>. Mais il
         est bon d’observer, après <hi rend="i">Duclos</hi>, que, dans ces cas, l’adjectif mis avec
         l’article avant le nom propre, ne sert qu’à qualifier cette personne dont on parle : placé
         après, il sert à la distinguer de celles qui portent le même nom. Ainsi, <hi rend="i">le
          riche Luculle</hi>, veut dire seulement, <hi rend="i">Luculle qui est riche</hi>, sans
         marquer qu’il y a plus d’un <hi rend="i">Luculle</hi>. Au contraire, <hi rend="i">Luculle
          le riche</hi>, marque qu’il y a plusieurs <hi rend="i">Luculle</hi>, dont celui-ci est
         distingué par ses richesses, étant comme <hi rend="i">le riche</hi> d’entre les <hi
          rend="i">Luculle</hi>.</p>
        <p>Si un substantif est accompagné de plusieurs adjectifs, qui expriment des qualités
         opposées, il faut, avant chaque adjectif, répéter l’article, soit simple, soit <pb n="97"
          xml:id="p97"/>particulé : = les <hi rend="i">pauvres et</hi> les <hi rend="i">riches
          citoyens sont égaux dans le sanctuaire de la justice</hi> : = <hi rend="i">votre ami a une
          profonde connaissance</hi> de la <hi rend="i">géographie ancienne et</hi> de la <hi
          rend="i">moderne</hi>. Mais si ces adjectifs n’expriment point des qualités opposées, on
         peut supprimer l’article avant le second. Ainsi l’on dira fort bien avec l’abbé <hi
          rend="i">Girard</hi> : <quote>les grands <hi rend="i">et</hi> vastes <hi rend="i">projets,
           joints à la prompte exécution, font le grand ministre</hi></quote>.</p>
        <p>L’article particulé se répète aussi avant plusieurs superlatifs relatifs, quand ils
         précèdent leur substantif. = <hi rend="i">Votre oncle vous a fait une donation</hi> de la
          <hi rend="i">plus grande</hi>, de la <hi rend="i">plus riche</hi>, de la <hi rend="i">plus
          belle terre qu’il possédait</hi>.</p>
       </div5>
       <div5 type="section">
        <head>Suppression élégante de l’article.</head>
        <p>Quoique l’article doive précéder les noms qu’on veut employer dans un sens précis et
         déterminé, on peut cependant le supprimer avant ces noms, pour rendre la diction plus vive.
         Quand on dit, par exemple : <hi rend="i">pauvreté n’est pas vice</hi>, on s’exprime bien
         plus vivement, que si l’on disait : la <hi rend="i">pauvreté n’est pas</hi> un <hi rend="i"
          >vice</hi>. Voyez aussi cette phrase de <hi rend="i">Fléchier</hi> : <quote><hi rend="i"
           >citoyens, étrangers, ennemis, peuples, rois, empereurs le plaignent et le
          révèrent</hi></quote>. Elle a bien plus de vivacité, d’énergie et de grâce, qu’elle n’en
         aurait eu, si l’orateur, faisant usage de l’article, avait dit : <hi rend="i">les
          citoyens</hi>, les <hi rend="i">étrangers</hi>, les <hi rend="i">ennemis</hi>, les <hi
          rend="i">peuples</hi>, les <hi rend="i">rois</hi>, les <hi rend="i">empereurs le plaignent
          et le révèrent</hi>.</p>
        <p>On verra également en mille occasions, que la suppression ou l’emploi de l’article, avant
         un nom substantif, précédé d’un verbe, <pb n="98" xml:id="p98"/>change entièrement le sens
         de l’expression. Par exemple, <hi rend="i">entendre la raillerie</hi>, signifie savoir bien
         railler. <hi rend="i">Entendre raillerie</hi>, signifie souffrir les railleries sans se
         fâcher.</p>
       </div5>
       <div5 type="section">
        <head><hi rend="i">Le</hi>, quelquefois article, quelquefois formant un adverbe.</head>
        <p>Remarquons ici que <hi rend="i">le</hi>, placé avant <hi rend="i">plus</hi>, <hi rend="i"
          >moins</hi>, <hi rend="i">mieux</hi>, suivis d’un adjectif, est quelquefois article, et
         quelquefois ne l’est pas. Si cet adjectif n’emporte pas proprement de comparaison, <hi
          rend="i">le</hi> n’est pas article. Mais il forme un adverbe avec <hi rend="i">plus</hi>,
          <hi rend="i">moins</hi>, ou <hi rend="i">mieux</hi>, et ne prend, par conséquent, ni genre
         ni nombre : = <hi rend="i">ne nous lassons point de faire du bien à nos semblables, lors
          même qu’ils sont</hi> le plus <hi rend="i">ingrats</hi>. On voit ici que l’ingratitude des
         hommes, dont il est question, n’est point comparée à celle de quelques autres hommes.
         D’ailleurs, l’article doit toujours accompagner immédiatement un nom substantif exprimé ou
         sous-entendu. Or il n’y en a point avant <hi rend="i">le plus ingrats</hi>.</p>
        <p>Si l’adjectif superlatif exprime un rapport, une comparaison, <hi rend="i">le</hi> est
         article, et prend le genre et le nombre : = <hi rend="i">on ne condamna pas tous les
          criminels ; on punit seulement</hi> les <hi rend="i">plus coupables</hi>. Ici le
         superlatif renferme une comparaison ; et le substantif <hi rend="i">criminels</hi> est
         sous-entendu avant <hi rend="i">les plus coupables</hi>.</p>
       </div5>
      </div4>
      <div4 type="article">
       <pb n="99" xml:id="p99"/>
       <head type="sur"><hi rend="sc">Article II. </hi></head>
       <head type="main"><hi rend="i">Observations sur le Substantif et l’Adjectif.</hi></head>
       <div5 type="section">
        <head>Accord du substantif et de l’adjectif.</head>
        <p>L’adjectif doit se mettre au même genre et au même nombre que le substantif auquel il se
         rapporte. Les participes suivent la règle des adjectifs, lorsqu’ils en font les fonctions :
         = <hi rend="i">je connais des</hi> hommes savants, <hi rend="i">des</hi> femmes prudentes :
         = <hi rend="i">j’ai lu un</hi> discours <hi rend="i">bien</hi> écrit, <hi rend="i">une</hi>
         tragédie <hi rend="i">bien</hi> conduite. Cette règle a quelques exceptions.</p>
       </div5>
       <div5 type="section">
        <head>Exceptions à cette règle.</head>
        <p>L’adjectif <hi rend="i">nu</hi> ne prend ni genre ni nombre en certaines occasions. On
         dit, nu-<hi rend="i">pieds</hi>, nu-<hi rend="i">jambes</hi>, nu-<hi rend="i">tête</hi>.
         Mais si on le place après ces substantifs, il faut suivre la règle ordinaire, et dire, <hi
          rend="i">les pieds</hi> nus, <hi rend="i">les jambes</hi> nues, <hi rend="i">la tête</hi>
         nue.</p>
        <p><hi rend="i">Demi</hi>, avant son substantif, est aussi sans genre et sans nombre : = <hi
          rend="i">une</hi> demi-<hi rend="i">heure</hi> ; <hi rend="i">une</hi> demi-<hi rend="i"
          >douzaine</hi>. Mais si on le met après, on le construit en genre avec le substantif,
         auquel il est lié par la conjonction <hi rend="i">et</hi> : = <hi rend="i">une heure
          et</hi> demie ; <hi rend="i">une douzaine et</hi> demie. Cet adjectif n’a point de
         pluriel : mais, suivant l’Académie, il s’emploie quelquefois comme substantif ; et alors il
         reçoit ce nombre. Ainsi l’on dit : <hi rend="i">cette horloge, cette montre sonne les
          heures et les</hi> demies : = <hi rend="i">la</hi> demie <hi rend="i">est-elle
          sonnée ?</hi></p>
        <p>L’adjectif <hi rend="i">feu, feue</hi>, qui n’a jamais de pluriel, ne prend point de
         genre, lorsqu’il est mis avant l’article ou un pronom possessif : = feu <hi rend="i">la
          reine</hi> ; feu <hi rend="i">votre mère</hi>. S’il <pb n="100" xml:id="p100"/>est mis
         après, il prend le genre : <hi rend="i">la</hi> feue <hi rend="i">reine</hi> ; <hi rend="i"
          >votre</hi> feue <hi rend="i">mère</hi>.</p>
        <p>Il y a des adjectifs qui sont pris adverbialement, et alors ils sont toujours au
         masculin : = <hi rend="i">cette femme chante</hi> faux : = <hi rend="i">elle parle</hi>
         haut : = <hi rend="i">elles restèrent</hi> court.</p>
       </div5>
       <div5 type="section">
        <head>Adjectif se rapportant à plusieurs substantifs.</head>
        <p>Si l’adjectif se rapporte à plusieurs substantifs, quoiqu’au singulier et de divers
         genres, on le met au pluriel et au genre masculin, comme étant un genre plus noble que le
         féminin : = <hi rend="i">j’ai vu votre père et votre mère très</hi> contents <hi rend="i"
          >de vous</hi>. Si, néanmoins, ces substantifs sont de choses inanimées, et qu’ils soient
         immédiatement suivis de l’adjectif, celui-ci prend alors le genre et le nombre du dernier
         substantif : = <hi rend="i">ce général avait dans son armée un pouvoir, et une
          autorité</hi> absolue. Il serait contre le bon usage de dire : <hi rend="i">un pouvoir et
          une autorité</hi> absolus.</p>
        <p>L’adjectif qui se rapporte au pronom <hi rend="i">vous</hi>, et joint à un verbe qui est
         au pluriel, se met au singulier, quand on n’adresse la parole qu’à une personne. On dira
         donc en ce sens : <hi rend="i">vous êtes</hi> sage <hi rend="i">et</hi> modeste, et non <hi
          rend="i">sages et modestes</hi>.</p>
       </div5>
       <div5 type="section">
        <head>Construction des adjectifs qui sont au comparatif ou au superlatif.</head>
        <p>On construit les adjectifs qui sont au comparatif, ou au superlatif, de la même manière
         que quand ils n’y sont point. Ainsi de même que l’on diroit : <hi rend="i">Paris est
          une</hi> des villes considérables <hi rend="i">de l’Europe</hi> ; il faut dire : <hi
          rend="i">Paris est une</hi> des villes les plus considérables <hi rend="i">de
          l’Europe</hi>, et non, <hi rend="i">des plus considérables</hi>.</p>
        <p>Dites également : <hi rend="i">la science relative à <pb n="101" xml:id="p101"/>l’état
          que nous devons embrasser, est un des objets</hi> les plus dignes <hi rend="i">de notre
          application</hi>, et non, <hi rend="i">le plus digne</hi>, comme le prétend <hi rend="i"
          >Restaut</hi>. Son sentiment a été désapprouvé par tous les Grammairiens. Il est en effet
         contraire à la règle, qui veut qu’un adjectif s’accorde avec le substantif auquel il se
         rapporte. Or dans l’exemple cité, <hi rend="i">dignes</hi> se rapporte à <hi rend="i"
          >objets</hi>, et non au mot <hi rend="i">un</hi>, parce que le sens de cette phrase n’est,
         ni ne peut être, que cette science est <hi rend="i">l’objet le plus digne de notre
          application</hi>. On veut dire seulement qu’elle doit être mise au nombre <hi rend="i">des
          objets qui sont les plus dignes de notre application</hi>.</p>
        <p>C’est par cette même raison que l’on dira : <hi rend="i">voilà un</hi> des hommes qui ont
          <hi rend="i">le mieux</hi> servi <hi rend="i">l’État</hi> ; <hi rend="i">une</hi> des
         femmes qui ont <hi rend="i">le plus d’esprit</hi> ; <hi rend="i">un</hi> des <hi rend="i"
          >plus beaux</hi> ouvrages qui aient été publiés <hi rend="i">depuis longtemps</hi>.</p>
        <p>Mais je dois observer ici que quelquefois ce relatif <hi rend="i">qui</hi> se rapporte au
         mot <hi rend="i">un</hi>, et qu’alors étant au singulier, il veut au même nombre le verbe
         dont il est le sujet. En voici des exemples : = <hi rend="i">c’est</hi> un <hi rend="i">de
          nos meilleurs grammairiens</hi>, qui a fait <hi rend="i">cette faute</hi> : = <hi rend="i"
          >c’est</hi> un <hi rend="i">de nos plus grands généraux</hi>, qui a remporté <hi rend="i"
          >cette victoire mémorable</hi> : = <hi rend="i">c’est</hi> un <hi rend="i">de nos plus
          habiles politiques</hi>, qui a établi <hi rend="i">la balance de l’Europe</hi>. Il est
         bien clair qu’on ne veut pas dire dans ces phrases que <hi rend="i">nos meilleurs
          grammairiens ont fait cette faute</hi> ; que <hi rend="i">nos plus grands généraux ont
          remporté cette victoire</hi> ; que <hi rend="i">nos plus habiles politiques ont établi la
          balance de l’Europe</hi>. Il n’est question ici que <pb n="102" xml:id="p102"/>d’un seul
         de ces personnages, chacun dans son genre.</p>
       </div5>
       <div5 type="section">
        <head>Place des adjectifs.</head>
        <p>Il faut consulter l’oreille et l’harmonie, pour placer l’adjectif avant ou après son
         substantif Par exemple, quoiqu’on puisse dire indifféremment : <hi rend="i">un habit
          vieux</hi>, ou <hi rend="i">un vieux habit</hi> ; il faudra dire : <hi rend="i">un habit
          neuf</hi>, et non, <hi rend="i">un neuf habit</hi>, parce que cette dernière construction
         formerait un son désagréable à l’oreille.</p>
        <p>Les participes, faisant la fonction des adjectifs, doivent en général être mis après leur
         substantif. Ainsi, au lieu de dire, <hi rend="i">un redouté monarque</hi>, dites, <hi
          rend="i">un monarque redouté</hi>.</p>
        <p>Il en est de même des adjectifs qui expriment la figure, la couleur, la saveur, la
         matière, une qualité de l’ouïe et du tact. On dit, <hi rend="i">une table ronde</hi> ; <hi
          rend="i">une étoffe rouge</hi> ; <hi rend="i">une herbe amère</hi> ; <hi rend="i">un
          lambris doré</hi> ; <hi rend="i">une voix basse</hi> ; <hi rend="i">une église
         sonore</hi> ; <hi rend="i">un marbre dur</hi> ; <hi rend="i">un chemin pierreux</hi>, etc.
         Il y a cependant quelques circonstances, où cette règle n’est pas de rigueur, puisque l’on
         dit fort bien, <hi rend="i">une verte prairie</hi> ; <hi rend="i">la blanche colombe</hi> ;
          <hi rend="i">la molle arène</hi> ; <hi rend="i">une dure enclume</hi>, etc.</p>
        <p>Il ne faut pas joindre à des substantifs, des adjectifs qui ne peuvent pas leur convenir.
         Par exemple, les adjectifs <hi rend="i">pardonnable</hi> et <hi rend="i">déplorable</hi>,
         se disent, suivant l’Académie, des choses, et non des personnes. On dira bien : <hi
          rend="i">votre faute n’est pas pardonnable</hi> : <hi rend="i">le sort de votre ami est
          déplorable</hi>. Mais on ne pourra pas dire : <hi rend="i">vous <pb n="103" xml:id="p103"
          />n’êtes pas</hi> pardonnable : <hi rend="i">votre ami est</hi> déplorable. Il faudrait
         plutôt dire : <hi rend="i">vous n’êtes pas</hi> excusable : <hi rend="i">votre ami est</hi>
         à plaindre. Ainsi ce vers de <hi rend="i">Racine</hi> n’est pas correct :</p>
        <quote>
         <l>Vous voyez, devant vous, un prince <hi rend="i">déplorable</hi>.</l>
        </quote>
       </div5>
       <div5 type="section">
        <head>Noms de nombre.</head>
        <p>Quand un nom de nombre est précédé du pronom relatif <hi rend="i">en</hi>, on met
         élégamment la préposition <hi rend="i">de</hi> avant l’adjectif ou le participe qui se
         rapporte à ce nom : = <hi rend="i">on</hi> en <hi rend="i">compte trois</hi> de <hi
          rend="i">tués et six</hi> de <hi rend="i">blessés</hi> : = <hi rend="i">il y en a
          deux</hi> de <hi rend="i">médiocres et quatre</hi> de <hi rend="i">mauvais</hi>.</p>
        <p>Les noms de nombre adjectifs, <hi rend="i">cent</hi> et <hi rend="i">vingt</hi> ont un
         pluriel. Ainsi l’on dit : vingt <hi rend="i">hommes</hi>, cent <hi rend="i">hommes</hi>, et
          <hi rend="i">quatre-vingts hommes</hi>, <hi rend="i">deux</hi> cents <hi rend="i"
          >hommes</hi>. Mais s’ils précédent un autre nom de nombre, ils restent au singulier. Il
         faut donc les écrire sans <hi rend="i">s</hi> dans <hi rend="i">quatre-vingt-dix</hi>, <hi
          rend="i">deux</hi> cent <hi rend="i">cinquante</hi>, etc.</p>
        <p><hi rend="i">Mille</hi>, nom de nombre adjectif, n’a pas de pluriel, et par conséquent ne
         prend point <hi rend="i">s</hi> dans <hi rend="i">dix</hi> mille <hi rend="i">écus</hi> ;
         mille <hi rend="i">amitiés</hi>. On écrit <hi rend="i">mil</hi> pour la date des années : =
          <hi rend="i">l’hiver fut très rude en</hi> mil <hi rend="i">sept cent neuf</hi>.</p>
        <p>Mais <hi rend="i">mille</hi>, nom substantif, signifiant une étendue de mille pas, a un
         pluriel. Ainsi il faut une <hi rend="i">s</hi> finale dans <hi rend="i">deux</hi> milles,
          <hi rend="i">trois</hi> milles d’<hi rend="i">Allemagne</hi>.</p>
        <p>Les noms de nombre, <hi rend="i">deux</hi>, <hi rend="i">trois</hi>, et <hi rend="i"
          >cinq</hi>, ne peuvent pas s’employer avec le substantif <hi rend="i">francs</hi>. Il faut
         dire : <hi rend="i">deux livres</hi>, <hi rend="i">trois livres</hi>, <hi rend="i">cinq
          livres</hi>.</p>
        <p>Je remarquerai ici qu’on peut se servir <pb n="104" xml:id="p104"/>de ce substantif, <hi
          rend="i">francs</hi>, avec tous les autres nombres, à moins qu’ils ne soient suivis d’une
         fraction. On peut dire : <hi rend="i">six francs</hi>, et l’on doit dire : <hi rend="i">six
          livres dix sous</hi>.</p>
       </div5>
      </div4>
      <div4 type="article">
       <head type="sur"><hi rend="sc">Article III</hi>. </head>
       <head type="main"><hi rend="i">Observations sur les Pronoms.</hi></head>
       <p>Il en est du pronom comme de l’adjectif. Il doit se mettre au même genre et au même nombre
        que le substantif, auquel il se rapporte : = <hi rend="i">un jeune homme docile ne se borne
         point à écouter les bons conseils qu’on</hi> lui <hi rend="i">donne</hi> ; il <hi rend="i"
         >s’applique de plus à les mettre en pratique</hi>.</p>
       <p>Si le pronom se rapporte à plusieurs substantifs, quoiqu’au singulier, et de divers
        genres, il faut le mettre au pluriel, et au genre masculin : = <hi rend="i">j’ai vu votre
         jardin et votre maison de campagne</hi> : ils <hi rend="i">sont fort</hi> beaux. Voilà les
        règles générales de construction. Mais il y a des remarques particulières à faire sur
        l’usage de la plupart des pronoms de notre langue.</p>
       <div5 type="section">
        <head type="sur">I. </head>
        <head type="main"><hi rend="i">Usage des Pronoms substantifs.</hi></head>
        <div6 type="section">
         <head>Pronoms personnels.</head>
         <p>Les pronoms personnels des deux premières personnes ne peuvent jamais désigner que des
          personnes, ou des choses personnifiées On sait que les pronoms, <hi rend="i">me</hi>, <hi
           rend="i">te</hi>, <hi rend="i">se</hi>, doivent être mis avant le <pb n="105"
           xml:id="p105"/>verbe ; mais que quand le verbe est à l’impératif, et qu’il marque
          affirmation, <hi rend="i">me</hi>, suivi du mot <hi rend="i">en</hi>, se place après : =
           <hi rend="i">parlez</hi>-m’en : = <hi rend="i">donnez</hi>–m’en. Je remarquerai ici que
          l’Académie ne veut pas qu’il en soit de même du mot <hi rend="i">y</hi>. On ne dit point ;
           <hi rend="i">envoyez</hi> m’y, <hi rend="i">menez</hi> m’y. Il faut dire, <hi rend="i">je
           vous prie de m’y envoyer</hi>, <hi rend="i">de m’y mener</hi>, ou, <hi rend="i">envoyez-y
           moi</hi>, <hi rend="i">menez-y moi</hi>.</p>
         <p>Les pronoms de la troisième personne servent à désigner les personnes et les choses
          inanimées. On dira donc, en parlant d’un homme, d’un arbre, d’une femme, d’une prairie :
          il <hi rend="i">est beau</hi> ; elle <hi rend="i">est belle</hi>.</p>
        </div6>
        <div6 type="section">
         <head>Règles concernant les pronoms <hi rend="i">elle</hi>, <hi rend="i">eux</hi>, <hi
           rend="i">lui</hi> et <hi rend="i">leur</hi>.</head>
         <p>Il faut, cependant, observer que les pronoms <hi rend="i">elle</hi>, <hi rend="i"
           >eux</hi>, <hi rend="i">lui</hi> et <hi rend="i">leur</hi>, ne se disent point des choses
          inanimées, quand ils sont en régime simple, ou en régime composé. On ne dira pas, en
          parlant d’un crayon : <hi rend="i">c’est avec</hi> lui <hi rend="i">que j’ai fait ce
           dessein</hi> : d’un arbre : <hi rend="i">c’est</hi> lui <hi rend="i">qui porte de bons
           fruits</hi> : d’une montagne : <hi rend="i">c’est</hi> elle <hi rend="i">qui est fort
           escarpée</hi> : des vers d’un auteur : <hi rend="i">que pense-t-on d’eux ?</hi> d’une ou
          de plusieurs maisons : <hi rend="i">je</hi> lui <hi rend="i">ajouterai</hi>, ou <hi
           rend="i">je</hi> leur <hi rend="i">ajouterai un pavillon</hi>. Dans les trois premiers
          exemples, il faut répéter le nom, et dans les autres y suppléer par les pronoms <hi
           rend="i">en</hi> et <hi rend="i">y</hi>. Si l’on vous demande : <hi rend="i">est-ce là
           votre tabatière ?</hi>
          <hi rend="i">sont-ce là vos livres ?</hi> vous ne répondrez point : <hi rend="i">non, ce
           n’est pas</hi> elle : <hi rend="i">oui, ce sont</hi> eux. Mais vous répondrez : <hi
           rend="i">non, ce ne l’est pas</hi> : <hi rend="i">oui, ce les sont</hi>.</p>
         <p>J’ajouterai que les pronoms <hi rend="i">lui</hi>, <hi rend="i">elle</hi>, ne
          s’emploient point avec la préposition <pb n="106" xml:id="p106"/><hi rend="i">de</hi>,
          lorsqu’ils se rapportent à un nom collectif, même de choses animées. On ne dira donc pas :
           <hi rend="i">nous vîmes ce peuple furieux, et nous nous approchâmes</hi> de lui : <hi
           rend="i">nous vîmes l’armée ennemie, et nous nous approchâmes</hi> d’elle. Il faudra dire
          dans les deux exemples : <hi rend="i">nous nous en approchâmes</hi>. Mais pourra-t-on
          dire : <hi rend="i">nous marchâmes</hi> à lui, vers lui : <hi rend="i">nous marchâmes</hi>
          à elle, vers elle ? Je serais porté à croire qu’on ne le peut pas, quoique je sois bien
          loin de l’affirmer.</p>
         <p>Ces règles, concernant ces quatre pronoms, ne souffrent, en général, aucune difficulté.
          On peut néanmoins les employer, quand ils ont rapport à des choses inanimées qu’on
          personnifie : = c’est à l’amour-propre, <hi rend="i">c’est</hi> à lui <hi rend="i">seul
           que nous rapportons souvent toutes nos actions</hi> : = <hi rend="i">quand la vérité se
           montre, il faut</hi> lui <hi rend="i">rendre les armes, et nous devons tout sacrifier
           pour elle</hi> : = <hi rend="i">les torrents entraînent</hi> avec eux <hi rend="i">tout
           ce qu’ils rencontrent ; ils ne laissent</hi> après eux <hi rend="i">que du sable et des
           cailloux</hi> : = <hi rend="i">cette rivière entraîne</hi> avec elle <hi rend="i">tout ce
           qu’elle rencontre ; elle ne laisse</hi> après elle <hi rend="i">que du sable et du
           gravier</hi>.</p>
         <p>L’usage veut aussi, qu’en parlant des plantes et des animaux, on emploie <hi rend="i"
           >lui</hi> en régime composé, mais dont la préposition ne soit pas exprimée : il en est de
          même de <hi rend="i">leur</hi> : = <hi rend="i">cet arbre est trop chargé : ôtez-</hi>lui
           <hi rend="i">une partie de son fruit</hi> : = <hi rend="i">qu’on visite ces chevaux, et
           qu’on</hi> leur <hi rend="i">donne à manger</hi>.</p>
         <pb n="107" xml:id="p107"/>
         <p>On peut également employer <hi rend="i">lui</hi> et <hi rend="i">leur</hi>, en parlant
          de choses inanimées, quand ces pronoms sont joints à un verbe, qui ne convient proprement
          qu’aux personnes. On dira d’une maison, de plusieurs livres : <hi rend="i">je</hi> lui <hi
           rend="i">dois le rétablissement de ma santé</hi> : <hi rend="i">je</hi> leur <hi rend="i"
           >dois mon instruction</hi>.</p>
        </div6>
        <div6 type="section">
         <head>Règles concernant les pronoms <hi rend="i">soi</hi> et <hi rend="i">on</hi>.</head>
         <p>Le pronom <hi rend="i">soi</hi> se dit des personnes en général.</p>
         <quote>
          <l>On a souvent besoin d’un plus petit que <hi rend="i">soi</hi>…..</l>
          <l>Obliger ses amis, c’est s’obliger <hi rend="i">soi</hi>-même.</l>
         </quote>
         <p>Mais si l’on parle de quelqu’un en particulier, il faut se servir du pronom <hi rend="i"
           >lui</hi> ou <hi rend="i">elle</hi>, selon le genre : = <hi rend="i">cet homme n’aime
           que</hi> lui. Ainsi il y a une faute dans cette phrase de <hi rend="i">Voltaire</hi> :
            <quote><hi rend="i">Heureusement j’ai lu dans madame Dacier, qu’un homme peut parler
            avantageusement de</hi> soi, <hi rend="i">lorsqu’il est calomnié.</hi></quote> Il
          fallait <hi rend="i">de lui</hi>.</p>
         <p>Et dans ces vers du même auteur :</p>
         <quote>
          <l>Ou mon amour me trompe, ou Zaïre, aujourd’hui,</l>
          <l>Pour l’élever à <hi rend="i">soi</hi>, descendrait jusqu’à lui.</l>
         </quote>
         <p>Il aurait fallu dire, <hi rend="i">pour l’élever à elle</hi>.</p>
         <p><hi rend="i">Racine</hi> a fait la même faute en disant de Thésée :</p>
         <quote>
          <l>Jeune, charmant, traînant tous les cœurs après <hi rend="i">soi</hi>.</l>
         </quote>
         <p>Ainsi que Boileau dans ces vers :</p>
         <quote>
          <l>Mais souvent un auteur, qui se flatte et qui s’aime,</l>
          <l>Méconnaît son génie et s’ignore <hi rend="i">soi</hi>-même.</l>
         </quote>
         <p>On emploie encore le pronom <hi rend="i">soi</hi> en <pb n="108" xml:id="p108"/>parlant
          des choses : = <hi rend="i">la vertu porte sa récompense avec</hi> soi : = <hi rend="i">ce
           remède est bon de</hi> soi. Mais si le nom auquel ce pronom se rapporte, est au pluriel,
          on fera beaucoup mieux de se servir du pronom <hi rend="i">eux-mêmes, elles-mêmes</hi>.
          Ainsi au lieu de dire : <hi rend="i">de</hi> soi, <hi rend="i">ces choses sont
           indifférentes</hi> ; on dira mieux : <hi rend="i">ces choses sont</hi>, d’elles-mêmes,
           <hi rend="i">indifférentes</hi>.</p>
         <p><hi rend="i">On</hi> ou <hi rend="i">l’on</hi> (il ne faut employer ce dernier, que pour
          éviter un son désagréable à l’oreille), est ordinairement masculin, et veut, par
          conséquent, l’adjectif de ce genre : = <hi rend="i">on est</hi> paresseux <hi rend="i"
           >toute sa vie, quand on n’a pas pris de bonne heure le goût du travail</hi>.</p>
         <p>Si, néanmoins, on parle précisément d’une femme, ou de son sexe en général, l’adjectif
          doit être mis au féminin. C’est ainsi qu’un de nos poètes dit à une dame :</p>
         <quote>
          <l>On est plus <hi rend="i">jolie</hi> à présent……</l>
          <l>Mais nous avons peu de Déesses.</l>
         </quote>
         <p>Ce pronom est quelquefois un terme collectif : il veut alors l’adjectif au pluriel : =
           <hi rend="i">on se battit de part et d’autre en désespérés</hi>.</p>
         <p>Il ne faut jamais répéter <hi rend="i">on</hi> avec deux rapports différents : = <hi
           rend="i">on croit n’être pas trompé ; et</hi> l’on <hi rend="i">nous trompe à tout
           moment</hi>. Cette phrase est vicieuse, parce que le premier <hi rend="i">on</hi> se
          rapporte à ceux qui ne croient pas être trompés, et le second à ceux qui trompent. Dites
          plutôt : on <hi rend="i">croit n’être pas trompé, et</hi> l’on <hi rend="i">est trompé à
           tout moment</hi>.</p>
        </div6>
        <pb n="109" xml:id="p109"/>
        <div6 type="section">
         <head>Règle concernant les pronoms <hi rend="i">le</hi>, <hi rend="i">y</hi> et <hi
           rend="i">en</hi>.</head>
         <p>Le pronom <hi rend="i">le</hi>, se rapportant à un ou à plusieurs adjectifs, ne prend ni
          genre ni nombre. Une femme à qui l’on demande si elle est malade, doit donc répondre : <hi
           rend="i">oui je</hi> le <hi rend="i">suis</hi>, et non, <hi rend="i">je la suis</hi>,
          parce que <hi rend="i">malade</hi> est adjectif. Des hommes à qui l’on demande s’ils sont
          chasseurs, doivent, par la même raison, répondre : <hi rend="i">oui nous</hi> le <hi
           rend="i">sommes</hi>, et non, <hi rend="i">nous</hi> les <hi rend="i">sommes</hi>.</p>
         <p>Si le pronom <hi rend="i">le</hi> se rapporte à un substantif, il suit alors la règle
          générale, et prend le genre et le nombre de ce substantif : = <hi rend="i">était-ce là
           votre pensée ? doutez-vous que ce ne la fût ?</hi> Si l’on dit à une femme : <hi rend="i"
           >êtes-vous la malade dont on m’a parlé</hi> : elle doit répondre : <hi rend="i">oui,
           je</hi> la <hi rend="i">suis</hi> ; parce que <hi rend="i">malade</hi>, accompagné de
          l’article, est substantif. Si l’on dit à des hommes : <hi rend="i">êtes-vous les chasseurs
           du Roi ?</hi> ils répondront : <hi rend="i">oui, nous</hi> les <hi rend="i">sommes</hi> ;
          parce que <hi rend="i">chasseurs</hi> est substantif.</p>
         <p>La raison qu’on peut donner de cette règle, est que le pronom <hi rend="i">le</hi> se
          rapportant à un adjectif, signifie <hi rend="i">cela</hi>, et se rapportant à un
          substantif, peut absolument se tourner par un pronom personnel : = <hi rend="i">êtes-vous
           malade ? oui, je</hi> le <hi rend="i">suis</hi> ; c’est-à-dire, <hi rend="i">je suis
           cela : = êtes-vous chasseurs ? oui, nous le sommes</hi> ; c’est-à-dire, <hi rend="i">nous
           sommes cela : = êtes-vous la malade dont on m’a parlé ? oui, je</hi> la <hi rend="i"
           >suis</hi> ; c’est-à-dire, <hi rend="i">je suis elle</hi> : = <hi rend="i">êtes-vous les
           chasseurs du Roi ? oui, nous</hi> les <hi rend="i">sommes</hi> ; c’est-à-dire, <hi
           rend="i">nous sommes eux</hi>.</p>
         <pb n="110" xml:id="p110"/>
         <p>Les pronoms <hi rend="i">y</hi> et <hi rend="i">en</hi> suppléent au nom des personnes
          et des choses : = <hi rend="i">pensez-vous à moi ? Oui, j’y pense</hi> : = <hi rend="i"
           >souvenez-vous de mon ami. Je m’en souviendrai</hi>.</p>
        </div6>
        <div6 type="section">
         <head>Règles concernant les pronoms autrui, quelqu’un, chacun, ce, et celui.</head>
         <p><hi rend="i">Autrui</hi>, n’a ni genre ni nombre : il ne s’emploie qu’en régime composé.
          On dit : <hi rend="i">ne rien faire</hi> à autrui, <hi rend="i">reprendre les défauts</hi>
          d’autrui. Mais on ne peut pas dire : <hi rend="i">offenser</hi> autrui ; <hi rend="i"
           >mépriser</hi> autrui.</p>
         <p><hi rend="i">Quelqu’un</hi>, ne se rapportant point à un nom substantif, ne peut
          s’employer au pluriel qu’en sujet, et non en régime. On dira bien : quelques-uns <hi
           rend="i">prétendent</hi>. Mais on ne dira pas : <hi rend="i">je connois</hi>
          quelques-uns : <hi rend="i">j’ai parlé</hi> à quelques-uns.</p>
         <p><hi rend="i">Un quelqu’un</hi> n’est pas d’usage.</p>
         <p>Quoique <hi rend="i">chacun</hi>, <hi rend="i">chacune</hi>, n’aient pas de pluriel, il
          faut joindre tantôt <hi rend="i">leur</hi>, tantôt <hi rend="i">son</hi>, <hi rend="i"
           >sa</hi>, <hi rend="i">ses</hi>, au substantif qui le suit. Si dans la phrase, il n’y a
          point de pluriel, il n’est pas douteux qu’on ne doive toujours employer <hi rend="i"
           >son</hi>, <hi rend="i">sa</hi>, <hi rend="i">ses</hi>. S’il y a un pluriel, voici la
          distinction qu’on doit faire.</p>
         <p>Lorsque <hi rend="i">chacun</hi> est placé avant le régime du verbe, on met <hi rend="i"
           >leur</hi> après <hi rend="i">chacun</hi> : = <hi rend="i">ces braves officiers ont
           fait</hi> chacun leur <hi rend="i">devoir</hi> : = <hi rend="i">le maître a réuni ses
           écoliers, et leur a dicté à</hi> chacun leur <hi rend="i">thème</hi>.</p>
         <p>Lorsque <hi rend="i">chacun</hi> est après le régime du verbe, on emploie <hi rend="i"
           >son</hi>, <hi rend="i">sa</hi>, <hi rend="i">ses</hi> : = <hi rend="i">ces soldats ont
           fait des prodiges de valeur</hi>, chacun <hi rend="i">sous</hi> ses <hi rend="i"
           >drapeaux</hi> : = <hi rend="i">remettez tous ces livres</hi>, chacun <hi rend="i">à</hi>
          sa <hi rend="i">place</hi>.</p>
         <p>J’ai dit, dans la première édition de <pb n="111" xml:id="p111"/>cet ouvrage, en
          adoptant le sentiment de plusieurs grammairiens, que, si le verbe n’a point de régime, on
          met <hi rend="i">son</hi>, <hi rend="i">sa</hi>, <hi rend="i">ses</hi>, ou <hi rend="i"
           >leur</hi>, indifféremment. <hi rend="i">Tous ces ouvriers ont travaillé</hi>, chacun <hi
           rend="i">selon ses forces</hi>, ou, <hi rend="i">selon</hi> leurs <hi rend="i"
           >forces</hi>. Mais après un mûr examen, je pense qu’on ne peut employer que <hi rend="i"
           >son</hi>, <hi rend="i">sa</hi>, <hi rend="i">ses</hi>, parce que le verbe est
          sous-entendu après <hi rend="i">chacun</hi>. C’est comme si l’on disait : <hi rend="i"
           >tous ces ouvriers</hi> ont travaillé, <hi rend="i">et</hi> chacun a travaillé <hi
           rend="i">selon</hi> ses <hi rend="i">forces</hi>.</p>
         <p>On ne dit plus <hi rend="i">un chacun</hi>.</p>
         <p>Le pronom <hi rend="i">ce</hi>, placé avant le verbe <hi rend="i">être</hi>, veut ce
          verbe à la troisième personne du singulier, quand il est suivi des pronoms, <hi rend="i"
           >moi</hi>, <hi rend="i">toi</hi>, <hi rend="i">lui</hi>, <hi rend="i">elle</hi>, <hi
           rend="i">nous</hi>, <hi rend="i">vous</hi>, ou d’un régime composé, de quelque nombre
          qu’il soit. Mais si le verbe <hi rend="i">être</hi> est suivi du pronom, <hi rend="i"
           >eux</hi>, <hi rend="i">elles</hi>, ou d’un substantif pluriel, sans préposition, le
          verbe doit être mis au pluriel. Ainsi l’on dira : c’est nous <hi rend="i">qui sommes venus
           les premiers</hi> ; et, ce sont eux <hi rend="i">qui sont venus les premiers</hi>. =
          C’est de ces hommes, c’est d’eux-mêmes <hi rend="i">que je voulais parler</hi> ; et, ce
          sont ces hommes, ce sont eux-mêmes, <hi rend="i">que je voulais voir</hi>. = C’est contre
          les ennemis <hi rend="i">de l’état</hi>, c’est contre eux <hi rend="i">que vous devez
           exercer votre valeur</hi> ; et, ce sont les ennemis <hi rend="i">de l’état</hi>, ce sont
          eux <hi rend="i">contre lesquels vous devez exercer votre valeur</hi>.</p>
         <p>Le pronom <hi rend="i">celui</hi>, employé tout seul à la place d’un nom substantif,
          qu’on ne veut point répéter, n’en exprime pas assez la force, pour qu’il puisse être
          accompagné <pb n="112" xml:id="p112"/>d’un adjectif, ou d’un participe, et moins encore
          d’un autre substantif. Ainsi il y a une faute dans les phrases suivantes : = <hi rend="i"
           >le précepte si généreux du pardon des injures</hi>, celui <hi rend="i">si</hi> juste <hi
           rend="i">de la loi de nature, l’élevèrent au-dessus de tous les cultes</hi>. = <hi
           rend="i">J’avertis que je n’avouerai d’autre édition que</hi> celle imprimée <hi rend="i"
           >à Paris sous mes yeux</hi>. = <hi rend="i">Ces cornets peuvent remplacer, dans les
           porte-feuilles</hi>, ceux en métal. Dans la première phrase, il fallait répéter le nom et
          dire : <hi rend="i">le précepte si généreux du pardon des injures</hi>, le précepte <hi
           rend="i">si</hi> juste <hi rend="i">de la loi de nature</hi>, etc. Dans les deux autres,
          si l’on ne voulait pas répéter le nom, il fallait joindre au pronom <hi rend="i"
           >celui</hi>, le relatif <hi rend="i">qui</hi>, et dire : <hi rend="i">que celle qui a été
           imprimée</hi>, etc., <hi rend="i">que ceux qui sont en métal</hi>.</p>
         <p>Mais si ce pronom <hi rend="i">celui</hi> est suivi de <hi rend="i">ci</hi> ou <hi
           rend="i">là</hi>, alors il a toute la force du substantif ; et il peut être accompagné
          d’un adjectif, ou d’un participe qui en fait les fonctions. Ainsi cette phrase sera très
          correcte : <hi rend="i">Le lieu que vous habitez, vous plaît beaucoup : mais</hi>
          celui-ci, <hi rend="i">bien plus</hi> agréable, <hi rend="i">plus</hi> riant, <hi rend="i"
           >et plus</hi> varié, <hi rend="i">vous plaira davantage</hi>.</p>
        </div6>
       </div5>
       <div5 type="section">
        <head type="sur">II. </head>
        <head type="main"><hi rend="i">Usage des Pronoms adjectifs</hi>.</head>
        <div6 type="section">
         <head>Règle concernant les pronoms possessifs.</head>
         <p>Les pronoms possessifs se répètent avant chaque substantif, et avant les adjectifs qui
          expriment des qualités différentes. On ne dira donc pas : mes <hi rend="i">père et
           mère</hi> ; ses <pb n="113" xml:id="p113"/><hi rend="i">père et mère</hi> ; nos <hi
           rend="i">grands et petits appartements</hi> ; leurs <hi rend="i">grands et petits
           appartements</hi>. Il faudra dire : mon <hi rend="i">père et</hi> ma <hi rend="i"
           >mère</hi> ; son <hi rend="i">père et</hi> sa <hi rend="i">mère</hi> ; nos <hi rend="i"
           >grands et</hi> nos <hi rend="i">petits appartements</hi> ; leurs <hi rend="i">grands
           et</hi> leurs <hi rend="i">petits appartements</hi>.</p>
         <p>On peut faire rapporter à des choses inanimées le pronom possessif <hi rend="i"
          >son</hi>, <hi rend="i">sa</hi>, <hi rend="i">ses</hi>, <hi rend="i">leur</hi> et <hi
           rend="i">leurs</hi>. Mais ce n’est que dans deux circonstances.</p>
         <p>1°. Lorsque le substantif, auquel est joint ce pronom, est en régime composé : = <hi
           rend="i">la rivière est sortie de son lit</hi> : = <hi rend="i">ce parterre est
           agréablement varié dans ses compartiments</hi> : = <hi rend="i">ces arbres paraissent
           accablés sous</hi> leur fruit.</p>
         <p>2°. Lorsque le substantif de ce pronom, est le régime simple du verbe qui a pour sujet,
          ou le substantif auquel se rapporte ce même pronom, ou un pronom relatif de ce
          substantif : = Cette solitude <hi rend="i">a sa beauté</hi> : = un ruisseau <hi rend="i"
           >limpide roule ici ses petits flots avec un doux murmure</hi> : = <hi rend="i">voyez
           cette haute</hi> montagne, qui <hi rend="i">montre, dans le cœur même de l’été</hi>, son
           <hi rend="i">sommet tout couvert de neige</hi> : = <hi rend="i">nous avons vu cette année
           ces</hi> arbres <hi rend="i">porter</hi> (ou qui portaient) leurs <hi rend="i">fruits de
           bien bonne heure</hi>.</p>
         <p>Hors ces deux cas, on ne doit jamais employer ce pronom <hi rend="i">son, sa, ses,
           leur</hi> et <hi rend="i">leurs</hi>. Il faut y suppléer par le pronom relatif <hi
           rend="i">en</hi>. Ainsi l’on ne pourra pas dire : <hi rend="i">cette rivière est peu
           large ; mais</hi> son <hi rend="i">lit est très profond</hi> : = <hi rend="i">ces arbres
           n’ont pas un beau feuillage ; mais</hi> leurs <hi rend="i">fruits sont <pb n="114"
            xml:id="p114"/>délicieux</hi> : = <hi rend="i">j’ai lu l’ouvrage que vous m’avez
           envoyé ; j’ai trouvé</hi> son <hi rend="i">plan bien construit, et</hi> son style <hi
           rend="i">très agréable</hi>. Il faudra dire : <hi rend="i">cette rivière est peu large ;
           mais le lit</hi> en <hi rend="i">est très profond</hi> : = <hi rend="i">ces arbres n’ont
           pas un beau feuillage ; mais les fruits</hi> en <hi rend="i">sont délicieux</hi> : = <hi
           rend="i">j’ai lu l’ouvrage que vous m’avez envoyé</hi> ; j’en <hi rend="i">ai trouvé le
           plan bien construit, et le style très agréable</hi>.</p>
         <p>N’imitez donc pas l’historien qui a dit : <hi rend="i">cette ville a soutenu plusieurs
           sièges mémorables. Les Normands ont été pendant longtemps ses plus redoutables
           ennemis</hi>. Il fallait dire, en <hi rend="i">ont été les plus redoutables
          ennemis</hi>.</p>
         <p>On remarque la même faute dans ces vers de <hi rend="i">Voltaire</hi> :</p>
         <quote>
          <l>Reine, l’excès des maux où la France est livrée,</l>
          <l>Est d’autant plus affreux, que <hi rend="i">leur</hi> source est sacrée.</l>
         </quote>
         <p>Il aurait fallu <hi rend="i">que la source en est sacrée</hi>.</p>
         <p>Cette règle doit être également observée, quand on a employé un nom collectif de
          personnes. Ainsi l’on ne pourrait pas dire d’une armée : ses <hi rend="i">soldats sont
           braves et bien disciplinés</hi> : d’un tribunal de justice : <hi rend="i">on estime
           généralement</hi> ses <hi rend="i">magistrats</hi> : d’une société littéraire : <hi
           rend="i">nous connaissons tous</hi> ses <hi rend="i">membres</hi>. Il faudrait dire : <hi
           rend="i">les soldats</hi> en <hi rend="i">sont braves et bien disciplinés</hi>. <hi
           rend="i">On</hi> en <hi rend="i">estime généralement les magistrats</hi>. <hi rend="i"
           >Nous</hi> en <hi rend="i">connaissons tous les membres</hi>.</p>
        </div6>
        <div6 type="section">
         <head>Règle concernant les pronoms <hi rend="i">qui</hi>, <hi rend="i">où</hi>, <hi
           rend="i">d’où</hi>, et <hi rend="i">par où</hi>.</head>
         <p><hi rend="i">Qui</hi>, pronom relatif, peut être <hi rend="i">explicatif</hi> ou <hi
           rend="i">déterminatif</hi>. Il est <hi rend="i">explicatif</hi>, quand il ne sert qu’à
          expliquer, à <pb n="115" xml:id="p115"/>développer une idée, renfermée ou supposée dans le
          nom auquel il se rapporte. Il est <hi rend="i">déterminatif</hi>, lorsqu’il détermine la
          signification de ce nom. <hi rend="i">Dieu</hi> qui <hi rend="i">est juste, punira les
           hommes</hi>, qui <hi rend="i">violent ses commandements</hi>. Dans cette phrase, le
          premier <hi rend="i">qui</hi> est <hi rend="i">explicatif</hi>, parce qu’il ne sert qu’à
          développer l’idée de justice, renfermée dans le mot <hi rend="i">Dieu</hi>. Le second <hi
           rend="i">qui</hi> est <hi rend="i">déterminatif</hi>, parce qu’il détermine la
          signification du mot <hi rend="i">hommes</hi>, en ce qu’il fait connaître qu’on parle, non
          de tous les hommes, mais seulement de ceux qui violent les commandements de Dieu. Il est
          essentiel de saisir cette distinction du <hi rend="i">qui explicatif</hi>, et du <hi
           rend="i">qui déterminatif</hi>, pour bien prendre le sens de certaines phrases.</p>
         <p>Le même <hi rend="i">qui</hi>, pronom relatif, ne doit point être séparé du substantif
          auquel il se rapporte. Ainsi il y a une faute dans ce vers de <hi rend="i"
          >Racine</hi> :</p>
         <quote>
          <l><hi rend="i">Phénix</hi> même en répond, <hi rend="i">qui</hi> l’a conduit exprès</l>
          <l>Dans un fort éloigné du temple et du palais.</l>
         </quote>
         <p>Suivant la règle, il aurait fallu dire : Phénix <hi rend="i">même</hi>, qui <hi rend="i"
           >l’a conduit, en répond</hi>.</p>
         <p>Ce serait une plus grande faute encore de placer le pronom <hi rend="i">qui</hi>,
          immédiatement après un nom auquel il ne se rapporte pas, comme dans cette phrase : =
            <quote><hi rend="i">on doit se souvenir qu’il est un respect pour les productions des
            personnes illustres</hi>, qui <hi rend="i">approche souvent de la
           superstition</hi>.</quote> L’auteur aurait dû dire : <hi rend="i">on doit se souvenir <pb
            n="116" xml:id="p116"/>qu’il est, pour les productions des personnes illustres, un</hi>
          respect qui <hi rend="i">approche</hi>, etc.</p>
         <p>La même faute se remarque dans cette autre phrase : = <quote><hi rend="i">les</hi> murs
            <hi rend="i">de ces réservoirs</hi>, qui <hi rend="i">se trouvent adossés aux gros murs
            de la maison, n’ont que cinq pouces d’épaisseur</hi></quote>. Ce pronom <hi rend="i"
           >qui</hi>, se rapporte ici, non au substantif <hi rend="i">réservoirs</hi>, mais au
          substantif <hi rend="i">murs</hi>. On aurait pu éviter cette faute, en disant : <hi
           rend="i">les murs de ces réservoirs se trouvent adossés aux gros murs de la maison, et
           n’ont que cinq pouces d’épaisseur</hi>.</p>
         <p><hi rend="i">Qui</hi>, désignant le sujet, se dit des personnes et des choses : = <hi
           rend="i">l’homme</hi> qui <hi rend="i">étudie</hi> : = <hi rend="i">la loi</hi> qui <hi
           rend="i">commande</hi> : = <hi rend="i">le bâton</hi> qui <hi rend="i">me soutient</hi>.
          Mais s’il est précédé d’une préposition, il ne convient qu’aux personnes ou aux choses
          personnifiées. Ainsi on ne peut pas dire : <hi rend="i">la loi</hi> à qui <hi rend="i"
           >nous obéissons</hi> : = <hi rend="i">le bâton</hi> sur qui <hi rend="i">je
          m’appuie</hi>. Il faut dire : <hi rend="i">la loi</hi> à laquelle <hi rend="i">nous
           obéissons</hi> : = <hi rend="i">le bâton</hi> sur lequel <hi rend="i">je
          m’appuie</hi>.</p>
         <p><hi rend="i">Qui</hi>, sans substantif qui le précède, ne peut point convenir aux
          choses. Ne dites donc point avec l’Auteur d’une Géographie : qui <hi rend="i">sont les
           États du Nord ?</hi> mais quels <hi rend="i">sont les États du Nord ?</hi></p>
         <p><hi rend="i">Où</hi>, <hi rend="i">d’où</hi> et <hi rend="i">par où</hi>, sont pronoms
          relatifs, lorsqu’ils se rapportent à un substantif de choses, qui les précède, et
          signifient alors, <hi rend="i">auquel</hi>, <hi rend="i">duquel</hi> ou <hi rend="i"
           >dont</hi>, <hi rend="i">par lequel</hi>, <hi rend="i">dans lequel</hi>, etc. = <hi
           rend="i">réfléchissez sur le danger où vous vous exposez</hi> ; c’est-à-dire, auquel <hi
           rend="i">vous vous exposez</hi> : = <hi rend="i">voyez les preuves</hi> d’où <hi rend="i"
           >je tire cette conséquence</hi>, c’est-à-dire, dont <pb n="117" xml:id="p117"/>ou
          desquelles <hi rend="i">je tire cette conséquence</hi> : = <hi rend="i">prenez le
           chemin</hi> par où <hi rend="i">il est venu</hi>, c’est-à-dire, par lequel <hi rend="i"
           >il est venu</hi>. Ainsi <hi rend="i">Racine</hi> a fort bien dit :</p>
         <quote>
          <l>Faites qu’en ce moment je lui puisse annoncer,</l>
          <l>Un bonheur <hi rend="i">où</hi> peut-être il n’ose plus penser.</l>
         </quote>
         <p><hi rend="i">Wailly</hi> se trompe en disant que cet <hi rend="i">où</hi> n’est pas bien
          placé. L’Académie, elle-même, a dit : <hi rend="i">le bonheur, la félicité</hi> où
          j’aspire.</p>
         <p>Mais il faut observer que, lorsque <hi rend="i">d’où</hi> marque proprement le lieu, il
          n’est point pronom relatif, et ne peut pas signifier <hi rend="i">dont</hi> ou <hi
           rend="i">duquel</hi>, etc. : il est alors seulement adverbe. Ainsi l’on dira : <hi
           rend="i">Coriolan vint assiéger Rome</hi>, d’où <hi rend="i">il avait été banni</hi>, et
          non pas, dont <hi rend="i">il</hi> avait été banni. Il y a donc une faute dans ce vers de
           <hi rend="i">Racine</hi> le fils :</p>
         <quote>
          <l>L’esprit retourne au Ciel <hi rend="i">dont</hi> il est descend.</l>
         </quote>
         <p>Il aurait fallu dire, d’où <hi rend="i">il est descendu</hi>.</p>
        </div6>
        <div6 type="section">
         <head>Règle concernant les pronoms relatifs, et les possessifs <hi rend="i">le mien</hi>,
           <hi rend="i">le tien</hi>, etc.</head>
         <p>Les pronoms relatifs, et les possessifs, <hi rend="i">le mien</hi>, <hi rend="i">le
           tien</hi>, <hi rend="i">le sien</hi>, etc., ne peuvent point se rapporter à un nom
          commun, qui n’est point précédé de l’article, ou d’un mot équivalent, ni exprimés, ni
          sous-entendus. Ainsi les phrases suivantes ne sont pas correctes : = <hi rend="i">vous
           avez droit de chasser : et je</hi> le <hi rend="i">trouve bien fondé</hi>. Il faut dire :
           <hi rend="i">vous avez le droit</hi>, ou répéter le nom, au lieu du pronom, en disant <hi
           rend="i">et je trouve ce droit bien fondé</hi> : = <hi rend="i">chaque père de famille
           doit bien gouverner</hi> la sienne. Il faut prendre un autre tour, et dire, <hi rend="i"
           >doit bien gouverner ses enfants</hi>.</p>
         <pb n="118" xml:id="p118"/>
         <p>Il y a donc une faute dans ce vers de <hi rend="i">Racine</hi> :</p>
         <quote>
          <l>Nulle paix pour l’impie, il <hi rend="i">la</hi> cherche ; <hi rend="i">elle</hi>
           fuit.</l>
         </quote>
         <p>parce que les pronoms <hi rend="i">la</hi>, <hi rend="i">elle</hi>, ne peuvent point se
          rapporter au substantif <hi rend="i">paix</hi>, qui n’a point d’article, soit exprimé,
          soit sous-entendu. Le pronom relatif, en effet, doit toujours rappeler l’idée d’un nom qui
          a une signification déterminée. Or un nom ne peut avoir cette signification, s’il n’est
          précédé de l’article, ou d’un mot équivalent ; puisque c’est l’article, ou ce mot, qui la
          lui donne. Dans le vers cité, le mot <hi rend="i">paix</hi> joint à <hi rend="i"
           >nulle</hi> d’une manière inséparable, ne présente qu’un sens indéfini ; et, cependant,
          les pronoms <hi rend="i">la</hi>, <hi rend="i">elle</hi>, rappellent l’idée de ce nom,
          comme s’il présentait un sens défini ; ce qui n’est pas moins contraire aux règles de la
          Grammaire, qu’à celles de la Logique. On pourrait, en effet, demander, que cherche
          l’impie ? <hi rend="i">la paix ?</hi> Il n’en est pas ici question ; il s’agit de <hi
           rend="i">nulle paix</hi>. L’impie cherche donc, quoi ? <hi rend="i">nulle paix ?</hi>
          <hi rend="i">nulle paix le fuit ?</hi> Telle est la justesse d’esprit, la précision qu’on
          exige dans ceux qui veulent écrire purement et nettement.</p>
         <p>J’observerai, néanmoins, après l’Auteur de la Grammaire générale, et l’Abbé <hi rend="i"
           >d’Olivet</hi>, que le pronom relatif <hi rend="i">qui</hi> peut être immédiatement placé
          après ces mots <hi rend="i">nulle paix</hi>, ou autres semblables. On peut donc dire : <hi
           rend="i">nulle paix</hi> qui <hi rend="i">soit durable</hi>. = <pb n="119" xml:id="p119"
           /><hi rend="i">Je n’ai reçu aucune nouvelle</hi> qui <hi rend="i">me fasse plaisir</hi>.
          Ces mots <hi rend="i">nul</hi>, <hi rend="i">aucune</hi>, déterminent, aussi bien que
          l’article, la signification du nom, mais seulement, lorsqu’ils sont suivis du relatif <hi
           rend="i">qui</hi>.</p>
         <p>J’ai dit que si l’article, ou un mot équivalent, est sous-entendu avant le nom, on peut
          employer le pronom. Ainsi les phrases suivantes sont correctes : – <hi rend="i">il est
           accablé de maux</hi> qui <hi rend="i">lui font perdre patience</hi> ; parce que le mot
           <hi rend="i">certains</hi>, ou <hi rend="i">plusieurs</hi> équivalant à l’article, est
          sous-entendu avant le substantif <hi rend="i">maux</hi> : = <hi rend="i">il agit en
           politique</hi> qui <hi rend="i">sait bien gouverner</hi> ; c’est-à-dire, <hi rend="i"
           >comme un politique</hi> : = <hi rend="i">ce sont gens habiles</hi> qui <hi rend="i"
           >m’ont dit cela</hi> ; c’est-à-dire, <hi rend="i">des gens habiles</hi>.</p>
        </div6>
        <div6 type="section">
         <head>Règles concernant les pronoms <hi rend="i">même</hi>, <hi rend="i">tout</hi>, et <hi
           rend="i">quelque</hi> suivi de <hi rend="i">que</hi>.</head>
         <p>Le pronom <hi rend="i">même</hi>, signifiant <hi rend="i">identité</hi> ou <hi rend="i"
           >parité</hi>, se place avant le substantif auquel il est joint. Il s’emploie aussi pour
          donner plus de force et d’énergie au discours ; et alors on le met après le substantif, ou
          le pronom. Dans ces deux significations, il prend une <hi rend="i">s</hi>, quand il se
          rapporte à un pluriel : = <hi rend="i">les scélérats</hi> mêmes <hi rend="i">condamnent
           dans les autres les</hi> mêmes <hi rend="i">vices qu’ils ont</hi>. Ainsi il y a une faute
          dans ces vers de <hi rend="i">Voltaire</hi> :</p>
         <quote>
          <l>Leur orgueil foule aux pieds l’orgueil du diadème :</l>
          <l>Ils ont brisé le joug, pour l’imposer <hi rend="i">eux-même</hi>.</l>
         </quote>
         <p>Il aurait fallu <hi rend="i">eux-mêmes</hi>.</p>
         <p><hi rend="i">Même</hi>, ne prend point d’<hi rend="i">s</hi>, quand il signifie <hi
           rend="i">aussi</hi>, <hi rend="i">de plus</hi> : = <hi rend="i">il ne faut pas <pb
            n="120" xml:id="p120"/>négliger de faire le bien</hi> ; <hi rend="i">il faut</hi> même
           <hi rend="i">chercher toutes les occasions de le pratiquer</hi>.</p>
         <p><hi rend="i">Tout</hi>, signifiant <hi rend="i">très</hi>, <hi rend="i"
          >entièrement</hi>, ne prend ni genre, ni nombre ; lorsqu’il précède immédiatement un
          adverbe : = <hi rend="i">elles marchaient</hi> tout <hi rend="i">tranquillement</hi>. Un
          adjectif masculin : = <hi rend="i">ils sont</hi> tout <hi rend="i">interdits et</hi> tout
           <hi rend="i">silencieux</hi>. Un adjectif féminin qui commence par une voyelle ou une <hi
           rend="i">h</hi> non aspirée : = <hi rend="i">elles sont</hi> tout <hi rend="i">habillées
           et</hi> tout <hi rend="i">abattues</hi>. Mais si l’adjectif féminin commence par une
          consonne, <hi rend="i">tout</hi> prend alors le genre et le nombre : = <hi rend="i">la
           campagne est</hi> toute <hi rend="i">belle et</hi> toute <hi rend="i">riante</hi> : = <hi
           rend="i">ces Dames sont</hi> toutes <hi rend="i">consolées</hi>.</p>
         <p><hi rend="i">Quelque</hi>, suivi de <hi rend="i">que</hi>, signifiant à peu près la même
          chose que <hi rend="i">quoique</hi>, prend le nombre, lorsqu’il y a entre <hi rend="i"
           >quelque</hi> et <hi rend="i">que</hi>, un substantif seul, ou accompagné de son
          adjectif : = quelques <hi rend="i">richesses</hi> que <hi rend="i">vous possédiez</hi>,
          quelques <hi rend="i">brillants emplois</hi> que <hi rend="i">vous occupiez, ne méprisez
           jamais personne</hi>.</p>
         <p>Mais si entre <hi rend="i">quelque</hi> et <hi rend="i">que</hi>, il n’y a qu’un
          adjectif séparé de son substantif, <hi rend="i">quelque</hi> ne prend point de nombre : =
          quelque <hi rend="i">grossières</hi> que <hi rend="i">soient les mœurs d’un homme, on
           vient à bout de les adoucir par l’éducation</hi>.</p>
         <p>Quand le substantif, n’ayant point d’adjectif, est après le verbe, il faut se servir de
           <hi rend="i">quel, que</hi> ; <hi rend="i">quelle, que</hi>, qui désigne la qualité : =
          quelle que <hi rend="i">soit votre fortune</hi>, quel que <hi rend="i">soit votre mérite,
           ne vous laissez point dominer par l’orgueil</hi>.</p>
         <pb n="121" xml:id="p121"/>
         <p>Bien des personnes emploient <hi rend="i">tel, que</hi> ; <hi rend="i">telle, que</hi>,
          pour <hi rend="i">quelque… que</hi>, ou, <hi rend="i">quel, que</hi>, et disent, par
          exemple : <hi rend="i">à</hi> tel <hi rend="i">degré d’honneur</hi> que <hi rend="i">vous
           soyez élevé</hi> : telle que <hi rend="i">soit votre dignité</hi>, etc. Cette façon de
          parler est vicieuse. Il faut dire : <hi rend="i">à</hi> quelque <hi rend="i">degré
           d’honneur</hi> que <hi rend="i">vous soyez élevé</hi> : quelque que <hi rend="i">soit
           votre dignité</hi>. N’imitez donc pas l’auteur qui a dit : <quote><hi rend="i">je ne
            répondrai pas que dès qu’il n’y a rien de pire que ce qu’on éprouve, il faut s’en
            libérer à</hi> tel <hi rend="i">prix</hi> que <hi rend="i">ce puisse être</hi></quote>.
          Il aurait dû dire, <hi rend="i">à quelque prix</hi>, etc.</p>
        </div6>
       </div5>
      </div4>
      <div4 type="article">
       <head type="sur"><hi rend="sc">Article</hi> IV. </head>
       <head type="main"><hi rend="i">Observations sur le Verbe</hi>.</head>
       <div5 type="section">
        <head>Accord du verbe et de son sujet.</head>
        <p>Le verbe se met au même nombre et à la même personne que son sujet. Les noms substantifs
         faisant la fonction de sujet, désignent toujours la troisième personne : = je <hi rend="i"
          >vous</hi> loue <hi rend="i">de ce que</hi> vous étudiez, <hi rend="i">tandis que</hi> vos
         compagnons se divertissent.</p>
        <p>Le verbe, dont le relatif <hi rend="i">qui</hi> est le sujet, se met au même nombre et à
         la même personne, que le nom ou pronom, auquel le <hi rend="i">qui</hi> se rapporte. On
         dira donc : <hi rend="i">c’est</hi> moi qui ai <hi rend="i">travaillé</hi>. <hi rend="i"
          >C’est</hi> vous qui avez <hi rend="i">travaillé</hi>. <hi rend="i">Ce sont</hi> eux qui
         ont <hi rend="i">travaillé</hi>. Ainsi il y a une faute dans ce vers :</p>
        <quote>
         <l>C’est toi qui me <hi rend="i">tue</hi> :</l>
         <l>Mais je pardonne à ta fureur.</l>
        </quote>
        <p>Il aurait fallu, <hi rend="i">qui me tues</hi>.</p>
        <pb n="122" xml:id="p122"/>
        <p>Lorsque le verbe a pour sujet un nom collectif partitif, ou un adverbe de quantité,
         suivis d’un nom substantif pluriel, il doit être mis lui-même au pluriel : = <hi rend="i"
          >une</hi> infinité <hi rend="i">de braves officiers</hi> périrent <hi rend="i">dans cette
          affaire</hi> : = peu <hi rend="i">d’hommes</hi> sont <hi rend="i">véritablement
         sages</hi> : = tant <hi rend="i">de philosophes</hi> se sont égarés. La raison de cette
         règle est que le nom collectif, ou l’adverbe de quantité, ne présente avec ce substantif
         pluriel, qu’une idée totale et indivisible. Ainsi il y a une faute dans cette phrase de <hi
          rend="i">Voltaire</hi> : <quote><hi rend="i">une foule d’écrivains occidentaux</hi> a
          prétendu <hi rend="i">que les Mahométans niaient la providence</hi></quote>. Il fallait
         dire, <hi rend="i">ont prétendu</hi>.</p>
        <p><hi rend="i">La plupart</hi>, quoiqu’il ne soit suivi d’aucun nom, veut le verbe, et
         l’adjectif ou le participe qui le suit, au pluriel : = <hi rend="i">la</hi> plupart prirent
          <hi rend="i">la fuite</hi> : = <hi rend="i">la</hi> plupart furent condamnés <hi rend="i"
          >à l’exil</hi> : = <hi rend="i">la</hi> plupart sont aveugles <hi rend="i">sur leurs
          défauts</hi>.</p>
       </div5>
       <div5 type="section">
        <head>Règle concernant le verbe qui a plusieurs sujets.</head>
        <p>Si le verbe a plusieurs sujets de différentes personnes, on le fait accorder avec la plus
         noble, et on le met au pluriel. La première personne est plus noble que les autres, et la
         seconde est plus noble que la troisième : = vous, <hi rend="i">mon</hi> frère <hi rend="i"
          >et</hi> moi devons <hi rend="i">terminer cette affaire</hi>.</p>
        <p>Il ne faut pas changer de personnes dans une même phrase. Ce ne serait pas parler
         exactement, que de dire : on censure, <hi rend="i">dans les autres, les défauts que</hi>
         nous avons <hi rend="i">nous-mêmes</hi> : dites, <hi rend="i">qu’on</hi> a <hi rend="i"
          >soi-même</hi> ; ou bien, nous censurons <hi rend="i">dans les autres les défauts</hi> que
         nous avons <hi rend="i">nous-mêmes</hi>.</p>
        <pb n="123" xml:id="p123"/>
        <p>Le verbe qui a pour sujets plusieurs noms singuliers, qui ne sont pas liés par une
         conjonction, peut se mettre au singulier : = <hi rend="i">la prospérité, la fortune, le
          mauvais exemple</hi> n’a pu <hi rend="i">le gâter</hi>. Mais si ces noms sont liés par une
         conjonction, on met le verbe au pluriel : = <hi rend="i">une entreprise mal concertée, une
          dépense excessive, et la perte d’un procès</hi> ont ruiné <hi rend="i">votre ami</hi>.</p>
       </div5>
       <div5 type="section">
        <head>Exceptions à cette règle.</head>
        <p>Cette règle souffre quelques exceptions. Les voici :</p>
        <p>1°. Quand ces substantifs sujets sont liés par la conjonction <hi rend="i">ou</hi>, le
         verbe se met au singulier : = <hi rend="i">la raison ou la nécessité lui</hi> a fait <hi
          rend="i">prendre son parti</hi>. Mais si ces sujets sont des pronoms personnels, le verbe,
         suivant l’Académie, doit suivre la règle générale : = <hi rend="i">vous ou moi</hi> irons
          <hi rend="i">à la campagne</hi>.</p>
        <p>2°. Plusieurs substantifs liés par la conjonction <hi rend="i">ni</hi> répétée, veulent
         le verbe au singulier, si un seul de ces substantifs fait ou reçoit l’action ; au pluriel,
         si tous ces substantifs la font ou la reçoivent en même temps : = <hi rend="i">ni Philinte
          ni Timante ne</hi> remportera <hi rend="i">le prix</hi>. Ici l’action tombe sur un seul
         homme, parce qu’il ne doit y en avoir qu’un qui sera couronné. Mais dans ce vers de <hi
          rend="i">La Fontaine</hi> :</p>
        <quote>
         <l>Ni l’or ni la grandeur ne nous <hi rend="i">rendent</hi> heureux.</l>
        </quote>
        <p rend="noindent">l’action est attribuée aux deux substantifs, parce que chacun d’eux, pris
         en particulier, ne peut nous rendre heureux.</p>
        <pb n="124" xml:id="p124"/>
        <p>3°. On peut dire, suivant l’Académie : <hi rend="i">l’un et l’autre</hi> est bon ; <hi
          rend="i">l’un et l’autre</hi> sont bons : <hi rend="i">ni l’un ni l’autre n’</hi>est bon ;
          <hi rend="i">ni l’un ni l’autre ne</hi> sont bons. Mais si l’on place ces mots après le
         verbe, celui-ci doit toujours être mis au pluriel : = ils voulaient <hi rend="i">l’un et
          l’autre se trouver ici ; mais</hi> ils <hi rend="i">ne s’y</hi> sont trouvés <hi rend="i"
          >ni l’un ni l’autre</hi>.</p>
        <p>4°. S’il y a plusieurs substantifs sujets liés par la conjonction <hi rend="i">mais</hi>,
         et dont le dernier soit au singulier, on met alors le verbe au singulier : = <hi rend="i"
          >non seulement ses titres, ses honneurs, ses dignités, mais encore sa fortune
          s’évanouit</hi>.</p>
        <p><hi rend="i">Tout</hi> et <hi rend="i">rien</hi>, placés après plusieurs substantifs,
         même pluriels, veulent le verbe au singulier : = <hi rend="i">les meubles les plus
          précieux, les livres les plus rares, les plus beaux chef-d’œuvres des arts, tout</hi> fut
          <hi rend="i">la proie du vainqueur</hi> : = <hi rend="i">les pleurs des enfants, les
          supplications des vieillards, les gémissements des femmes, rien ne</hi> put <hi rend="i"
          >arrêter sa barbare furie</hi>. Dans ces exemples, le verbe est sous-entendu après chaque
         substantif.</p>
       </div5>
       <div5 type="section">
        <head>Régimes des différentes espèces de verbes.</head>
        <p>Tous les verbes actifs ont un régime simple ; et la plupart ont de plus un régime
         composé. = <hi rend="i">Consacrons notre</hi> temps à l’étude : = <hi rend="i">votre
          maître</hi> vous <hi rend="i">dispense</hi> de ce travail : = <hi rend="i">je</hi> vous
          <hi rend="i">donnerai</hi> un livre.</p>
        <p>Le verbe passif a un régime composé, marqué par la préposition <hi rend="i">de</hi> ou
          <hi rend="i">par</hi>. Il faut employer <hi rend="i">de</hi>, quand le verbe exprime une
         action de l’âme : = <hi rend="i">l’honnête homme est</hi> estimé de <hi rend="i">ceux mêmes
          qui ne le sont pas</hi>. Il <pb n="125" xml:id="p125"/>faut employer <hi rend="i"
         >par</hi>, quand il exprime une action du corps, ou une action, à laquelle le corps et
         l’âme ont part : = les anciens monuments ont été détruits par <hi rend="i">les barbares du
          nord</hi> : = ce peuple est gouverné par <hi rend="i">un bon roi</hi>.</p>
        <p>Les verbes neutres n’ont jamais de régime simple. Il y en a qui en ont un composé : = <hi
          rend="i">il ne faut ni</hi> médire de son prochain, <hi rend="i">ni</hi> nuire à qui <hi
          rend="i">que ce soit</hi>. Il y en a d’autres qui n’en ont pas du tout ; comme <hi
          rend="i">exister</hi>, <hi rend="i">souper</hi>, <hi rend="i">dormir</hi>, etc.</p>
        <p>Il y a des verbes réciproques qui ont un régime simple ; et alors le pronom, avec lequel
         ils se conjuguent, est en régime composé : = <hi rend="i">cette femme, dans l’excès de sa
          douleur, se déchirait le visage</hi> : <hi rend="i">ne cherchez pas à</hi> vous <hi
          rend="i">rendre la vie amère</hi>. Il y en a d’autres qui ont un régime composé ; et alors
         le pronom, avec lequel ils se conjuguent, est en régime simple : = <hi rend="i">c’est un
          devoir de s’abstenir des plaisirs défendus ; c’est une vertu de se priver des plaisirs
          permis</hi>.</p>
        <p>Aucun verbe, de quelque espèce qu’il soit, ne peut avoir deux régimes, soit simples, soit
         composés. Ainsi il y a une faute dans ce vers de <hi rend="i">Racine</hi> :</p>
        <quote>
         <l>Ne <hi rend="i">vous</hi> informez point <hi rend="i">ce</hi> que je deviendrai.</l>
        </quote>
        <p>parce que <hi rend="i">vous</hi>, et <hi rend="i">ce</hi>, qui signifie <hi rend="i">la
          chose</hi>, sont en régime simple du verbe <hi rend="i">informer</hi>. Il aurait fallu
         dire : <hi rend="i">ne vous informez point de ce que je deviendrai</hi>.</p>
        <pb n="126" xml:id="p126"/>
        <p>Suivant la même règle, <hi rend="i">Boileau</hi> ne s’est point exprimé correctement, en
         disant :</p>
        <quote>
         <l>C’est <hi rend="i">à vous</hi>, mon esprit, <hi rend="i">à qui</hi> je veux parler.</l>
        </quote>
        <p>parce que <hi rend="i">à vous</hi> et <hi rend="i">à qui</hi> sont en régime composé du
         verbe <hi rend="i">parler</hi>. Il aurait fallu ; <hi rend="i">c’est à vous, mon esprit,
          que je veux parler</hi>, ou, <hi rend="i">c’est vous, mon esprit, à qui je veux
          parler</hi>.</p>
        <p>L’abbé de <hi rend="i">Condillac</hi> se trompe donc, lorsqu’il dit : <quote>« Il y a des
          occasions où <hi rend="i">que</hi> se met pour à <hi rend="i">qui ; c’est à vous que je
           parle</hi> : et d’autres où il s’emploie pour <hi rend="i">dont ; c’est de lui que je
           parle</hi>. »</quote> Dans ces deux exemples, <hi rend="i">que</hi> est seulement
         conjonction.</p>
       </div5>
       <div5 type="section">
        <head>Verbes qui ont différents régimes.</head>
        <p>Il y a des verbes qui ont différents régimes, ou qui veulent être suivis de l’une des
         deux prépositions <hi rend="i">à</hi> et <hi rend="i">de</hi>, selon leur signification, et
         la manière dont ils sont employés. En voici quelques-uns :</p>
        <p><hi rend="i">Aider</hi>, signifiant <hi rend="i">secourir</hi>, <hi rend="i"
          >assister</hi>, est actif, suivant l’Académie, et veut, par conséquent, un régime simple :
         = <hi rend="i">il faut aider</hi> les pauvres <hi rend="i">dans leur nécessité</hi>.
         Lorsqu’il signifie, <hi rend="i">secourir un homme trop chargé</hi>, il est neutre, et veut
         un régime composé, qui prend <hi rend="i">à</hi> : = <hi rend="i">aidez un peu</hi> à ce
          <hi rend="i">pauvre</hi> homme. Il en est de même, lorsqu’il signifie, <hi rend="i"
          >contribuer à faire réussir quelque chose</hi> : = <hi rend="i">il a aidé</hi> au succès
          <hi rend="i">de cette affaire</hi>. Ce verbe est aussi réciproque ; et il prend alors <hi
          rend="i">de</hi> : = <hi rend="i">il s’est aidé</hi> de <hi rend="i">tout</hi> son
         crédit.</p>
        <pb n="127" xml:id="p127"/>
        <p><hi rend="i">Commander</hi>, signifiant <hi rend="i">ordonner, enjoindre, donner charge
          de faire quelque chose</hi>, a deux régimes ; l’un simple, qui est celui de la chose ;
         l’autre composé, qui est celui de la personne : = <hi rend="i">l’église commande</hi> aux
         fidèles l’observation <hi rend="i">des fêtes</hi>. Dans toute autre signification, ce verbe
         n’a qu’un régime. Ce régime est simple, lorsque <hi rend="i">commander</hi> signifie, en
         matière de guerre, <hi rend="i">conduire</hi>, <hi rend="i">faire marcher des
         troupes</hi> : = <hi rend="i">ce général a commandé</hi> une armée <hi rend="i">de cent
          mille hommes</hi>. Ce régime est composé, lorsque <hi rend="i">commander</hi> signifie,
          <hi rend="i">avoir droit et puissance, avoir autorité, empire sur quelqu’un</hi> ; et en
         ce sens, ce verbe est neutre : = <hi rend="i">le souverain commande</hi> à ses sujets ; <hi
          rend="i">le père</hi> à ses enfants ; <hi rend="i">le maître</hi> à ses domestiques ; <hi
          rend="i">le capitaine</hi> à ses soldats.</p>
        <p><hi rend="i">Croître</hi>, suivant l’Académie, est un verbe neutre, qui prend tantôt <hi
          rend="i">en</hi>, tantôt <hi rend="i">à</hi>: = <hi rend="i">croître</hi> en sagesse : <hi
          rend="i">croître</hi> à <hi rend="i">certaine</hi> hauteur. On ne peut donc pas le faire
         actif, en lui donnant un régime simple. Il y a donc une faute dans ces vers de <hi rend="i"
          >Racine</hi> :</p>
        <quote>
         <l>Tu verras que les Dieux n’ont dicté cet oracle,</l>
         <l>Que pour <hi rend="i">croître</hi>, à la fois, sa <hi rend="i">gloire</hi> et mon <hi
           rend="i">tourment</hi>.</l>
        </quote>
        <p><hi rend="i">Désespérer</hi>, signifiant <hi rend="i">perdre l’espérance</hi>, <hi
          rend="i">cesser d’espérer</hi>, est neutre, et a un régime composé avec <hi rend="i"
          >de</hi> : = <hi rend="i">il ne faut pas désespérer</hi> de l’état. Lorsqu’il signifie,
          <hi rend="i">tourmenter</hi>, <hi rend="i">affliger au dernier point</hi>, il est actif :
         = <hi rend="i">ne désespérez pas</hi> cet homme.</p>
        <p>On peut dire, <hi rend="i">désirer de faire quelque <pb n="128" xml:id="p128"/>
          chose</hi>, et, <hi rend="i">désirer faire quelque chose</hi>. Mais, suivant l’Académie,
         l’usage le plus ordinaire est de mettre <hi rend="i">de</hi> avant l’infinitif qui suit le
         verbe <hi rend="i">désirer</hi>.</p>
        <p><hi rend="i">Échapper</hi>, signifiant <hi rend="i">se sauver des mains de quelqu’un,
          d’une prison, de quelque péril</hi>, est neutre ou réciproque, et veut un régime composé
         avec la préposition <hi rend="i">de</hi> : = <hi rend="i">il a échappé, il s’est
          échappé</hi> des mains <hi rend="i">des sergents</hi>. <hi rend="i">Échapper</hi>,
         signifiant <hi rend="i">n’être pas saisi</hi>, <hi rend="i">n’être pas aperçu</hi>, est
         neutre, et veut un régime composé avec la préposition <hi rend="i">à</hi> : = <hi rend="i"
          >il a échappé, il est échappé</hi> à la poursuite <hi rend="i">de son ennemi</hi>. Le sens
         différent de ces deux prépositions, dit l’Académie, se fera sentir dans un exemple : = <hi
          rend="i">l’un des coupables a échappé</hi> au prévôt ; <hi rend="i">et l’autre s’est
          échappé</hi> de prison.</p>
        <p><hi rend="i">Éclairer</hi>, signifiant <hi rend="i">faire des éclairs</hi>, est
         impersonnel : = <hi rend="i">il</hi> a éclairé <hi rend="i">toute la nuit</hi>. Lorsqu’il
         signifie, <hi rend="i">répandre de la clarté</hi>, il est actif, et par conséquent a un
         régime simple : = <hi rend="i">le soleil éclaire</hi> la terre. Mais lorsqu’il signifie,
          <hi rend="i">apporter de la lumière à quelqu’un, pour lui faire voir clair</hi>, il est
         neutre, et veut un régime composé avec la préposition <hi rend="i">à</hi>. Ainsi ce serait
         une faute de dire : <hi rend="i">éclairez monsieur</hi>. Il faut dire : <hi rend="i"
          >éclairez à monsieur</hi>.</p>
        <p><hi rend="i">Élever</hi>, a un régime simple et un régime composé. Mais ce dernier veut
         toujours <hi rend="i">à</hi>, lorsque le substantif est précédé de l’article, ou d’un mot
         équivalent. On dit, <hi rend="i">élever</hi> en dignité, parce qu’il n’y a pas d’article
         avant ce nom. Mais il faut dire, <hi rend="i">élever</hi>
         <pb n="129" xml:id="p129"/>à une dignité, parce qu’il y a un mot équivalent à l’article.
         L’Académie, dans sa <hi rend="i">critique</hi> de la tragédie <hi rend="i">du Cid</hi>, a
         relevé cette faute que <hi rend="i">Corneille</hi> a faite en disant :</p>
        <quote>
         <l>Enfin vous l’emportez ; et la faveur du Roi</l>
         <l>Vous <hi rend="i">élève en un rang</hi> qui n’était dû qu’à moi.</l>
        </quote>
        <p>Il aurait fallu, <hi rend="i">à un rang</hi>.</p>
        <p><hi rend="i">Être d’humeur à</hi>, se dit, suivant la même Académie, d’une disposition
         habituelle : = <hi rend="i">il n’est pas</hi> d’humeur à se laisser gourmander. <hi
          rend="i">Être en humeur de</hi>, se dit de la disposition actuelle : = <hi rend="i">il
          est</hi> en humeur de <hi rend="i">faire tout ce qu’on veut</hi>.</p>
        <p><hi rend="i">Insulter</hi>, signifiant <hi rend="i">maltraiter quelqu’un de fait ou de
          parole</hi>, est actif. Mais lorsqu’il signifie, <hi rend="i">prendre avantage de l’état
          d’un homme pour lui faire quelque offense</hi>, il est neutre, et veut un régime composé
         avec la préposition <hi rend="i">à</hi>. Ainsi l’on dira : <hi rend="i">n’insultez
          point</hi> cet homme ; et <hi rend="i">n’insultez pas</hi> à la misère <hi rend="i">de cet
          homme</hi>.</p>
        <p>Il ne faut pas mettre <hi rend="i">que</hi> entre le verbe <hi rend="i">ne pas
          laisser</hi>, et la préposition <hi rend="i">de</hi> placée avant l’infinitif qui le suit.
         L’Académie dit : <hi rend="i">il est pauvre</hi> ; mais <hi rend="i">il ne laisse</hi> pas
          d’<hi rend="i">être honnête homme</hi> ; et non, <hi rend="i">il</hi> ne laisse pas que
          d’<hi rend="i">être honnête homme</hi>.</p>
        <p><hi rend="i">Pardonner</hi>, a un régime simple, qui est celui de la chose, et un régime
         composé avec la préposition <hi rend="i">à</hi>, qui est celui de la personne. Ainsi l’on
         dit, <hi rend="i">pardonner</hi> une faute à quelqu’un. Mais on ne peut pas dire, <hi
          rend="i">pardonner</hi> quelqu’un. Il faut dire <pb n="130" xml:id="p130"/><hi rend="i"
          >pardonner</hi> à quelqu’un ; et en ce sens ce verbe est neutre : = <hi rend="i">le
          roi</hi> lui <hi rend="i">a pardonné et l’a remis en grâce</hi>.</p>
        <p><hi rend="i">Satisfaire</hi>, signifiant <hi rend="i">contenter</hi>, a un régime
         simple : = <hi rend="i">cet enfant satisfait</hi> son père <hi rend="i">et</hi> sa mère : =
          <hi rend="i">il a satisfait tous</hi> ses créanciers. <hi rend="i">Satisfaire</hi>,
         signifiant <hi rend="i">faire ce que l’on doit à l’égard de quelque chose</hi>, est neutre,
         et a un régime composé qui prend <hi rend="i">à</hi> : = <hi rend="i">il a satisfait</hi> à
         son devoir, à ses engagements.</p>
        <p><hi rend="i">Suppléer</hi>, est actif, suivant l’Académie, lorsqu’il signifie <hi
          rend="i">ajouter ce qui manque</hi>, <hi rend="i">fournir ce qu’il faut de surplus</hi> :
         = ce sac doit être de mille francs : vous suppléerez ce <hi rend="i">qu’il y aura de
          moins</hi> ; <hi rend="i">vous suppléerez</hi> le reste. Mais <hi rend="i">suppléer</hi>,
         signifiant <hi rend="i">réparer le manquement, le défaut de quelque chose</hi>, est neutre,
         et a un régime composé qui prend <hi rend="i">à</hi> : = <hi rend="i">son mérite
          supplée</hi> au défaut <hi rend="i">de sa naissance</hi>.</p>
       </div5>
       <div5 type="section">
        <head>Répétition d’un nom en régime après deux verbes.</head>
        <p>Quand deux verbes, qui ont de leur nature différents régimes, sont suivis d’un nom, il
         faut que le nom en régime soit mis après chacun de ces deux verbes, et par conséquent,
         qu’il soit répété ou par lui-même ou par un pronom. On ne peut donc pas dire : <hi rend="i"
          >les vaisseaux qui</hi> entrent <hi rend="i">et</hi> sortent de ce bras <hi rend="i">de
          mer</hi>, s’arrêtent souvent dans un petit port, qui n’en est pas éloigné : = le souverain
         créateur préside <hi rend="i">et</hi> règle, <hi rend="i">avec une sagesse infinie</hi>, le
         mouvement <hi rend="i">des astres</hi>. Dites : <hi rend="i">les vaisseaux qui</hi> entrent
         dans ce bras <hi rend="i">de mer, et qui</hi> en sortent, <hi rend="i">s’arrêtent souvent
          dans un petit <pb n="131" xml:id="p131"/>port qui n’en est pas éloigné</hi> : = <hi
          rend="i">le souverain créateur</hi> préside au mouvement <hi rend="i">des astres, et</hi>
         le règle <hi rend="i">avec une sagesse infinie</hi>.</p>
        <p>Il en est de même, lorsque deux verbes sont suivis d’un autre verbe, qui doit être
         employé dans différents temps ou dans différents modes : il faut alors répéter ce troisième
         verbe. Ainsi au lieu de dire : <hi rend="i">je</hi> désire <hi rend="i">et j’</hi>espère
          <hi rend="i">que nous</hi> serons vainqueurs ; on doit dire : <hi rend="i">je</hi> désire
          <hi rend="i">que nous</hi> soyons <hi rend="i">vainqueurs, et j’</hi>espère <hi rend="i"
          >que nous le</hi> serons.</p>
        <p>Cette règle a lieu pour toute espèce de mots régissants, soit participes, soit adjectifs,
         soit prépositions, etc. Chacun d’eux assujettit à son régime le même nom. Ne dites donc
         pas : <hi rend="i">les rois sont</hi> soumis <hi rend="i">et</hi> dépendants de Dieu : <hi
          rend="i">votre ami paraît</hi> digne <hi rend="i">et bien</hi> propre à remplir <hi
          rend="i">la place qu’il occupe</hi> : = <hi rend="i">nous devons toujours nous
          conduire</hi> suivant <hi rend="i">et</hi> conformément aux principes <hi rend="i">de
          l’honneur</hi>. Il faut dire : <hi rend="i">les rois sont</hi> soumis à Dieu, <hi rend="i"
          >et</hi> en <hi rend="i">sont</hi> dépendants : = <hi rend="i">votre ami paraît</hi> digne
         de la place <hi rend="i">qu’il occupe, et bien</hi> propre à la remplir : = <hi rend="i"
          >nous devons toujours nous conduire</hi> suivant l’honneur, <hi rend="i">et</hi>
         conformément à ses principes. Il y a donc une faute dans cette phrase : <hi rend="i">ce
          seigneur avait toutes les qualités aimables qui sont quelquefois</hi> attachées, <hi
          rend="i">et devraient toujours être</hi> inséparables de la haute noblesse. Il fallait
         dire : <hi rend="i">ce seigneur avait toutes les qualités aimables, qui sont
          quelquefois</hi> attachées à la haute noblesse, <hi rend="i">et qui devraient
          toujours</hi> en <hi rend="i">être</hi> inséparables.</p>
       </div5>
       <pb n="132" xml:id="p132"/>
       <div5 type="section">
        <head>Répétition du verbe.</head>
        <p>Le verbe doit être répété dans une phrase qui a deux parties, dont l’une est affirmative,
         et l’autre négative. Ainsi, au lieu de dire ; attendons <hi rend="i">tout de Dieu, et</hi>
         rien <hi rend="i">de nous-mêmes</hi> ; dites plutôt : attendons <hi rend="i">tout de Dieu,
          et</hi> n’attendons rien <hi rend="i">de nous-mêmes</hi>. Il est assez important
         d’observer cette règle, parce que le défaut de répétition du verbe rend souvent le sens
         d’une phrase, louche et obscur ; comme on le voit dans ce vers de la tragédie <hi rend="i"
          >du Cid</hi> :</p>
        <quote>
         <l>L’amour n’est qu’un plaisir, et l’honneur un devoir.</l>
        </quote>
        <p>Le sens, en effet, que présente cette phrase ainsi construite, est celui-ci : <hi
          rend="i">l’amour n’est qu’un plaisir, et l’honneur n’est qu’un devoir</hi>. Or ce n’est
         certainement pas celui du poète, qui voulait dire : </p>
        <quote>
         <l>L’amour n’est qu’un plaisir ; l’honneur est un devoir.</l>
        </quote>
        <p>Et c’est ainsi qu’il aurait dû s’exprimer.</p>
        <p>Si je me permets ici de relever deux fautes, qui, dans une même phrase, sont échappées à
         un de nos grammairiens les plus estimés, c’est dans la seule vue de faire sentir aux jeunes
         gens la grande attention qu’ils doivent joindre à la connaissance des règles, pour écrire
         correctement. L’abbé <hi rend="i">Girard</hi> a dit : <quote><hi rend="i">ce n’</hi>est <hi
           rend="i">pas</hi> les <hi rend="i">plus honnêtes</hi> gens <hi rend="i">de la cour qu’il
           faut choisir pour soutiens de sa fortune</hi> ; mais ceux <hi rend="i">qui ont le plus de
           crédit auprès du <pb n="133" xml:id="p133"/>Prince</hi></quote>. Suivant la règle que
         j’ai exposée ailleurs, il aurait dû, dans le premier membre de la phrase, mettre le verbe
          <hi rend="i">être</hi> au pluriel, et, suivant la règle dont il s’agit ici, le répéter
         dans le second, en disant : <hi rend="i">ce ne</hi> sont <hi rend="i">pas les plus honnêtes
          gens de la cour qu’il faut choisir pour soutiens de sa fortune ; mais ce</hi> sont ceux
          <hi rend="i">qui ont le plus de crédit auprès du Prince</hi>.</p>
        <p>Il faut encore répéter le verbe, quand il est actif dans le premier membre de la phrase,
         et que dans le second il doit être employé avec le verbe <hi rend="i">être</hi>. On dira,
         par exemple : <hi rend="i">les lois qu’on n’a pas su maintenir, et qui devaient</hi> être
         maintenues ; au lieu de dire simplement, <hi rend="i">et qui devaient</hi> l’être. C’est
         une faute qu’on remarque assez souvent dans les écrivains de nos jours. N’imitez donc pas
         celui qui a dit : <hi rend="i">l’église fut rebâtie, et</hi> l’on plaça <hi rend="i"
          >l’autel comme il devait être placé</hi>, ou prendre ce tour, <hi rend="i">et l’autel fut
          placé comme il devait l’être</hi>.</p>
        <p>Le verbe <hi rend="i">avoir</hi>, employé d’abord seul comme verbe actif, doit être
         répété avant un participe qui se trouve dans la même phrase. Celle-ci ne serait pas
         correcte : <hi rend="i">cet homme</hi> avait <hi rend="i">plus de talents naturels, et</hi>
         acquis <hi rend="i">plus de connaissances</hi>. Il faudrait dire : <hi rend="i">et</hi>
         avait acquis <hi rend="i">plus de connaissances</hi>.</p>
        <p>Le verbe <hi rend="i">faire</hi> peut être mis à la place d’un verbe qu’on ne veut point
         répéter. Mais il doit être alors employé absolument, c’est-à-dire, qu’il ne doit point
         avoir de nom ni de pronom en régime. Ainsi il y <pb n="134" xml:id="p134"/>a une faute dans
         cette phrase : <quote><hi rend="i">les gouverneurs de province, devenus héréditaires,
           méconnurent les ordres du nouveau souverain, comme ils avaient déjà</hi> fait ceux <hi
           rend="i">de ses prédécesseurs</hi></quote>. L’auteur aurait dû répéter le verbe, et dire,
          <hi rend="i">comme ils avaient déjà</hi> méconnu ceux <hi rend="i">de ses
          prédécesseurs</hi>.</p>
       </div5>
       <div5 type="section">
        <head type="sur">I.</head>
        <head type="main"><hi rend="i">Remarques sur le Participe</hi>.</head>
        <p>La règle du participe n’est ni aussi embarrassante, ni aussi difficile qu’on pourrait se
         l’imaginer. On n’a besoin, pour la bien saisir sous tous ses rapports, que d’une attention
         un peu suivie, mais en se rappelant toujours ce que c’est que le régime <hi rend="i"
          >simple</hi>, c’est-à-dire, celui qui n’est pas précédé d’une préposition exprimée ni
         sous-entendue ; et ce que c’est que le régime <hi rend="i">composé</hi>, c’est-à-dire,
         celui qui est précédé d’une préposition exprimée ou sous-entendue. Les deux premiers
         rapports, sous lesquels je considère cette règle, sont ceux-ci.</p>
        <div6 type="section">
         <head>Règle du participe, considérée sous ses deux premiers rapports.</head>
         <p>1°. Le participe est indéclinable, c’est-à-dire, ne prend jamais ni genre ni nombre,
          dans les verbes actifs suivis de leur régime simple, ni dans les verbes neutres qui se
          conjuguent avec l’auxiliaire <hi rend="i">avoir</hi>.</p>
         <p>Verbes actifs : = <hi rend="i">une grêle affreuse</hi> a dévasté <hi rend="i">nos</hi>
          campagnes : = <hi rend="i">les brillants exploits d’un homme de guerre</hi> ont illustré
           <hi rend="i">une</hi> famille <hi rend="i">obscure</hi> : = <hi rend="i">nous</hi> avons
          entendu <hi rend="i">les</hi> cris <hi rend="i">effrayants des séditieux, et nous</hi>
          <pb n="135" xml:id="p135"/>avons bravé <hi rend="i">la</hi> fureur <hi rend="i">de ces
           monstres sanguinaires</hi>.</p>
         <p>Verbes neutres : = <hi rend="i">dans cette douce espérance, tous les cœurs</hi> avaient
          tressailli <hi rend="i">de joie ; et cette</hi> joie avait éclaté <hi rend="i">sur tous
           les visages. Mais au seul récit de ces nouveaux attentats</hi>, nous avons <hi rend="i"
           >tous</hi> frémi, frissonné <hi rend="i">d’horreur ; et nos</hi> femmes auraient <hi
           rend="i">même</hi> tremblé <hi rend="i">pour leur propre vie, si</hi> nous avions tardé
           <hi rend="i">à voler à leur secours</hi>.</p>
         <p>2°. Le participe prend toujours le genre et le nombre de son sujet dans les verbes
          passifs ; dans les verbes neutres, qui se conjuguent avec l’auxiliaire <hi rend="i"
           >être</hi>, et dans les verbes réciproques, qui n’ayant point de régime simple, ne
          pourraient jamais se construire avec l’auxiliaire <hi rend="i">avoir</hi>.</p>
         <p>Verbes passifs : = <hi rend="i">quand le vrai</hi> mérite <hi rend="i">seul</hi> est
          récompensé <hi rend="i">par le souverain, la</hi> vertu est <hi rend="i">toujours</hi>
          honorée <hi rend="i">par les grands</hi> ; <hi rend="i">les</hi> principes <hi rend="i"
           >des bonnes mœurs</hi> sont respectés <hi rend="i">par ceux qui les approchent</hi> ; <hi
           rend="i">toutes les</hi> lois sont <hi rend="i">constamment</hi> observées <hi rend="i"
           >par le peuple</hi>.</p>
         <p>Verbes neutres : = <hi rend="i">cette grande</hi> armée était <hi rend="i">déjà</hi>
          partie, <hi rend="i">lorsque les deux derniers</hi> régiments sont arrivés : = si nous
          étions sortis <hi rend="i">plus tard</hi>, nous serions <hi rend="i">infailliblement</hi>
          tombés <hi rend="i">dans ce précipice</hi>.</p>
         <p>Verbes réciproques : = <hi rend="i">bien des</hi> gens <hi rend="i">se</hi> sont
          repentis <hi rend="i">d’avoir perdu le temps de leur jeunesse</hi> : = nous <hi rend="i"
           >nous</hi> sommes lamentés <hi rend="i">inutilement</hi> : = <hi rend="i">cet</hi> homme
          s’est moqué, <hi rend="i">cette</hi> femme s’est moquée <hi rend="i">mal à propos</hi>
          <pb n="136" xml:id="p136"/> de ce malheureux ; = <hi rend="i">vos</hi> frères <hi rend="i"
           >se</hi> sont tus, <hi rend="i">vos</hi> sœurs <hi rend="i">se</hi> sont tues <hi
           rend="i">sur ce sujet</hi>. On voit que ce second pronom, avec lequel se conjuguent ces
          verbes réciproques, n’est pas en régime simple, puisqu’on ne pourrait pas les changer en
          actifs, en disant : <hi rend="i">bien des gens ont repenti eux</hi>, etc ; <hi rend="i"
           >nous avons lamenté nous</hi>, etc. ; <hi rend="i">cet homme a moqué lui, cette femme a
           moqué elle</hi>, etc. ; <hi rend="i">vos frères ont tu eux, vos sœurs ont tu elles</hi>,
          etc. Voilà pourquoi l’usage les mettant ici, en quelque façon, dans la classe des verbes
          passifs, veut que leur participe s’accorde avec le sujet.</p>
         <p>Au reste, il y a quelques verbes de cette espèce, mais en très petit nombre, dont le
          participe est indéclinable, n’ayant ni féminin ni pluriel. Ceux qui, dans ce moment, se
          présentent à ma mémoire, sont les participes <hi rend="i">ri</hi> et <hi rend="i"
           >plus</hi>. Ainsi l’on doit dire : <hi rend="i">il s’est</hi> ri, <hi rend="i">ils se
           sont ri, elle s’est ri, elles se sont</hi> ri <hi rend="i">de ce bon homme : il
           s’est</hi> plu, <hi rend="i">ils se sont</hi> plu, <hi rend="i">elle s’est</hi> plu, <hi
           rend="i">elles se sont</hi> plu <hi rend="i">à la campagne</hi>. À cette occasion, je
          dirai aussi que les participes <hi rend="i">été</hi> et <hi rend="i">pu</hi> n’ont ni
          féminin ni pluriel.</p>
         <p>Ces deux points, assez clairs par eux-mêmes, n’ont, sans doute, pas besoin d’une plus
          longue explication. Je vais exposer et éclaircir le troisième, en suivant les traces de
          nos écrivains qui ont le mieux approfondi la science grammaticale, et parmi lesquels je me
          borne à nommer <hi rend="i">Duclos</hi> et l’Abbé d’<hi rend="i">Olivet</hi>. Voici le
          vrai <pb n="137" xml:id="p137"/>sens du principe fixe qu’ils ont établi.</p>
        </div6>
        <div6 type="section">
         <head>Règle du participe, considérée sous son troisième rapport.</head>
         <p>Dans les verbes actifs, et dans les verbes réciproques, le participe, précédé de son
          régime simple, en prend toujours le genre et le nombre. Il faut donc, pour que le
          participe soit déclinable, la réunion de ces trois circonstances : 1°. qu’un nom ou un
          pronom le précède : 2°. que ce nom ou ce pronom soit régi par ce participe, joint à son
          auxiliaire <hi rend="i">avoir</hi> ou <hi rend="i">être</hi> : 3°. que ce nom ou ce pronom
          soit en régime simple. Voici d’abord des exemples pour les verbes actifs.</p>
        </div6>
        <div6 type="section">
         <head>Exemples pour les verbes actifs.</head>
         <p><hi rend="i">Quel livre avez-vous</hi> lu ? = <hi rend="i">quelle beauté avez-vous</hi>
          remarquée ? = <hi rend="i">quels ouvrages avez-vous</hi> composés ? = <hi rend="i">quelles
           contrées avez-vous</hi> parcourues ? Ces noms substantifs <hi rend="i">livre,
          beauté</hi>, <hi rend="i">ouvrages</hi>, <hi rend="i">contrées</hi>, sont en régime
          simple : ils sont régis par l’auxiliaire et les participes qu’ils précèdent, <hi rend="i"
           >lu</hi>, <hi rend="i">remarquée</hi>, <hi rend="i">composés</hi>, <hi rend="i"
           >parcourues</hi>. Donc ces participes doivent prendre le genre et le nombre de ces
          noms.</p>
         <p><hi rend="i">La valeur que vous avez</hi> montrée, <hi rend="i">dans ce combat sanglant,
           nous a</hi> remplis <hi rend="i">de la plus grande estime pour vous</hi>. = <hi rend="i"
           >Voilà des fleurs que j’ai</hi> cultivées <hi rend="i">moi-même : je les ai</hi>
          cueillies <hi rend="i">au lever de l’aurore</hi>. Dans la première phrase, je dis <hi
           rend="i">montrée</hi>, parce que le pronom relatif <hi rend="i">que</hi>, en régime
          simple, et régi par le participe qu’il précède, est au féminin et au singulier, à cause de
          son antécédent <hi rend="i">valeur</hi>. Je dis <hi rend="i">remplis</hi>, parce que le
          pronom <hi rend="i">nous</hi>, en régime simple, et qui précède ce participe, par lequel
          il est régi, est <pb n="138" xml:id="p138"/>au masculin et au pluriel. Dites-en autant,
          pour la seconde phrase, des participes <hi rend="i">cultivées</hi> et <hi rend="i"
           >cueillies</hi>.</p>
         <p>Cette règle doit être également observée, quand le participe, précédé de son régime
          simple, est immédiatement suivi ou d’un substantif, ou d’un adjectif, ou d’un autre
          participe. Il faudra donc dire : <hi rend="i">je connais les deux braves officiers que le
           roi a</hi> nommés colonels : = votre <hi rend="i">mère, que j’avais</hi> vue malade, <hi
           rend="i">je l’ai</hi> trouvée guérie. <hi rend="i">Racine</hi> a dit, en parlant de
          l’épée d’Hippolyte :</p>
         <quote>
          <l>Je l’ai <hi rend="i">rendue horrible</hi> à ses yeux inhumains.</l>
         </quote>
         <p>Et dans un autre endroit : </p>
         <quote>
          <l>La Grèce, en ma faveur, est trop inquiétée :</l>
          <l>De soins plus importants je l’ai <hi rend="i">crue agitée</hi>.</l>
         </quote>
         <p><hi rend="i">Voltaire</hi> ne s’est donc pas exprimé correctement, lorsqu’il a dit :
            <quote><hi rend="i">je ne défends point ces rimes, parce que je les ai employées : mais
            je ne m’en suis servi, que parce que je les ai</hi> cru bonnes.</quote> Il devait dire,
           <hi rend="i">crues</hi>. Le même auteur a fait aussi une faute, en disant : <quote><hi
            rend="i">tant d’ouvrages que j’ai</hi> vu applaudis <hi rend="i">au théâtre et méprisés
            à la lecture, me font craindre pour le mien le même sort</hi>.</quote> Il aurait dû
          dire, <hi rend="i">vus</hi>.</p>
         <p>Le participe s’accorde encore avec son régime simple qui le précède, quoique le sujet
          soit mis après le verbe : c’est aujourd’hui le sentiment de tous les bons grammairiens. On
          dira donc : <hi rend="i">je ne suis pas surpris de la justice que vous ont</hi> rendue <pb
           n="139" xml:id="p139"/>vos juges. = <hi rend="i">Vous savez les peines que m’a données
           cette affaire</hi>.</p>
         <p>J’ajoute que cette dernière règle a été, dans tous les temps, observées par nos
          meilleurs écrivains. <hi rend="i">Malherbe</hi>, qui a été presque le créateur de notre
          langue, dit dans sa traduction de <hi rend="i">Tite-Live</hi> : <quote><hi rend="i">la
            Légion qu’avait eue ce général romain</hi></quote>, etc. <hi rend="i">Boileau</hi>, dans
          ses réflexions sur <hi rend="i">Longin</hi> : <quote><hi rend="i">La langue qu’ont</hi>
           écrite <hi rend="i">Cicéron et Virgile</hi></quote>, etc. <hi rend="i">Racine</hi>, dans
          sa tragédie de <hi rend="i">Britannicus</hi> :</p>
         <quote>
          <l>Ces yeux que n’ont <hi rend="i">émus</hi> ni soupirs ni terreur.</l>
         </quote>
         <p>À l’égard du pronom relatif <hi rend="i">en</hi>, il suppose toujours la préposition <hi
           rend="i">de</hi>, puisqu’il est pour <hi rend="i">de lui</hi>, <hi rend="i">d’elle</hi>,
           <hi rend="i">d’eux</hi>, <hi rend="i">d’elles</hi>, <hi rend="i">de cela</hi>. Par
          conséquent il n’est jamais régime simple ; et par cette raison, il n’influe point sur le
          participe. = De <hi rend="i">trois histoires qu’il a écrites, il en a</hi> publié <hi
           rend="i">deux</hi>, et non pas <hi rend="i">publiées</hi>. <hi rend="i">Voltaire</hi>,
          parlant de sa tragédie de <hi rend="i">Mariamne</hi>, dit : <quote><hi rend="i">je sens
            avec déplaisir toutes les fautes qui sont dans la contexture de ma pièce, aussi bien que
            dans la diction. J’en aurais</hi> corrigé <hi rend="i">quelques-unes, si j’avais pu
            retarder cette édition. Mais j’en aurais encore</hi> laissé <hi rend="i"
           >beaucoup</hi></quote>. Il n’a point dit, <hi rend="i">corrigées</hi>, <hi rend="i"
           >laissées</hi>.</p>
         <p>Les exceptions qu’on a voulu faire au sujet du participe, suivi d’un verbe à
          l’infinitif, sont, suivant <hi rend="i">Duclos</hi>, de pures chimères. En effet, la règle
          établie est invariable, toutes les fois que le régime simple qui précède, est régi par
          l’auxiliaire joint <pb n="140" xml:id="p140"/>au participe : peu importe que ce participe
          soit suivi d’un verbe à l’infinitif, ou qu’il ne le soit pas. <hi rend="i">Racine</hi> a
          dit, en parlant de Junie :</p>
         <quote>
          <l>Cette nuit je l’ai <hi rend="i">vue</hi> arriver en ces lieux.</l>
         </quote>
         <p><hi rend="i">vue</hi>, parce que le pronom <hi rend="i">la</hi> est régi par ce
          participe et l’auxiliaire, puisqu’on peut dire : <hi rend="i">j’ai vu elle arriver</hi> ou
           <hi rend="i">qui arrivait</hi>. Mais je dirai : <hi rend="i">la maison que j’ai</hi> vu
           <hi rend="i">bâtir, menace ruine</hi> : <hi rend="i">vu</hi>, parce que le pronom <hi
           rend="i">que</hi> est régi par l’infinitif <hi rend="i">bâtir</hi>, puisqu’on peut fort
          bien dire, <hi rend="i">j’ai vu bâtir la maison</hi> ; au lieu qu’on ne pourrait pas
          dire : <hi rend="i">j’ai vu la maison bâtir</hi>.</p>
         <p>Ainsi, on dirait, par exemple, d’une femme qui aurait été battue : <hi rend="i">on
           l’a</hi> laissé <hi rend="i">battre</hi> : <hi rend="i">laissé</hi>, parce que le pronom
           <hi rend="i">la</hi>, qui précède ce participe, est le régime du verbe <hi rend="i"
           >battre</hi>, puisque c’est comme si l’on disait : <hi rend="i">on a laissé battre
           elle</hi>. Mais on dirait d’une femme qui aurait battu son enfant : <hi rend="i">on
           l’a</hi> laissé <hi rend="i">battre son enfant</hi> : <hi rend="i">laissée</hi>, parce
          que <hi rend="i">la</hi>, qui précède ce participe, en est le régime, puisque c’est comme
          si l’on disait : <hi rend="i">on a laissé elle battre</hi>, ou <hi rend="i">qui battait
           son enfant</hi>.</p>
         <p>Dans cet exemple, cité par <hi rend="i">Duclos</hi> : <hi rend="i">avez-vous entendu
           chanter la nouvelle actrice ?</hi> il faut répondre : <hi rend="i">je l’ai</hi> entendue
           <hi rend="i">chanter</hi> ; c’est-à-dire, <hi rend="i">j’ai entendu elle chanter</hi>,
          ou, <hi rend="i">qui chantait</hi> : = <hi rend="i">avez-vous entendu chanter la nouvelle
           ariette ?</hi> il faut répondre : <hi rend="i">je l’ai</hi> entendu <hi rend="i"
           >chanter</hi>, parce qu’on ne pourrait pas dire : <hi rend="i">j’ai entendu la nouvelle
           ariette <pb n="141" xml:id="p141"/>chanter</hi> ; il faudrait dire : <hi rend="i">j’ai
           entendu chanter la nouvelle ariette</hi>. On dira donc d’une dame qui peignait : <hi
           rend="i">je l’ai</hi> vue <hi rend="i">peindre</hi> ; c’est-à-dire, <hi rend="i">j’ai vu
           elle peindre</hi>, ou, <hi rend="i">qui peignait</hi> ; et d’une dame qu’on peignait :
           <hi rend="i">je l’ai</hi> vu <hi rend="i">peindre</hi> ; c’est-à-dire, <hi rend="i">j’ai
           vu peindre elle</hi>.</p>
         <p>Il faudra également dire d’une femme : <hi rend="i">on l’a</hi> laissée <hi rend="i"
           >tomber, mourir</hi>, parce que le pronom <hi rend="i">la</hi> est le régime de <hi
           rend="i">laissée</hi>, ne pouvant être celui des infinitifs <hi rend="i">tomber,
           mourir</hi>, qui sont des verbes neutres : c’est-à-dire, <hi rend="i">on a laissé elle
           tomber, mourir</hi>. Mais on dira : <hi rend="i">on l’a</hi> fait <hi rend="i">tomber,
           mourir</hi>, et non pas <hi rend="i">faite</hi>, parce qu’on ne pourrait pas dire : <hi
           rend="i">on a fait elle tomber, mourir</hi> : il faudrait dire : <hi rend="i">on a fait
           tomber, mourir elle</hi>. Le pronom <hi rend="i">la</hi> est régi par les deux verbes <hi
           rend="i">fait</hi> et <hi rend="i">mourir</hi>, qui étant ici mots inséparables,
          présentent une seule idée à l’esprit (j’en dirai la raison un peu plus bas). C’est ce qui
          a lieu dans tous les cas, où le participe de <hi rend="i">faire</hi> est suivi d’un
          infinitif ; comme <hi rend="i">la maison que j’ai</hi> fait <hi rend="i">bâtir les terres
           que j’ai</hi> fait <hi rend="i">labourer</hi> ; <hi rend="i">les soldats qu’on a</hi>
          fait <hi rend="i">marcher</hi>.</p>
         <p>Il arrive quelquefois que l’infinitif qui régit le pronom qui précède, est
          sous-entendu ; et alors le participe ne prend ni genre ni nombre : = <hi rend="i">il a
           obtenu toutes les grâces qu’il a</hi> voulu : = <hi rend="i">il s’est donné tous les
           soins qu’il a</hi> dû : = <hi rend="i">il a employé tous les moyens qu’il a</hi> pu. Les
          verbes <hi rend="i">obtenir</hi>, <hi rend="i">donner</hi>, <hi rend="i">employer</hi>,
          sont sous-entendus <pb n="142" xml:id="p142"/>après les participes <hi rend="i"
          >voulu</hi>, <hi rend="i">dû</hi>, <hi rend="i">pu</hi> ; et c’est à ces verbes que le
          pronom en régime doit se rapporter.</p>
         <p>Il faut observer encore qu’il y a quelques participes, entre autres ceux des verbes <hi
           rend="i">plaindre</hi>, <hi rend="i">craindre</hi>, <hi rend="i">fuir</hi>, qu’il est bon
          d’éviter au féminin : = <hi rend="i">la personne que j’ai</hi> plainte : <hi rend="i">la
           maladie que j’ai</hi> crainte : <hi rend="i">l’occasion que j’ai</hi> fuie. Ces
          participes sont très conformes à la règle. Mais ils sont si durs à l’oreille, qu’ils ne
          sont presque pas usités. On fera bien d’y substituer d’autres expressions.</p>
         <p>Cette règle, concernant les participes des verbes actifs, ne souffre point d’exceptions,
          ou en souffre tout au plus une seule. C’est quand le participe et l’auxiliaire forment un
          verbe impersonnel. Alors le participe ne prend ni genre ni nombre : = <hi rend="i">les
           chaleurs excessives qu’il a</hi> fait, et non pas <hi rend="i">faites</hi> : = <hi
           rend="i">la grande inondation qu’il y a</hi> eu, et non pas <hi rend="i">eue</hi>.</p>
        </div6>
        <div6 type="section">
         <head>Exemples pour les verbes réciproques.</head>
         <p>Quant aux verbes réciproques, la règle est, comme je l’ai déjà dit, la même que dans les
          verbes actifs. Quelques exemples suffiront pour la confirmer.</p>
         <p><hi rend="i">Quel chemin nous sommes-nous</hi> frayé ? = <hi rend="i">quelle tâche vous
           êtes-vous</hi> prescrite ? = <hi rend="i">quelle réputation se sont-ils</hi> acquise ? =
           <hi rend="i">quels biens se sont-elles</hi> appropriés ? Changeons un peu le sens de ces
          phrases, en leur donnant un autre tour. = <hi rend="i">Le chemin que nous nous sommes</hi>
          frayé, <hi rend="i">se raccommode</hi>. = <hi rend="i">La tâche que vous vous êtes</hi>
          prescrite, <hi rend="i">est pénible</hi>. = <hi rend="i">Leur réputation <pb n="143"
            xml:id="p143"/>est bien fondée : ils se la sont</hi> acquise <hi rend="i">par leur
           mérite</hi>. = <hi rend="i">Elles possèdent de grands biens : mais elles se les sont</hi>
          appropriés <hi rend="i">injustement</hi>. Dans tous ces exemples, les participes <hi
           rend="i">frayé</hi>, <hi rend="i">prescrite</hi>, <hi rend="i">acquise</hi>, <hi rend="i"
           >appropriés</hi>, s’accordent avec les substantifs <hi rend="i">chemin</hi>, <hi rend="i"
           >tâche</hi>, <hi rend="i">réputation</hi>, <hi rend="i">biens</hi>, et les pronoms
          relatifs <hi rend="i">que</hi>, <hi rend="i">la</hi>, <hi rend="i">les</hi>, qui précèdent
          ces participes, et qui en sont les régimes simples.</p>
         <p><hi rend="i">Nous</hi> nous <hi rend="i">sommes</hi> réunis <hi rend="i">à propos</hi> :
          = <hi rend="i">avant que ce procès soit jugé, vous</hi> vous <hi rend="i">serez l’un et
           l’autre</hi> déterminés <hi rend="i">à le finir</hi> : = <hi rend="i">doutez-vous que
           cette femme ne se soit</hi> réduite, <hi rend="i">par ses folles dépenses, à une extrême
           misère ?</hi> = <hi rend="i">on n’aurait pas cru que ces troupes se seraient si bien</hi>
          défendues. Je dis <hi rend="i">réunis</hi>, <hi rend="i">déterminés</hi>, <hi rend="i"
           >réduite</hi>, <hi rend="i">défendues</hi>, parce que les pronoms, <hi rend="i"
          >nous</hi>, <hi rend="i">vous</hi>
          <hi rend="i">se</hi>, sont les régimes simples de ces participes qu’ils précèdent. C’est
          comme si l’on disait : <hi rend="i">nous avons réuni</hi> nous ; <hi rend="i">vous aurez
           déterminé</hi> vous ; <hi rend="i">cette femme ait réduit</hi> elle ; <hi rend="i">ces
           troupes auroient défendu</hi> elles.</p>
         <p>Il n’en est pas de même dans les exemples suivants : = <hi rend="i">nous ne</hi> nous
           <hi rend="i">sommes pas</hi> dissimulé <hi rend="i">que le succès de cette affaire est
           douteux. = Vous</hi> vous <hi rend="i">êtes tous les deux</hi> imaginé ; <hi rend="i">vos
           femmes se sont</hi> figuré <hi rend="i">que la chose pourrait arriver autrement</hi>. Je
          dis <hi rend="i">dissimulé</hi>, <hi rend="i">imaginé</hi>, <hi rend="i">figuré</hi>,
          parce que les pronoms <hi rend="i">nous</hi>, <hi rend="i">vous</hi>, <hi rend="i"
          >se</hi>, qui précèdent ces participes, n’en sont que les régimes composés. C’est comme si
          l’on disait : <hi rend="i">nous <pb n="144" xml:id="p144"/>n’avons pas dissimulé</hi> à
          nous ; <hi rend="i">vous avez tous les deux imaginé</hi> à vous, ou, dans vous ; <hi
           rend="i">vos femmes ont figuré</hi> à elles, ou, dans elles.</p>
         <p>On dira donc : <hi rend="i">nous</hi> nous <hi rend="i">sommes</hi> proposés <hi
           rend="i">pour exécuter cette entreprise</hi>, c’est-à-dire, <hi rend="i">nous avons
           proposé</hi> nous (comme étant capables de l’exécuter) ; et, <hi rend="i">nous</hi> nous
           <hi rend="i">sommes</hi> proposé <hi rend="i">d’exécuter cette entreprise</hi>,
          c’est-à-dire, <hi rend="i">nous avons proposé</hi> à nous (comme ayant le dessein de
          l’exécuter). <hi rend="i">Lucrèce</hi> s’<hi rend="i">est</hi> tuée, c’est-à-dire <hi
           rend="i">a tué</hi> elle ; et <hi rend="i">Lucrèce s’est</hi> donné <hi rend="i">la
           mort</hi>, c’est-à-dire, <hi rend="i">a donné la mort</hi> à elle. <hi rend="i">Cette
           femme</hi> se <hi rend="i">sera</hi> mise <hi rend="i">à la tête des cabaleurs</hi> ;
          c’est-à-dire, <hi rend="i">aura mis</hi> elle ; et, <hi rend="i">cette femme se sera</hi>
          mis <hi rend="i">des chimères dans l’esprit</hi>, c’est-à-dire <hi rend="i">aura mis</hi>
          à elle.</p>
         <p>Quand le participe de ces verbes réciproques est immédiatement suivi ou d’un substantif,
          ou d’un adjectif, ou d’un autre participe, il s’accorde aussi, comme dans les verbes
          actifs, avec le régime simple qui le précède. En voici un exemple, qui réunissant ces
          trois espèces de mots, suffira pour l’explication de cette règle. = <hi rend="i">Ces
           femmes se sont</hi> déclarées <hi rend="i">les</hi> maîtresses <hi rend="i">de la
           maison : elles se sont ensuite</hi> reconnues coupables, <hi rend="i">et se sont</hi>
          vues contraintes <hi rend="i">à faire cet aveu</hi>.</p>
         <p>Peu importe que le sujet soit mis après le verbe. La règle est encore ici la même que
          dans les verbes actifs ; et le participe doit prendre le genre et le nombre du régime <pb
           n="145" xml:id="p145"/>simple, dont il est précédé. Ainsi de même qu’il faut dire : <hi
           rend="i">les lois que les</hi> Romains <hi rend="i">s’étaient</hi> prescrites, <hi
           rend="i">étaient fort sages</hi> : <hi rend="i">les pénitences que de pieux</hi>
          solitaires <hi rend="i">se sont</hi> imposées, <hi rend="i">sont très austères</hi> : <hi
           rend="i">la gloire que nos</hi> soldats <hi rend="i">se seraient</hi> acquise, <hi
           rend="i">aurait été au-dessus de tous les éloges</hi> ; on doit dire aussi : <hi rend="i"
           >les lois que s’étaient</hi> prescrites <hi rend="i">les</hi> Romains, <hi rend="i"
           >étaient fort sages</hi> : <hi rend="i">les pénitences que se sont</hi> imposées <hi
           rend="i">de pieux</hi> solitaires, <hi rend="i">sont très austères</hi> : <hi rend="i">la
           gloire que se seraient</hi> acquise <hi rend="i">nos</hi> soldats,<hi rend="i">aurait été
           au-dessus de tous les éloges</hi>.</p>
         <p>Enfin, quand le participe d’un verbe réciproque est suivi d’un infinitif, il faut voir,
          comme dans les verbes actifs, si le régime simple qui précède, dépend du participe, ou du
          verbe qui est à l’infinitif. = <hi rend="i">La science que nous nous sommes</hi> proposé
           <hi rend="i">d’étudier, est très utile</hi>. = <hi rend="i">Le fort que les ennemis se
           sont</hi> obstinés <hi rend="i">à assiéger, était imprenable</hi>. Je dis <hi rend="i"
           >proposé</hi>, et non <hi rend="i">proposée</hi> ; <hi rend="i">obstinés</hi>, et non <hi
           rend="i">obstiné</hi>, parce que le pronom relatif <hi rend="i">que</hi>, est régi, non
          par ces participes, mais par les infinitifs <hi rend="i">étudier</hi> et <hi rend="i"
           >assiéger</hi>, puisqu’on pourrait dire : <hi rend="i">nous nous sommes proposé d’étudier
           une science très utile ; les ennemis se sont obstinés à assiéger un fort
          imprenable</hi>.</p>
         <p>Dans ces exemples : <hi rend="i">elle s’est</hi> fait <hi rend="i">peindre</hi> ; <hi
           rend="i">ils se sont</hi> fait <hi rend="i">peindre</hi> ; je dis <hi rend="i">fait</hi>,
          parce que le pronom <hi rend="i">se</hi> est régi par le verbe <hi rend="i">peindre</hi>,
          ou plutôt, comme je l’ai déjà remarqué, par le participe <hi rend="i">fait</hi> et
          l’infinitif <hi rend="i">peindre</hi>, qui sont ici deux mots inséparables. C’est comme si
           <pb n="146" xml:id="p146"/>l’on disait : <hi rend="i">elle a fait peindre elle</hi> : <hi
           rend="i">ils ont fait peindre eux</hi>.</p>
         <p>Mais on dira, <hi rend="i">elle s’est</hi> laissée <hi rend="i">aller</hi> : <hi
           rend="i">elle s’est</hi> laissée <hi rend="i">tomber</hi> : <hi rend="i">elle s’est</hi>
          laissée <hi rend="i">mourir</hi>. <hi rend="i">Laissée</hi>, parce que le pronom <hi
           rend="i">se</hi> est régi par ce participe, et non par les verbes <hi rend="i"
          >aller</hi>, <hi rend="i">tomber</hi>, <hi rend="i">mourir</hi>, qui sont des verbes
          neutres ; c’est-à-dire, <hi rend="i">elle a laissé elle aller, tomber, mourir</hi>. Il
          faut dire au contraire, <hi rend="i">elle s’est</hi> laissé <hi rend="i">séduire</hi> :
           <hi rend="i">elle s’est</hi> laissé <hi rend="i">mener</hi> : <hi rend="i">elle
           s’est</hi> laissé <hi rend="i">battre</hi>. <hi rend="i">Laissé</hi>, parce que le pronom
           <hi rend="i">se</hi> est le régime, non pas de ce participe, mais des verbes <hi rend="i"
           >séduire</hi>, <hi rend="i">mener</hi>, <hi rend="i">battre</hi>, qui sont des verbes
          actifs ; c’est-à-dire, <hi rend="i">elle a laissé séduire, mener, battre elle</hi>.</p>
         <p>Tel est le principe simple et unique, mais fixe et invariable, qui répand la plus vive
          et la plus pure lumière sur cette question de notre grammaire, qu’on regardait autrefois
          comme une des plus difficiles à éclaircir. <hi rend="i">Duclos</hi> dit qu’il exposa ce
          principe à l’Académie, et à quelques-uns de ceux qui auraient été faits pour en être ;
          qu’on lui fit toutes les objections qui pouvaient le vérifier, et que tous finirent par le
          lui avouer. Il est donc assez surprenant que <hi rend="i">Wailly</hi> ne l’ait point admis
          dans toutes ses applications ; et d’autant plus surprenant, qu’il n’a établi son opinion
          particulière que sur des raisons peu solides, qui peuvent même rendre la règle du
          participe, plus embarrassante et bien moins facile à retenir.</p>
        </div6>
        <div6 type="section">
         <pb n="147" xml:id="p147"/>
         <head>Observations sur une remarque de Wailly.</head>
         <p>On a vu que je pense, après <hi rend="i">Duclos</hi>, l’abbé d’<hi rend="i">Olivet</hi>,
          et l’Académie, qu’il faut dire d’une femme : <hi rend="i">on l’a</hi> laissée <hi rend="i"
           >tomber, mourir</hi> : <hi rend="i">elle s’est</hi> laissée <hi rend="i">aller, tomber,
           mourir</hi>. <hi rend="i">Wailly</hi> pense, au contraire, qu’il faut dire au masculin,
          en parlant d’une dame : <hi rend="i">on l’a</hi> laissé <hi rend="i">tomber, mourir</hi> :
           <hi rend="i">elle s’est</hi> laissé <hi rend="i">aller, tomber, mourir</hi>. Pourquoi ?
          Parce que, suivant lui, on dit toujours : <hi rend="i">on a laissé tomber, mourir madame
           la présidente</hi>, et qu’on ne dirait pas bien : <hi rend="i">on a laissé</hi> madame la
          présidente <hi rend="i">tomber, mourir</hi>.</p>
         <p>Il est aisé de répondre d’abord qu’on dit toujours aussi : <hi rend="i">on a vu arriver
           madame la présidente</hi>, et que l’on ne dirait pas bien : <hi rend="i">on a vu</hi>
          madame la présidente <hi rend="i">arriver</hi>. Faudra-t-il donc dire au masculin, en
          parlant de cette dame : <hi rend="i">on l’a</hi> vu <hi rend="i">arriver</hi> ? On serait
          autorisé, d’après <hi rend="i">Wailly</hi>, à tirer cette conséquence. Elle serait
          cependant très fausse, suivant tous les grammairiens, et <hi rend="i">Wailly</hi>
          lui-même, qui dit que <hi rend="i">Racine</hi> n’a point dérogé à la règle, quand il a
          fait dire à Néron, en parlant de Junie :</p>
         <quote>
          <l>Cette nuit je l’ai <hi rend="i">vue</hi> arriver en ces lieux.</l>
         </quote>
         <p>J’ajoute qu’on s’exprimerait très correctement, en disant : <hi rend="i">on a
           laissé</hi> madame la présidente <hi rend="i">tomber, mourir</hi> ; et que si l’on dit
          ordinairement : <hi rend="i">on a laissé tomber, on a laissé mourir madame la
           présidente</hi> ; c’est parce que ces mots, ainsi arrangés, flattent bien plus
          agréablement l’oreille.</p>
         <p>Mais <hi rend="i">Wailly</hi> prétend que le participe <hi rend="i">laissé</hi>, et
          l’infinitif dont il est suivi, sont des <pb n="148" xml:id="p148"/><hi rend="i">mots
           inséparables</hi>, qui ne présentent qu’une idée à l’esprit, et qu’ainsi ce participe
          doit, dans toutes ces circonstances, être employé au masculin.</p>
         <p>Ce principe et cette conséquence sont également inadmissibles. En effet, si le participe
           <hi rend="i">laissé</hi>, et l’infinitif qui le suit, sont réellement des mots <hi
           rend="i">inséparables</hi>, il est clair que, dans quelque ordre de construction que ce
          soit, on ne pourra jamais les séparer, en mettant le régime entre le participe et
          l’infinitif. Or nous voyons le contraire dans ces exemples : = <hi rend="i">on prétendit
           que le duc, séduit par les conseils de ses favoris</hi>, avait laissé <hi rend="i">ce
           malheureux</hi> prince mourir <hi rend="i">de faim dans sa prison.</hi> = <hi rend="i"
           >Nous</hi> avons laissé <hi rend="i">tous ces</hi> jeunes gens courir <hi rend="i">en
           liberté dans la campagne.</hi> = <hi rend="i">Ils</hi> ont laissé <hi rend="i">leur</hi>
          mère <hi rend="i">désolée</hi>, succomber à <hi rend="i">sa douleur</hi>. Quel est le
          grammairien, même parmi les plus rigides, qui trouvera ces phrases incorrectes ; quoique
          le régime y soit placé entre le participe et l’infinitif ? Donc ce participe <hi rend="i"
           >laissé</hi>, et l’infinitif qui le suit, ne sont pas des mots inséparables.</p>
         <p>Au contraire, le participe <hi rend="i">fait</hi>, et l’infinitif dont il est suivi, le
          sont réellement, puisqu’ils ne peuvent jamais être séparés l’un de l’autre par le régime.
          Il serait en effet absurde de dire, par exemple : <hi rend="i">on</hi> a fait <hi rend="i"
           >ces</hi> personnes mourir, c’est-à-dire, <hi rend="i">qui mouraient</hi>, ou <hi
           rend="i">qui étaient près de mourir</hi> ; tomber, c’est-à-dire, <hi rend="i">qui
           tombaient</hi>, ou <hi rend="i">qui étaient sur le point de tomber</hi> ; courir,
          c’est-à-dire, <hi rend="i">qui couraient</hi>, ou, <hi rend="i">qui voulaient
          courir</hi> ; passer, c’est-à-dire, <pb n="149" xml:id="p149"/><hi rend="i">qui
           passaient</hi>, ou <hi rend="i">qui se sont présentées pour passer</hi>.</p>
         <p>La preuve complète de ce que je viens d’avancer, se trouve dans la propre signification
          des deux verbes <hi rend="i">laisser</hi> et <hi rend="i">faire</hi>, joints à un
          infinitif. Le verbe <hi rend="i">laisser</hi>, signifie <hi rend="i">permettre, souffrir,
           ne pas empêcher une chose</hi> ; et le verbe <hi rend="i">faire</hi>, signifie <hi
           rend="i">être la cause prochaine ou éloignée, mais toujours directe et positive d’une
           chose</hi> : ce qui est évidemment bien différent. Voilà pourquoi, d’un côté, le
          participe <hi rend="i">laissé</hi>, pouvant toujours être séparé du verbe neutre auquel il
          est joint, régit lui-même le nom ou pronom en régime simple qui les précède, et dont par
          conséquent il doit prendre le genre et le nombre. Voilà pourquoi, d’un autre côté, le
          verbe <hi rend="i">faire</hi> ne pouvant jamais être séparé du verbe dont il est suivi, de
          quelque espèce qu’il soit, ne présente avec cet infinitif qu’une idée à l’esprit. Ainsi le
          nom ou pronom qui les précède, et qui est en régime simple, ne se rapporte pas uniquement
          au participe <hi rend="i">fait</hi>, et ne peut pas non plus se rapporter au verbe neutre
          qui le suit. Mais il se rapporte à tous les deux conjointement, parce que le participe ne
          faisant qu’un avec l’infinitif, communique à celui-ci la faculté d’avoir un régime. D’où
          il s’ensuit que ce participe n’étant pas seul régissant, ne peut point s’accorder avec le
          régime antécédent.</p>
         <p>Au reste ce participe <hi rend="i">fait</hi>, est le seul de notre langue, qui, dans ces
          circonstances, ne prend jamais ni le genre ni le nombre.</p>
         <pb n="150" xml:id="p150"/>
         <p>Mais pour ne pas m’appesantir davantage sur une question, qui, d’après le principe
          établi, et d’après la saine raison même, doit paraître très oiseuse, je prierai le lecteur
          d’ouvrir le dictionnaire de l’Académie. Il y lira au mot <hi rend="i">laisser</hi> : <hi
           rend="i">« on dit qu’une fille</hi> s’est laissée aller, <hi rend="i">pour dire
           qu’elle</hi> s’est laissé séduire ». Voilà dans l’exemple, le participe <hi rend="i"
           >laissée</hi> au féminin, parce qu’il prend le genre et le nombre du pronom <hi rend="i"
           >se</hi> qui le précède, et qu’il régit ; le verbe neutre <hi rend="i">aller</hi> ne
          pouvant le régir lui-même. Voilà dans l’explication de l’exemple, le participe <hi
           rend="i">laissé</hi> au masculin, parce que ce même pronom <hi rend="i">se</hi> n’est
          régi que par le verbe actif <hi rend="i">séduire</hi>. N’est-ce pas là une preuve bien
          claire, que l’Académie a pleinement adopté le principe de <hi rend="i">Duclos</hi> et de
          l’abbé d’<hi rend="i">Olivet</hi>.</p>
        </div6>
        <div6 type="section">
         <head>Participe placé au commencement de la phrase.</head>
         <p>Il ne me reste plus qu’à dire un mot du participe mis au commencement d’une phrase. Il y
          est fort bien placé, 1°. lorsqu’il se rapporte à un nom ou à un pronom substantif, (<hi
           rend="i">voyez ce que j’ai dit</hi>, pag. 26), qui est en sujet. = Honoré <hi rend="i">de
           la confiance du roi</hi>, le <hi rend="i">nouveau</hi> ministre <hi rend="i">ne tarde pas
           à justifier le choix du prince par ses talents</hi>. = Pressés <hi rend="i">de toutes
           parts</hi>, accablés <hi rend="i">par le nombre des ennemis</hi>, nous <hi rend="i"
           >n’avons pu nous battre qu’en retraite</hi>. 2°. Lorsqu’il se rapporte naturellement et
          sans équivoque à un nom ou à un pronom substantif, qui est en régime, soit simple, soit
          composé ; comme dans ces vers de <hi rend="i">Racine</hi>, et dans la phrase
          suivante :</p>
         <pb n="151" xml:id="p151"/>
         <quote>
          <l><hi rend="i">Chargé</hi> du crime affreux dont vous me soupçonnez,</l>
          <l>Quels amis <hi rend="i">me</hi> plaindront quand vous m’abandonnez ?</l>
          <l>Ou <hi rend="i">lassés</hi> ou <hi rend="i">soumis</hi>,</l>
          <l>Ma funeste amitié pèse <hi rend="i">à</hi> tous mes <hi rend="i">amis</hi>.</l>
         </quote>
         <p><quote><hi rend="i">Toujours</hi> redoutée, <hi rend="i">il ne lui manquait</hi><seg
            type="exquote"> (à la France)</seg>
           <hi rend="i">que d’être aimée.</hi></quote> Ce sont là des inversions élégantes, qui
          donnent de la grâce au discours. Cette remarque a lieu pour l’adjectif et pour le
          substantif, placés au commencement d’une phrase.</p>
         <p>Mais si le participe, ou l’adjectif, ou le substantif ne se rapportant point à un nom,
          se rapportent seulement au pronom adjectif, qui est joint à ce nom, alors la construction
          est vicieuse. C’est ce qu’on voit dans ces vers de <hi rend="i">Voltaire</hi> :</p>
         <quote>
          <l><hi rend="i">Vaincu</hi>, mais <hi rend="i">plein</hi> d’espoir, et <hi rend="i"
            >maître</hi> de Paris,</l>
          <l><hi rend="i">Sa politique</hi> habile, au fond de sa retraite,</l>
          <l>Aux ligueurs incertains, déguisait sa défaite.</l>
         </quote>
         <p>ici le participe <hi rend="i">vaincu</hi>, l’adjectif <hi rend="i">plein</hi>, et le
          substantif <hi rend="i">maître</hi>, ne se rapportent qu’au pronom adjectif <hi rend="i"
           >sa</hi>, qui est mis pour <hi rend="i">de lui</hi> ; et c’est ce qui rend la phrase
          incorrecte.</p>
         <p>Suivant ce principe, il y a une faute dans ces beaux vers de <hi rend="i"
          >Racine</hi> :</p>
         <quote>
          <l>Indomptable <hi rend="i">taureau, dragon</hi> impétueux,</l>
          <l><hi rend="i">Sa croupe</hi> se recourbe en replis tortueux.</l>
         </quote>
         <p>On dira, sans doute, qu’il ne faut pas juger les poètes si sévèrement, et que la poésie
          a des licences qui l’affranchissent des <pb n="152" xml:id="p152"/>entraves de la prose.
          Que cela soit vrai, ou ne le soit pas, il ne sera pas moins certain que le grammairien
          doit toujours faire remarquer les fautes, même les plus légères, échappées à nos bons
          écrivains, de peur que l’autorité de ces hommes supérieurs ne jette quelque incertitude
          dans les règles. D’ailleurs, nos plus grands maîtres ont senti la nécessité de
          s’assujettir aux lois grammaticales, pour bien écrire en vers ; et c’est aux poètes mêmes,
          que <hi rend="i">Boileau</hi> s’adresse, lorsqu’il dit :</p>
         <quote>
          <l>Surtout qu’en vos écrits, la langue révérée,</l>
          <l>Dans vos plus grands excès, vous soit toujours sacrée.</l>
         </quote>
         <p>Au reste, on verra dans l’article de <hi rend="i">la clarté du style</hi>, ce que je
          dois dire sur ce sujet.</p>
        </div6>
       </div5>
       <div5 type="section">
        <head type="sur">II. </head>
        <head type="main"><hi rend="i">Remarques sur les Gérondifs</hi>.</head>
        <div6 type="section">
         <head>Gérondifs, qui sont précédés de la préposition <hi rend="i">en</hi> : gérondifs qui
          ne le sont pas.</head>
         <p>Les gérondifs ne sont point précédés de la préposition <hi rend="i">en</hi>, lorsqu’ils
          désignent simplement l’état du sujet qui agit, la cause et le fondement de l’action. = <hi
           rend="i">Ce grand ministre donnait une égale attention à toutes les affaires</hi>,
          agissant, <hi rend="i">tout à la fois, avec la même vivacité dans les diverses parties de
           l’Europe.</hi> = <hi rend="i">Les courtisans</hi> préférant <hi rend="i">leur avantage
           particulier au bien général, ne donnent que des conseils intéressés.</hi> Dans le premier
          exemple, le gérondif marque une espèce d’état du sujet, et dans le second, la cause de
          l’action.</p>
         <pb n="153" xml:id="p153"/>
         <p>Si ces gérondifs expriment une circonstance de l’action, une manière dont on la fait, ou
          un moyen de parvenir à une fin, ils doivent être précédés de la préposition <hi rend="i"
           >en</hi>. = <hi rend="i">Je lis</hi> en <hi rend="i">me</hi> promenant. = <hi rend="i">On
           dit souvent la vérité</hi> en riant. = <hi rend="i">On jouit de la paix du cœur</hi>, en
          maîtrisant <hi rend="i">ses passions</hi>. Ici, le premier gérondif exprime une
          circonstance ; le second, une manière ; le troisième, un moyen.</p>
         <p>Il est essentiel de saisir cette distinction, parce que la préposition <hi rend="i"
           >en</hi>, employée ou supprimée avant un gérondif, change entièrement le sens d’une
          phrase. <hi rend="i">Je vous ai vu</hi>, en lisant <hi rend="i">l’histoire de France</hi>,
          ne signifie pas la même chose que, <hi rend="i">je vous ai vu</hi> lisant <hi rend="i"
           >l’histoire de France</hi>. La première phrase signifie : <hi rend="i">je vous ai vu,
           pendant que je lisais</hi>, etc. ; et la seconde, <hi rend="i">je vous ai vu, lorsque
           vous lisiez</hi>, etc.</p>
         <p>On peut juger, par ce second exemple, que ces gérondifs qui ne sont pas précédés de <hi
           rend="i">en</hi>, se rapportent fort bien à un régime simple : ils peuvent alors se
          tourner par un autre temps du verbe, précédé du relatif <hi rend="i">qui</hi>. = <hi
           rend="i">J’ai rencontré votre</hi> ami, partant (ou, qui partait) <hi rend="i">pour la
           campagne</hi>. = <hi rend="i">Vous voyez cet</hi> homme, formant (ou, qui forme) <hi
           rend="i">toujours de nouveaux projets, et n’en</hi> exécutant (ou, qui n’en exécute) <hi
           rend="i">aucun</hi>.</p>
         <p>Mais lorsqu’on emploie ces gérondifs, en les plaçant, soit au commencement, soit dans le
          corps de la phrase, il faut qu’il y ait dans cette phrase un mot auquel <pb n="154"
           xml:id="p154"/>ils puissent se rapporter naturellement et sans équivoque. Celle-ci, par
          exemple, serait vicieuse. = Étant résolu <hi rend="i">de partir, nous terminerons cette
           affaire</hi>. On ne verrait pas en effet si ce gérondif se rapporte à celui qui parle, ou
          à la personne à laquelle il parle. Il faudrait donc dire, pour ôter l’équivoque : <hi
           rend="i">comme je suis</hi>, ou <hi rend="i">comme vous êtes résolu de partir</hi>, etc.,
          selon le sens qu’on voudrait marquer.</p>
         <p>Les gérondifs, soit présents, soit passés, peuvent former un membre d’une phrase, sans
          qu’ils se rapportent précisément à aucun mot particulier de cette même phrase,
          c’est-à-dire, au sujet ou au régime : on les appelle alors gérondifs <hi rend="i"
           >absolus</hi>. Ainsi, les phrases suivantes sont correctes. = <hi rend="i">Les
           savants</hi> ayant décidé <hi rend="i">cette question, il serait hors de propos de s’y
           arrêter davantage.</hi> = <hi rend="i">La géographie et la chronologie</hi> étant <hi
           rend="i">les deux yeux de l’histoire, nous devons, pour étudier avec fruit cette dernière
           science, posséder suffisamment les deux premières.</hi> = <hi rend="i">La capitale</hi>
          ayant été <hi rend="i">soumise, les provinces ne tardèrent pas à rentrer dans le
           devoir.</hi></p>
        </div6>
        <div6 type="section">
         <head>Gérondifs différents des adjectifs verbaux.</head>
         <p>Il ne faut pas confondre les gérondifs avec les adjectifs verbaux, ainsi appelés, parce
          qu’ils sont formés des verbes. Les premiers expriment toujours une action ; les autres ne
          font que qualifier. Voici des exemples des mêmes mots employés sous ces deux rapports. =
           <hi rend="i">Les hommes bas vont toujours</hi> rampant <hi rend="i">devant les
           grands.</hi> = <hi rend="i">Les avares sont les plus méprisables des <pb n="155"
            xml:id="p155"/>égoïstes</hi>, n’obligeant <hi rend="i">jamais personne.</hi> Ici, <hi
           rend="i">rampant</hi> et <hi rend="i">obligeant</hi> sont gérondifs, parce qu’ils
          expriment une action. Mais dans ces phrases : <hi rend="i">les hommes bas sont
           toujours</hi> rampants : <hi rend="i">les avares ne sont jamais</hi> obligeants ; ces
          mots sont des adjectifs verbaux, parce qu’ils servent à qualifier.</p>
         <p>On doit faire attention à cette différence, parce que les gérondifs ne prennent ni genre
          ni nombre, tandis que les adjectifs verbaux suivent la règle des adjectifs. <hi rend="i"
           >Voltaire</hi> a fait une faute dans ces vers à l’empereur de la Chine :</p>
         <quote>
          <l>Ton peuple est-il soumis à cette loi si dure,</l>
          <l>Qui veut qu’avec six pieds d’une égale mesure,</l>
          <l>De deux alexandrins, côte à côte <hi rend="i">marchants</hi>,</l>
          <l>L’un serve pour la rime, et l’autre pour le sens ?</l>
         </quote>
         <p>Il aurait fallu dire <hi rend="i">marchant</hi>, parce que ce mot est un gérondif, et
          non un adjectif verbal.</p>
        </div6>
       </div5>
       <div5 type="section">
        <head type="sur">III. </head>
        <head type="main"><hi rend="i">Remarques sur les modes et les temps du Verbe</hi>.</head>
        <p>L’emploi des modes et des temps du verbe étant assez connu par l’usage, je ne
         m’attacherai qu’à quelques remarques essentielles.</p>
        <div6 type="section">
         <head>Usage du présent de l’indicatif, du parfait défini, et de l’indéfini.</head>
         <p>On peut employer le présent de l’indicatif pour un passé, quand on raconte quelque
          chose, et qu’on veut donner plus d’énergie et de vivacité au récit. Mais il faut alors que
          tous les verbes de la même <pb n="156" xml:id="p156"/>phrase soient mis au présent.
          Celle-ci n’est pas correcte. = Ils tombent <hi rend="i">sur les ennemis avec une telle
           furie, qu’ils les</hi> firent <hi rend="i">plier et reculer</hi>. Il fallait dire, <hi
           rend="i">qu’ils les font plier</hi>.</p>
         <p>Cette règle doit être également observée pour le parfait défini et l’indéfini, à moins
          que le premier ne soit accompagné d’une circonstance, qui marque un temps entièrement
          écoulé. Ainsi l’on ne pourrait pas dire : j’ai vu <hi rend="i">l’acteur qui</hi> débuta
           <hi rend="i">par le rôle d’Agamemnon</hi>. Il faudrait dire, <hi rend="i">qui a
           débuté</hi>. Mais on dirait fort bien : j’ai vu <hi rend="i">l’acteur qui</hi> débuta, la
          semaine dernière, <hi rend="i">par le rôle d’Agamemnon</hi> ; ou, dans une autre
          circonstance : <hi rend="i">je</hi> vis, la semaine dernière, <hi rend="i">l’acteur
           qui</hi> a débuté <hi rend="i">par le rôle d’Agamemnon</hi>.</p>
         <p>Ne vous servez jamais du parfait indéfini, qu’en parlant d’un temps qui n’est pas
          entièrement écoulé. Bien des personnes disent, par exemple : <hi rend="i">j’</hi>ai reçu
           <hi rend="i">hier votre lettre</hi>. <hi rend="i">J’</hi>ai vu <hi rend="i">hier la pièce
           nouvelle</hi>. Le jour d’hier étant entièrement écoulé, on doit employer le parfait
          défini, et dire : <hi rend="i">je reçus</hi>, <hi rend="i">je vis</hi>.</p>
         <p>Par la raison contraire, on ne dirait pas bien : <hi rend="i">je</hi> vis <hi rend="i"
           >votre frère cette semaine, ce mois-ci, cette année</hi>. La semaine, le mois, l’année
          n’étant pas entièrement écoulés, il faut dire : j’<hi rend="i">ai vu</hi>. Ainsi <hi
           rend="i">Racine</hi> ne s’est pas exprimé correctement, en faisant dire à Théramène, dans
          sa tragédie de <hi rend="i">Phèdre</hi> :</p>
         <quote>
          <l>Le flot qui l’<hi rend="i">apporta</hi>, recule épouvanté.</l>
         </quote>
         <pb n="157" xml:id="p157"/>
         <p>Non plus que <hi rend="i">La Fontaine</hi>, dans sa <hi rend="i">fable</hi> du <hi
           rend="i">taon</hi> et du <hi rend="i">moucheron</hi>, en disant :</p>
         <quote>
          <l>Comme il <hi rend="i">sonna</hi> la charge, il sonne la victoire.</l>
         </quote>
         <p>Parce que les actions dont il s’agit ici, viennent de se passer. Il aurait fallu dire :
          suivant les règles grammaticales, <hi rend="i">qui l’a apporté</hi> : <hi rend="i">comme
           il a sonné la charge</hi>. C’est sur ce même principe, que l’Académie, dans son <hi
           rend="i">jugement sur</hi> la tragédie <hi rend="i">du Cid</hi>, condamna cette phrase
          que <hi rend="i">Corneille</hi> corrigea depuis : <quote><hi rend="i">quand je lui fis
            l’affront</hi>, etc.</quote> Il s’agit d’un soufflet que D. Gomés vient de donner à
          D. Diègue.</p>
        </div6>
        <div6 type="section">
         <head>Usage de l’indicatif et du subjonctif.</head>
         <p>Il est essentiel de ne pas oublier qu’on met le verbe à l’indicatif, quand on veut
          affirmer une chose ; et au subjonctif, quand on en exprime une qui tient du doute ou du
          souhait, sans l’affirmer absolument. Voilà pourquoi il y a des conjonctions, après
          lesquelles on emploie tantôt l’indicatif, tantôt le subjonctif, selon la chose qu’on veut
          affirmer, ou qu’on exprime d’une manière qui marque le doute ou le souhait ; comme dans
          ces phrases : = <hi rend="i">il s’est placé</hi>, de manière qu’<hi rend="i">il</hi> peut
           <hi rend="i">tout voir et tout entendre</hi> : = <hi rend="i">il n’a rien dit autre
           chose</hi>, si ce n’est que <hi rend="i">vous</hi> êtes <hi rend="i">studieux et
           docile</hi>. Le verbe est ici à l’indicatif, parce que l’on affirme : = <hi rend="i">il
           veut se placer</hi>, de manière qu’<hi rend="i">il</hi> puisse <hi rend="i">tout voir et
           tout entendre</hi> : = <hi rend="i">il ne désire rien autre chose</hi>, si ce n’est que
           <hi rend="i">vous</hi> soyez <hi rend="i">studieux et docile</hi>. Le verbe est ici au
          subjonctif, parce qu’on exprime un souhait.</p>
         <pb n="158" xml:id="p158"/>
         <p>La conjonction <hi rend="i">que</hi>, placée entre deux verbes, est principalement
          assujettie à cette règle. Si l’on marque une affirmation ou une espèce de certitude, on
          met le second verbe à l’indicatif, comme dans ces phrases : = <hi rend="i">je vous
           assure</hi> qu’<hi rend="i">il</hi> est <hi rend="i">digne de votre estime</hi> : = <hi
           rend="i">vous conviendrez</hi> que <hi rend="i">j’</hi>ai pris <hi rend="i">de justes
           mesures pour réussir</hi> : = <hi rend="i">il croit</hi> que <hi rend="i">vous</hi>
          voudrez <hi rend="i">bien l’aider de vos conseils</hi>.</p>
         <p>Si l’on marque le doute, la crainte, le désir, en un mot si l’on n’exprime pas quelque
          chose de positif, on met le second verbe au subjonctif, comme dans ces phrases : = <hi
           rend="i">je doute</hi> qu’<hi rend="i">il</hi> soit <hi rend="i">en état de bien
           répondre</hi> : = <hi rend="i">vous avez tort de craindre</hi> que <hi rend="i">je</hi>
          n’aie <hi rend="i">été trahi</hi> : = <hi rend="i">il désire</hi> que <hi rend="i"
           >vous</hi> fassiez <hi rend="i">cette démarche pour lui</hi>.</p>
         <p>Il en est de même, si le premier verbe est accompagné d’une négation ; comme : <hi
           rend="i">je n’espère pas</hi> qu’<hi rend="i">il</hi> vienne <hi rend="i"
           >aujourd’hui</hi> : = <hi rend="i">il ne croit pas</hi> que <hi rend="i">vous</hi>
          puissiez <hi rend="i">remplir vos engagements</hi>.</p>
         <p>Évitez une faute que bien des personnes font en parlant, et souvent même en écrivant.
          Elles mettent le présent du subjonctif après l’imparfait de l’indicatif, suivi de la
          conjonction <hi rend="i">que</hi>, et disent, par exemple : <hi rend="i">ne fallait-il pas
           que je</hi> m’en aille ; <hi rend="i">que je</hi> revienne ; <hi rend="i">que je</hi>
          parte ? Il y en a même qui disent : <hi rend="i">il a fallu que je</hi> fasse <hi rend="i"
           >cela</hi>. Dites : <hi rend="i">ne fallait-il pas que je</hi> m’en allasse ; <hi
           rend="i">que je</hi> revinsse ; <hi rend="i">que je</hi> partisse ? = <hi rend="i">il a
           fallu que je fisse</hi> cela, ou, que j’aie fait <hi rend="i">cela</hi>, si l’on veut
          marquer un passé.</p>
         <pb n="159" xml:id="p159"/>
         <p>Après les relatifs <hi rend="i">qui</hi>, <hi rend="i">que</hi>, <hi rend="i">dont</hi>,
          précédés d’un superlatif relatif, le verbe doit être mis au subjonctif : = <hi rend="i"
           >Racine est le poète le plus élégant, que la France</hi> ait produit, <hi rend="i">et
           Corneille le plus sublime dont elle</hi> puisse <hi rend="i">se glorifier</hi>.</p>
         <p><hi rend="i">Quelque… que</hi>, <hi rend="i">quoique</hi>, <hi rend="i">tout… que</hi>,
          sont des espèces de conjonctions, qui signifient à peu près la même chose. Néanmoins les
          deux premières veulent le subjonctif, et la dernière l’indicatif : = <hi rend="i">quelque
           éclairé que vous</hi> soyez, <hi rend="i">quoique vous</hi> soyez <hi rend="i"
           >éclairé</hi>, <hi rend="i">tout éclairé que vous</hi> êtes, <hi rend="i">craignez de
           vous tromper</hi>.</p>
        </div6>
       </div5>
      </div4>
      <div4 type="article">
       <head type="sur"><hi rend="sc">Article V</hi>. </head>
       <head type="main"><hi rend="i">Observations sur les Prépositions</hi>.</head>
       <div5 type="section">
        <head>Règles concernant les prépositions <hi rend="i">avant</hi>, <hi rend="i">devant</hi>,
          <hi rend="i">dans</hi>, <hi rend="i">au travers</hi>, <hi rend="i">près</hi>, <hi rend="i"
          >vis-à-vis</hi>, et <hi rend="i">hors</hi>.</head>
        <p>L’usage le plus commun aujourd’hui, est de supprimer le <hi rend="i">que</hi> après la
         préposition <hi rend="i">avant</hi> suivie d’un infinitif. Ainsi au lieu de dire <hi
          rend="i">avant</hi> que <hi rend="i">de partir</hi>, vous direz mieux <hi rend="i">avant
          de partir</hi>.</p>
        <quote>
         <l>Promettez-moi, du moins, de ne décider rien,</l>
         <l><hi rend="i">Avant de</hi> m’accorder un second entretien.</l>
        </quote>
        <p>Cette préposition devient adverbe, lorsqu’elle est employée avec les adverbes <hi
          rend="i">si</hi>, <hi rend="i">bien</hi>, <hi rend="i">trop</hi>, <hi rend="i">plus</hi>,
          <hi rend="i">assez</hi>, <hi rend="i">fort</hi>, ou la particule <hi rend="i">en</hi> : =
          <hi rend="i">vous creusez</hi> trop avant <hi rend="i">dans la terre</hi>. <hi rend="i">Il
          a pénétré</hi> bien avant <hi rend="i">dans le siècle</hi> passé. = <hi rend="i"
          >Allez</hi> en avant.</p>
        <p><hi rend="i">Devant</hi>, ne s’emploie guère comme préposition, que pour signifier <hi
          rend="i">en présence</hi>, ou <hi rend="i">vis-à-vis</hi>. = <hi rend="i">Il a prêché</hi>
         devant le roi. <pb n="160" xml:id="p160"/> = <hi rend="i">Mettez cela</hi> devant <hi
          rend="i">le feu</hi>. On ne doit point s’en servir pour marquer la priorité de temps, ni
         la priorité d’ordre. Ce ne serait pas parler correctement, que de dire : <hi rend="i">il
          est arrivé</hi> devant <hi rend="i">moi</hi>. <hi rend="i">L’article se met</hi> devant
          <hi rend="i">le nom</hi>. Il faudrait dire <hi rend="i">avant moi</hi>, <hi rend="i">avant
          le nom</hi>. Il y a cependant quelques circonstances, mais en très petit nombre, où <hi
          rend="i">devant</hi> marque l’ordre des places : = c’est mon <hi rend="i">ancien, il
          marche</hi> devant <hi rend="i">moi</hi>.</p>
        <p>Les prépositions <hi rend="i">dans</hi> et <hi rend="i">en</hi> ne doivent pas s’employer
         l’une pour l’autre. <hi rend="i">Dans</hi> marque un sens précis, et signifie qu’on est
         dans un lieu à l’exclusion de tout autre. <hi rend="i">En</hi> marque un sens vague, et ne
         présente pas nécessairement cette exclusion : = <hi rend="i">il travaille</hi> dans <hi
          rend="i">la chambre</hi>. <hi rend="i">Il travaille</hi> en <hi rend="i">chambre</hi>. =
          <hi rend="i">Il est</hi> dans <hi rend="i">une pension. Il est</hi> en <hi rend="i"
          >pension</hi>. = <hi rend="i">Il est</hi> en <hi rend="i">ville</hi> signifie, il n’est
         pas au logis. <hi rend="i">Il est</hi> dans <hi rend="i">la ville</hi>, signifie, il n’est
         pas à la campagne.</p>
        <p><hi rend="i">Dans</hi>, marque encore le temps auquel on fera ou l’on aura fait une
         chose : = <hi rend="i">il terminera</hi>, ou <hi rend="i">il aura terminé cette
          affaire</hi> dans <hi rend="i">trois mois</hi>. <hi rend="i">En</hi> marque le temps qu’on
         emploie à la faire : = <hi rend="i">il a terminé cette affaire</hi> en <hi rend="i">trois
          mois</hi>. Ainsi, <hi rend="i">j’arriverai</hi> dans <hi rend="i">quatre jours</hi>,
         signifie que je serai arrivé le quatrième jour ; et <hi rend="i">j’arriverai</hi> en <hi
          rend="i">quatre jours</hi>, signifie que je serai quatre jours en chemin.</p>
        <p>On ne doit dire, <hi rend="i">en campagne</hi>, qu’en parlant du mouvement, du campement,
         ou de l’action des troupes. Dans toute autre signification, on doit dire : <hi rend="i">à
          la campagne</hi> : = <pb n="161" xml:id="p161"/><hi rend="i">l’armée est en
         campagne</hi> : = <hi rend="i">mon frère est</hi> à la <hi rend="i">campagne</hi>.</p>
        <p>Le substantif, précédé de la préposition <hi rend="i">en</hi>, sans article, ne peut pas
         être suivi d’un adjectif. On dit, <hi rend="i">donner</hi> en <hi rend="i">spectacle</hi> :
         mais on ne doit pas dire, <hi rend="i">donner</hi> en <hi rend="i">spectacle funeste</hi>.
         Cette expression est, suivant l’Abbé d’<hi rend="i">Olivet</hi>, un barbarisme.</p>
        <p>Remarquons ici, après l’Académie, que, quand cette préposition se joint avec un nom, elle
         ne reçoit jamais l’article pluriel <hi rend="i">les</hi>, immédiatement après elle, ni
         l’article <hi rend="i">le</hi> et <hi rend="i">la</hi> singulier, à moins qu’il ne soit
         suivi d’une voyelle ou d’une <hi rend="i">h</hi> non aspirée. Ainsi, on ne dit point, <hi
          rend="i">en les lieux</hi>, <hi rend="i">en les temps</hi>. Mais on dit fort bien, <hi
          rend="i">en l’honneur des saints</hi>, <hi rend="i">en l’absence d’un tel</hi>. L’Académie
         ajoute qu’on dit aussi ; en la <hi rend="i">présence de Dieu</hi>, et qu’il y a encore
         quelques formules, où <hi rend="i">en</hi> reçoit immédiatement après lui l’article : = ce
         procès a été <hi rend="i">jugé</hi> en la <hi rend="i">grand-chambre</hi> : = <hi rend="i"
          >conseiller</hi> en la <hi rend="i">seconde des enquêtes</hi> : = <hi rend="i"
          >président</hi> en la <hi rend="i">chambre des comptes</hi>.</p>
        <p><hi rend="i">Au travers</hi> prend <hi rend="i">de</hi>. <hi rend="i">À travers</hi> veut
          <hi rend="i">le, la, les. = Je vous ai vu</hi> au travers des <hi rend="i">vitres</hi> ; à
         travers les <hi rend="i">vitres</hi>.</p>
        <p><hi rend="i">Pendant</hi> peut être suivi d’un <hi rend="i">que</hi>. <hi rend="i"
          >Durant</hi> ne peut pas l’être : = <hi rend="i">travaillez</hi> pendant que <hi rend="i"
          >vous êtes jeune</hi> ; et non, durant que <hi rend="i">vous êtes jeune</hi>.</p>
        <p>Les prépositions <hi rend="i">près</hi> et <hi rend="i">vis-à-vis</hi> prennent
         régulièrement <hi rend="i">de</hi> : = <hi rend="i">s’asseoir</hi> près de <hi rend="i"
          >quelqu’un</hi> : = <hi rend="i">se placer</hi> vis-à-vis de <hi rend="i">quelqu’un</hi>.
         Cependant on peut, suivant <pb n="162" xml:id="p162"/>l’Académie, supprimer <hi rend="i"
          >de</hi> dans le discours familier : = <hi rend="i">être logé</hi> près <hi rend="i">le
          château des Tuileries</hi> : = <hi rend="i">demeurer</hi> vis-à-vis le <hi rend="i"
          >palais</hi>.</p>
        <p>Cette préposition <hi rend="i">près</hi> sert bien souvent à marquer un temps proche.
         Elle signifie alors <hi rend="i">sur le point de</hi> ; et l’on ne doit pas la confondre
         avec <hi rend="i">prêt</hi>, adjectif, qui signifie, disposé à quelque chose, en état de
         faire, ou de souffrir quelque chose. <hi rend="i">Près de combattre</hi>, signifie, sur le
         point de combattre et <hi rend="i">prêt à combattre</hi>, signifie, disposé à combattre.
         Ainsi ce n’est pas s’exprimer correctement, que de dire, <hi rend="i">cette ville</hi>
         prête <hi rend="i">à succomber, se soutint par la constance et la sagesse du sénat</hi>. Il
         fallait dire, <hi rend="i">sur le point</hi>, ou, <hi rend="i">près de succomber</hi>,
         parce qu’en effet cette ville n’y était pas disposée.</p>
        <p>Quant à la préposition <hi rend="i">vis-à-vis</hi>, voici ce que dit <hi rend="i"
          >Voltaire</hi> dans sa lettre à l’Abbé d’<hi rend="i">Olivet</hi>. <quote>« Dites-moi si
          jamais vous vîtes dans aucun bon auteur de ce grand siècle de <hi rend="i">Louis XIV</hi>,
          le mot de <hi rend="i">vis-à-vis</hi>, employé une seule fois, pour signifier <hi rend="i"
           >envers, avec, à l’égard</hi> ? y en a-t-il un seul qui ait dit, <hi rend="i">ingrat
           vis-à-vis de moi</hi>, au lieu d’<hi rend="i">ingrat envers moi : il était fier vis-à-vis
           de ses supérieurs</hi>, pour, <hi rend="i">fier avec ses supérieurs</hi> ? »</quote> Il
         faut soigneusement éviter cette faute.</p>
       </div5>
       <div5 type="section">
        <head>Répétition des prépositions</head>
        <p><hi rend="i">Hors</hi>, signifiant exclusion ou séparation, prend <hi rend="i">de</hi> :
         = <hi rend="i">il est</hi> hors de <hi rend="i">la maison</hi> ; hors du <hi rend="i"
          >royaume</hi>. Mais il ne le prend point, quand il signifie, <hi rend="i">excepté</hi> : =
          <hi rend="i">je ferai tout pour vous</hi>, hors la <hi rend="i">démarche que vous
          souhaitez</hi>.</p>
        <p>La même remarque que j’ai faite sur <pb n="163" xml:id="p163"/>la répétition de l’article
         et des pronoms possessifs, a lieu pour les prépositions. On doit les répéter avant des noms
         ou des verbes qui signifient des choses opposées, ou tout à fait différentes. = <hi
          rend="i">Rien n’est moins</hi> selon Dieu <hi rend="i">et</hi> selon le monde, <hi
          rend="i">que d’appuyer tout ce que l’on dit dans la conversation, jusqu’aux choses les
          plus indifférentes, par de longs et fastidieux sermens</hi>. = <hi rend="i">Ayez le
          courage de tout dire</hi>, pour vous justifier, <hi rend="i">ou</hi> pour vous déclarer
          <hi rend="i">coupable</hi>. Ainsi, il y a une faute dans cette phrase de <hi rend="i"
          >Massillon</hi>  : = <quote><hi rend="i">Il réconciliera les peuples et les rois, loin de
           les diviser pour les affaiblir, et</hi> élever <hi rend="i">sa puissance sur leurs
           divisions et sur leur faiblesse.</hi></quote> Il fallait dire, <hi rend="i">et pour
          élever sa puissance</hi>, etc.</p>
        <p>Cependant si les deux verbes ne sont suivis d’aucun régime, on peut se dispenser de
         répéter la préposition. Ainsi l’on dira fort bien : <hi rend="i">ne jugez pas ce
          criminel</hi>, sans l’avoir entendu <hi rend="i">et</hi> examiné.</p>
       </div5>
      </div4>
      <div4 type="article">
       <head type="sur"><hi rend="sc">Article VI</hi>. </head>
       <head type="main"><hi rend="i">Observations sur les Adverbes</hi>.</head>
       <div5 type="section">
        <head>Règles concernant les adverbes <hi rend="i">plus</hi>, <hi rend="i">davantage</hi>,
          <hi rend="i">moins</hi>, <hi rend="i">mieux</hi>, <hi rend="i">pas si</hi>, <hi rend="i"
          >aussi</hi>, <hi rend="i">tant</hi>, <hi rend="i">autant</hi>, <hi rend="i">non plus</hi>,
          <hi rend="i">rien moins</hi>, <hi rend="i">auparavant</hi>, <hi rend="i">dessus</hi>, <hi
          rend="i">dessous</hi>, <hi rend="i">dedans</hi>, <hi rend="i">dehors</hi>, et <hi rend="i"
          >autour</hi>.</head>
        <p><hi rend="i">Plus</hi> et <hi rend="i">davantage</hi> ne peuvent pas s’employer l’un pour
         l’autre. <hi rend="i">Davantage</hi> ne peut ni se mettre avant un adjectif, ni avoir à sa
         suite <hi rend="i">de</hi> et <hi rend="i">que</hi>. On ne dira donc pas : <hi rend="i">il
          y a</hi> davantage de <hi rend="i">brillant</hi> que <hi rend="i">de solidité</hi>, mais
          <hi rend="i">plus de brillant</hi> : = ce général <hi rend="i">travaillait</hi> davantage
          <hi rend="i">à rendre les peuples heureux, qu’à enrichir ses troupes</hi>. Il faut, <hi
          rend="i">travaillait plus</hi>.</p>
        <pb n="164" xml:id="p164"/>
        <p>C’est aussi une faute de mettre <hi rend="i">davantage</hi> pour <hi rend="i">le
          plus</hi>. Au lieu de dire : <hi rend="i">cet ouvrage est celui qui me plaît</hi>
         davantage ; dites, <hi rend="i">qui me plaît le plus</hi>.</p>
        <p>Quand les adverbes comparatifs, <hi rend="i">plus</hi>, <hi rend="i">moins</hi>, <hi
          rend="i">mieux</hi>, <hi rend="i">pis</hi>, et les adjectifs, <hi rend="i">meilleur</hi>,
          <hi rend="i">moindre</hi>, <hi rend="i">pire</hi>, sont suivis d’un <hi rend="i">que</hi>,
         et d’un verbe à l’indicatif, on met <hi rend="i">ne</hi> avant ce verbe. Il en est de même
         de l’adverbe <hi rend="i">autrement</hi>, et de son adjectif <hi rend="i">autre</hi> : =
          <hi rend="i">la science donne</hi> plus <hi rend="i">de considération, que la fortune</hi>
         ne <hi rend="i">peut en donner</hi> : = <hi rend="i">il écrit</hi> mieux <hi rend="i"
          >qu’il</hi> ne <hi rend="i">parle</hi> : = <hi rend="i">ces fruits sont</hi> meilleurs <hi
          rend="i">qu’on ne se l’imagine</hi> : = <hi rend="i">il est</hi> moins <hi rend="i">riche
          qu’il</hi> ne <hi rend="i">le paraît</hi> : = <hi rend="i">c’est</hi> autre <hi rend="i"
          >chose que je</hi> ne <hi rend="i">croyais</hi>.</p>
        <quote>
         <l>On se voit d’un <hi rend="i">autre</hi> œil qu’on <hi rend="i">ne</hi> voit son
          prochain.</l>
        </quote>
        <p>Quand <hi rend="i">mieux</hi>, <hi rend="i">autant</hi>, sont suivis de deux infinitifs,
         il faut mettre <hi rend="i">de</hi> avant le second : = <hi rend="i">le brave militaire
          aime</hi> autant, <hi rend="i">aime</hi> mieux <hi rend="i">mourir, que</hi> de <hi
          rend="i">faire la moindre lâcheté dans les combats</hi>. Ainsi il y a une faute dans ces
         vers de Voltaire :</p>
        <quote>
         <l>J’ai prévu ta réponse. Il vaut mieux expirer</l>
         <l>Et mourir avec toi, <hi rend="i">que se</hi> déshonorer.</l>
        </quote>
        <p>Il aurait fallu, <hi rend="i">que de se déshonorer</hi>.</p>
        <p>Les adverbes, <hi rend="i">moins</hi>, <hi rend="i">plus</hi>, <hi rend="i">si</hi>, <hi
          rend="i">aussi</hi>, <hi rend="i">tant</hi>, <hi rend="i">autant</hi>, doivent toujours
         être suivis d’un <hi rend="i">que</hi>, et non de la conjonction <hi rend="i">comme</hi>.
         Ainsi il y a une faute dans cette phrase : = <hi rend="i">si l’on ne voit pas briller les
          grands talents</hi> aussi <hi rend="i">communément dans les gens de basse condition</hi>,
         comme <hi rend="i">dans les autres ; <pb n="165" xml:id="p165"/>c’est faute de soins et de
          culture</hi> : il fallait dire, <hi rend="i">que dans les autres</hi>.</p>
        <p>On doit employer, <hi rend="i">non plus</hi>, pour <hi rend="i">aussi</hi>, <hi rend="i"
          >pareillement</hi>, quand la phrase est négative. Ainsi au lieu de dire : <hi rend="i"
          >l’âme du ministre français, qui n’avait pas la barbarie de celle de cet usurpateur, n’en
          avait pas</hi> aussi <hi rend="i">la grandeur</hi> ; dites, <hi rend="i">n’en avait
          pas</hi> non plus <hi rend="i">la grandeur</hi>.</p>
        <p><hi rend="i">Rien moins</hi>, est une expression très usitée, et, suivant l’Académie, a
         quelquefois deux acceptions opposées. Avec le verbe <hi rend="i">être</hi>, <hi rend="i"
          >rien moins</hi> signifie le contraire de l’adjectif qui le suit. <hi rend="i">Il
          n’est</hi> rien moins <hi rend="i">que sage</hi>, veut dire, il n’est <hi rend="i"
          >point</hi> sage. <hi rend="i">Rien moins</hi>, employé impersonnellement, a aussi un sens
         négatif. <hi rend="i">Il n’y a</hi> rien <hi rend="i">de</hi> moins <hi rend="i">vrai que
          cette nouvelle</hi>, veut dire, cette nouvelle n’est <hi rend="i">pas</hi> vraie. Mais
         avec un verbe actif, réciproque ou neutre, le sens serait équivoque, s’il n’était déterminé
         par ce qui le précède : = <hi rend="i">vous le croyez votre concurrent ; il a d’autres
          vues ; il ne désire</hi> rien moins, <hi rend="i">il ne se propose</hi> rien moins, <hi
          rend="i">il n’aspire à</hi> rien moins, <hi rend="i">qu’à vous supplanter</hi> ;
         c’est-à-dire, qu’il n’est point votre concurrent : = <hi rend="i">vous ne le regardez pas
          comme votre concurrent ; cependant il ne désire</hi> rien moins, <hi rend="i">il ne se
          propose</hi> rien moins, <hi rend="i">il n’aspire à</hi> rien moins <hi rend="i">qu’à vous
          supplanter</hi> ; c’est-à-dire, qu’il est votre concurrent.</p>
        <p><hi rend="i">Auparavant</hi> étant toujours adverbe, ne doit jamais être suivi d’un
         régime ni d’un <hi rend="i">que</hi>. Ne dites donc pas : <hi rend="i">il est arrivé</hi>
         <pb n="166" xml:id="p166"/>auparavant <hi rend="i">son frère</hi> ; auparavant que <hi
          rend="i">l’affaire fût terminée</hi> ; mais, <hi rend="i">avant son frère</hi> ; <hi
          rend="i">avant que l’affaire fût terminée</hi>.</p>
        <p>On ne doit pas confondre <hi rend="i">dessus</hi>, <hi rend="i">dessous</hi>, <hi
          rend="i">dedans</hi>, <hi rend="i">dehors</hi>, qui sont presque toujours adverbes, avec
          <hi rend="i">sur</hi>, <hi rend="i">sous</hi>, <hi rend="i">dans</hi>, <hi rend="i"
          >hors</hi>, qui sont prépositions, et toujours suivis d’un régime : les premiers n’en ont
         pas. Ainsi <hi rend="i">Voltaire</hi> ne s’est pas exprimé correctement en disant :</p>
        <quote>
         <l>Bientôt lassés de leur belle aventure,</l>
         <l><hi rend="i">Dessous</hi> un chêne ils soupent galamment.</l>
        </quote>
        <p>Il devait dire, <hi rend="i">sous un chêne</hi>. <hi rend="i">Voltaire</hi> lui-même a
         relevé une pareille faute, dans son <hi rend="i">commentaire</hi> sur les tragédies de <hi
          rend="i">Corneille</hi>.</p>
        <p>Il y a des cas où ces adverbes deviennent prépositions, et ont par conséquent un régime.
         C’est, 1° lorsqu’on en met plusieurs ensemble, et qu’on ne place le nom qu’après le
         dernier : = <hi rend="i">il y a des animaux</hi> dessus <hi rend="i">et</hi> dedans <hi
          rend="i">la terre</hi>. 2.° Lorsqu’ils sont eux-mêmes précédés des mots, <hi rend="i">de,
          au</hi>, ou <hi rend="i">par</hi> : = <hi rend="i">ôtez tous ces papiers</hi> de dessus
          <hi rend="i">cette table</hi> : = <hi rend="i">les ennemis ont passé</hi> par dedans <hi
          rend="i">la ville</hi> : = <hi rend="i">vous avez fait une action</hi> au-dessus <hi
          rend="i">de tout éloge</hi>.</p>
        <p>Il ne faut pas non plus confondre <hi rend="i">autour</hi> avec <hi rend="i"
          >alentour</hi>. Le premier est toujours préposition, et a toujours un régime. Le second
         n’en a jamais, parce qu’il est adverbe. On dira, <hi rend="i">il tourne</hi> autour <hi
          rend="i">de vous</hi> ; non pas, <hi rend="i">alentour de vous</hi>.</p>
       </div5>
      </div4>
      <div4 type="article">
       <pb n="167" xml:id="p167"/>
       <head type="sur"><hi rend="sc">Article VII</hi>. </head>
       <head type="main"><hi rend="i">Observations sur les Conjonctions</hi>.</head>
       <div5 type="section">
        <head>Règles concernant les conjonctions <hi rend="i">et</hi>, <hi rend="i">pour</hi>, <hi
          rend="i">sans</hi>, <hi rend="i">plutôt que</hi>, <hi rend="i">ne</hi>, <hi rend="i">ne
          pas</hi>, <hi rend="i">ni</hi>, <hi rend="i">pas</hi>, <hi rend="i">point</hi>, et <hi
          rend="i">que</hi>.</head>
        <p>Quelques grammairiens prétendent qu’une phrase n’est pas correcte, lorsque la conjonction
          <hi rend="i">et</hi> y est placée entre le régime simple d’un verbe, et le sujet d’un
         autre verbe ; comme dans celle-ci : <hi rend="i">Germanicus a égalé</hi> sa vertu, et son
         bonheur <hi rend="i">n’a jamais eu de pareil</hi>. Il semble d’abord, disent-ils, que <hi
          rend="i">bonheur</hi> soit, ainsi que <hi rend="i">vertu</hi>, le régime du verbe <hi
          rend="i">égalé</hi>, tandis qu’il est le sujet du verbe <hi rend="i">a eu</hi>.</p>
        <p>Ces grammairiens pourraient bien paraître un peu trop rigides. Quoi qu’il en soit, je
         pense avec eux que, quand le sujet du second verbe est séparé de ce verbe par plusieurs
         mots, la phrase n’est réellement pas correcte. Telle est celle-ci : <hi rend="i">pour
          réussir, il employait</hi> l’artifice ; et l’adresse <hi rend="i">qu’il mettait en usage,
          le</hi> faisait <hi rend="i">venir à bout de beaucoup de choses</hi>. Il faut éviter avec
         soin ces sortes de constructions, et prendre un autre tour. C’est ce que n’a pas fait <hi
          rend="i">Wailly</hi>, qui prescrit néanmoins bien formellement, cette règle, contre
         laquelle il lui est échappé cette faute dans la préface de sa grammaire : <quote><hi
           rend="i">j’ai retouché</hi> les régles <hi rend="i">des participes</hi> ; et les phrases
           <hi rend="i">que j’ai ajoutées et analysées, rendront plus facile et plus sensible
           l’application de ces règles</hi></quote>.</p>
        <p>Les conjonctions <hi rend="i">pour</hi>, <hi rend="i">sans</hi>, et les autres qui sont
         suivies d’un infinitif, ne peuvent <pb n="168" xml:id="p168"/>s’employer avec cet
         infinitif, que quand il se rapporte au sujet de la phrase. Ainsi l’on dira bien : <hi
          rend="i">un honnête homme ne peut manquer à sa parole</hi>, sans <hi rend="i">se
          déshonorer</hi>, parce que l’infinitif <hi rend="i">déshonorer</hi> se rapporte à <hi
          rend="i">honnête homme</hi>, qui est le sujet. Mais on ne pourra pas dire avec un
         historien : <hi rend="i">la vie de ce monarque ne fut pas assez longue</hi>, pour mettre
          <hi rend="i">la dernière main à tous ces projets</hi> ; parce que l’infinitif <hi rend="i"
          >mettre</hi> ne se rapporte pas à vie, qui est le sujet, mais à monarque. Il faut dire,
          <hi rend="i">pour qu’il mît</hi>.</p>
        <p><hi rend="i">Plutôt que</hi> est une sorte de conjonction qui, placée avant un infinitif,
         doit toujours être suivie de la préposition <hi rend="i">de</hi>. Ainsi ne dites pas avec
         un historien, <quote><hi rend="i">les habitants, déterminés à mourir</hi>, plutôt qu’à <hi
           rend="i">se rendre, firent une très vigoureuse résistance</hi></quote>. Il faut, <hi
          rend="i">plutôt que de se rendre</hi>.</p>
        <p>La conjonction négative <hi rend="i">ne</hi>, doit être mise après la conjonction <hi
          rend="i">à moins que</hi>. = <hi rend="i">Je ne sortirai pas</hi>, à moins qu’<hi rend="i"
          >il</hi> ne <hi rend="i">fasse beau</hi>, à moins que <hi rend="i">vous</hi> ne <hi
          rend="i">veniez me prendre</hi>.</p>
        <p>On la met aussi avec le <hi rend="i">que</hi> qui suit les verbes <hi rend="i"
          >douter</hi> et <hi rend="i">nier</hi>, lorsque ces verbes sont précédés d’une négation =
          <hi rend="i">Je</hi> ne <hi rend="i">doute</hi> pas, <hi rend="i">je</hi> ne <hi rend="i"
          >nie</hi> pas <hi rend="i">que cela</hi> ne <hi rend="i">soit</hi>. S’il n’y a point de
         négation, on supprime <hi rend="i">ne</hi>. = <hi rend="i">Je doute, je nie que cela
          soit</hi>.</p>
        <p>Après <hi rend="i">peu s’en faut que</hi>, on met toujours <hi rend="i">ne</hi>. = <hi
          rend="i">Peu s’en faut que son ouvrage</hi> ne <hi rend="i">soit achevé</hi>. Mais si ce
         verbe est accompagné d’un autre adverbe que <hi rend="i">peu</hi>, on est libre d’employer
         ou de supprimer <hi rend="i">ne</hi>. L’Académie <pb n="169" xml:id="p169"/>dit : <hi
          rend="i">Il s’en faut beaucoup que l’un</hi> soit <hi rend="i">du mérite de l’autre</hi>.
         = <hi rend="i">Vous dites qu’il s’en faut tant que la somme entière</hi> n’y soit ; <hi
          rend="i">il ne peut s’en falloir tant</hi>.</p>
        <p><hi rend="i">Prendre garde</hi>, signifiant prendre ses mesures, veut <hi rend="i"
          >ne</hi> avec le <hi rend="i">que</hi> qui le suit = <hi rend="i">Prenez garde qu’on</hi>
         ne <hi rend="i">vous trompe</hi>. Il veut <hi rend="i">ne pas</hi>, lorsqu’il signifie,
         faire réflexion. = <hi rend="i">Prenez garde que l’auteur</hi> ne <hi rend="i">dit</hi> pas
          <hi rend="i">ce que vous pensez</hi>.</p>
        <p>Quand le verbe <hi rend="i">empêcher</hi> n’a point de négation, il faut joindre <hi
          rend="i">ne</hi> au second verbe. = <hi rend="i">Empêchez qu’on</hi> ne <hi rend="i"
          >chante</hi>. Quand il est accompagné d’une négation, il faut supprimer <hi rend="i"
          >ne</hi> avant le second verbe. = N’<hi rend="i">empêchez</hi> pas <hi rend="i">qu’on
          chante</hi>.</p>
        <p>Il en est de même des verbes <hi rend="i">craindre</hi>, <hi rend="i">avoir peur</hi>,
          <hi rend="i">appréhender</hi>. Les deux exemples se trouvent dans ces vers de <hi rend="i"
          >Racine</hi> :</p>
        <quote>
         <l>Hélas ! on <hi rend="i">ne</hi> craint <hi rend="i">point</hi> qu’il <hi rend="i"
           >venge</hi> un jour son père ;</l>
         <l>On craint qu’il <hi rend="i">n’essuyât</hi> les larmes de sa mère.</l>
        </quote>
        <p>Il faut cependant observer qu’après ces verbes suivis de la conjonction <hi rend="i"
          >que</hi>, on met seulement <hi rend="i">ne</hi>, lorsqu’il s’agit d’un effet qu’on ne
         désire pas. = <hi rend="i">Je crains, j’ai peur, j’appréhende que vous</hi> ne <hi rend="i"
          >perdiez votre procès</hi>. Lorsqu’il s’agit d’un effet qu’on désire, on met <hi rend="i"
          >ne pas</hi>. = <hi rend="i">Je crains que ce fripon</hi> ne <hi rend="i">soit</hi> pas
          <hi rend="i">puni</hi>. Il en est de même après ces manières de parler, <hi rend="i">de
          crainte que</hi>, <hi rend="i">de peur que</hi>. Lorsque l’on dit, <hi rend="i">de crainte
          qu’il</hi> ne <hi rend="i">perde son procès</hi>, on souhaite qu’il le gagne ; et <hi
          rend="i">de crainte qu’il</hi> ne <hi rend="i">soit</hi> pas <hi rend="i">puni</hi>, on
         souhaite qu’il le soit.</p>
        <pb n="170" xml:id="p170"/>
        <p>La conjonction <hi rend="i">ni</hi> doit être employée, pour lier les mots, quand on nie
         une chose, et non quand on l’affirme. Ainsi il y a une faute dans cette phrase de <hi
          rend="i">La Bruyère</hi>. = <quote><hi rend="i">Un homme d’esprit, et qui est né fier, ne
           perd rien de sa fierté</hi> et <hi rend="i">de sa roideur, pour se trouver
          pauvre.</hi></quote> Il fallait, <hi rend="i">ni de sa roideur</hi>, parce que la phrase
         est négative. <hi rend="i">Boileau</hi> ne s’est pas non plus exprimé correctement
         lorsqu’il dit que celui qui inventa les lois rigoureuses du sonnet,</p>
        <quote>
         <l>Défendit qu’un vers faible y pût jamais entrer,</l>
         <l><hi rend="i">Ni</hi> qu’un mot déjà mis osât s’y remontrer.</l>
        </quote>
        <p rend="noindent">il fallait, <hi rend="i">et qu’un mot</hi>, parce que la phrase est
         affirmative.</p>
        <p>On demande s’il faut dire : <hi rend="i">il n’est point de mémoire d’un plus rude</hi> et
          <hi rend="i">d’un plus furieux combat</hi>. Suivant le principe établi, on ne le peut
         point. D’ailleurs l’Académie préfère : <quote><hi rend="i">il n’est point de mémoire d’un
           plus rude</hi> ni <hi rend="i">d’un plus furieux combat</hi></quote>.</p>
        <p><hi rend="i">Pas</hi> et <hi rend="i">point</hi> sont des conjonctions qui expriment la
         négation. Mais suivant l’abbé <hi rend="i">Girard</hi>, <hi rend="i">pas</hi> l’énonce
         simplement : <hi rend="i">point</hi> l’appuie avec force et paraît l’affirmer. <hi rend="i"
          >Pas</hi> ne nie souvent la chose, qu’en partie ou avec modification : <hi rend="i"
          >point</hi> la nie toujours absolument, totalement et sans réserve. Voici l’exemple que
         l’Académie apporte en preuve. On dira également : <hi rend="i">il n’a</hi> pas <hi rend="i"
          >d’esprit</hi> ; <hi rend="i">il n’a</hi> point <hi rend="i">d’esprit</hi> ; et l’on
         pourra dire : <hi rend="i">il n’a</hi> pas <hi rend="i">d’esprit ce qu’il en faudrait pour
          une telle place</hi>. Mais quand on dit : <hi rend="i">il n’a</hi> point <pb n="171"
          xml:id="p171"/><hi rend="i">d’esprit</hi> ; on ne peut rien ajouter. <hi rend="i"
          >Point</hi> suivi de la particule <hi rend="i">de</hi>, tranche donc absolument, et forme
         une négation parfaite ; au lieu que <hi rend="i">pas</hi> laisse la liberté de restreindre
         ou de réserver.</p>
        <p><hi rend="i">Pas</hi> vaut mieux que <hi rend="i">point</hi>, avant <hi rend="i"
          >plus</hi>, <hi rend="i">moins</hi>, <hi rend="i">si</hi>, <hi rend="i">autant</hi> et
         autres termes comparatifs, ainsi qu’avant les noms de nombre. = <hi rend="i">Démosthène
          n’est</hi> pas si <hi rend="i">diffus que Cicéron</hi>. = <hi rend="i">Vous ne
          trouverez</hi> pas deux <hi rend="i">hommes de votre avis</hi>. = <hi rend="i">Il n’a</hi>
         pas un <hi rend="i">livre</hi>. <hi rend="i">Point</hi> s’emploie mieux à la fin d’une
         phrase. = <hi rend="i">Si, pour acquérir de la fortune, il faut faire des bassesses, je
          n’en veux</hi> point. On le met encore pour <hi rend="i">non</hi>, dans les phrases
         interrogatives, et l’on ne peut jamais se servir de <hi rend="i">pas. = Lirez-vous ces
          vers ?</hi> point.</p>
        <p>Ajoutons, après l’Académie, que <hi rend="i">pas</hi> convient mieux à quelque chose de
         passager et d’accidentel. = <hi rend="i">Il ne lit</hi> pas, c’est-à-dire, présentement.
          <hi rend="i">Point</hi> convient mieux à quelque chose de permanent et d’habituel. = <hi
          rend="i">Il ne lit</hi> point, c’est-à-dire, jamais, dans aucun temps.</p>
        <p>On doit toujours joindre <hi rend="i">ne</hi> à <hi rend="i">pas</hi> et <hi rend="i"
          >point</hi>, et se bien garder d’imiter <hi rend="i">Racine</hi>, qui a dit dans sa
         tragédie de <hi rend="i">Mithridate</hi> :</p>
        <quote>
         <l>Les yeux peuvent-ils <hi rend="i">pas</hi> aisément se méprendre ?</l>
        </quote>
        <p rend="noindent">il aurait fallu dire : <hi rend="i">les yeux ne peuvent-ils pas</hi>,
         etc.</p>
        <p><hi rend="i">Pas</hi> et <hi rend="i">point</hi> doivent se supprimer avant <hi rend="i"
          >jamais</hi>, <hi rend="i">guères</hi>, <hi rend="i">plus</hi>, <hi rend="i">nul</hi>, <hi
          rend="i">aucun</hi>, <hi rend="i">rien</hi>, <hi rend="i">personne</hi> (pronom), <hi
          rend="i">ni, nullement</hi>, etc.</p>
        <pb n="172" xml:id="p172"/>
        <p>Ce serait faire un barbarisme, que de dire : <hi rend="i">je</hi> n’<hi rend="i">ai</hi>
         pas <hi rend="i">vu</hi> personne : <hi rend="i">je ne connais</hi> point aucun <hi
          rend="i">homme</hi> : <hi rend="i">je ne veux</hi> pas rien <hi rend="i">faire qui vous
          déplaise</hi>. Il faudrait dire : <hi rend="i">je n’ai vu personne</hi> :<hi rend="i">je
          ne connais aucun homme</hi> : <hi rend="i">je ne veux rien faire qui vous
         déplaise</hi>.</p>
        <p>Ce serait aussi une faute de dire : <hi rend="i">il ne mange</hi> point, ni <hi rend="i"
          >ne boit</hi>. Il faudrait supprimer <hi rend="i">point</hi>, et dire : <hi rend="i">il ne
          mange ni ne boit</hi>. Si ces verbes étaient employés dans des temps composés, il
         faudrait, de plus, répéter la conjonction <hi rend="i">ni</hi> avant chaque verbe, et
         dire : <hi rend="i">il n’a</hi> ni <hi rend="i">mangé</hi> ni <hi rend="i">bu</hi>.</p>
        <p>Toutes les fois qu’il y a dans une phrase plusieurs choses liées ensemble, auxquelles on
         veut rendre la négociation commune, les bons grammairiens exigent qu’en supprimant <hi
          rend="i">point</hi>, on répète la conjonction <hi rend="i">ni</hi> avant chacune de ces
         choses. Ainsi l’on doit dire : <hi rend="i">il n’aime</hi> ni <hi rend="i">le jeu</hi> ni
          <hi rend="i">la table</hi>. = <hi rend="i">Un supérieur ne doit être</hi> ni <hi rend="i"
          >trop sévère</hi> ni <hi rend="i">trop indulgent</hi>. Il y a donc une faute dans cette
         phrase de l’abbé <hi rend="i">Millot</hi> : <quote><hi rend="i">ce pontife n’en devint</hi>
          pas <hi rend="i">moins fier</hi>, ni <hi rend="i">moins intrépide</hi></quote>. Il fallait
         dire : <hi rend="i">ce pontife n’en devint</hi> ni <hi rend="i">moins fier</hi>, ni <hi
          rend="i">moins intrépide</hi>.</p>
        <p>La même faute se trouve dans ces vers de <hi rend="i">Voltaire</hi> :</p>
        <quote>
         <l>Il n’a <hi rend="i">point</hi>affecté l’orgueil du rang suprême,</l>
         <l><hi rend="i">Ni</hi> placé sa tiare auprès du diadème.</l>
        </quote>
        <p rend="noindent">il auroat fallu répéter la conjonction <hi rend="i">ni</hi>, et dire :
          <hi rend="i">il n’a</hi> ni <hi rend="i">affecté l’orgueil du rang suprême</hi>, ni <hi
          rend="i">placé sa tiare auprès du diadème</hi>. En effet si l’on se rappelle ici que <pb
          n="173" xml:id="p173"/><hi rend="i">ni</hi> est une conjonction copulative, qui lie avec
         négation, on peut voir aisément que dans ces deux vers, il y a deux idées, dont la liaison
         doit être marquée par cette conjonction. Or, il faut annoncer cette liaison dès le
         commencement, en exprimant la première idée ; parce que sans cela, le sens paraîtrait
         complet après ce premier membre de la phrase, <hi rend="i">il n’a point affecté l’orgueil
          du rang suprême</hi>, puisqu’il ne laisserait rien à désirer. Au lieu que si vous dites,
          <hi rend="i">il n’a ni affecté l’orgueil du rang suprême</hi>, cette conjonction <hi
          rend="i">ni</hi> rend le sens suspendu, annonçant une autre idée, qui doit suivre, et avec
         laquelle la première est liée.</p>
        <p>On supprime encore <hi rend="i">pas</hi>et <hi rend="i">point</hi>, après, <hi rend="i"
          >depuis que</hi> ; <hi rend="i">il y a… que</hi>, si le verbe qui suit ces expressions
         adverbiales, est au passé. On dira donc : <hi rend="i">depuis que je ne l’ai</hi> vu ; <hi
          rend="i">depuis que je ne le vois</hi> point : = <hi rend="i">il y a six mois que je ne
          l’ai</hi> vu ; <hi rend="i">il y a six mois que je ne le vois</hi> point.</p>
        <p><hi rend="i">Pas</hi> et <hi rend="i">point</hi> ne doivent jamais être employés après le
         verbe <hi rend="i">savoir</hi>pris dans le sens de <hi rend="i">pouvoir</hi> : = <hi
          rend="i">je ne saurais en venir à bout</hi>, pour, <hi rend="i">je ne puis en venir à
          bout</hi>. On les supprime avec élégance après les verbes <hi rend="i">cesser</hi>, <hi
          rend="i">oser</hi>, et <hi rend="i">pouvoir</hi> : = <hi rend="i">il n’a cessé de
          gronder</hi> : = <hi rend="i">on n’ose l’aborder</hi> : = <hi rend="i">je ne puis me
          taire</hi>.</p>
        <p>Supprimez aussi <hi rend="i">pas</hi> et <hi rend="i">point</hi> avant <hi rend="i"
          >que</hi> mis pour <hi rend="i">seulement</hi>. <hi rend="i">Crébillon</hi> a fait une
         faute, en disant :</p>
        <quote>
         <l>Car il n’a <hi rend="i">point</hi> dû voir l’ennemi qui m’offense,</l>
         <l><hi rend="i">Que</hi> pour venger ma gloire ou trahir ma vengeance.</l>
        </quote>
        <p>Il aurait fallu, <hi rend="i">il n’a du voir l’ennemi</hi>.</p>
        <pb n="174" xml:id="p174"/>
        <p>On connaît assez par l’usage les différentes manières d’employer la conjonction <hi
          rend="i">que</hi>. Je me bornerai donc à dire que quand ce mot est mis pour <hi rend="i"
          >combien</hi>, il est particule. Alors l’adjectif ne doit pas être précédé de <hi rend="i"
          >très</hi>, <hi rend="i">bien</hi>, <hi rend="i">fort</hi>. Il y a une faute dans ce vers
         de <hi rend="i">Crébillon</hi>.</p>
        <quote>
         <l><hi rend="i">Que</hi> cet heureux instant me doit être <hi rend="i">bien</hi> doux !</l>
        </quote>
        <p>Il aurait fallu, <hi rend="i">que cet heureux instant me doit être doux !</hi></p>
       </div5>
      </div4>
      <div4 type="article">
       <head type="sur"><hi rend="sc">Article VIII</hi>. </head>
       <head type="main"><hi rend="i">Du Gallicisme et des figures de construction</hi>.</head>
       <p>On entend par <hi rend="i">gallicisme</hi>, une construction propre et particulière à la
        langue française. Cette construction est contraire aux règles communes de la grammaire :
        mais elle est autorisée par l’usage. = <hi rend="i">Le jour va finir</hi>, pour dire, <hi
         rend="i">le jour est sur le point de finir</hi>. = <hi rend="i">Je viens de le
        quitter</hi>, pour dire, <hi rend="i">il y a très peu de temps, il n’y a qu’un moment que je
         l’ai quitté</hi>. = <hi rend="i">Les bonnes gens sont aisés à tromper</hi>, pour dire, <hi
         rend="i">à être trompés</hi>, ou, <hi rend="i">il est aisé de tromper les bonnes gens</hi>.
        Voilà des expressions qui sont des gallicismes.</p>
       <p>La conjonction <hi rend="i">que</hi>, jointe au verbe <hi rend="i">être</hi>, forme aussi
        un gallicisme : = c’est <hi rend="i">à vous</hi> que <hi rend="i">je parle</hi> : =
         était-<hi rend="i">ce à un homme si étourdi</hi>, que <hi rend="i">vous deviez confier
         votre secret ?</hi></p>
       <pb n="175" xml:id="p175"/>
       <p>Voici deux gallicismes tirés d’une tragédie de <hi rend="i">Racine</hi>.</p>
       <quote>
        <l>Avez-vous pu penser qu’au sang d’Agamemnon<note n="a" place="bottom">Voyez ce mot, dans
          les notes, à la fin de ce Volume.</note>,</l>
        <l>Achille<note n="b" place="bottom">Voyez ce mot, <hi rend="i">ibid.</hi></note> préférât
         une fille sans nom,</l>
        <l><hi rend="i">Qui</hi>, de tout son destin ce qu’elle a pu comprendre,</l>
        <l>C’est qu’elle sort d’un sang qu’il brûle de répandre.</l>
       </quote>
       <p>Ce <hi rend="i">qui</hi>, dont le verbe ne paraît point, est un gallicisme.</p>
       <quote>
        <l><hi rend="i">Je ne sai qui m’arrête</hi> et retient mon courroux,</l>
        <l><hi rend="i">Que</hi> par un prompt avis de tout ce qui se passe,</l>
        <l><hi rend="i">Je ne coure</hi> des Dieux divulguer la menace.</l>
       </quote>
       <p><hi rend="i">Je ne sai qui m’arrête</hi> ; <hi rend="i">que je ne coure</hi> forment
        encore un gallicisme. Ces sortes de constructions rendent souvent la diction aisée, vive,
        naturelle, comme on le voit dans les charmantes lettres de madame de Sévigné. Il faut
        cependant les employer rarement et avec goût. Le trop grand usage deviendrait un abus, qu’on
        ne pourrait pas justifier, même dans un bon ouvrage.</p>
       <p>Les figures de construction sont des irrégularités dans la grammaire, quoiqu’elles soient
        quelquefois des beautés et des perfections dans la langue. On en compte cinq ; la <pb
         n="176" xml:id="p176"/><hi rend="i">syllepse</hi>, l’<hi rend="i">ellipse</hi>, le <hi
         rend="i">pléonasme</hi>, l’<hi rend="i">hyperbate</hi>, et l’<hi rend="i"
        >hypallage</hi>.</p>
       <div5 type="section">
        <head>Syllepse.</head>
        <p>La <hi rend="i">Syllepse</hi> ou <hi rend="i">conception</hi>, s’accorde plus avec notre
         pensée, qu’avec les mots du discours ; comme quand nous disons : <hi rend="i">il est six
          heures</hi>, au lieu de dire suivant les règles : <hi rend="i">elles sont six heures</hi>.
         Nous ne prétendons alors que marquer un temps précis, et une seule de ces heures, savoir la
         sixième, qui est l’objet de notre pensée. <hi rend="i">Racine</hi> a employé cette figure
         dans ces vers :</p>
        <quote>
         <l>Entre <hi rend="i">le pauvre</hi> et vous, vous prendrez Dieu pour juge,</l>
         <l>Vous souvenant, mon fils, que caché sous ce lin,</l>
         <l>Comme <hi rend="i">eux</hi> vous fûtes pauvre, et comme <hi rend="i">eux</hi>
          orphelin.</l>
        </quote>
        <p>Et <hi rend="i">Fénelon</hi> dans cette phrase : <quote><hi rend="i">il commence à faire
           sortir</hi> sa jeunesse lacédémonienne <hi rend="i">encore à demi-désarmée : mais
           l’ennemi ne</hi> les <hi rend="i">laisse point respirer</hi></quote>. Le pronom <hi
          rend="i">eux</hi> dans le premier exemple, et le pronom <hi rend="i">les</hi> dans le
         second, forment une syllepse, parce qu’ils se rapportent à l’idée, et non aux mots.</p>
       </div5>
       <div5 type="section">
        <head>Ellipse.</head>
        <p>L’<hi rend="i">Ellipse</hi> ou <hi rend="i">défaut</hi>, est le retranchement d’un ou de
         plusieurs mots, autorisé par l’usage : = <hi rend="i">puissiez-vous être heureux !</hi>
         c’est-à-dire, <hi rend="i">je souhaite que vous soyez heureux</hi> : = <hi rend="i">qu’il
          fasse le moindre excès, il tombe malade</hi>, c’est-à-dire, <hi rend="i">s’il arrive qu’il
          fasse le moindre excès</hi>, etc.</p>
        <p><hi rend="i">Boileau</hi> a fait une ellipse, en disant :</p>
        <quote>
         <l><hi rend="i">Écrive qui voudra</hi> : chacun à ce métier,</l>
         <l>Peut perdre impunément de l’encre et du papier.</l>
        </quote>
        <p rend="noindent">c’est-à-dire ; <hi rend="i">que celui qui voudra écrire, écrive</hi>.</p>
        <pb n="177" xml:id="p177"/>
        <p>Il y a aussi ellipse dans ce beau vers de <hi rend="i">Racine</hi> :</p>
        <quote>
         <l>Je t’aimais <hi rend="i">inconstant</hi> : qu’aurai-je fait <hi rend="i"
          >fidèle !</hi></l>
        </quote>
        <p>c’est-à-dire ; <hi rend="i">je t’aimais, quoique tu fusses inconstant : qu’aurai-je fait,
          si tu avais été fidèle !</hi> Voilà, dit l’abbé <hi rend="i">d’Olivet</hi>, de toutes les
         ellipses que Racine s’est permises, la plus forte et la moins autorisée par l’usage. Mais,
         continue-t-il, ce qui rend l’ellipse, non seulement excusable, mais digne même de louange,
         c’est lorsqu’il s’agit, comme ici, de s’exprimer vivement, et de renfermer beaucoup de sens
         en peu de paroles, surtout lorsqu’une violente passion agite la personne qui parle.
         Hermione, dans son transport, voudrait pouvoir dire plus de choses, qu’elle n’articule de
         syllabes.</p>
        <p>On trouvera encore plusieurs ellipses dans ces vers du même Poète :</p>
        <quote>
         <l>Mes <hi rend="i">soldats</hi> presque nus dans l’ombre intimidés ;</l>
         <l>Les <hi rend="i">rangs</hi> de toutes parts mal pris et mal gardés ;</l>
         <l>Le désordre partout redoublant les alarmes ;</l>
         <l>Nous-mêmes contre nous tournant nos propres armes ;</l>
         <l>Des <hi rend="i">cris</hi> que les rochers renvoyaient plus affreux ;</l>
         <l>Enfin toute l’<hi rend="i">horreur</hi> d’un combat ténébreux ;</l>
         <l>Que pouvait la valeur dans ce trouble funeste ?</l>
        </quote>
        <p>Les substantifs sujets, <hi rend="i">soldats</hi>, <hi rend="i">rangs</hi>, <hi rend="i"
          >cris</hi>, <hi rend="i">horreur</hi>, dont le verbe est sous-entendu, forment autant
         d’ellipses.</p>
       </div5>
       <div5 type="section">
        <head>Pléonasme</head>
        <p>Le <hi rend="i">Pléonasme</hi> ou <hi rend="i">surabondance</hi>, est opposé à l’ellipse,
         et a quelques mots de plus qu’il ne faut ; comme, <hi rend="i">entendre de ses</hi>
         <pb n="178" xml:id="p178"/><hi rend="i">oreilles</hi> ; <hi rend="i">voir de ses yeux</hi>,
         etc. <hi rend="i">Voltaire</hi> a dit :</p>
        <quote>
         <l>Les éclairs sont moins prompts : je l’ai <hi rend="i">vu de mes yeux</hi>,</l>
         <l>Je l’ai vu qui frappait ce monstre audacieux.</l>
        </quote>
        <p>Cette figure de construction consiste aussi dans la réduplication (ou répétition) du
         régime ou du sujet du verbe. <hi rend="i">Racine</hi> nous en fournit ces exemples :</p>
        <quote>
         <l>Et que <hi rend="i">m’</hi> a fait à <hi rend="i">moi</hi> cette Troie où je
          cours ?…</l>
        </quote>
        <quote>
         <l><hi rend="i">Moi-même</hi>, pour tout fruit de mes soins superflus,</l>
         <l>Maintenant <hi rend="i">je</hi> me cherche et ne me trouve plus…</l>
        </quote>
        <quote>
         <l>Un Roi sage, ainsi <hi rend="i">Dieu</hi> l’a prononcé <hi rend="i">lui-même</hi>,</l>
         <l>Sur la richesse et l’or ne met point son appui.</l>
        </quote>
        <p>Il faut avoir soin de n’employer le pléonasme, que quand il doit donner au discours, ou
         plus de grâce, ou plus de netteté, ou plus d’énergie. S’il ne produit point cet effet, il
         est vicieux.</p>
       </div5>
       <div5 type="section">
        <head>Hyperbate.</head>
        <p>L’<hi rend="i">Hyperbate</hi> ou <hi rend="i">inversion</hi>, est un tour particulier,
         qu’on donne à une phrase, et qui consiste principalement à faire précéder des mots ou une
         proposition, par d’autres, qui, dans l’ordre naturel, auraient dû les suivre : = <quote><hi
           rend="i">déjà prenait l’essor, pour se sauver dans les montagnes, cet aigle, dont le vol
           hardi avait d’abord effrayé nos provinces</hi></quote> : = <hi rend="i">le tribut
          d’admiration qui est refusé aux grands hommes par leurs contemporains, la postérité sait
          le leur rendre</hi>. La construction naturelle de ces phrases est : <hi rend="i">cet
          aigle, dont le vol hardi avait d’abord effrayé nos provinces, prenait déjà l’essor, pour
          se sauver <pb n="179" xml:id="p179"/>dans les montagnes</hi>. = <hi rend="i">La postérité
          sait rendre aux grands hommes le tribut d’admiration, qui leur est refusé par leurs
          contemporains</hi>. Mais on voit bien que ces phrases ainsi construites, ont moins de
         vivacité, de grâce et d’harmonie que les premières. Aussi emploie-t-on souvent cette
         figure, en plaçant le sujet après le verbe, ou le régime avant le sujet et le verbe.</p>
       </div5>
       <div5 type="section">
        <head>Hypallage.</head>
        <p>L’<hi rend="i">Hypallage</hi> est une figure par laquelle on fait un changement dans
         quelques expressions. Dire, par exemple : <hi rend="i">il n’avait point de souliers dans
          ses pieds</hi>, au lieu de dire, <hi rend="i">il n’avait point les pieds dans ses
          souliers</hi>, c’est, suivant l’Académie, faire une hypallage.</p>
       </div5>
      </div4>
     </div3>
    </div2>
    <div2 type="section">
     <head type="sur">Section II. </head>
     <head type="main"><hi rend="i">De l’Art d’écrire agréablement</hi>.</head>
     <p><hi rend="sc">L’élocution</hi> est en général l’expression de la pensée par la parole. On
      écrit agréablement, quand on flatte l’oreille et l’esprit par les charmes d’une belle
      élocution, c’est-à-dire, par les ornements dont on embellit ses pensées. Ces ornements devant
      être choisis et distribués à propos, il est important de les connaître d’une manière
      particulière, pour savoir où, quand, et comment il faut les employer. D’ailleurs, cette étude
      que nous faisons des divers agréments qu’on peut répandre dans le discours, nous <pb n="180"
       xml:id="p180"/>donne occasion de lire et d’admirer les plus beaux morceaux des meilleurs
      Écrivains ; ce qui la rend tout à la fois infiniment utile et agréable.</p>
     <p>On peut rapporter tout ce qu’il y a d’essentiel à dire sur l’élocution, à deux objets
      principaux, dont je vais traiter séparément : ce sont, 1°. le style ; 2°. ses différentes
      espèces.</p>
     <div3 type="chapter">
      <head type="sur">Chapitre I. </head>
      <head type="main"><hi rend="i">Du style</hi>.</head>
      <p><hi rend="sc">L</hi><hi rend="sc">e</hi> mot <hi rend="i">style</hi>, qui vient du latin
        <hi rend="i">stylus</hi>, désignait autrefois l’aiguille, dont on se servait, pour graver
       les lettres sur des écorces d’arbre, ou sur des tablettes enduites de cire. Elle était
       pointue par un bout, et aplatie par l’autre, pour qu’on pût effacer, quand on le voulait. Ce
       mot signifie aujourd’hui la manière dont nous rendons nos pensées. Voyons d’abord en quoi
       elles consistent, et quelles en sont les qualités.</p>
      <div4 type="section">
       <head>Définition et qualités dispensées.</head>
       <p>Penser, c’est former dans son esprit la peinture d’un objet spirituel ou sensible. Ainsi
        les pensées sont les images des choses. La vérité est une qualité qui leur est essentielle,
        et qui en fait le fondement et la solidité. Une peinture n’est véritable, qu’autant qu’elle
        est ressemblante. Il en est de même d’une pensée : elle n’est vraie dans l’esprit de celui
        qui écrit, et <pb n="181" xml:id="p181"/>conséquemment ne se montre telle aux yeux du
        lecteur, que quand l’image que l’écrivain se forme d’un objet, représente fidèlement cet
        objet avec ses propriétés. Si cette image le représente tout entier, dans toute son étendue,
        alors la pensée est vraie, de quelque côté qu’on la considère ; et c’est ce qui en fait la
        justesse.</p>
       <p>Pour donner à une pensée cette vérité, cette justesse que la raison exige, il faut que
        l’écrivain saisisse et marque le rapport, ou la disconvenance des idées dont elle est
        composée ; c’est-à-dire, la convenance ou l’opposition qu’a l’objet dont il se forme une
        image, avec d’autres objets, soit sensibles, soit intellectuels. <hi rend="i">La terre est
         ronde</hi>. Voilà une pensée vraie : elle marque le rapport et la convenance qu’il y a
        entre l’idée de <hi rend="i">terre</hi> et l’idée de <hi rend="i">rondeur</hi>. <hi rend="i"
         >Le menteur n’est pas estimable</hi>. Voilà encore une pensée vraie : elle marque la
        disconvenance et l’opposition qu’il y a entre l’idée de <hi rend="i">menteur</hi> et l’idée
         d’<hi rend="i">estime</hi>.</p>
      </div4>
      <div4 type="section">
       <head>Pensées qui ont des agréments particuliers.</head>
       <p>Il y a des pensées qui ont un caractère propre, on des agréments particuliers qui les
        distinguent. Les unes doivent ce caractère à la nature même de l’objet. Quand il est noble,
        grand, sublime, triste, gracieux, etc., la pensée l’est aussi. Les autres ont par elles-même
        des agréments, tels que la force, la hardiesse, la vivacité, la finesse, la naïveté,
        etc.</p>
       <p>La pensée est <hi rend="i">forte</hi>, lorsque l’objet qu’elle représente, fait une
        profonde impression dans l’esprit. Telle est celle-ci de <pb n="182" xml:id="p182"/><hi
         rend="i">Salluste</hi> sur Catilina, tué dans une bataille que ce fier conspirateur contre
        Rome sa patrie, livra à l’armée de la république : <quote><hi rend="i">son corps fut trouvé
          parmi ceux de ses ennemis ; et la fierté qui paraissait sur son visage pendant sa vie, y
          était encore empreinte</hi></quote>. L’objet de cette pensée est la fierté, l’audace,
        l’air menaçant que nous voyons sur le visage de Catilina, tout mort qu’il est ; et
        assurément cet objet ne peut que nous frapper, nous étonner, et remuer fortement notre
        âme.</p>
       <p><hi rend="i">Boileau</hi> dit dans son épître sur <hi rend="i">le passage du
        Rhin</hi> :</p>
       <quote>
        <l>De tant de coups affreux la tempête orageuse,</l>
        <l>Tient un temps sur les eaux la fortune douteuse.</l>
        <l>Mais Louis d’un regard, sait bientôt la fixer.</l>
        <l>Le destin à ses yeux n’oserait balancer.</l>
       </quote>
       <p>Ces deux derniers vers renferment une pensée très forte, parce que l’objet qu’elle
        représente, fait une impression des plus vives et des plus profondes. C’est Louis XIV qui
        commande à la fortune : le destin de la guerre dépend de lui : sa présence rend ses soldats
        invincibles : dès qu’il paraît, on est assuré de la victoire.</p>
       <p>La pensée est <hi rend="i">hardie</hi>, lorsque l’objet, dont elle est l’image, se peint
        dans l’esprit avec des couleurs extraordinaires. <hi rend="i">Horace</hi> dit que <quote><hi
          rend="i">les soucis volent autour des lambris dorés…</hi></quote> que <quote><hi rend="i"
          >le chagrin plus léger que les cerfs, plus rapide que le vent qui chasse au loin les
          nuages, montent avec nous dans le même vaisseau, court avec nous à travers <pb n="183"
           xml:id="p183"/>les escadrons</hi></quote>. Quoi de plus hardi, de plus extraordinaire que
        de personnifier ces soucis et ce chagrin, de les faire embarquer avec nous, de les faire
        combattre à nos côtés !</p>
       <p>La pensée est <hi rend="i">vive</hi>, lorsque l’objet qu’elle représente, se peint d’un
        seul trait dans l’esprit. Les villes d’Albe<note n="a" place="bottom">Voyez ce mot, dans les
         notes, à la fin de ce Volume.</note> et de Rome<note n="b" place="bottom">Voyez ce mot, <hi
          rend="i">ibid.</hi></note> étaient en guerre ; et les armées, rangées en bataille,
        n’attendaient que le signal, pour en venir aux mains, lorsque les généraux voulant épargner
        le sang des deux peuples, voisins, de même origine, et unis par les liens de la parenté,
        convinrent de nommer de part et d’autre trois combattants seulement pour la cause commune.
        Ce furent de l’un et de l’autre côté trois frères, les Horaces, romains, et les Curiaces,
        albains. <hi rend="i">Tite-Live</hi> décrivant ce combat, dit des trois jeunes guerriers :
          <quote><hi rend="i">ils s’avancent, portant en eux le courage de trois grandes
         armées</hi></quote>. Voilà une pensée très vive.</p>
       <p>Galgacus, roi de Calédonie (aujourd’hui Écosse), prêt à livrer bataille aux Romains, qui
        voulaient conquérir ce pays, harangue ses troupes, et finit, suivant <hi rend="i"
         >Tacite</hi>, par ces paroles : <quote><hi rend="i">en allant au combat, songez à vos
          ancêtres et à vos descendants</hi></quote>. Que de choses renfermées dans ces deux
        mots !</p>
       <pb n="184" xml:id="p184"/>
       <p>La pensée est <hi rend="i">délicate</hi>, lorsque l’objet qu’elle représente, ne se peint
        qu’en partie, de manière pourtant que le reste puisse être aisément deviné. Le sens de cette
        espèce de pensées n’est ni bien visible, ni bien marqué. Il semble que l’écrivain l’a caché
        à demi, afin que le lecteur le cherche et le devine : ou du moins, il le laisse seulement
        entrevoir, pour lui donner le plaisir de le découvrir tout à fait.</p>
       <p>Les empereurs romains prenaient le nom de <hi rend="i">père de la patrie</hi>, dès qu’ils
        montaient sur le trône. <hi rend="i">Trajan</hi>, parvenu à l’empire, refusa pendant
        longtemps ce titre, et ne le prit, que quand il crut l’avoir mérité. <hi rend="i"
        >Pline</hi>, son panégyriste, lui dit à ce sujet : <quote><hi rend="i">vous êtes le seul à
          qui il soit permis d’être le père de la patrie, avant de le devenir</hi></quote>. Cette
        pensée est très délicate : elle laisse plus de choses à entendre, qu’elle n’en dit ; savoir,
        que Trajan était en effet, et dans le cœur de ses sujets, le père de la patrie, avant qu’il
        en portât le nom.</p>
       <p><hi rend="i">Boileau</hi> ne loue pas moins finement Louis XIV. On en jugera par ces vers
        d’une <hi rend="i">épître</hi> à ce monarque :</p>
       <quote>
        <l>Je n’ose de mes vers vanter ici le prix.</l>
        <l>Toutefois si quelqu’un de mes faibles écrits</l>
        <l>Des ans injurieux peut éviter l’outrage,</l>
        <l>Peut-être pour ta gloire aura-t-il son usage.</l>
        <l>Et comme tes exploits étonnant les lecteurs,</l>
        <l>Seront à peine crus sur la foi des auteurs ;</l>
        <l>Si quelque esprit malin les veut traiter de fables,</l>
        <pb n="185" xml:id="p185"/>
        <l>On dira quelque jour pour les rendre croyables :</l>
        <l><hi rend="i">Boileau</hi>, qui dans ses vers pleins de sincérité,</l>
        <l>Jadis à tout son siècle a dit la vérité,</l>
        <l>Qui mit à tout blâmer son étude et sa gloire,</l>
        <l>A pourtant de ce roi parlé comme l’histoire.</l>
       </quote>
       <p>Tout ce morceau est pensé et rendu avec la plus grande délicatesse. En voici un autre qui
        ne lui est certainement point inférieur. Le poète, dans une <hi rend="i">épître</hi> sur <hi
         rend="i">la vie champêtre</hi>, feint qu’à son retour de la campagne, un de ses amis lui
        parle des victoires du roi.</p>
       <quote>
        <l>Dieu sait comme les vers chez vous s’en vont couler,</l>
        <l>Dit d’abord un ami qui veut me cajoler.</l>
        <l>Et dans ce temps guerrier et fécond en <hi rend="i">Achilles</hi>,</l>
        <l>Croit que l’on fait les vers comme l’on prend les villes.</l>
        <l>Mais moi, dont le génie est mort en ce moment ;</l>
        <l>Je ne sai que répondre à ce vain compliment ;</l>
        <l>Et justement confus de mon peu d’abondance,</l>
        <l>Je me fais un chagrin du bonheur de la France.</l>
       </quote>
       <p>Cette louange est si bien assaisonnée, qu’il semble que ce n’en est pas une. Quelle
        finesse, quelle délicatesse dans cet air d’humeur qu’affecte le poète ; dans ce refus simulé
        de faire l’éloge du roi, lors même qu’il le loue si bien ! C’est le comble de l’art.</p>
       <p>Ne craignons point ici de multiplier les exemples. Voyez ces beaux vers de <hi rend="i"
         >Racine</hi>, dans son <hi rend="i">Idylle</hi> sur <hi rend="i">la paix</hi>. La dernière
        pensée est pleine de délicatesse.</p>
       <quote>
        <l>Qu’il règne ce héros, qu’il triomphe toujours ;</l>
        <l>Qu’avec lui soit toujours la paix ou la victoire ;</l>
        <pb n="186" xml:id="p186"/>
        <l>Que le cours de ses ans dure autant que le cours</l>
        <l>De la Seine<note n="a" place="bottom">Voyez ce mot, dans les notes, à la fin de ce
          Volume.</note> et de la Loire<note n="b" place="bottom">Voyez ce mot, <hi rend="i"
           >ibid.</hi></note></l>
        <l>Qu’il règne ce héros, qu’il triomphe toujours ;</l>
        <l>Qu’il vive autant que sa gloire.</l>
       </quote>
       <p>Ce quatrain de mademoiselle <hi rend="i">Scuderi</hi> sur le goût du grand <hi rend="i"
         >Condé</hi> pour la culture des fleurs, est aussi très délicat.</p>
       <quote>
        <l>En voyant ces œillets qu’un illustre guerrier</l>
        <l>Arrose de la main qui gagna des batailles,</l>
        <l>Souviens-toi qu’Apollon<note n="c" place="bottom">Voyez ce mot, <hi rend="i"
          >ibid.</hi></note> bâtissait des murailles,</l>
        <l>Et ne t’étonne point que Mars<note n="d" place="bottom">Voyez ce mot, <hi rend="i"
           >ibid.</hi></note> soit jardinier.</l>
       </quote>
       <p>Outre la délicatesse qui se trouve dans les pensées, il y en a une autre qui est dans les
        sentiments, et à laquelle le cœur a plus de part que l’esprit. Voici un sentiment très
        délicat, que <hi rend="i">Racine</hi>, dans sa tragédie de <hi rend="i">Bérénice</hi>, donne
        à Titus, empereur de Rome, parlant de cette reine de Palestine, qu’il devait épouser.</p>
       <quote>
        <l>Depuis cinq ans entiers, chaque jour je la vois ;</l>
        <l>Et crois toujours la voir pour la première fois.</l>
       </quote>
       <p>Dans la tragédie d’<hi rend="i">Horace</hi>, par <hi rend="i">Corneille</hi>, Sabine,
        native d’Albe, et femme d’un citoyen de Rome, voit la guerre allumée entre ces deux villes.
        Ces sentiments que lui prête le poète, n’ont pas moins de délicatesse que de vérité.</p>
       <pb n="187" xml:id="p187"/>
       <quote>
        <l>Albe<note n="a" place="bottom">Voyez ce mot, dans les notes, à la fin de ce
          Volume.</note>, où j’ai commencé de respirer le jour,</l>
        <l>Albe, mon cher pays et mon premier amour,</l>
        <l>Lorsqu’entre nous et toi je vois la guerre ouverte,</l>
        <l>Je crains notre victoire autant que notre perte.</l>
        <l>Rome<note n="b" place="bottom">Voyez ce mot, <hi rend="i">ibid.</hi></note>, si tu te
         plains que c’est là te trahir,</l>
        <l>Fais-toi des ennemis que je puisse haïr.</l>
       </quote>
       <p>La pensée est <hi rend="i">naïve</hi>, quand l’objet qu’elle représente, s’offre à
        l’esprit, sans que celui-ci paraisse l’avoir cherché. Elle consiste, dit le P. <hi rend="i"
         >Bouhours</hi><note n="1" place="bottom">Man. de bien penser. II.<hi rend="sup">e</hi>
         Dialog.</note>, dans je ne sais quel air simple et ingénu, mais spirituel et raisonnable,
        tel qu’est celui d’un villageois de bon sens, ou d’un enfant qui a de l’esprit. En voici un
        exemple dans ce quatrain de <hi rend="i">Gombaud</hi> :</p>
       <quote>
        <l>Colas est mort de maladie :</l>
        <l>Tu veux que j’en pleure le sort.</l>
        <l>Hélas ! que veux-tu que j’en die ?</l>
        <l>Colas vivait, Colas est mort.</l>
       </quote>
       <p>Telle est encore la pensée de cette épitaphe, faite par <hi rend="i">Scarron</hi>.</p>
       <quote>
        <l>Ci gît qui fut de belle taille,</l>
        <l>Qui savait danser et chanter,</l>
        <l>Faisait des vers vaille que vaille</l>
        <l>Et les savait bien réciter.</l>
        <l>Sa race avait quelque antiquaille,</l>
        <l>Et pouvait des héros compter.</l>
        <pb n="188" xml:id="p188"/>
        <l>Même il aurait donné bataille,</l>
        <l>Sil en avait voulu tâter.</l>
        <l>Il parlait fort bien de la guerre,</l>
        <l>Des cieux, du globe de la terre,</l>
        <l>Du droit civil, du droit canon,</l>
        <l>Et connaissait assez les choses</l>
        <l>Par leurs effets et par leurs causes.</l>
        <l>Était-il honnête homme ? Oh, non.</l>
       </quote>
       <p>Il y a cependant une certaine finesse dans la pensée de cette épitaphe, et surtout dans
        celle du quatrain : mais c’est une finesse qui n’exclut point la naïveté.</p>
       <p>Voici une petite pièce de vers, qui finit par un trait vraiment naïf.</p>
       <quote>
        <l>Un vieil ivrogne ayant trop bu d’un coup,</l>
        <l>Même de deux, tomba contre une borne.</l>
        <l>Le choc fut rude : il resta sur le coup,</l>
        <l>Presqu’assommé, l’œil hagard et l’air morne.</l>
        <l>Un savetier, de près le regardant,</l>
        <l>Tâtait son pouls, et lui tirant la manche ;</l>
        <l>Las ! ce que c’est que de nous cependant :</l>
        <l>Voilà l’état où je serai dimanche.</l>
       </quote>
       <p>Il ne faut pas confondre la pensée naïve avec la pensée <hi rend="i">naturelle</hi>.
        Celle-ci représente toujours un objet qui s’est trouvé dans le fond du sujet qu’on traite.
        Elle est née, pour ainsi dire du sujet même, parce qu’elle s’y rapporte entièrement et
        directement. Il semble au lecteur qu’il l’avait dans la tête, avant de la lire, et que par
        conséquent elle n’a exigé aucun effort de la part de l’écrivain. Mais quoiqu’elle fût dans
        le sujet, il n’a pas <pb n="189" xml:id="p189"/>été bien facile à celui-ci de l’y voir et de
        l’en tirer. Toute pensée naïve est naturelle : mais toute pensée naturelle n’est pas naïve,
        parce que le naturel peut avoir quelque chose de grand, de sublime ; au lieu que le naïf a
        toujours quelque chose de petit ou de moins élevé.</p>
       <p><hi rend="i">Verrès</hi>, citoyen romain, exerçant en Sicile la préture, charge qui
        consistait à rendre la justice, voulait s’approprier les colosses de Cérès<note n="a"
         place="bottom">Voyez ce mot, dans les notes, à la fin de ce Volume.</note> et de
         Triptolème<note n="b" place="bottom">Voyez ce mot, <hi rend="i">ibid.</hi></note>. Mais il
        ne put les faire emporter à cause de leur énorme pesanteur. <hi rend="i">Cicéron</hi>, dans
        une de ses oraisons contre ce concussionnaire, dit de ces statues : <quote><hi rend="i">leur
          beauté les mit en danger d’être prises ; leur grandeur les sauva</hi></quote>. Voilà une
        pensée naturelle, tirée du fond de la chose, qui n’a absolument rien d’étranger au sujet, et
        qui paraît n’avoir rien coûté à l’orateur. Celle-ci de <hi rend="i">Mainard</hi>, sur la
        mort d’un enfant, ne l’est pas moins.</p>
       <quote>
        <l>On doit regretter sa mort,</l>
        <l>Mais sans accuser le sort</l>
        <l>De cruauté ni d’envie.</l>
        <l>Le siècle est si vicieux,</l>
        <l>Passant, qu’une courte vie</l>
        <l>Est une faveur des cieux.</l>
       </quote>
       <p>Voyez encore celle-ci du même auteur <pb n="190" xml:id="p190"/>sur un père, affligé de la
        mort de sa fille. Le père s’adresse au ciel.</p>
       <quote>
        <l>Hâte ma fin que ta rigueur diffère ;</l>
        <l>Je hais le monde et n’y prétends plus rien.</l>
        <l>Sur mon tombeau ma fille devrait faire</l>
        <l>Ce que je fais maintenant sur le sien.</l>
       </quote>
       <p>Les pensées qui portent en elles-mêmes de l’agrément, n’ont pas besoin d’être ornées par
        l’expression. Elles doivent être rendues telles qu’elles se présentent à l’esprit de
        l’écrivain. Les mots sonores et brillants affaibliraient souvent une pensée forte. Si vous
        ajoutez à une pensée hardie des expressions magnifiques et pompeuses ; vous la rendrez
        outrée. Si vous embellissez une pensée naïve, une pensée vive, l’une et l’autre cesseront de
        l’être. <hi rend="i">Mon ami n’est plus ; et je vis encore</hi> ! voilà une pensée vive. Si
        vous dites : <hi rend="i">mon ami est descendu dans le sombre empire des morts ; et je jouis
         encore de la lumière</hi> ! elle sera traînante ; elle aura perdu toute sa vivacité.</p>
      </div4>
      <div4 type="section">
       <head>Pensées relevées par l’expression.</head>
       <p>Il y a des pensées qui n’ont par elles-mêmes d’autre mérite que celui de la vérité. Ces
        sortes de pensées se présentent en foule à tout homme d’un sens droit, et naissent sans
        effort du sujet que traite l’écrivain. Elles sont simples, communes et souvent triviales. Il
        faut nécessairement les revêtir des ornements de l’expression, pour leur donner un certain
        air de nouveauté, de grandeur, de noblesse, ou un autre agrément quelconque. Si l’écrivain
        sacré avait dit simplement du conquérant le plus <pb n="191" xml:id="p191"/>renommé qui ait
        jamais existé, du grand <hi rend="i">Alexandre</hi> : <hi rend="i">il fut le maître de la
         terre</hi> ; cette pensée n’aurait par elle-même rien de fort ni d’éclatant. Mais il dit,
         <hi rend="i">la terre se tut en sa présence</hi> ; et cette expression donne à la pensée de
        la vivacité, de l’énergie et de la grandeur. Si <hi rend="i">Salluste</hi> avait dit
        simplement de ce <hi rend="i">Mithridate</hi>, qui disputa pendant trente ans l’empire de
        l’Asie aux Romains : <hi rend="i">il avait une grande taille</hi> ; sa pensée aurait été
        commune. Mais en disant que ce capitaine <quote><hi rend="i">était armé d’une grande
          taille</hi></quote>, il la rend noble et hardie.</p>
       <p>Rien de plus vrai, de plus juste, mais en même temps de plus simple et de plus commun que
        cette pensée, <hi rend="i">la mort n’épargne personne</hi>. Voyez comme <hi rend="i"
         >Horace</hi> la relève, et la rend, en quelque façon, neuve. <quote><hi rend="i">La
          mort</hi><seg type="exquote">, dit-il,</seg>
         <hi rend="i">renverse également les palais des rois, et les cabanes des
         pauvres</hi></quote> ? Une autre pensée vraie, mais commune, et tout à fait dénuée
        d’agréments, est celle-ci : <hi rend="i">le chagrin ne dure pas toujours</hi>. Notre <hi
         rend="i">La Fontaine</hi> lui donne de l’élévation et de l’éclat, en la présentant sous
        cette image charmante :</p>
       <quote>
        <l>Sur les ailes du temps<note n="a" place="bottom">Voyez ce mot, dans les notes, à la fin
          de ce Volume.</note> la tristesse s’envole.</l>
       </quote>
       <p>Il ne me reste à faire qu’une courte, mais assez importante observation concernant les
        pensées ; c’est que le fond en est presque toujours le même dans tous les écrivains qui
        traitent le même sujet. La seule manière <pb n="192" xml:id="p192"/>de les rendre, met une
        distance infinie <hi rend="i">entre</hi> les bons et les mauvais. Hippolyte, dans la <hi
         rend="i">Phèdre</hi> de <hi rend="i">Pradon</hi>, dit à Aricie :</p>
       <quote>
        <l>Depuis que je vous vois, j’abandonne la chasse ;</l>
        <l>Elle fit autrefois mes plaisirs les plus doux ;</l>
        <l>Et quand j’y vais, ce n’est que pour penser à vous.</l>
       </quote>
       <p>Voici comme <hi rend="i">Racine</hi> exprime ces mêmes pensées et ces mêmes
        sentiments.</p>
       <quote>
        <l>Mon arc, mes javelots, mon char, tout m’importune,</l>
        <l>Je ne me souviens plus des leçons de Neptune<note n="a" place="bottom">Voyez ce mot, dans
          les notes, à la fin de ce Volume.</note>.</l>
        <l>Mes seuls gémissements font retentir les bois,</l>
        <l>Et mes coursiers oisifs ont oublié ma voix.</l>
       </quote>
       <p>À la seule lecture de ces vers, on jugera sans peine que <hi rend="i">Racine</hi> avait
        bien raison de dire : <quote><hi rend="i">je ne pense pas mieux que Pradon et Coras ; mais
          j’écris mieux qu’eux</hi></quote>.</p>
      </div4>
      <div4 type="section">
       <head>Style <hi rend="i">coupé</hi> ; style périodique.</head>
       <p>Le style en général, ou, si l’on veut, considéré, dans sa forme, peut être <hi rend="i"
         >coupé</hi> ou <hi rend="i">périodique</hi>. Il est <hi rend="i">coupé</hi>, lorsque les
        phrases ne peuvent point se diviser en plusieurs parties. Telles sont celles-ci de <hi
         rend="i">Bossuet</hi> dans son <hi rend="i">Discours de l’histoire universelle</hi>.</p>
       <p>« L’orgueil de Démétrius<note n="b" place="bottom">Voyez ce mot, <hi rend="i"
         >ibid.</hi></note> souleva le peuple. Toute la Syrie<note n="c" place="bottom">Voyez ce
         mot, <hi rend="i">ibid.</hi></note> était en feu. Jonathas<note n="d" place="bottom">Voyez
         ce mot, <hi rend="i">ibid.</hi></note> sut profiter de la conjoncture. Il renouvela
        l’alliance avec les Romains ». Le style cesserait ici d’être coupé si de ces quatre phrases
        on en faisait <pb n="193" xml:id="p193"/>une seule, par exemple celle-ci : <quote><hi
          rend="i">L’orgueil de Démétrius souleva le peuple ; et tandis que toute la Syrie était en
          feu, Jonathas, qui sut profiter de la conjoncture, renouvela l’alliance avec les
          Romains.</hi></quote></p>
       <p>Le style <hi rend="i">périodique</hi> est composé d’un enchaînement de périodes
        travaillées avec art. La <hi rend="i">période</hi> est une phrase qui a plusieurs parties
        distinguées, mais dépendantes les unes des autres, et tellement liées entre elles, que le
        sens demeure toujours suspendu jusqu’à la fin. Chacune de ces parties, prise séparément, se
        nomme <hi rend="i">membre</hi>. Quelquefois les membres d’une période sont composés d’autres
        parties qu’on appelle <hi rend="i">incises</hi>. Il y a des périodes de deux, de trois et de
        quatre membres. En voici des exemples.</p>
       <quote>
        <l>Si la loi du Seigneur vous touche ;</l>
        <l>Si le mensonge vous fait peur ;</l>
        <l>Si la pitié dans votre cœur</l>
        <l>Règne aussi bien qu’en votre bouche ;</l>
       </quote>
       <p>(<hi rend="i">Premier membre</hi>, qui renferme trois <hi rend="i">incises</hi>, et dont
        le sens, quoique marqué, n’est pas complet, laissant quelque chose à désirer) :</p>
       <quote>
        <l>Parlez, fils des hommes : pourquoi</l>
        <l>Faut-il qu’une haine farouche</l>
        <l>Préside aux jugements que vous lancez sur moi ?</l>
       </quote>
       <p>(<hi rend="i">Second membre</hi>, qui présente le sens complet). Faites la même
        application aux exemples suivants.</p>
       <quote>
        <p>« S’il y a une occasion au monde, où <pb n="194" xml:id="p194"/>l’âme pleine d’elle-même,
         soit en danger d’oublier son Dieu <seg type="exquote">(<hi rend="i">premier
          membre</hi>)</seg>, c’est dans ces postes éclatants, où un homme, par la sagesse de sa
         conduite, par la grandeur de son courage, par le nombre de ses soldats, devient comme le
         Dieu des autres hommes <seg type="exquote">(<hi rend="i">second membre</hi>)</seg> et
         rempli de gloire, en lui-même, remplit tout le reste du monde d’admiration, d’amour ou de
         frayeur » <seg type="exquote">(<hi rend="i">troisième membre</hi>)</seg>. <bibl><hi
           rend="i">Mascaron, orais. fun. de Turenne</hi>.</bibl></p>
       </quote>
       <quote>
        <p>« Soit qu’il fallût préparer les affaires ou les décider, chercher la victoire avec
         ardeur, ou l’attendre avec patience <seg type="exquote">(<hi rend="i">premier
          membre</hi>)</seg> ; soit qu’il fallût prévenir les desseins des ennemis par la hardiesse,
         ou dissiper les craintes et les jalousies des alliés par la prudence <seg type="exquote"
           >(<hi rend="i">second membre</hi>)</seg> ; soit qu’il fallût se modérer dans la
         prospérité, ou se soutenir dans les malheurs de la guerre <seg type="exquote">(<hi rend="i"
           >troisième membre</hi>)</seg> : son âme fut toujours égale » <seg type="exquote">(<hi
           rend="i">quatrième membre</hi>)</seg>
         <bibl><hi rend="i">Fléchier, Orais. fun. de Turenne</hi>.</bibl></p>
       </quote>
       <p>Ces périodes à quatre membres se nomment aussi <hi rend="i">quarrées</hi>.</p>
       <p>Il y a encore des périodes à cinq membres, dont l’usage cependant ne doit pas être bien
        fréquent, à cause de l’impatience qu’a le Lecteur ou l’Auditeur de voir le sens terminé.
        Voici une période de cette espèce, tirée de la réponse de <hi rend="i">Buffon</hi>, au
        discours de <hi rend="i">La Condamine</hi>, le jour de sa réception à l’Académie
        française.</p>
       <pb n="195" xml:id="p195"/>
       <quote>
        <p>« Avoir parcouru l’un et l’autre hémisphère, traversé les continents et les mers,
         surmonté les sommets sourcilleux de ces montagnes embrasées, où des glaces éternelles
         bravent également et les feux souterrains, et les feux du midi <seg type="exquote">(<hi
           rend="i">premier membre</hi>)</seg> ; s’être livré à la pente précipitée de ces
         cataractes écumantes, dont les eaux suspendues semblent moins rouler sur la terre, que
         descendre des nues <seg type="exquote">(<hi rend="i">second membre</hi>)</seg> ; avoir
         pénétré dans ces vastes déserts, dans ces solitudes immenses, où l’on trouve à peine
         quelques vestiges de l’homme, où la nature, accoutumée au plus profond silence, dut être
         étonnée de s’entendre interroger pour la première fois <seg type="exquote">(<hi rend="i"
           >troisième membre</hi>)</seg> ; avoir plus fait, en un mot, par le seul motif de la
         gloire des Lettres, que l’on ne fit jamais par la soif de l’or <seg type="exquote">(<hi
           rend="i">quatrième membre</hi>)</seg> ; voilà ce que connaît de vous l’Europe, et ce que
         dira la postérité » <seg type="exquote">(<hi rend="i">cinquième membre</hi>)</seg>.</p>
       </quote>
       <p>Le nombre, c’est-à-dire, cette harmonie qui résulte de l’heureux choix et de l’arrangement
        des expressions, fait toute la beauté de la période. Cette cadence nombreuse doit
        accompagner les chutes de chaque incise et de chaque membre, et se faire sentir surtout à
        celle du dernier. La période doit aussi présenter à l’esprit une suite d’idées enchaînées
        sans la moindre contrainte, qui enchérissent les unes sur les autres, et qui, dans leur <pb
         n="196" xml:id="p196"/>marche soutenue, dans leurs gradations, tendent toutes à la chute
        commune et finale. Il faut en bannir avec soin les mots qui riment ensemble, éviter de même
        la rencontre des voyelles qui, en se heurtant, peuvent former un son désagréable : car,
        comme le dit <hi rend="i">Boileau</hi>,</p>
       <quote>
        <l>La plus noble pensée</l>
        <l>Ne plaît point à l’esprit, si l’oreille est blessée<note n="1" place="bottom">Art Poét.
          Ch. 1.</note>.</l>
       </quote>
       <p>La période ne sera ni trop courte, ni trop longue. Si elle était trop courte, elle
        n’aurait point assez de consistance, pour être embellie des grâces de l’harmonie. Si elle
        était trop longue, elle manquerait de mouvement, et fatiguerait l’attention du lecteur. Un
        des plus beaux modèles à suivre pour la coupe des périodes, est <hi rend="i">Fléchier</hi>.
        Voyez comme celle-ci est harmonieuse.</p>
       <quote>
        <p>« Mais rien n’était si formidable que de voir toute l’Allemagne, ce grand et vaste corps,
         composé de tant de peuples et de nations différentes, déployer tous ses étendards, et
         marcher vers nos frontières, pour nous accabler par la force, après nous avoir effrayés par
         la multitude. »</p>
       </quote>
       <p>On voit que les chutes ou cadences de chaque incise et de chaque membre, sont bien
        marquées par les mots <hi rend="i">formidable</hi>, <hi rend="i">Allemagne</hi>, <hi
         rend="i">vaste corps</hi>, <hi rend="i">différentes</hi>, <hi rend="i">étendards</hi>, <hi
         rend="i">frontières</hi>, <hi rend="i">multitude</hi>. Ici les idées <pb n="197"
         xml:id="p197"/>paraissent s’étendre pour avoir plus de grâce. Vous allez les voir dans la
        phrase qui suit, se serrer et se presser pour avoir plus de force.</p>
       <quote>
        <p>« Il fallait opposer à tant d’ennemis un homme d’un courage ferme et assuré, d’une
         capacité étendue, d’une expérience consommée ; qui soutînt la réputation, et qui ménageât
         les forces du royaume ; qui ne fît rien de superflu ; qui sût, selon les occasions,
         profiter de ses avantages ou se relever de ses pertes ; qui fût tantôt le bouclier, tantôt
         l’épée de son pays ; capable d’exécuter les ordres qu’il aurait reçus, et de prendre
         conseil de lui-même dans les rencontres. »</p>
       </quote>
       <p>On sent la différence de l’harmonie dans ces deux périodes. Dans celle-ci, elle est forte,
        vive, rapide : dans l’autre, elle est douce, mais en même temps majestueuse. C’est à cette
        variété que l’écrivain doit s’attacher, pour se faire lire avec un plaisir et un intérêt qui
        se soutiennent jusqu’à la fin.</p>
       <p>Le style périodique a plus de noblesse, d’harmonie et de dignité que le style coupé.
        Celui-ci est plus léger, plus vif, plus brillant. Ni l’un ni l’autre ne doivent être exclus
        d’aucun sujet. Il faut même les employer tour-à-tour, pour répandre de la variété dans un
        ouvrage. Cependant, on peut dire en général que le style périodique convient mieux aux
        sujets nobles et <pb n="198" xml:id="p198"/>sérieux, et le style coupé aux sujets agréables
        et badins.</p>
       <p>On peut conclure de ce que je viens de dire des pensées et du style en général, qu’il faut
        bien prendre garde, quand les pensées ont en elles-mêmes des agréments, à ne pas les en
        dépouiller par le mauvais emploi des expressions ; et que, quand elles n’en ont pas, il faut
        s’appliquer à leur en donner par l’expression même. Il est essentiel, pour cela, de savoir
        d’abord quelles doivent être les <hi rend="i">qualités du style</hi> ; de connaître ensuite
        le <hi rend="i">style figuré</hi>, c’est-à-dire, les tours, les ornements, les différentes
        richesses que nous fournit notre langue, et d’apprendre en même temps l’art de les employer,
        en fixant notre attention sur l’usage qu’en ont fait les bons écrivains.</p>
      </div4>
      <div4 type="article">
       <head type="sur"><hi rend="sc">Article</hi> I. </head>
       <head type="main"><hi rend="i">Des Qualités du Style</hi>.</head>
       <p>Quelque sujet que l’on traite, et quelle que soit la forme de style que l’on emploie, on
        ne doit jamais oublier que le principe et le fondement de l’art d’écrire est, suivant <hi
         rend="i">Horace</hi>, le bon sens, c’est-à-dire, ce jugement droit, cette raison sage qui
        retient toujours dans de justes bornes l’esprit le plus vif et le plus brillant,
        l’imagination la plus féconde et la plus impétueuse. <hi rend="i">Boileau</hi>, qui a senti
        toute la vérité de ce précepte, a dit après le poète latin :</p>
       <quote>
        <pb n="199" xml:id="p199"/>
        <l>Aimez donc la raison. Que toujours vos écrits,</l>
        <l>Empruntent d’elle seule, et leur lustre et leur prix<note n="1" place="bottom">Art Poét.
          Ch. 1.</note>.</l>
       </quote>
       <p>Les qualités, ou agréments du style, auxquelles il faut principalement s’attacher, sont la
         <hi rend="i">clarté</hi> et la <hi rend="i">convenance</hi> : toutes les autres sont
        comprises dans ces deux là. Je vais les faire connaître, et je dirai ensuite un mot des
        défauts qui leur sont opposés.</p>
       <div5 type="section">
        <head type="sur">I. </head>
        <head type="main"><hi rend="i">De la Clarté du Style</hi>.</head>
        <div6 type="section">
         <head>Nécessité d’être clair dans son style.</head>
         <p>La lumière du soleil frappe nos yeux, sans que nous y fassions attention : telle doit
          être, suivant la pensée de <hi rend="i">Quintilien</hi><note n="2" place="bottom">De lust.
           L 8. c. 2.</note>, la lumière qui brille dans un ouvrage d’esprit. Un écrivain ne pense,
          ne parle que pour les autres. Son premier devoir est donc de parler d’une manière à se
          faire entendre, d’une manière même à ne pouvoir n’être pas entendu. Une pensée a besoin
          d’être présentée dans tout son jour, pour être bien saisie du lecteur. Pourquoi
          affecteriez-vous de l’envelopper et de ne la présenter qu’à demi ? Croiriez-vous par là
          montrer de la finesse, de la profondeur, de l’esprit ? Quelle erreur ! L’esprit n’a
          consisté ni ne consistera jamais dans une manière de s’exprimer entortillée, mystérieuse
          et presque énigmatique :</p>
         <pb n="200" xml:id="p200"/>
         <quote>
          <l>Ce que j’appelle esprit, c’est la vive peinture</l>
          <l>Des naïves beautés qu’étale la nature,</l>
          <l>Qui fait que d’un coup d’œil le lecteur aperçoit</l>
          <l>Un objet tout entier et tel qu’il le conçoit<note n="1" place="bottom"><hi rend="i"
             >Pope</hi>. Essai sur la Crit. trad. par l’abbé <hi rend="i">du
           Resnel</hi>.</note>.</l>
         </quote>
         <p>Voilà le bon esprit, l’esprit vrai, l’esprit seul agréable, qui fait le mérite d’un
          ouvrage, la gloire d’un écrivain, et le charme du lecteur. Oui, il faut qu’à la première
          lecture, avec une médiocre attention, sans gêne et sans étude, on trouve un sens net et
          développé. Si l’on est obligé de le chercher, le style manque de la clarté, et par-là même
          est vicieux.</p>
         <p>Il est donc du devoir de l’écrivain, de donner à ses pensées toute l’explication et
          toute la clarté qu’il faut, pour que ses lecteurs les comprennent parfaitement. S’il doit,
          suivant le précepte d’<hi rend="i">Horace</hi>, tâcher d’être court, c’est sans rien
          omettre de ce qui est essentiel et nécessaire. Mais en fuyant toute brièveté obscure, il
          prendra bien garde, en même temps, de ne pas tomber dans l’excès contraire, la prolixité.
          On évite ce défaut, en passant sous silence tout ce qui est superflu, c’est-à-dire, tout
          ce qui peut être aisément entendu sans être exprimé.</p>
        </div6>
        <div6 type="section">
         <head>Moyens d’être clair dans son style.</head>
         <p>Pour être clair dans votre style, ne dites ni plus ni moins qu’il ne faut ; et pour
          parvenir à ce point, plus difficile et plus délicat qu’on ne pense, concevez bien <pb
           n="201" xml:id="p201"/>votre idée, saisissez-la tout entière, embrassez-la dans toute son
          étendue : il est impossible que vous ne la rendiez de même, sans rester au-dessous, sans
          aller au-delà. Quand l’image que nous nous formons d’un objet est claire et lumineuse dans
          notre esprit, elle doit nécessairement se montrer telle aux yeux du lecteur Réfléchir
          longtemps sur son sujet, le posséder pleinement ; arranger toutes ses pensées avec ordre,
          et les enchaîner si bien, qu’elles paraissent naître sans effort les unes des autres ;
          voilà le vrai moyen de mettre tout à la fois de l’ensemble et de la clarté dans son
          style.</p>
         <quote>
          <l>Avant donc que d’écrire, apprenez à penser.</l>
          <l>Selon que notre idée est plus ou moins obscure,</l>
          <l>L’expression la suit ou moins nette ou plus pure.</l>
          <l>Ce que l’on conçoit bien, s’énonce clairement,</l>
          <l>Et les mots pour le dire arrivent aisément<note n="1" place="bottom">Boileau. Art Poét.
            Ch. I.</note>.</l>
         </quote>
         <p>Observez aussi à la lettre ce précepte si sage, que donne <hi rend="i">La Bruyère</hi>.
          Tout écrivain, dit-il, pour écrire nettement, doit se mettre à la place de ses lecteurs,
          examiner son propre ouvrage comme quelque chose qui lui est nouveau, qu’il lit pour la
          première fois, où il n’a nulle part, et que l’auteur aurait soumis à sa critique ; et se
          persuader ensuite qu’on n’est pas entendu, seulement à cause que l’on s’entend soi-même,
          mais parce qu’on est en effet intelligible.</p>
         <pb n="202" xml:id="p202"/>
         <p>Un moyen encore infaillible d’écrire avec clarté, c’est de placer les mots dans le
          discours, suivant les règles de la syntaxe. Rien de plus juste que de s’assujettir aux
          lois de la langue qu’on parle ; lois fondées sur une dialectique très fine et très solide,
          sur cette logique naturelle, avec laquelle naissent tous les hommes bien organisés ; lois
          qui accoutument l’esprit à une marche toujours droite et toujours ferme, dans les diverses
          routes qu’il peut se frayer. Un écrivain correct dans son style, est ordinairement exact
          dans les choses, et s’exprime toujours d’une manière si claire et si intelligible, que
          rien de ce qu’il veut dire, n’échappe à la vue des esprits les moins pénétrants. La
          plupart des fautes de langage, dit <hi rend="i">Voltaire</hi>, sont au fond, des défauts
          de justesse.</p>
         <p>Qu’on ne dise point que la grammaire nuit aux élans du génie, aux grâces de
          l’imagination, à la chaleur du sentiment. Il est constant qu’un habile écrivain peut, sans
          cesser d’être correct, embellir le discours de tous les ornements dont il est susceptible.
          Les idées les plus profondes, les plus brillantes, les plus sublimes se montrent sous sa
          plume, avec toute leur force, tout leur éclat, toute leur grandeur, sans que les règles de
          la langue soient violées. Si cette vérité pouvait être contestée, il serait, assurément,
          bien facile de citer en preuves une infinité d’exemples tirés de nos meilleurs écrivains.
          Tout homme qui les a lus avec quelque attention, a dû voir, non seulement que leurs plus
          beaux morceaux sont précisément ceux, où les lois <pb n="203" xml:id="p203"/>grammaticales
          sont observées avec la plus grande exactitude ; mais encore qu’il y en a bien d’autres,
          auxquels il ne manque, pour être vraiment beaux, que l’arrangement des mots et des phrases
          selon ces mêmes lois. Ne reprochons donc point trop de sévérité à <hi rend="i"
           >Boileau</hi>, lorsqu’il dit :</p>
         <quote>
          <l>Sans la langue, en un mot, l’auteur le plus divin,</l>
          <l>Est toujours, quoi qu’il fasse, un méchant écrivain<note n="1" place="bottom">Art.
            Poét. Ch. 1.</note>.</l>
         </quote>
         <p>Convenons cependant avec les grammairiens, même les plus rigides, qu’il est des
          circonstances, où le génie, l’imagination, et le sentiment ne doivent point s’attacher en
          esclaves serviles, à certaines lois de la grammaire. Bien plus, elle autorise elle-même la
          violation de ces règles, comme on a pu le voir dans l’article du gallicisme et des figures
          de construction ; et dès-lors, ces fautes cessent d’être des fautes. S’il est quelquefois
          permis d’en faire de réelles, elles ne doivent nuire, en aucune manière, à la clarté du
          discours ; elles doivent être légères, et de plus, rachetées par des beautés saillantes.
          En voici un exemple qui s’offre à ma mémoire : ce sont ces quatre vers où <hi rend="i"
           >Brébeuf</hi> embellit l’idée de <hi rend="i">Lucain</hi> sur l’écriture.</p>
         <quote>
          <l>C’est de lui que nous vient cet art ingénieux</l>
          <l>De peindre la parole et de parler aux yeux,</l>
          <l>Et par des traits divers de figures tracées,</l>
          <l><hi rend="i">Donner</hi> de la couleur et du corps aux pensées.</l>
         </quote>
         <pb n="204" xml:id="p204"/>
         <p>On a remarqué que les règles exactes de la langue ne sont point observées dans le
          dernier vers. Il aurait fallu dire, <hi rend="i">de donner</hi>. Voilà une faute légère,
          qui doit disparaître à la faveur de la beauté de la pensée.</p>
        </div6>
       </div5>
       <div5 type="section">
        <head type="sur">II. </head>
        <head type="main"><hi rend="i">De la Convenance du Style</hi>.</head>
        <div6 type="section">
         <head>Assortiment du style aux idées, par la propriété des termes.</head>
         <p>L’assortiment du style aux idées qu’on exprime, et au sujet qu’on traite, est ce qui en
          fait la <hi rend="i">convenance</hi>. Pour que le style soit assorti aux idées, il faut
          qu’elles soient rendues par les seules expressions qui leur sont propres. Les paroles sont
          les images des pensées, comme celles-ci sont les images des objets. Elles doivent
          représenter les pensées aussi fidèlement, que celles-ci représentent les choses. La même
          conformité qui doit se trouver entre la pensée et l’objet, doit se trouver aussi entre la
          parole et la pensée.</p>
         <p>Attachons-nous donc à la propriété des termes, c’est-à-dire, aux mots qui sont les vrais
          signes représentatifs de nos idées. Il y en a qui ont un caractère, soit de richesse, soit
          de vivacité, soit d’énergie, etc. Ceux-là sont faits pour une pensée qui est dans le même
          genre. C’est à la faveur de l’expression, qu’une pensée noble se montre dans toute sa
          noblesse, une pensée vive dans toute sa vivacité, une pensée énergique dans toute son
          énergie.</p>
         <p>Un terme propre rend l’idée tout entière : <pb n="205" xml:id="p205"/>un terme peu
          propre ne la rend qu’à demi : un terme impropre la défigure. Il est, par conséquent,
          essentiel de n’employer que des termes qui ne disent ni trop ni trop peu, et pour cela,
          d’en connaître la véritable signification. Tous les mots en ont une qui leur est
          particulière. Les synonymes, qui se ressemblent par une idée commune, sont néanmoins
          distingués l’un de l’autre par quelque idée accessoire et particulière à chacun. En voici
          un exemple pris au hasard dans l’excellent Ouvrage de l’abbé <hi rend="i">Girard</hi> sur
          cette matière.</p>
         <p>Les mots <hi rend="i">déclarer</hi>, <hi rend="i">découvrir</hi>, <hi rend="i"
           >manifester</hi>, <hi rend="i">révéler</hi>, <hi rend="i">déceler</hi>, ont une
          signification commune, qui est de faire connaître ce qui était ignoré. Mais chacun d’eux
          en a aussi une qui lui est particulière. <hi rend="i">Déclarer</hi>, c’est dire les choses
          exprès et de dessein, pour en instruire ceux à qui l’on ne veut pas qu’elles demeurent
          cachées. <hi rend="i">Découvrir</hi>, c’est montrer, soit de dessein, soit par
          inadvertance, ce qui avait été caché jusqu’alors. <hi rend="i">Manifester</hi>, c’est
          produire au dehors les sentiments intérieurs. <hi rend="i">Révéler</hi>, c’est rendre
          public ce qui a été confié sous le secret. <hi rend="i">Déceler</hi>, c’est nommer celui
          qui a fait la chose, mais qui ne veut pas en être cru l’auteur. Ces mots ne peuvent donc
          pas, en bien des occasions, être employés indifféremment l’un pour l’autre. Celui qui rend
          précisément notre idée, est le seul dont nous devons nous servir.</p>
         <p>Observons ici que notre langue, quoiqu’assez riche pour qui la sait bien manier, <pb
           n="206" xml:id="p206"/>peut cependant s’enrichir encore davantage sous la plume d’un bon
          écrivain. Ainsi les mots nouveaux ne doivent pas être proscrits. Mais on exige que pour
          être employés à propos, ils soient nécessaires, sonores et intelligibles. Sans ces trois
          conditions, toute expression nouvelle sera déplacée et vicieuse. Loin d’enrichir la
          langue, elle ne servira qu’à la gâter.</p>
        </div6>
        <div6 type="section">
         <head>Assortiment du style au sujet, par la propriété des agréments.</head>
         <p>Le style sera assorti au sujet, si l’on joint à la propriété des termes, la propriété
          des agréments, c’est-à-dire, si l’on donne au style les seuls agréments qui lui
          conviennent relativement au sujet. Il y a des phrases, des mots, des tours qui ont de
          l’éclat et de la grandeur : ceux-là sont destinés à paraître dans les genres élevés. Il y
          en a d’autres qui n’ont aucune illustration : ceux-là sont faits pour les genres
          médiocres.</p>
         <p>Tous les sujets qu’on traite, appartiennent ou à la mémoire, ou à la raison, ou au
          sentiment, ou à l’imagination. Dans ceux qui appartiennent à la mémoire, l’écrivain
          expose, raconte : il faut que son style soit uni, facile, naturel et rapide. Dans les
          sujets qui appartiennent à la raison, l’écrivain se propose d’instruire : il faut que son
          style soit grave, méthodique, précis, ferme, énergique. Dans les sujets qui appartiennent
          au sentiment, l’écrivain veut toucher : il faut que son style soit doux, insinuant, vif,
          animé, pathétique. Dans les sujets qui appartiennent à l’imagination, l’écrivain cherche à
          plaire : il faut que son style soit fin, gracieux, <pb n="207" xml:id="p207"/>élégant,
          varié. Il cherche à plaire par l’imitation : il faut que son style soit riche, brillant,
          fleuri, nombreux et pittoresque.</p>
         <p>Voilà à peu près tous les agréments, toutes les qualités que peut et que doit avoir le
          style, selon la diversité des sujets ; agréments qui ont tous un même principe et une
          source commune, la propriété des termes. Il suffira de dire simplement en quoi ils
          consistent, pour en donner une idée claire et distincte.</p>
         <p>Le style est uni, quand on n’y voit ni expressions, ni pensées bien remarquables ;
          facile, lorsqu’il ne sent point le travail ; naturel, quand il n’est ni recherché, ni
          forcé ; rapide, quand il attache et entraîne.</p>
         <p>Le style est grave, quand il évite les saillies et les plaisanteries ; méthodique,
          lorsqu’il marche avec ordre, ne se permettant aucun écart ; précis, quand il rend les
          idées avec le moins de mots qu’il est possible ; ferme et énergique, quand la justesse des
          expressions répond à la solidité des pensées.</p>
         <p>Le style est doux et insinuant, quand il fait concevoir et sentir les choses sans
          effort ; vif et animé, quand les idées sont pressées et se succèdent avec rapidité ;
          pathétique, lorsqu’il remue, agite, transporte, subjugue.</p>
         <p>Le style est fin, quand il montre, sous des expressions simples, des idées choisies ;
          gracieux, quand il est plein de pensées délicates et de descriptions riantes ; élégant,
          lorsque les expressions sont bien choisies et bien <pb n="208" xml:id="p208"/>arrangées ;
          varié, lorsqu’il se fait remarquer par la multiplicité des tours et des ornements. Il est
          riche, lorsqu’il abonde en idées et en expressions ; brillant et fleuri, lorsqu’il éclate
          en images ; nombreux, quand il a un mouvement agréable qui flatte l’oreille ; pittoresque,
          lorsqu’il représente vivement les objets.</p>
        </div6>
       </div5>
       <div5 type="section">
        <head type="sur">III. </head>
        <head type="main"><hi rend="i">Des Défauts du Style</hi>.</head>
        <p>Tous les défauts opposés aux qualités ou agréments du style, peuvent être rapportés à
         deux principaux qui comprennent tous les autres : ce sont l’<hi rend="i">obscurité</hi> et
          l’<hi rend="i">affectation</hi>.</p>
        <div6 type="section">
         <head>Obscurité du style dans l’expression.</head>
         <p>L’<hi rend="i">Obscurité</hi>, le plus grand vice du discours, vient de l’expression ou
          de la pensée même. Elle vient de l’expression, quand on arrange mal les mots ; quand on
          emploie des termes équivoques, c’est-à-dire, susceptibles de divers rapports, de diverses
          interprétations. Dans cette phrase : <hi rend="i">l’orateur arrive à sa fin, qui est de
           persuader, d’une façon toute particulière</hi> ; ces derniers mots sont mal placés, et
          par-là deviennent susceptibles de divers rapports, puisqu’on pourrait les faire rapporter
          au verbe <hi rend="i">persuader</hi>, quoiqu’en effet ils se rapportent aux mots, <hi
           rend="i">arrive à sa fin</hi>. La phrase serait nette et sans la moindre obscurité, si
          elle était construite ainsi : <hi rend="i">l’orateur arrive, d’une <pb n="209"
            xml:id="p209"/>façon toute particulière, à sa fin, qui est de persuader</hi>.</p>
         <p>Remarquez la même faute dans la phrase suivante : <hi rend="i">s’il est vrai que ce
           prince</hi> ait traité <hi rend="i">les Catalans attachés à son ennemi</hi>, avec tant de
          hauteur, <hi rend="i">c’est peut-être qu’il s’imaginait trouver, à leur défaut, une
           ressource puissante dans un autre capitaine non moins habite</hi>. Il fallait dire ; <hi
           rend="i">s’il est vrai que ce prince</hi> ait traité avec tant de hauteur, <hi rend="i"
           >les Catalans attachés à son ennemi</hi>, etc.</p>
         <p>L’abbé d’<hi rend="i">Olivet</hi>, dans ses <hi rend="i">remarques sur Racine</hi>, fait
          une observation bien juste et bien solide sur ce vers de la tragédie d’<hi rend="i"
           >Andromaque</hi> :</p>
         <quote>
          <l>Sans espoir de pardon, m’avez-vous condamnée ?</l>
         </quote>
         <p>Voilà, dit-il, ce qui s’appelle une phrase louche. <hi rend="i">Sans espoir de
           pardon</hi>, regarde Andromaque ; et <hi rend="i">m’avez-vous condamnée</hi>, regarde
          Pyrrhus. Il fallait, <hi rend="i">sans espoir de pardon me vois-je condamnée</hi>, afin
          que la phrase entière tombât sur Andromaque, ou l’équivalent de ceci, <hi rend="i"
           >m’avez-vous condamnée sans me laisser aucun espoir de pardon</hi>, afin qu’elle ne
          tombât que sur Pyrrhus. On me dira qu’il y a ici une ellipse. Mais qu’il y ait telle
          figure qu’on voudra, il me suffit que la phrase soit louche, pour être bien convaincu
          qu’elle mérite d’être blâmée.</p>
         <p>Il n’est personne qui n’approuve bien volontiers cette remarque de l’abbé d’<hi rend="i"
           >Olivet</hi>, dont le style est si pur et si agréable. Osons <pb n="210" xml:id="p210"
          />dire en effet que ces mots, <hi rend="i">me vois-je condamnée</hi>, au lieu de <hi
           rend="i">m’avez-vous condamnée</hi>, n’auraient pas rendu le vers de <hi rend="i"
           >Racine</hi> moins poétique. Ainsi, d’un côté, l’imagination du lecteur n’aurait pas été
          moins flattée par l’harmonie du vers ; et de l’autre, sa raison aurait été pleinement
          satisfaite par l’entier développement du sens de l’auteur.</p>
         <p>Ce qui rend le plus souvent le style obscur dans l’expression, c’est le mauvais emploi,
          ou l’équivoque des pronoms. Si l’on disait, par exemple :<hi rend="i"> nous ne trouvons
           point la critique qu’a faite</hi> Eugène <hi rend="i">d’un ouvrage d’</hi>Ariste, <hi
           rend="i">dans le recueil de ses œuvres</hi> ; ce pronom, <hi rend="i">ses</hi>, formerait
          une équivoque, qui mettrait le lecteur dans l’impossibilité de juger si c’est dans le
          recueil des œuvres d’<hi rend="i">Eugène</hi>, ou dans celui des œuvres d’Ariste. Il
          faudrait, suivant le sens qu’on voudrait marquer, dire à peu près : <hi rend="i">nous ne
           trouvons point dans le recueil des œuvres d’</hi>Eugène, <hi rend="i">la critique qu’il a
           faite d’un ouvrage d’</hi>Ariste ; ou ; <hi rend="i">nous ne trouvons point dans le
           recueil des œuvres d’</hi>Ariste, <hi rend="i">la critique d’un de ses ouvrages, qui a
           été faite par</hi> Eugène.</p>
         <p>Un auteur a dit : <quote>Hypéride a <hi rend="i">imité</hi> Démosthène, <hi rend="i">en
            ce qu’il a de beau</hi></quote>. On ne voit certainement pas ici auquel de ces deux
          substantifs se rapporte ce pronom <hi rend="i">il</hi>. Si c’est à <hi rend="i"
           >Démosthène</hi>, l’auteur aurait dû dire : Hypéride a imitée Démosthène <hi rend="i">en
           ce que celui-ci a de beau</hi>. Si c’est à <hi rend="i">Hypéride</hi>, il aurait pu dire,
          en ajoutant une <pb n="211" xml:id="p211"/>épithète, pour arrondir sa phrase : Hypéride
           <hi rend="i">a imité, en ce qu’il a de beau, l’éloquent</hi> Démosthène.</p>
         <p>Voici encore une suite de phrases, dont le sens est louche. <quote>« François I<note
            n="a" place="bottom">Voyez ce mot, dans les notes, à la fin de ce volume.</note> érigea
            Vendôme<note n="b" place="bottom">Voyez ce mot <hi rend="i">ibid.</hi></note> en
           duché-pairie, en faveur de Charles de Bourbon<note n="c" place="bottom">Voyez le mot <hi
             rend="i">Bourbon, ibid.</hi></note> et <hi rend="i">il</hi> le mena à la conquête de
            Milan<note n="d" place="bottom">Voyez ce mot, <hi rend="i">ibid.</hi></note> où <hi
            rend="i">il</hi> se comporta vaillamment. Quand ce <hi rend="i">prince</hi> eut été pris
           à Pavie<note n="e" place="bottom">Voyez ce mot, <hi rend="i">ibid.</hi></note>, <hi
            rend="i">il</hi> ne voulut point accepter la régence qu’on lui proposait : <hi rend="i"
            >il</hi> fut déclaré chef du conseil. <hi rend="i">Il</hi> continua de travailler pour
           la liberté du roi ; et quand <hi rend="i">il</hi> fut délivré, <hi rend="i">il</hi>
           continua à le bien servir. »</quote></p>
         <p>Le lecteur qui ne serait pas au fait de l’histoire, n’aurait-il pas bien de la peine à
          démêler les divers rapports du mot <hi rend="i">prince</hi> et du pronom <hi rend="i"
           >il</hi>, employé tant de fois ? L’historien, loin de faire un si fréquent usage de ce
          pronom, aurait dû répéter plusieurs fois le nom, dont il tient la place. C’est ce que font
          les meilleurs écrivains, plutôt que de rien laisser dans le discours, qui présente un sens
          entortillé.</p>
         <p>La phrase suivante, sans être précisément louche, n’est pas à l’abri d’une juste
          critique : <quote><hi rend="i">cet illustre infortuné<note n="f" place="bottom">Voyez le
             mot <hi rend="i">prisonnier, ibid.</hi></note> fut <pb n="212" xml:id="p212"/>conduit à
            Pignerol</hi><note n="a" place="bottom">Voyez ce mot, dans les notes, à la fin de ce
            Volume.</note>, <hi rend="i">où M. de Saint-Mars était commandant. Lorsqu’il fut nommé à
            la lieutenance de roi de Sainte-Marguerite<note n="b" place="bottom">Voyez ce mot, <hi
              rend="i">ibid.</hi></note>, il emmena avec lui son captif</hi></quote>. Le rapport de
          ce pronom <hi rend="i">il</hi>, placé avant le verbe <hi rend="i">nommer</hi>, est-il bien
          sensible au premier coup-d’œil ; et ne faut-il pas que le lecteur réfléchisse un peu pour
          le voir ? C’est un soin que l’auteur aurait pu aisément lui épargner, en disant : <hi
           rend="i">cet illustre infortuné fut conduit à Pignerol, où M. de Saint-Mars était
           commandant. Lorsque</hi> celui-ci <hi rend="i">fut nommé à la lieutenance de roi de
           Sainte-Marguerite, il emmena avec lui son captif</hi>.</p>
         <p>Si je pouvais soupçonner que ces remarques parussent minutieuses ou trop sévères, je
          répéterais ici que l’écrivain, ne prenant la plume que pour instruire, ou pour amuser ses
          lecteurs, doit, par l’arrangement des mots et des phrases, leur faciliter tous les moyens
          possibles de pénétrer promptement et sûrement le vrai sens de ce qu’il veut dire. <hi
           rend="i">Quintilien</hi> ne veut pas qu’on donne au lecteur ou à l’auditeur la peine de
          rien éclaircir.</p>
        </div6>
        <div6 type="section">
         <head>Obscurité du style dans la pensée, ou galimatias et phébus.</head>
         <p>L’obscurité qui vient de la pensée, est ce qu’on appelle du <hi rend="i"
          >galimatias</hi>, ou du <hi rend="i">phébus</hi>. Le <hi rend="i">galimatias</hi>, est une
          suite de phrases qui n’ont aucun sens raisonnable, et auxquelles on ne comprend rien. Il a
          été comparé à un épais brouillard, qui nous empêche tout à fait de voir. Le <hi rend="i"
           >phébus</hi> n’est <pb n="213" xml:id="p213"/>pas si obscur : il signifie, ou paraît
          signifier quelque chose. C’est un brouillard, dans lequel il entre quelque rayon de
          lumière. Mais cette lumière est trop faible, pour que nous puissions distinguer les
          objets. <hi rend="i">Maynard</hi> disait à un écrivain de son temps, qui tombait dans le
           <hi rend="i">phébus</hi> et le <hi rend="i">galimatias</hi> :</p>
         <quote>
          <l>Mon ami, chasse bien loin</l>
          <l>Cette noire rhétorique.</l>
          <l>Tes écris auraient besoin</l>
          <l>D’un devin qui les explique.</l>
          <l>Si ton esprit veut cacher</l>
          <l>Les belles choses qu’il pense,</l>
          <l>Dis-moi qui peut t’empêcher</l>
          <l>De te servir du silence ?</l>
         </quote>
         <p>Le conseil était très raisonnable. Il vaut mieux se taire, que de parler pour n’être pas
          entendu.</p>
         <p>J’écris principalement pour les jeunes gens ; et c’est en dire assez, pour qu’on sente
          la nécessité où je suis de leur faire connaître les fautes de style échappées à nos
          meilleurs écrivains. Mais comme je suis bien loin de croire que mes observations puissent
          être une règle pour eux, je me suis imposé la loi de m’appuyer toujours de l’autorité des
          critiques sages et éclairés, dont le goût sûr et les connaissances profondes sont
          généralement reconnus. Je vais donc citer encore <hi rend="i">Racine</hi>, toujours
          admiré, mais toujours bien apprécié, quand au style, par l’abbé d’<hi rend="i"
          >Olivet</hi>. Voici la remarque de cet habile grammairien sur ces vers que le poète met
          dans la <pb n="214" xml:id="p214"/> bouche de Mithridate : <hi rend="i">apprenez…… qu’il
           n’est point de Rois</hi>,</p>
         <quote>
          <l>Qui sur le trône assis, n’enviassent peut-être,</l>
          <l>Au-dessus de leur gloire un <hi rend="i">naufrage élevé</hi>,</l>
          <l>Que Rome et quarante ans ont à peine <hi rend="i">achevé</hi>.</l>
         </quote>
         <p>Je suis arrêté, dit-il, par le grand nom de <hi rend="i">Racine</hi>, qui ne me permet
          point d’appeler ceci du galimatias. On aura beau me dire avec <hi rend="i">Racine</hi> le
          fils, que <quote><hi rend="i">hasarder ces alliances de mots, n’appartient qu’à celui qui
            a le crédit de les faire approuver</hi></quote>. Je conviendrai qu’en effet, lorsqu’un
          vers ronfle bien dans la bouche d’un auteur, quelquefois le parterre ne demande rien de
          plus. Mais il n’est pas moins vrai qu’un auteur ne doit jamais courir après un bel
          arrangement de mots, sans avoir égard à la clarté des idées, et à la justesse des
          métaphores.</p>
         <p>L’abbé d’<hi rend="i">Olivet</hi> termine cette remarque en citant le P. <hi rend="i">du
           Cerceau</hi>, qui dans ses <hi rend="i">réflexions sur la poésie française</hi>,
          s’exprime ainsi : <quote>J’avoue que je n’entends pas trop bien ce que signifie <hi
            rend="i">un naufrage élevé au-dessus de la gloire des autres Rois</hi>, et encore moins
           ce que veut dire, <hi rend="i">achever un naufrage</hi>.</quote> Ces expressions figurées
          ont d’abord quelque chose qui éblouit, et l’on ne se donne pas la peine de les examiner,
          parce qu’on les devine plutôt qu’on ne les entend. Mais quand on y regarde de près, on est
          tout surpris de ne trouver qu’un barbarisme brillant dans ce qu’on avait admiré.</p>
         <p>Il arrive très souvent que l’obscurité du style vient, non pas précisément du fond <pb
           n="215" xml:id="p215"/> des pensées, mais du tour qu’on emploie pour les rendre. Ne nous
          lassons pas, lorsqu’il s’agit d’instruire, de citer les observations de nos plus grands
          génies et de nos meilleurs écrivains. Un tour heureux, dit <hi rend="i">Montesquieu</hi>
          en parlant de quelques auteurs modernes, leur paraît plat, parce qu’il n’a pas l’air
          d’avoir coûté : une idée mise galamment, mais en habit simple, ne paraît pas piquante à
          ces messieurs. Ils veulent lui donner des grâces de leur façon ; ils la tournent, ils la
          serrent ; et après bien des soins, ils arrivent à être entortillés, pour avoir voulu être
          délicats, et à être obscurs, pour avoir eu envie d’être vifs.</p>
        </div6>
        <div6 type="section">
         <head>Affectation du style.</head>
         <p>L’<hi rend="i">Affectation</hi> du style est un éloignement du naturel. Dire en termes
          trop recherchés des choses simples et communes, pour les faire paraître plus grandes et
          plus ingénieuses qu’elles ne le sont en effet, c’est être affecté dans son style. Cette
          affectation comprend le <hi rend="i">néologisme</hi> et l’<hi rend="i">enflure</hi>.</p>
        </div6>
        <div6 type="section">
         <head>Néologisme.</head>
         <p>Le <hi rend="i">Néologisme</hi> ne consiste pas seulement à introduire des mots nouveaux
          qui sont inutiles. Ce qui le caractérise encore, c’est le tour recherché des phrases, et
          surtout, l’union bizarre de plusieurs mots qui ne peuvent point aller ensemble. <hi
           rend="i">La Motte</hi> a dit que <quote><hi rend="i">les grandes</hi> réputations <hi
            rend="i">sont presque toujours</hi> posthumes</quote> ; et <hi rend="i">Fontenelle</hi>,
          dans l’éloge de <hi rend="i">Bernouilli</hi>, mathématicien célèbre, que <quote><hi
            rend="i">son goût avait été son</hi> précepteur</quote>. Voilà deux exemples de
          néologisme. On dit bien qu’un <hi rend="i">ouvrage</hi> est <hi rend="i">posthume</hi>,
          lorsqu’il a été publié après la mort de <pb n="216" xml:id="p216"/> son auteur. Mais c’est
          contre la raison même de dire qu’une <hi rend="i">réputation</hi> est <hi rend="i"
           >posthume</hi>, parce qu’un auteur ne peut point acquérir une réputation après sa mort.
          Il est encore plus ridicule de dire qu’un savant a eu son <hi rend="i">goût</hi> pour <hi
           rend="i">précepteur</hi>. Un précepteur est un homme qui instruit des enfants ; et
          assurément on ne peut pas donner au goût d’un individu la figure d’une personne, quoiqu’en
          poésie on personnifie le goût en général, et qu’on le représente sous la forme d’un
          Dieu.</p>
         <p>Ce sont donc là des façons de parler toutes nouvelles, que les hommes de goût
          réprouvent, et que les bons écrivains ont le plus grand soin d’éviter. Il faut à leur
          exemple, n’employer que celles qui sont autorisées par l’usage. Ce n’est pas qu’on ne
          puisse quelquefois unir deux mots connus, qui n’ont jamais été liés ensemble. Mais il faut
          que cette liaison soit juste, fondée sur la véritable signification de ces mots, et, ce
          qui est bien à remarquer, nécessitée par le besoin réel d’exprimer une belle pensée, qui,
          sans cela, ne serait pas bien entendue.</p>
        </div6>
        <div6 type="section">
         <head>Enflure.</head>
         <p>L’<hi rend="i">Enflure</hi> du style consiste, ou à présenter des pensées simples et
          communes sous des expressions sonores et pompeuses, ou à dire des choses exagérées et qui
          n’ont qu’une vaine apparence de grandeur. Elle naît ordinairement du trop grand désir de
          briller, ou de l’excès d’une imagination déréglée. Nous ne saurions être trop en garde
          contre ce défaut du style, puisque <pb n="217" xml:id="p217"/>nos meilleurs poètes mêmes,
          ceux dont l’esprit était frappé sur le grand, y sont quelquefois tombés. Voyez cette
          strophe de l’ode de J.-B. <hi rend="i">Rousseau</hi>, sur <hi rend="i">la naissance du duc
           de Bretagne (frère aîné de Louis XV)</hi>.</p>
         <quote>
          <l>Où suis-je ? Quel nouveau miracle</l>
          <l>Tient encor mes sens enchantés !</l>
          <l>Quel vaste, quel pompeux spectacle</l>
          <l>Frappe mes yeux épouvantés</l>
          <l>Un nouveau monde vient d’éclore :</l>
          <l>L’univers se reforme encore</l>
          <l>Dans les abîmes du chaos ;</l>
          <l>Et pour réparer ses ruines,</l>
          <l>Je vois des demeures divines</l>
          <l>Descendre un peuple de héros.</l>
         </quote>
         <p>On a trouvé que des <hi rend="i">yeux épouvantés</hi> par un <hi rend="i">pompeux
           spectacle</hi>, tandis que tous les autres <hi rend="i">sens</hi> sont <hi rend="i"
           >enchantés</hi>, <hi rend="i">l’univers</hi> qui <hi rend="i">se reforme</hi> après
           qu’<hi rend="i">un nouveau monde vient d’éclore</hi>, et <hi rend="i">un peuple de
           héros</hi>, qui <hi rend="i">descend des demeures divines</hi>, <hi rend="i">pour
           réparer</hi> les <hi rend="i">ruines</hi> de ce nouvel univers, étaient une véritable
          enflure dans la pensée et dans l’élocution.</p>
         <p>Le même défaut a été remarqué dans ces vers de la tragédie de <hi rend="i">Phèdre</hi>,
          où <hi rend="i">Racine</hi> fait dire à Théramène qui raconte la mort d’Hippolyte,
            qu’<quote><hi rend="i">une montagne humide s’élève à gros bouillons sur le dos de la
            plaine liquide</hi></quote>.</p>
         <p>Le début de la tragédie de <hi rend="i">Pompée</hi> du grand <hi rend="i"
          >Corneille</hi>, offre de très beaux vers. Mais ces <hi rend="i">débordements de
           parricides</hi> ; ces <pb n="218" xml:id="p218"/><hi rend="i">champs empestés</hi> ; ces
          montagnes de morts privés d’honneurs suprêmes, et <hi rend="i">que la nature force à se
           venger</hi> ; ces <hi rend="i">troncs pourris</hi>, qui font <hi rend="i">la guerre au
           reste des vivants</hi>, ont été regardés comme une véritable enflure.</p>
         <p>Il est aisé de juger que ce défaut du style est bien voisin du <hi rend="i">Phébus</hi>.
          Il rend de plus un ouvrage froid, parce que les termes ampoulés, emphatiques et sonores,
          mais vides de sens, ne disent rien ni au cœur ni à l’esprit. Pour éviter l’enflure et
          l’excès qui lui est opposé, il faut faire un juste emploi des images et des ornements. Si
          nous les répandons avec profusion et sans choix, notre style sera boursouflé. Si nous les
          négligeons trop, notre style sera faible et sec. On va voir quels sont ces ornements, et
          l’usage qu’on doit en faire.</p>
        </div6>
       </div5>
      </div4>
      <div4 type="article">
       <head type="sur"><hi rend="sc">Article II</hi>. </head>
       <head type="main"><hi rend="i">Du Style figuré</hi>.</head>
       <p>Les mots ont dans le discours un sens <hi rend="i">propre</hi>, ou un sens <hi rend="i"
         >figuré</hi>. Ils sont dans le sens <hi rend="i">propre</hi>, lorsque ne perdant point leur
        signification primitive, ils signifient la chose, pour laquelle ils ont été établis. Ils
        sont employés dans le sens <hi rend="i">figuré</hi>, quand on les fait passer de leur
        signification propre ou naturelle, à une signification étrangère. Le mot <hi rend="i"
         >chaleur</hi> a été institué pour signifier une propriété du fou ; le mot <hi rend="i"
         >rayon</hi>, pour signifier un trait de lumière. Ainsi quand on dit, <hi rend="i">la
         chaleur du feu</hi>, <hi rend="i">les rayons du soleil</hi>, ces<pb n="219" xml:id="p219"
        />mots sont pris dans le sens <hi rend="i">propre</hi>. Mais quand on dit, <hi rend="i">la
         chaleur du combat</hi>, <hi rend="i">un rayon d’espérance</hi>, ils sont pris dans le sens
         <hi rend="i">figuré</hi>.</p>
       <p>Il n’est aucune langue, qui ne doive presque toutes ses richesses à ces sortes
        d’expressions figurées. Elles prêtent à l’éloquence ses plus grands mouvements, à la poésie
        son plus beau coloris ; elles sont comme l’âme et la vie de l’une et de l’autre. Ainsi les
         <hi rend="i">figures</hi> sont de certains tours de pensées et de paroles, qui font une
        beauté, un ornement dans le discours. Cette définition convient aux <hi rend="i">figures de
         mots</hi> et aux <hi rend="i">figures de pensées</hi>. Les premières dépendent tellement
        des mots qui les expriment, que le moindre changement dans ces mots détruit la figure. Les
         <hi rend="i">figures de pensées</hi>, au contraire, dépendent uniquement de la manière
        particulière de penser et de sentir ; en sorte que la figure demeure toujours la même,
        quoiqu’on change les expressions.</p>
       <quote>
        <l>Abner, le brave Abner viendra-t-il nous défendre ?</l>
       </quote>
       <p>Voilà une <hi rend="i">figure de mots</hi>. Supprimez la répétition du mot <hi rend="i"
         >Abner</hi>, la figure est anéantie.</p>
       <quote>
        <l>Répondez, cieux et mers, et vous, terre, parlez.</l>
       </quote>
       <p>Voilà une <hi rend="i">figure de pensées</hi>. Changez les expressions, retranchez,
        ajoutez, la figure ne subsistera pas moins.</p>
       <div5 type="section">
        <pb n="220" xml:id="p220"/>
        <head type="sur">I. </head>
        <head type="main"><hi rend="i">Des figures de mots, et de celles qui ne sont pas
         tropes</hi>.</head>
        <p>Il y a deux sortes de <hi rend="i">figures de mots</hi>. Dans celles de la première
         espèce, les mots conservent leur signification propre : ces figures ne consistent donc que
         dans un certain emploi de ces mots. Les autres sont celles, par lesquelles on donne à un
         mot une signification, qui n’est point sa signification primitive et naturelle ; comme
         quand on dit, <hi rend="i">trente voiles</hi>, pour <hi rend="i">trente vaisseaux</hi> ;
          <hi rend="i">mille chevaux</hi>, pour <hi rend="i">mille cavaliers</hi>. On nomme
         celles-ci <hi rend="i">tropes</hi>, du mot grec, <hi rend="i">tropê</hi>, dont la racine
         est τρεπω, qui signifie, <hi rend="i">je tourne</hi>. Les premières ne le sont point.</p>
        <quote>
         <p>Je conviens<seg type="exquote">, dit <hi rend="i">du Marsais</hi>, dans son excellent
           traité <hi rend="i">des tropes</hi>,</seg> qu’on peut bien parler, sans jamais avoir
          appris les noms particuliers de ces figures. Combien de personnes se servent d’expressions
          métaphoriques, sans savoir précisément ce que c’est que métaphore !… Mais ces
          connaissances sont utiles et nécessaires à ceux qui ont besoin de l’art de parler et
          d’écrire. Elles mettent de l’ordre dans les idées qu’on se forme des mots ; elles servent
          à démêler le vrai sens des paroles, à rendre raison du discours, et donnent de la
          précision et de la justesse… On voit tous les jours des personnes qui chantent
          agréablement, sans connaître les notes, les clés, ni les règles de la musique ; <pb
           n="221" xml:id="p221"/>elles ont chanté pendant bien des années des <hi rend="i">sol</hi>
          et des <hi rend="i">fa</hi>, sans le savoir : faut-il pour cela qu’elles rejettent les
          secours qu’elles peuvent tirer de la musique, pour perfectionner leur talent ?</p>
        </quote>
        <p>Les figures de mots qui ne portent pas le nom de <hi rend="i">tropes</hi>, sont la <hi
          rend="i">répétition</hi>, la <hi rend="i">conversion</hi>, la <hi rend="i"
         >complexion</hi>, la <hi rend="i">gradation</hi>, la <hi rend="i">reversion</hi>, l’<hi
          rend="i">adjonction</hi>, la <hi rend="i">disjonction</hi>, et la <hi rend="i"
          >périphrase</hi>.</p>
        <div6 type="section">
         <head>Répétition.</head>
         <p>La <hi rend="i">Répétition</hi>, figure propre à exprimer le caractère d’une passion
          fougueuse, d’un sentiment vif et profond, consiste à répéter plusieurs fois avec grâce les
          mêmes expressions. Voyez le bel effet que produit cette figure dans cet endroit de la
          tragédie de <hi rend="i">Zaïre</hi> par <hi rend="i">Voltaire</hi>. C’est Lusignan qui
          parle à Zaïre.</p>
         <quote>
          <l>Ma fille, tendre objet de mes dernières peines,</l>
          <l><hi rend="i">Songe</hi> au moins, <hi rend="i">songe</hi> au sang qui coule dans tes
           veines.</l>
          <l><hi rend="i">C’est le sang</hi> de vingt Rois tous chrétiens comme moi ;</l>
          <l><hi rend="i">C’est le sang</hi> des Héros défenseurs de ma loi ;</l>
          <l><hi rend="i">C’est le sang</hi> des martyrs…… ô fille encor trop chère,</l>
          <l>Connais-tu ton destin ? <hi rend="i">Sais-tu</hi> quelle est ta mère ?</l>
          <l><hi rend="i">Sais-tu</hi> bien qu’à l’instant que son flanc mit au jour</l>
          <l>Ce triste et dernier fruit d’un malheureux amour,</l>
          <l>Je la vis massacrer <hi rend="i">par la main</hi> forcenée,</l>
          <l><hi rend="i">Par la main</hi> des brigands à qui tu t’es donnée ?</l>
          <l>Tes frères, ces martyrs égorgés à mes yeux,</l>
          <pb n="222" xml:id="p222"/>
          <l>T’ouvrent leurs bras sanglants tendus du haut des cieux.</l>
          <l><hi rend="i">Ton Dieu</hi> que tu trahis, <hi rend="i">ton Dieu</hi> que tu
           blasphèmes,</l>
          <l>Pour toi, pour l’Univers est mort <hi rend="i">en ces lieux</hi> mêmes,</l>
          <l><hi rend="i">En ces lieux</hi>, où mon bras le servit tant de fois,</l>
          <l><hi rend="i">En ces lieux</hi>, où son sang te parle par ma voix.</l>
          <l><hi rend="i">Vois</hi> ces murs, <hi rend="i">vois</hi> ce temple envahi par tes
           maîtres ;</l>
          <l>Tout annonce le Dieu qu’ont vengé tes ancêtres.</l>
          <l>Tourne les yeux ; sa tombe est près de ce palais :</l>
          <l>C’est ici la montagne, où lavant nos forfaits,</l>
          <l>Il voulut expirer sous les coups de l’impie :</l>
          <l>C’est là que de sa tombe il rappela sa vie.</l>
          <l><hi rend="i">Tu ne saurais</hi> marcher dans cet auguste lieu,</l>
          <l><hi rend="i">Tu n’y peux</hi> faire un pas, sans y trouver ton Dieu ;</l>
          <l>Et <hi rend="i">tu n’y peux</hi> rester, sans renier ton père,</l>
          <l>Ton honneur qui te parle, et ton Dieu qui t’éclaire.</l>
         </quote>
         <p>La répétition des conjonctions sert souvent à peindre avec plus d’agrément et
          d’énergie ; comme on le voit dans ces vers du <hi rend="i">Lutrin</hi> :</p>
         <quote>
          <l>Il terrasse lui seul et Guibert, et Grasset,</l>
          <l><hi rend="i">Et</hi> Gorillon la basse, <hi rend="i">et</hi> Grandin le fausset,</l>
          <l><hi rend="i">Et</hi> Gerbais l’agréable, <hi rend="i">et</hi> Guérin l’insipide.</l>
         </quote>
         <p>Dans cette phrase <hi rend="i">de La Bruyère</hi> :</p>
         <quote>
          <l>« Un sot <hi rend="i">ni</hi> n’entre, <hi rend="i">ni</hi> ne sort, <hi rend="i"
            >ni</hi> ne s’assied, <hi rend="i">ni</hi> ne se lève, <hi rend="i">ni</hi> ne se tait,
            <hi rend="i">ni</hi> n’est sur ses jambes comme un homme d’esprit ».</l>
         </quote>
         <p>Et dans cet endroit d’un sermon de <pb n="223" xml:id="p223"/><hi rend="i"
           >Massillon</hi>. C’est d’un Prince ambitieux qu’il parle.</p>
         <quote>
          <p>« Sa gloire sera toujours souillée de sang. Quelque insensé chantera peut-être ses
           victoires : <hi rend="i">mais</hi> les provinces, les villes, les campagnes en
           pleureront. On lui dressera des monuments superbes pour immortaliser ses conquêtes : <hi
            rend="i">mais</hi> les cendres encore fumantes de tant de villes autrefois
           florissantes ; <hi rend="i">mais</hi> la désolation de tant de campagnes dépouillées de
           leur ancienne beauté ; <hi rend="i">mais</hi> les ruines de tant de murs, sous lesquelles
           des citoyens paisibles ont été ensevelis ; <hi rend="i">mais</hi> tant de calamités qui
           subsisteront après lui, seront des monuments lugubres qui immortaliseront sa vanité et sa
           folie. »</p>
         </quote>
        </div6>
        <div6 type="section">
         <head>Conversion.</head>
         <p>La <hi rend="i">Conversion</hi> est une espèce de répétition, qui termine les divers
          membres d’une période par le même tour. C’est ainsi que <hi rend="i">Cicéron</hi> dit dans
          une de ses Oraisons contre Antoine :</p>
         <quote>
          <p>« Vous avez perdu trois grandes armées ; c’est Antoine<note n="a" place="bottom">Voyez
            ce mot, dans les notes, à la fin de ce Volume.</note> qui les a fait périr : vous
           regrettez les plus grands hommes de la république ; c’est Antoine qui vous les a ravis :
           l’autorité du Sénat est anéantie ; c’est Antoine qui l’a détruite. »</p>
         </quote>
        </div6>
        <div6 type="section">
         <head>Complexion.</head>
         <p>La <hi rend="i">Complexion</hi> est une répétition, dans laquelle on finit par les mêmes
          paroles. Tel est cet endroit d’un Sermon du Père <hi rend="i">Bourdaloue</hi> :</p>
         <pb n="224" xml:id="p224"/>
         <quote>
          <p>« Tout l’Univers est rempli de l’esprit du monde : on juge selon l’esprit du monde : on
           agit et l’on se gouverne selon l’esprit du monde : le dirai-je ? On voudroit même servir
           Dieu selon l’esprit du monde. »</p>
         </quote>
        </div6>
        <div6 type="section">
         <head>Gradation.</head>
         <p>La <hi rend="i">Gradation</hi> consiste à présenter une suite d’idées, d’images ou de
          sentiments, qui enchérissent les uns sur les autres. Il y a une double gradation dans cet
          endroit d’une Oraison de <hi rend="i">Cicéron</hi> :</p>
         <quote>
          <p>« C’est un <hi rend="i">crime</hi> de <hi rend="i">mettre aux fers</hi> un citoyen
           romain ; c’est une <hi rend="i">scélératesse</hi> de le faire <hi rend="i">battre de
            verges</hi> ; c’est presque un <hi rend="i">parricide</hi> de le <hi rend="i">mettre à
            mort</hi>. Que dirai-je donc, de l’avoir fait attacher à une croix ? »</p>
         </quote>
        </div6>
        <div6 type="section">
         <head>Reversion.</head>
         <p>La <hi rend="i">Reversion</hi> fait revenir les mots sur eux-mêmes avec un sens
          différent, comme dans cet exemple :</p>
         <quote>
          <p>« Nous ne devons pas juger des règles et des devoirs, par les mœurs et par les usages :
           mais nous devons juger des usages et des mœurs, par les devoirs et par les règles. Donc
           c’est la loi de Dieu qui doit être la règle constante du temps, et non pas la variation
           des temps qui doit devenir la règle de la loi de Dieu. »</p>
         </quote>
         <p>Et dans celui-ci : <quote>« Il ne faut pas vivre pour manger : mais il faut manger pour
           vivre. »</quote></p>
        </div6>
        <div6 type="section">
         <head>Adjonction.</head>
         <p>L’<hi rend="i">Adjonction</hi>, différente de la répétition, consiste à n’exprimer
          qu’une fois ce à quoi plusieurs parties d’une phrase se rapportent. Tel est le mot <hi
           rend="i">cessent</hi> dans ces vers de <hi rend="i">La Fontaine</hi> :</p>
         <pb n="225" xml:id="p225"/>
         <quote>
          <l>Ainsi dit : ainsi fait. Les mains cessent de prendre,</l>
          <l>Les bras d’agir, les jambes de marcher.</l>
         </quote>
         <p>Tels sont les mots <hi rend="i">faut-il vous rappeler</hi>, dans ces beaux vers de la
          Tragédie d’<hi rend="i">Athalie</hi>, par <hi rend="i">Racine</hi> :</p>
         <quote>
          <l>Faut-il, Abner, faut-il vous rappeler le cours</l>
          <l>Des prodiges fameux accomplis en nos jours ;</l>
          <l>Des tyrans d’Israël<note n="a" place="bottom">Voyez ce mot, dans les notes, à la fin de
            ce Volume.</note> les célèbres disgrâces, </l>
          <l>Et Dieu trouvé fidèle en toutes ses menaces ;</l>
          <l>L’impie Achab<note n="b" place="bottom">Voyez ce mot, <hi rend="i">ibid.</hi></note>
           détruit, et de son sang trempé</l>
          <l>Le champ que par le meurtre il avait usurpé ;</l>
          <l>Près de ce champ fatal, Jezabel<note n="c" place="bottom">Voyez ce mot, <hi rend="i"
             >ibid.</hi></note> immolée,</l>
          <l>Sous les pieds des chevaux cette Reine foulée ;</l>
          <l>Dans son sang inhumain les chiens désaltérés,</l>
          <l>Et de son corps hideux les membres déchirés ;</l>
          <l>Des Prophètes menteurs la troupe confondue,</l>
          <l>Et la flamme du ciel sur l’autel descendue ;</l>
          <l>Elle<note n="d" place="bottom">Voyez ce mot, <hi rend="i">ibid.</hi></note> aux
           éléments parlant en souverain ;</l>
          <l>Les cieux par lui fermés et devenus d’airain ;</l>
          <l>Et la terre trois ans sans pluie et sans rosée ;</l>
          <l>Les morts se ranimant à la voix d’Élisée<note n="e" place="bottom">Voyez ce mot, <hi
             rend="i">ibid.</hi></note> ?</l>
         </quote>
        </div6>
        <div6 type="section">
         <head>Disjonction.</head>
         <p>La <hi rend="i">Disjonction</hi> supprime les particules conjonctives, pour rendre le
          discours plus vif et plus animé. En voici un exemple <pb n="226" xml:id="p226"/>tiré de
           l’<hi rend="i">Oraison funèbre de Turenne</hi><note n="a" place="bottom">Voyez ce mot,
           dans les notes, à la fin de ce Volume.</note>, par <hi rend="i">Mascaron</hi> :</p>
         <quote>
          <p>« Les dehors même de la guerre, le son des instruments, l’éclat des armes, l’ordre des
           troupes, le silence des soldats, l’ardeur de la mêlée, le commencement, les progrès et la
           consommation de la victoire, les cris différents des vaincus et des vainqueurs attaquent
           l’âme par tant d’endroits, qu’enlevée à tout ce qu’elle a de sagesse et de modération,
           elle ne connaît plus Dieu ni elle-même. »</p>
         </quote>
        </div6>
        <div6 type="section">
         <head>Périphrase.</head>
         <p>La <hi rend="i">Périphrase</hi> ou <hi rend="i">Circonlocution</hi> est d’un fréquent
          usage chez les Orateurs et les Poètes. Ils l’emploient pour étendre, orner, ennoblir une
          idée simple et souvent commune. C’est ainsi que <hi rend="i">Boileau</hi> s’est servi d’un
          tour très noble et très harmonieux, pour dire qu’il avait cinquante-huit ans
          accomplis.</p>
         <quote>
          <l>Mais aujourd’hui qu’enfin la vieillesse venue,</l>
          <l>Sous mes faux cheveux blonds déjà toute chenue,</l>
          <l>A jeté sur ma tête avec ses doigts pesants,</l>
          <l>Onze lustres complets surchargés de trois ans.</l>
         </quote>
         <p><hi rend="i">Mascaron</hi>, pour dire que Turenne avait été enseveli dans le tombeau de
          nos Rois, a employé cette belle périphrase :</p>
         <quote>
          <p>« Le Roi, pour donner une marque immortelle de l’estime et de l’amitié dont il honorait
           ce grand Capitaine, donne une place illustre à ses glorieuses <pb n="227" xml:id="p227"
           />cendres, parmi ces Maîtres de la terre, qui conservent encore, dans la magnificence de
           leurs tombeaux, une image de celle de leurs trônes. »</p>
         </quote>
        </div6>
       </div5>
       <div5 type="section">
        <head type="sur">II. </head>
        <head type="main">Des figures de mots qui sont <hi rend="i">Tropes</hi>.</head>
        <p>Les principales figures de mots qu’on nomme <hi rend="i">tropes</hi>, sont la <hi
          rend="i">métaphore</hi>, l’<hi rend="i">allégorie</hi>, la <hi rend="i">métonymie</hi>, la
          <hi rend="i">synecdoque</hi>, l’<hi rend="i">ironie</hi> et l’<hi rend="i"
         >hyperbole</hi>.</p>
        <div6 type="section">
         <head>Métaphore.</head>
         <p>Tous les <hi rend="i">tropes</hi> sont, à proprement parler, autant de métaphores,
          puisqu’ils sont des mots dont on a changé la signification propre, pour leur en donner une
          qui est empruntée. Cependant on appelle <hi rend="i">métaphore</hi> seulement, une espèce
          de <hi rend="i">trope</hi>, par lequel on transporte un mot de sa signification propre à
          une signification nouvelle, qui ne lui convient qu’en vertu d’une comparaison qui est dans
          l’esprit. Par exemple, quand on dit : <hi rend="i">cette campagne est riante, </hi> le mot
           <hi rend="i">riante</hi> n’a plus sa signification propre et primitive, ne signifiant
          plus <hi rend="i">qui rit</hi>. Mais il signifie <hi rend="i">agréable à la vue</hi> ; et
          cela, par comparaison entre le sens propre du mot <hi rend="i">riante</hi>, qui ne peut
          s’appliquer qu’aux personnes, et entre le plaisir que cause la vue d’une belle campagne.
          Cette comparaison enveloppée que renferme la métaphore, donne une idée de plus, et fait
          par-là une beauté.</p>
         <p>Mais quoiqu’il soit de l’essence de la métaphore de renfermer une comparaison, <pb
           n="228" xml:id="p228"/>l’une et l’autre ne doivent pas être confondues. Qu’on dise d’un
          guerrier : <hi rend="i">il s’élançait comme un lion au milieu des ennemis</hi> ; c’est une
          comparaison : elle est exprimée par les termes mêmes. Qu’on dise de ce guerrier : <hi
           rend="i">ce lion s’élançait au milieu des ennemis</hi> ; c’est une métaphore. La
          comparaison n’est alors que dans l’esprit : aucun terme ne l’exprime.</p>
         <p>La disette des mots propres a d’abord donné lieu aux métaphores : elles ont ensuite
          servi à grossir les trésors de l’éloquence et de la poésie. La métaphore en effet est une
          des figures qui donnent le plus de grâce, de force et de noblesse au discours, pourvu
          qu’elle soit employée à propos, avec goût et avec justesse. On dit fort bien, par exemple,
          que <hi rend="i">la géographie et la chronologie sont les deux yeux de l’histoire</hi>,
          parce qu’en la personnifiant, on doit nécessairement lui supposer des yeux, par l’un
          desquels elle voit les lieux, et par l’autre, les temps. Mais un écrivain qui a du goût et
          de la justesse dans l’esprit, ne dira point que les rayons du soleil sont <hi rend="i">les
           éclairs de l’œil ardent du jour</hi>. Bien moins encore appellera-t-il un cadran, <hi
           rend="i">le greffier solaire</hi>.</p>
         <p>On ne doit jamais tirer la métaphore d’aucun objet bas et dégoûtant. Le P. de <hi
           rend="i">Colonia</hi> jésuite, dans sa rhétorique latine, reproche avec raison à <hi
           rend="i">Tertullien</hi> d’appeler le déluge universel, <quote><hi rend="i">la lessive de
            la nature</hi></quote>. Mais en évitant cet excès, il faut prendre garde de ne pas
          tomber dans l’excès <pb n="229" xml:id="p229"/>contraire. Toute métaphore trop hardie est
          vicieuse. Telle est celle qu’emploie <hi rend="i">Corneille</hi> dans sa Tragédie d’<hi
           rend="i">Héraclius</hi>, lorsqu’il dit :</p>
         <quote>
          <l>La vapeur de mon sang ira grossir la foudre.</l>
         </quote>
         <p>Elle est trop forte : elle est gigantesque. Dites-en autant de celle-ci de J.-B. <hi
           rend="i">Rousseau</hi> :</p>
         <quote>
          <l>Arbres dépouillés de verdure, </l>
          <l>Malheureux <hi rend="i">cadavres des Bois</hi>…</l>
         </quote>
         <p>Si les idées qu’excitent les termes métaphoriques, ne peuvent pas être liées, la
          métaphore est défectueuse. On a reproché à <hi rend="i">Malherbe</hi> d’avoir dit dans son
           <hi rend="i">Ode</hi> à Louis XIII :</p>
         <quote>
          <l>Prends ta <hi rend="i">foudre</hi>, Louis, et va comme un <hi rend="i">Lion</hi>.</l>
         </quote>
         <p>Il falloit plutôt dire, <hi rend="i">comme Jupiter</hi>. Les idées de <hi rend="i"
           >foudre</hi> et de <hi rend="i">lion</hi> ne peuvent point se concilier.</p>
         <p>On a reproché aussi à J.-B. <hi rend="i">Rousseau</hi> d’avoir dit :</p>
         <quote>
          <l>Et les jeunes zéphirs de leurs chaudes haleines</l>
          <l>Ont <hi rend="i">fondu l’écorce</hi> des eaux.</l>
         </quote>
         <p><hi rend="i">Fondre l’écorce</hi> ne peut point se dire au propre. <hi rend="i"
           >Fondre</hi> se dit de la glace ou des métaux. On ne doit donc pas dire au figuré, <hi
           rend="i">fondre l’écorce des eaux</hi>. <hi rend="i">Racine</hi> n’est pas moins
          répréhensible d’avoir dit : <hi rend="i">vous verrez</hi></p>
         <quote>
          <l>Et de <hi rend="i">sang</hi> et de morts vos campagnes <hi rend="i">jonchées</hi>.</l>
         </quote>
         <p>On dit bien dans le sens métaphorique des <pb n="230" xml:id="p230"/><hi rend="i"
           >campagnes jonchées de morts</hi>. Mais on ne peut pas dire des <hi rend="i">campagnes
           jonchées de sang</hi> : elles ne peuvent qu’en être arrosées.</p>
        </div6>
        <div6 type="section">
         <head>Allégorie.</head>
         <p>L’<hi rend="i">Allégorie</hi> n’est qu’une métaphore continuée : elle sert de
          comparaison, pour donner à entendre un sens qui n’est point exprimé, mais qui est celui
          que l’Auteur a dans l’esprit. Toutes les images y sont relatives au même sujet, et
          dépendantes de la même métaphore. L’Ode suivante d’<hi rend="i">Horace</hi> en est un bien
          bel exemple.</p>
         <quote>
          <p>« L’infortuné vaisseau, tu vas donc t’exposer à de nouvelles tempêtes ! ah ! que
           fais-tu ? Demeure bien ancré dans le port. Ne vois-tu pas que tes bancs sont dégarnis de
           rames ; que ton mât et tes vergues. Fracassées plient encore sous l’effort des vents, et
           que tu manques de cordages, pour soutenir la violence et l’impétuosité des flots ? Il ne
           te reste pas seulement une voile qui soit entière. Tu n’as plus même des Dieux, que tu
           puisses invoquer dans le besoin. Construit du bois d’une des plus fameuses forêts de
            Pont<note n="a" place="bottom">Voyez ce mot, dans les notes, à la fin de ce
            Volume.</note>, en vain voudrais-tu te prévaloir de ton nom et de ton origine. Les
           peintures, dont ta poupe est embellie, ne rassurent point le Pilote encore effrayé des
           dangers qu’il a courus. Si tu n’y prends garde, tu vas devenir le jouet des vents. Ah !
           cher vaisseau, autrefois la cause de mes ennuis, aujourd’hui l’objet de mes <pb n="231"
            xml:id="p231"/>regrets, de mes inquiétudes, ne te laisse point attirer par l’éclat
           séduisant des Cyclades<note n="a" place="bottom">Voyez ce mot, dans les notes, à la fin
            de ce Volume.</note>, et garde-toi d’aller t’engager dans les mers entrecoupées de ces
           îles. »</p>
         </quote>
         <p>Sous l’image de ce vaisseau, le Poète représente la république Romaine, et sous celle
          des flots et des vents déchaînés, les troubles qui l’agitaient, et les périls dont elle
          était menacée.</p>
        </div6>
        <div6 type="section">
         <head>Métonymie.</head>
         <p>La <hi rend="i">Métonymie</hi> consiste à se servir d’un nom pour un autre, lorsqu’il y
          a entre ces deux noms un rapport de relation. Cette manière de s’exprimer se fait en
          prenant ;</p>
         <p>1°. La cause pour l’effet, l’auteur de la chose pour la chose même : = <hi rend="i"
           >vivre de son travail</hi>, c’est-à-dire de ce qu’on gagne en travaillant : = <hi
           rend="i">lire Cicéron</hi>, c’est-à-dire les ouvrages de <hi rend="i">Cicéron</hi>. C’est
          en ce sens qu’en parlant des Dieux du paganisme, on prend <hi rend="i">Vulcain</hi>, pour
          le feu : <hi rend="i">Mars</hi>, pour la guerre ; <hi rend="i">Neptune</hi>, pour la mer ;
           <hi rend="i">Apollon</hi>, pour la poésie, etc.</p>
         <p>2°. L’effet pour la cause ; comme lorsqu’<hi rend="i">Ovide</hi> dit que <hi rend="i">le
           Mont Pélion<note n="b" place="bottom">Voyez ce mot, <hi rend="i">ibid.</hi></note> n’a
           point d’ombres</hi>, c’est-à-dire, d’arbres.</p>
         <p>3°. Le contenant pour le contenu ; par exemple, l’<hi rend="i">Europe</hi>, pour les
          peuples de l’Europe ; <hi rend="i">la bouteille</hi>, pour le vin.</p>
         <p>4°. Le signe pour la chose signifiée ; comme le <hi rend="i">sceptre</hi>, pour la
          royauté ; l’<hi rend="i">épée</hi>, <pb n="232" xml:id="p232"/>pour la profession
          militaire ; la <hi rend="i">robe</hi>, pour la magistrature ; comme aussi lorsqu’on
          désigne les Provinces unies des Pays-Bas, par le <hi rend="i">Lion belgique</hi> ;
          l’Allemagne, par l’<hi rend="i">Aigle germanique</hi> ; l’Angleterre, par les <hi rend="i"
           >Léopards</hi> ; la France, par les <hi rend="i">Lys</hi>, etc.</p>
         <p>On doit rapporter à cette figure ces expressions ; <hi rend="i">il a du cœur</hi>, pour
          dire il a du courage ; le <hi rend="i">portique</hi>, lieu où <hi rend="i">Zénon</hi>
          enseignait sa philosophie, pour sa philosophie même ; le <hi rend="i">lycée</hi>, lieu où
           <hi rend="i">Aristote</hi> donnait ses leçons, pour sa doctrine même.</p>
        </div6>
        <div6 type="section">
         <head>Synecdoque.</head>
         <p>La <hi rend="i">Synecdoque</hi> est une espèce de métonymie : elle fait concevoir à
          l’esprit plus ou moins que le mot dont on se sert, ne signifie dans le sens propre. On
          l’emploie, en prenant :</p>
         <p>1°. La partie pour le tout, ou le tout pour la partie ; comme lorsqu’on dit les <hi
           rend="i">foyers rustiques</hi>, pour les maisons rustiques ; dix <hi rend="i"
          >hivers</hi>, pour dix années ; une <hi rend="i">tête chère</hi>, pour une personne chérie
          et précieuse lorsque l’on emploie le nom d’un fleuve pour celui du peuple dont il arrose
          le pays ; comme le <hi rend="i">Tibre</hi>, pour les Romains ; la <hi rend="i">Seine</hi>,
          pour les Français ; le <hi rend="i">Tage</hi>, pour les Espagnols, etc. C’est ainsi que
           <hi rend="i">Boileau</hi> a dit :</p>
         <quote>
          <l>Chaque climat produit des favoris de Mars<note n="a" place="bottom">Voyez ce mot, dans
            les notes, à la fin de ce Volume.</note> :</l>
          <l>La Seine a<note n="b" place="bottom">Voyez ce mot, <hi rend="i">ibid.</hi></note> des
           Bourbons, le Tibre a<note n="c" place="bottom">Voyez ce mot, <hi rend="i"
            >ibid.</hi></note> des Césars.</l>
         </quote>
         <pb n="233" xml:id="p233"/>
         <p>2°. Le genre pour l’espèce ; comme lorsque par le mot <hi rend="i">mortels</hi>, on
          entend seulement les hommes, quoique tous les êtres animés soient sujets à la mort : ou
          l’espèce pour le genre ; comme lorsque les poètes Grecs et les Latins se sont servis du
          mot <hi rend="i">Tempé</hi>, nom d’une plaine de la Thessalie, pour marquer toutes sortes
          de belles campagnes.</p>
         <p>3°. La matière dont la chose est faite, pour la chose même ; comme <hi rend="i"
          >fer</hi>, pour épée : <hi rend="i">airain</hi>, pour canons. C’est ainsi que <hi rend="i"
           >Boileau</hi> dit :</p>
         <quote>
          <l>L’airain sur ces monts terribles</l>
          <l>Vomit le fer et la mort.</l>
         </quote>
         <p>Il y a une autre espèce de <hi rend="i">Synecdoque</hi>, par laquelle on prend un nom
          propre pour un nom commun ou pour un adjectif ; comme lorsqu’on dit d’un homme
          voluptueux : c’est un <hi rend="i">sardanapale</hi><note n="a" place="bottom">Voyez ce
           mot, dans les notes, à la fin de ce Volume.</note> ; d’un Prince cruel et sanguinaire :
          c’est un <hi rend="i">Néron</hi><note n="b" place="bottom">Voyez ce mot, <hi rend="i"
            >ibid.</hi></note>.</p>
        </div6>
        <div6 type="section">
         <head>Ironie.</head>
         <p>L’<hi rend="i">Ironie</hi> cache un sens opposé au sens propre et littéral qu’expriment
          les paroles. Par cette figure on dit tout le contraire de ce qu’on pense, et de ce qu’on
          veut faire penser aux autres. <hi rend="i">Juvénal</hi> en fournit un exemple dans cet
          endroit d’une de ses Satyres, en disant des Égyptiens :</p>
         <p>« Des villes entières adorent des chiens ; <pb n="234" xml:id="p234"/>et personne ne
          connaît Diane<note n="a" place="bottom">Voyez ce mot, dans les notes, à la fin de ce
           Volume.</note>. C’est un crime de manger des oignons et des porreaux : c’est un crime
          même d’y toucher. Ô les saintes gens ! il leur naît des divinités jusques dans leurs
          jardins. »</p>
         <p><hi rend="i">Boileau</hi>, en parlant de quelques Auteurs médiocres du siècle de
          Louis XIV, dit ironiquement :</p>
         <quote>
          <l>Pradon, comme un soleil en nos ans a paru.</l>
          <l>Pelletier écrit mieux qu’Ablancourt et Patru.</l>
          <l>Cotin à ses sermons traînant toute la terre,</l>
          <l>Fend les flots d’auditeurs pour aller à sa chaire.</l>
          <l>Sofal est le phénix des esprits relevés.</l>
         </quote>
         <p>Il faut être réservé sur l’emploi de cette figure. Elle ne plaît qu’autant qu’elle est
          enjouée, légère et badine. On peut l’employer dans toutes sortes de sujets. Homère et
          Virgile s’en sont servis dans la poésie épique. Nos Poëtes tragiques en ont fait aussi
          usage. C’est ironiquement que dans <hi rend="i">le Cid</hi>, le Comte dit à Dom
          Diègue :</p>
         <quote>
          <l>À de plus hauts partis Rodrigue doit prétendre.</l>
         </quote>
         <p>Dans l’<hi rend="i">Alexandre</hi> de <hi rend="i">Racine</hi>, Axiane dit sur le même
          ton à Taxile :</p>
         <quote>
          <l>                        Approche, puissant Roi,</l>
          <l>Grand Monarque de l’Inde ; on parle ici de toi.</l>
         </quote>
         <p>Le discours qu’Hermione tient à Pyrrhus dans l’<hi rend="i">Andromaque</hi> du même
          Poète, <hi rend="i">act. 4, scen. 5</hi>, est aussi une ironie soutenue. Il faut <pb
           n="235" xml:id="p235"/>cependant observer que cette figure doit être sobrement employée
          dans la Tragédie. L’éloquence la souffre davantage : Démosthène et Cicéron, nos Orateurs
          même sacrés s’en sont servis avec succès.</p>
        </div6>
        <div6 type="section">
         <head>Hyperbole.</head>
         <p>L’<hi rend="i">Hyperbole</hi> exagère les choses, soit en augmentant, soit en diminuant.
          Elle emploie des mots, qui pris à la lettre, vont beaucoup au-delà de la vérité, mais qui
          sont réduits à leur juste valeur par ceux qui nous entendent. On dit par hyperbole d’un
          cheval qui va extrêmement vite : <hi rend="i">il va plus vite que le vent</hi> ; et d’une
          personne qui marche avec une extrême lenteur : <hi rend="i">elle va comme une tortue</hi>.
           <hi rend="i">Virgile</hi> emploie cette figure, lorsqu’en parlant de l’Amazone <hi
           rend="i">Camille</hi><note n="a" place="bottom">Voyez ce mot, dans les notes, à la fin de
           ce Volume.</note>, il dit pour exprimer sa légèreté à la course :</p>
         <p>« Plus rapide que le vent, elle aurait pu voler sur un champ couvert d’herbes hautes ou
          d’épis, sans les faire plier sous ses pas, ou se frayer une route au milieu de la mer, et
          courir sur les flots, sans mouiller ses pieds légers. »</p>
         <p><hi rend="i">Malherbe</hi>, dans son <hi rend="i">Ode</hi> à Louis XIII, dit aussi par
          hyperbole, pour peindre les temps heureux qu’il lui promet :</p>
         <quote>
          <l>La terre en tous endroits produira toutes choses ;</l>
          <l>Tous métaux seront or, toutes fleurs seront roses ;</l>
          <l>          Tous arbres oliviers.</l>
          <pb n="236" xml:id="p236"/>
          <l>L’an n’aura plus d’hiver, le jour n’aura plus d’ombre ;</l>
          <l>          Et les perles sans nombre</l>
          <l>Germeront dans la Seine au milieu des graviers.</l>
         </quote>
         <p>On avait promis mille écus à celui qui ferait le meilleur quatrain sur les victoires du
          Grand <hi rend="i">Condé</hi>. Un Poète venu des rives de la Garonne, gagna le prix par
          les vers suivants, dont la pensée n’est pas moins ingénieuse qu’hyperbolique.</p>
         <quote>
          <l>Pour célébrer tant de vertus,</l>
          <l>Tant de hauts faits et tant de gloire,</l>
          <l>Mille écus ! morbleu, mille écus !</l>
          <l>Ce n’est pas un sou par victoire.</l>
         </quote>
         <p>Il faut se servir avec ménagement de cette figure, qui ne doit jamais être trop hardie,
          et encore moins outrée. Quand vous la mettrez en usage, ne vous laissez jamais emporter
          hors des règles et de la justesse.</p>
         <p>Voilà les principales figures de mots, qu’il est important de connaître d’une manière
          particulière. Quant aux figures de pensées, il y a un si grand rapport entre elles et les
          différentes espèces de style, que je crois devoir en parler conjointement. C’est ce que je
          vais faire dans le Chapitre qui suit.</p>
        </div6>
       </div5>
      </div4>
     </div3>
     <pb n="237" xml:id="p237"/>
     <div3 type="chapter">
      <head type="sur">Chapitre II. </head>
      <head type="main"><hi rend="i">Des différentes Espèces de Style, et des Figures de
        Pensées</hi>.</head>
      <p><hi rend="sc">Tous</hi> les hommes ont une façon particulière de concevoir et de sentir.
       Ils doivent, par conséquent, rendre d’une manière qui leur est propre leurs idées et leurs
       sentiments : les expressions qu’ils emploient, en portent toujours l’empreinte. Ainsi l’on a
       raison de dire que chaque Auteur a son style, et qu’il y a autant de styles que d’Écrivains.
       Cependant comme toutes les matières qu’on traite, sont, ou dans un genre simple, ou dans un
       genre un peu plus élevé, ou dans un genre sublime ; on peut dire aussi qu’il n’y a que trois
       espèces générales de style, le <hi rend="i">simple</hi>, le <hi rend="i">tempéré</hi>, le <hi
        rend="i">sublime</hi>, et que le style particulier de chaque Écrivain doit être regardé
       comme une nuance de ces trois styles, variée à l’infini.</p>
      <p>Il en est de même des figures de pensées. Quoiqu’elles aient chacune un caractère
       particulier qui les distingue les unes des autres, elles peuvent cependant être toutes
       rapportées à trois classes principales. Il y en a que l’Écrivain, soit en prose, soit en
       vers, emploie avec art, pour porter plus surement la lumière dans notre esprit ; pour faire
       parler la raison avec plus de force et de justesse ; pour présenter une vérité sous le jour
       le plus favorable <pb n="238" xml:id="p238"/>et le plus lumineux : celles-là sont les plus
       convenables à la preuve. Il y a d’autres figures qui se bornent à flatter l’imagination, par
       l’éclat et l’agrément qui leur sont propres. L’Écrivain s’en sert pour embellir la vérité de
       tous les charmes qui peuvent nous la faire aimer : celles-là sont les figures d’ornement.
       Enfin il y en a qui pénètrent jusques dans le fond de nos cœur, les remuent, les agitent, les
       entraînent : l’Écrivain en fait usage, pour se rendre entièrement le maître de notre âme, et
       la mener, pour ainsi dire, au but qu’il se propose : celles-là sont propres aux passions. Les
       figures de la première classe peuvent convenir plus particulièrement au style <hi rend="i"
        >simple</hi> ; celles de la seconde au style <hi rend="i">tempéré</hi> ; celles de la
       troisième au style <hi rend="i">sublime</hi>.</p>
      <div4 type="article">
       <head type="sur"><hi rend="sc">Article</hi> I. </head>
       <head type="main"><hi rend="i">Du Style simple, et des Figures convenables à la
        preuve</hi>.</head>
       <p>Le style <hi rend="i">simple</hi> n’admet ni les mots sonores, ni les tours harmonieux, ni
        les périodes nombreuses. Il plaît, il intéresse par la vérité des pensées et la justesse des
        expressions. Il n’exclut point la délicatesse, l’enjouement, l’énergie. Mais il évite tout
        ce qui est recherché, tout ce qui sent le travail et l’apprêt, en un mot, tout ce qui peut
        jeter dans le discours une lumière trop vive et trop éclatante. Des grâces naturelles, une
        aimable négligence en <pb n="239" xml:id="p239"/>font tout le prix. C’est ce qu’on va voir
        dans l’exemple suivant.</p>
       <quote>
        <p>« Ceux qui ne travaillent point, contreviennent à l’ordre du Créateur, et il semble
         qu’ils en soient punis dès cette vie. L’ennui et le dégoût sont leur partage. Les plus
         riches mêmes, oui, les plus riches n’ont pas de plus grands tourments que leur oisiveté.
         Ils s’ennuient à la mort, au milieu de l’abondance, de la bonne chère et des plaisirs. Que
         dis-je, des plaisirs ! En ont-ils ? Ils en sont rassasiés, au point de ne plus les sentir.
         Souvent ils en vient le sort d’un ouvrier, qu’ils voient joyeux et content au milieu de ses
         travaux ; et en effet le travail est la satisfaction de l’honnête homme. Les récréations
         qu’il prend ensuite, ont bien pour lui un autre charme. On dirait qu’elles sont un salaire
         mérité par ses peines : mais après un délassement qu’il a goûté sans amertume, il retourne
         à sa besogne avec une ardeur nouvelle. Considérez cette troupe de moissonneurs exposés à la
         grande chaleur : voyez leur vivacité, leur courage, et même leur gaieté. Ne croirait-on pas
         qu’ils célèbrent une fête ? Ils chantent, ils rient. On ne dirait pas que l’ouvrage les
         fatigue. Tel est le sort de ces pauvres gens, une vie dure et laborieuse. Cependant après
         le travail opiniâtre d’une semaine entière, un peu de repos leur suffit. Ont-ils gagné du
         pain, pour faire subsister leur famille ; les voilà contents. On ne voit point régner à la
         campagne <pb n="240" xml:id="p240"/>les débauches, les vices, et tous ces désordres si
         communs dans nos villes. Il semble que le séjour des champs soit l’asile de la simplicité
         et des mœurs. »</p>
       </quote>
       <p>Les Poésies du P. <hi rend="i">du Cerceau</hi> offrent beaucoup d’exemples de style
        simple. En voici un tiré d’une pièce de vers intitulée <hi rend="i">les Tisons</hi>.</p>
       <quote>
        <l>            À quoi donc nous occupons-nous,</l>
        <l>Quand vous et moi, tisons, nous sommes tête à tête ?</l>
        <l>Le grand livre du monde, où les sages, les fous</l>
        <l>            Également figurent tous,</l>
        <l>À nos réflexions de lui-même se prête.</l>
        <l>Ce que j’ai vu le jour, se retrace le soir</l>
        <l>        Dans mon esprit, comme dans un miroir ;</l>
        <l>            Le fracas d’une grande ville,</l>
        <l>            Où chez les petits et les grands,</l>
        <l>        Les passions sont le premier mobile ;</l>
        <l>Tous ces gens animés d’intérêts différents,</l>
        <l>Qui pleins de leurs projets, occupés de leurs vues,</l>
        <l>            Toujours pressés, toujours courants,</l>
        <l>Roulent de toutes parts ainsi que des torrents,</l>
        <l>            Et viennent inonder les rues….</l>
        <l>            À juger d’eux en ce moment,</l>
        <l>            Vous croiriez qu’ils n’ont qu’une affaire,</l>
        <l>Et que tout leur bonheur dépend uniquement</l>
        <l>            De ce qu’en ce jour ils vont faire.</l>
        <l>La nuit enfin les chasse, ils entrent au logis.</l>
        <l>Rentrent-ils plus contents qu’ils n’en étaient sortis.</l>
        <l>Hélas ! plus accablés cent fois d’inquiétude,</l>
        <l>        Qu’ils ne l’étaient en sortant le matin,</l>
        <pb n="241" xml:id="p241"/>
        <l>            Ils n’ont trouvé dans leur chemin</l>
        <l>            Que dureté, qu’ingratitude.</l>
        <l>            Occupés à ronger leur frein,</l>
        <l>Ils se font de leurs maux une triste habitude ;</l>
        <l>Et malgré la rigueur d’un sort trop inhumain,</l>
        <l>            Victimes de leur servitude,</l>
        <l>Ils recommenceront encor le lendemain.</l>
        <l>La coutume en effet les condamne à ces peines :</l>
        <l>Sans murmurer contr’elle, il faut baisser les bras :</l>
        <l>C’est agir, travailler que de porter ces chaînes ;</l>
        <l>Et l’on est fainéant, si l’on ne le fait pas.</l>
        <l>            Ainsi le conçut dans Athènes<note n="a" place="bottom">Voyez ce mot, dans les
          notes, à la fin de ce Volume.</note></l>
        <l>Ce cynique<note n="b" place="bottom">Voyez le mot <hi rend="i">Diogène, ibid.</hi></note>
         fameux, qui, par un trait nouveau,</l>
        <l>Pour n’être seul oisif, remuait son tonneau.</l>
        <l>            Il faisait bien : j’en fais de même ;</l>
        <l>Et fondé comme lui sur de bonnes raisons,</l>
        <l>J’entre, autant que je peux, dans le commun système,</l>
        <l>        En remuant et tournant mes tisons.</l>
        <l>Arbitre de leur sort, sans craindre de reproche,</l>
        <l>Je les tourne, retourne, et règle entr’eux les rangs ;</l>
        <l>            Je les écarte ou les rapproche,</l>
        <l>Je les hausse, les baisse ainsi que je l’entends.</l>
        <l>Mais que me revient-il des peines que je prends ?</l>
        <l>            Et que vous revient-il des vôtres,</l>
        <l>            Gens importants, gens affairés,</l>
        <l>Qui dupes de vos soins, et tous les jours leurrés,</l>
        <l>Vous croyez cependant plus sages que les autres ?</l>
        <l>            Avouez-le de bonne foi,</l>
        <l>            Vous tisonnez tout comme moi…</l>
        <pb n="242" xml:id="p242"/>
        <l>Ce savant, par exemple, attaché sur son livre,</l>
        <l>Mais qui n’invente rien, ne dit rien de nouveau,</l>
        <l>Des Auteurs qu’il regratte et qu’il vend à la livre,</l>
        <l>Croit égaler la gloire, et que son nom doit vivre</l>
        <l>        Comme le leur, au-delà du tombeau.</l>
        <l>            Il se flatte ; Dieu lui pardonne :</l>
        <l>Mais il est mon confrère, et comme moi tisonne.</l>
       </quote>
       <p>Ce style d’autant plus difficile à saisir avec tous ses agréments, qu’il est plus près de
        la nature, s’emploie dans les entretiens familiers, dans les récits, dans les fables, dans
        les lettres, dans les sujets où l’on se propose d’instruire, et généralement dans tous ceux,
        où l’on parle de choses simples et communes. On compte parmi les figures qui lui sont
        propres, ou celles qui sont les plus convenables à la preuve, la <hi rend="i"
         >prétermission</hi>, la <hi rend="i">licence</hi>, la <hi rend="i">concession</hi>, la <hi
         rend="i">correction</hi>, la <hi rend="i">communication</hi>, l’<hi rend="i"
         >occupation</hi>, et la <hi rend="i">subjection</hi>.</p>
       <div5 type="section">
        <head type="sur">Prétermission.</head>
        <p>La <hi rend="i">Prétermission</hi> ou <hi rend="i">Prétérition</hi> est une figure, par
         laquelle on feint de passer sous silence, ou de ne toucher que légèrement des choses, sur
         lesquelles néanmoins on insiste avec force. Tel est cet endroit de la troisième Philippique
         de <hi rend="i">Démosthène</hi> :</p>
        <quote>
         <p>« Je ne parlerai ni de vos animosités domestiques, ni de l’agrandissement de
           Philippe<note n="a" place="bottom">Voyez ce mot, dans les notes, à la fin de ce
           Volume.</note>…. Je ne dirai pas qu’après tant de conquêtes, il parviendra à la Monarchie
          universelle de la Grèce, <pb n="243" xml:id="p243"/>avec plus d’apparence qu’il n’y avait
          lieu de se défier autrefois qu’il dût parvenir où il est à présent. »</p>
        </quote>
        <p>On voit encore un exemple de cette figure dans ces vers de <hi rend="i">la
         Henriade</hi> :</p>
        <quote>
         <l>Je ne vous peindrai point le tumulte et les cris,</l>
         <l>Le sang de tous côtés ruisselant dans Paris<note n="a" place="bottom">Voyez ce mot, dans
           les notes, à la fin de ce Volume.</note>,</l>
         <l>Le fils assassiné sur le corps de son père,</l>
         <l>Le frère avec la sœur, la fille avec la mère,</l>
         <l>Les époux expirants sous leurs toits embrasés,</l>
         <l>Les enfants au berceau sur la pierre écrasés.</l>
        </quote>
       </div5>
       <div5 type="section">
        <head>Licence.</head>
        <p>La <hi rend="i">Licence</hi> est une figure, par laquelle on promet de ne point déguiser
         à des personnes qu’on respecte, certaines vérités qui pourraient leur déplaire. Tel est ce
         discours de Burrhus à Agrippine, dans la tragédie de <hi rend="i">Britannicus</hi>, par <hi
          rend="i">Racine</hi>.</p>
        <quote>
         <l>Je ne m’étais chargé dans cette occasion</l>
         <l>Que d’excuser César<note n="b" place="bottom">Voyez <hi rend="i">César</hi> (nom de),
            <hi rend="i">ibid.</hi></note> d’une seule action.</l>
         <l>Mais puisque sans vouloir que je le justifie,</l>
         <l>Vous me rendez garant du reste de sa vie,</l>
         <l>Je répondrai, Madame, avec la liberté</l>
         <l>D’un soldat, qui sait mal farder la vérité.</l>
         <l>Vous m’avez de César confié la jeunesse,</l>
         <l>Je l’avoue, et je dois m’en souvenir sans cesse.</l>
         <l>Mais vous avais-je fait serment de le trahir,</l>
         <l>D’en faire un Empereur qui ne sût qu’obéir ?</l>
         <l>Non, ce n’est plus à vous qu’il faut que j’en réponde :</l>
         <pb n="244" xml:id="p244"/>
         <l>Ce n’est plus votre fils ; c’est le Maître du monde.</l>
         <l>J’en dois compte, Madame, à l’Empire romain,</l>
         <l>Qui croit voir son salut ou sa perte en ma main.</l>
        </quote>
       </div5>
       <div5 type="section">
        <head>Concession.</head>
        <p>La <hi rend="i">Concession</hi> est une figure, par laquelle l’orateur ne craint point
         d’accorder une chose, qui paraît lui être contraire, mais dont il ne manque pas de tirer
         avantage. C’est ainsi que <hi rend="i">Bossuet</hi>, dans son <hi rend="i">Oraison funèbre
          de</hi> Henriette-Marie de France<note n="a" place="bottom">Voyez le mot <hi rend="i"
           >France</hi>, dans les notes, à la fin de ce Volume.</note>, <hi rend="i">reine
          d’Angleterre</hi>, dit de <hi rend="i">Charles I<hi rend="sup">er</hi></hi><note n="b"
          place="bottom">Voyez ce mot, <hi rend="i">ibid.</hi></note>, son époux.</p>
        <quote>
         <p>« Je veux bien avouer de lui ce qu’un auteur célèbre<seg type="exquote"> (<hi rend="i"
            >Pline</hi>)</seg> a dit de César, qu’<hi rend="i">il a été clément jusqu’à être obligé
           de s’en repentir</hi>. Que ce soit donc là, si l’on veut, l’illustre défaut de Charles,
          aussi bien que de César<note n="c" place="bottom">Voyez ce mot, <hi rend="i"
           >ibid.</hi></note>. Mais que ceux qui veulent croire que tout est faible dans les
          malheureux et dans les vaincus, ne pensent pas pour cela nous persuader que la force ait
          manqué à son courage, ni la vigueur à ses conseils. Poursuivi à toute outrance par
          l’implacable malignité de la fortune, trahi de tous les siens, il ne s’est pas manqué à
          lui-même. Malgré les mauvais succès de ses armes infortunées, si on a pu le vaincre, on
          n’a pas pu le forcer ; et comme il n’a jamais refusé ce qui était raisonnable, étant
          vainqueur, <pb n="245" xml:id="p245"/>il a toujours rejeté ce qui était faible et injuste,
          étant captif. »</p>
        </quote>
        <p>On peut rapporter à la concession la <hi rend="i">Permission</hi>, figure qu’on emploie,
         tantôt pour abandonner à eux-mêmes ceux qu’on ne peut détourner de leur dessein, tantôt
         pour inviter son ennemi à faire tout le mal qui lui est possible, et cela, afin de le
         toucher, ou de lui inspirer de l’horreur de ce qu’il a déjà fait. <hi rend="i"
          >Crébillon</hi> en fournit un exemple dans cet endroit de sa tragédie d’<hi rend="i"
          >Atrée</hi>, où Thieste, après avoir reconnu le sang de son fils dans la coupe qui lui a
         été présentée par Atrée, son frère, lui parle ainsi :</p>
        <quote>
         <l>Monstre, que les enfers ont vomi sur la terre,</l>
         <l>Assouvis la fureur dont ton cœur est épris :</l>
         <l>Joins un malheureux père à son malheureux fils,</l>
         <l>À ses mânes sanglants donne cette victime,</l>
         <l>Et ne t’arrête point au milieu de ton crime.</l>
         <l>Barbare, peux-tu bien m’épargner en des lieux,</l>
         <l>D’où tu viens de chasser et le jour et les Dieux.</l>
        </quote>
       </div5>
       <div5 type="section">
        <head>Correction.</head>
        <p>La <hi rend="i">Correction</hi> est une figure, qui consiste à rétracter ou à expliquer
         une pensée qu’on vient d’exposer. En voici un bel exemple tiré de <hi rend="i">l’Oraison
          funèbre de</hi> Henriette-Anne d’Angleterre<note n="a" place="bottom">Voyez le mot <hi
           rend="i">Angleterre</hi>, dans les notes, à la fin de ce Volume.</note>, <hi rend="i"
          >duchesse d’Orléans</hi>, par <hi rend="i">Bossuet</hi>.</p>
        <quote>
         <p>« Non, après ce que nous venons de voir, la santé n’est qu’un nom, la vie n’est qu’un
          songe, la gloire n’est qu’une <pb n="246" xml:id="p246"/>apparence, les grâces et les
          plaisirs ne sont qu’un dangereux amusement : tout est vain en nous, excepté le sincère
          aveu que nous faisons devant Dieu de nos vanités, et le jugement arrêté qui nous fait
          mépriser tout ce que nous sommes. Mais dis-je la vérité ? L’homme que Dieu a fait à son
          image, n’est-il qu’une ombre ? Ce que Jésus-Christ est venu chercher du ciel en terre, ce
          qu’il a cru pouvoir, sans se ravilir, acheter de tout son sang, n’est-ce qu’un rien ?
          Reconnaissons notre erreur. Sans doute ce triste spectacle des vanités humaines nous
          imposait ; et l’espérance publique frustrée, tout à coup, par la mort de cette princesse,
          nous poussait trop loin. Il ne faut pas permettre à l’homme de se mépriser tout entier, de
          peur que croyant, avec les impies, que notre vie n’est qu’un jeu où règne le hasard, il ne
          marche sans règle et sans conduite au gré de ses aveugles désirs. »</p>
        </quote>
       </div5>
       <div5 type="section">
        <head>Communication.</head>
        <p>La <hi rend="i">Communication</hi> est une figure, par laquelle l’Orateur communique
         familièrement ses raisons à ses auditeurs, quelquefois à ses adversaires mêmes, s’en
         rapportant à leur propre décision. C’est ainsi que <hi rend="i">Cicéron</hi>, dans son <hi
          rend="i">Oraison pour Caïus Rabirius</hi>, chevalier romain, accusé de trahison par le
         tribun <hi rend="i">Labienus</hi>, pour avoir, dans une émeute populaire, participé à la
         mort d’un factieux nommé <hi rend="i">Saturnin</hi>, qui venait de s’emparer du Capitole ;
         c’est ainsi que <hi rend="i">Cicéron</hi>, s’adressant à <hi rend="i">Labienus</hi>
         lui-même, lui dit :</p>
        <pb n="247" xml:id="p247"/>
        <quote>
         <p>« Je vous le demande : qu’eussiez-vous fait dans une circonstance aussi délicate, vous
          qui prîtes la fuite par lâcheté, tandis que d’un côté la fureur et la méchanceté de <hi
           rend="i">Saturnin</hi> vous appelaient au Capitole, et que d’un autre côté les Consuls
          imploraient votre secours pour la défense de la patrie et de la liberté ? Quelle autorité
          auriez-vous respectée ? quelle voix auriez-vous écoutée ? quel parti auriez-vous
          embrassé ? aux ordres de qui vous seriez-vous soumis ?… Pouvez vous donc faire un crime à
           <hi rend="i">Rabirius</hi> de s’être joint à ceux qu’il ne pouvait ni attaquer sans
          folie, ni abandonner sans déshonneur ? »</p>
        </quote>
        <p>Cette figure consiste aussi à faire des questions avec art, pour ramener à son sentiment
         des esprits qui en étaient d’abord éloignés. On en voit un exemple dans cet endroit de la
         tragédie de <hi rend="i">la mort de César</hi> par <hi rend="i">Voltaire</hi>.</p>
        <label><hi rend="sc">Cassius</hi><note n="a" place="bottom">Voyez ce mot, dans les notes, à
          la fin de ce Volume.</note>.</label>
        <quote>
         <l>Écoute. Tu connais avec quelle furie</l>
         <l>Jadis Catilina<note n="b" place="bottom">Voyez ce mot, <hi rend="i">ibid.</hi></note>
          menaça sa patrie.</l>
         <label type="speaker"><hi rend="sc">Brutus</hi><note n="c" place="bottom">Voyez ce mot, <hi
            rend="i">ibid.</hi></note>.</label>
         <l part="I">Oui.</l>
         <label type="speaker"><hi rend="sc">Cassius</hi>.</label>
         <l>Si le même jour que ce grand criminel</l>
         <l part="F">Dût à la liberté porter le coup mortel :</l>
         <pb n="248" xml:id="p248"/>
         <l>Si lorsque le Sénat eût condamné ce traître,</l>
         <l>Catilina pour fils t’eût voulu reconnaître ;</l>
         <l>Entre ce monstre et nous forcé de décider,</l>
         <l part="I">Parle, qu’aurais-tu fait ?</l>
         <label type="speaker"><hi rend="sc">Brutus</hi>.</label>
         <l part="F">Peux-tu le demander ?</l>
         <l>Penses-tu qu’un moment ma vertu démentie</l>
         <l>Eût mis dans la balance un homme et la patrie ?</l>
         <label type="speaker"><hi rend="sc">Cassius</hi>.</label>
         <l>Brutus, par ce seul mot ton devoir est dicté.</l>
        </quote>
       </div5>
       <div5 type="section">
        <head>Occupation.</head>
        <p>L’<hi rend="i">Occupation</hi> est une figure, par laquelle on prévient une objection, en
         se la faisant à soi-même et en y répondant. C’est ce que fait <hi rend="i">Boileau</hi>
         dans cet endroit d’une de ses Satyres :</p>
        <quote>
         <l>Il a tort, dira l’un : pourquoi faut-il qu’il nomme ?</l>
         <l>Attaquer Chapelain ! Ah ! c’est un si bonhomme !</l>
         <l>Balzac en fait l’éloge en cent endroits divers.</l>
         <l>Il est vrai, s’il m’eût cru, qu’il n’eût point fait de vers :</l>
         <l>Il se tue à rimer ; que n’écrit-il en prose ?</l>
         <l>Voilà ce que l’on dit. Et que dis-je autre chose ?</l>
         <l>En blâmant ses écrits, ai-je d’un style affreux</l>
         <l>Distillé sur sa vie un venin dangereux ?</l>
         <l>Ma muse, en l’attaquant, charitable et discrète,</l>
         <l>Sait de l’homme d’honneur distinguer le poète.</l>
        </quote>
       </div5>
       <div5 type="section">
        <head>Subjection.</head>
        <p>La <hi rend="i">Subjection</hi> ressemble beaucoup à l’occupation, comme on va le voir
         dans cet endroit de l’<hi rend="i">Oraison funèbre du premier Président de Lamoignon</hi>
          par<note n="a" place="bottom">Voyez ce mot, dans les notes, à la fin de ce Volume.</note>
         <hi rend="i">Fléchier</hi>.</p>
        <pb n="249" xml:id="p249"/>
        <quote>
         <p>« Quelles pensez-vous que furent les voies qui le conduisirent à cette fin ? La faveur ?
          Il n’avait eu d’autres relations à la Cour, que celles que lui donnèrent ou ses affaires
          ou ses devoirs. Le hasard ? On fut longtemps à délibérer ; et dans une affaire aussi
          délicate, on crut qu’il fallait tout donner au conseil, et ne rien laisser à la fortune.
          La cabale ? Il était du nombre de ceux qui n’avaient suivi que leur devoir ; et ce parti,
          quoique le plus juste, n’avait pas été le plus grand. L’habileté à se servir des
          conjonctures ? Ces temps difficiles étaient passés, où l’on donnait les charges par
          nécessité plutôt que par choix, et où chacun voulant profiter des troubles de l’État,
          vendait chèrement, ou les services qu’il pouvait rendre, ou les moyens qu’il avait de
          nuire. »</p>
        </quote>
       </div5>
      </div4>
      <div4 type="article">
       <head type="sur"><hi rend="sc">Article</hi> II. </head>
       <head type="main"><hi rend="i">Du Style tempéré, et des Figures d’ornement</hi>.</head>
       <p>Le style <hi rend="i">tempéré</hi> est plus fort et plus élevé que le style simple. On
        l’appelle aussi <hi rend="i">fleuri</hi>, parce qu’il fait usage des ornements d’éclat. Les
        figures vives et piquantes, le choix et l’harmonie des mots, la variété des sons, les tours
        ingénieux et brillants, en un mot tout ce qui peut embellir le discours, lui convient et le
        caractérise. En voici un exemple pris au hasard dans le <hi rend="i">Télémaque</hi> de <hi
         rend="i">Fénelon</hi>.</p>
       <pb n="250" xml:id="p250"/>
       <p>C’est la peinture du bonheur que goûtent les justes et les bons Rois dans les
         Champs-Élysées<note n="a" place="bottom">Voyez ce mot, dans les notes, à la fin de ce
         Volume.</note>.</p>
       <quote>
        <p>« Les hautes montagnes de Thrace<note n="b" place="bottom">Voyez ce mot, <hi rend="i"
           >ibid.</hi></note>, qui de leurs fronts couverts de neige et de glace depuis l’origine du
         monde, fendent les nues, seraient renversées de leurs fondements posés au centre de la
         terre, que les cœurs de ces hommes justes ne pourraient pas même être émus : seulement ils
         ont pitié des misères qui accablent les hommes vivants dans le monde ; mais c’est une pitié
         douce et paisible, qui n’altère en rien leur immuable félicité. Une jeunesse éternelle, un
         bonheur sans fin, une gloire toute divine est peinte sur leur visage ; mais leur joie n’a
         rien de folâtre ni d’indécent ; c’est une joie douce, noble, pleine de majesté : c’est un
         goût sublime de la vérité et de la vertu qui les transporte. Ils sont sans interruption, à
         chaque moment, dans le même saisissement de cœur où est une mère, qui revoit son cher fils
         qu’elle avait cru mort ; et cette joie qui échappe bientôt à la mère, ne s’enfuit jamais du
         cœur de ces hommes. Jamais elle ne languit un instant ; elle est toujours nouvelle pour
         eux : ils ont le transport de l’ivresse, sans en <pb n="251" xml:id="p251"/>avoir le
         trouble et l’aveuglement. Ils s’entretiennent ensemble de ce qu’ils voient et de ce qu’ils
         goûtent : ils foulent à leurs pieds les molles délices et les vaines grandeurs de leurs
         anciennes conditions qu’ils déplorent : ils repassent avec plaisir ces tristes mais courtes
         années, où ils ont eu besoin de combattre contre eux-mêmes et contre le torrent des hommes
         corrompus, pour devenir bons : ils admirent le secours des Dieux qui les ont conduits,
         comme par la main, à la vertu, au milieu de tant de périls. Je ne sais quoi de divin coule
         sans cesse au travers de leur cœur, comme un torrent de la Divinité même qui s’unit à eux :
         ils voient, ils goûtent qu’ils sont heureux, et sentent qu’ils le seront toujours. Ils
         chantent les louanges des Dieux, et ils ne font tous ensemble qu’une seule voix, une seule
         pensée, un seul cœur. Une même félicité fait comme un flux et un reflux dans ces âmes
         unies. Dans ce ravissement divin, les siècles coulent plus rapidement que les heures parmi
         les mortels ; et cependant mille et mille siècles écoulés n’ôtent rien à leur félicité
         toujours nouvelle et toujours entière. Ils règnent tous ensemble, non sur des trônes que
         les mains des hommes peuvent renverser, mais en eux-mêmes avec une puissance immuable ; car
         ils n’ont plus besoin d’être redoutables par une puissance empruntée d’un peuple vil et
         misérable ; ils ne portent plus ces vains diadèmes, dont l’éclat cache tant de craintes et
         de noirs soucis. Les Dieux mêmes les ont <pb n="252" xml:id="p252"/>couronnés de leurs
         propres mains avec des couronnes que rien ne peut flétrir. »</p>
       </quote>
       <p>On voit encore un bel exemple de style fleuri dans ces vers d’une épître de <hi rend="i"
         >Gresset</hi> à sa sœur, après une longue maladie qu’il avait essuyée :</p>
       <quote>
        <l>        Ô jours de la convalescence !</l>
        <l>        Jours d’une pure volupté !</l>
        <l>        C’est une nouvelle naissance,</l>
        <l>        Un rayon d’immortalité.</l>
        <l>Quel feu ! tous les plaisirs ont volé dans mon âme.</l>
        <l>J’adore avec transport le céleste flambeau :</l>
        <l>        Tout m’intéresse, tout m’enflamme ;</l>
        <l>        Pour moi l’univers est nouveau.</l>
        <l>Sans doute que le Dieu qui nous rend l’existence,</l>
        <l>        À l’heureuse convalescence</l>
        <l>Pour de nouveaux plaisirs donne de nouveaux sens :</l>
        <l>        À ses regards impatients</l>
        <l>Le chaos fuit ; tout naît ; la lumière commence ;</l>
        <l>        Tout brille des feux du printemps.</l>
        <l>Les plus simples objets, le chant d’une fauvette,</l>
        <l>Le matin d’un beau jour, la verdure des bois,</l>
        <l>        La fraîcheur d’une violette,</l>
        <l>        Mille spectacles qu’autrefois</l>
        <l>        On voyait avec nonchalance,</l>
        <l>Transportent aujourd’hui, présentent des appas</l>
        <l>        Inconnus à l’indifférence,</l>
        <l>        Et que la foule ne voit pas.</l>
       </quote>
       <p>M. le Duc de <hi rend="i">N***</hi>, dans ses <hi rend="i">Réflexions critiques sur le
         génie d’Horace, de Despréaux et de Rousseau</hi>, a donné la traduction de quelques
        strophes d’une Ode, dans <pb n="253" xml:id="p253"/>laquelle le Poète latin chante les
        douceurs de la vie champêtre, et le bonheur de celui qui sillonnant le champ de ses pères,
        vit, comme eux, sans soins, sans affaires, sans créanciers. Ces strophes réunissent tous les
        charmes du style tempéré. Les voici :</p>
       <quote>
        <lg>
         <l>De la trompette sanguinaire,</l>
         <l>Il ose mépriser la voix :</l>
         <l>De la fortune mercenaire,</l>
         <l>Il ignore les dures lois.</l>
        </lg>
        <lg>
         <l>Il rit du frivole avantage</l>
         <l>Dont le courtisan est épris ;</l>
         <l>Et l’intrigue au double visage</l>
         <l>N’obtient de lui que des mépris.</l>
        </lg>
        <lg>
         <l>Fidèle aux lois de la nature,</l>
         <l>Seule elle fait tous ses plaisirs,</l>
         <l>Et ses besoins sont la mesure</l>
         <l>De ses goûts et de ses désirs.</l>
        </lg>
        <lg>
         <l>Tantôt à sa vigne naissante,</l>
         <l>Il unit de jeunes ormeaux ;</l>
         <l>Tantôt d’une main bienfaisante,</l>
         <l>Il en élague les rameaux.</l>
        </lg>
        <lg>
         <l>Tantôt à l’ombre de la treille,</l>
         <l>Il compte ses troupeaux naissants ;</l>
         <l>Il serre les dons de l’abeille ;</l>
         <l>Il tond ses agneaux bondissants.</l>
        </lg>
        <lg>
         <l>Lorsque Pomone<note n="a" place="bottom">Voyez ce mot, dans les notes, à la fin de ce
           Volume.</note> en ses contrées</l>
         <pb n="254" xml:id="p254"/>
         <l>A mûri ses dons précieux,</l>
         <l>Il charge ses mains épurées</l>
         <l>Des prémices qu’il offre aux Dieux.</l>
        </lg>
        <lg>
         <l>Sous un vieux chêne, il sait attendre</l>
         <l>Le déclin du brûlant soleil :</l>
         <l>Puis sur un gazon frais et tendre,</l>
         <l>Il va chercher un doux sommeil.</l>
        </lg>
        <lg>
         <l>Alors mille rivaux d’Orphée<note n="a" place="bottom">Voyez ce mot, dans les notes, à la
           fin de ce Volume.</note>,</l>
         <l>Fardeau léger des arbrisseaux,</l>
         <l>S’unissent pour hâter <hi rend="i">Morphée</hi><note n="b" place="bottom">Voyez ce mot,
            <hi rend="i">ibid.</hi></note> ;</l>
         <l>Au gazouillement des ruisseaux.</l>
        </lg>
       </quote>
       <p>Les figures d’ornement, celles qui conviennent le plus au style tempéré, sont l’<hi
         rend="i">antithèse</hi>, la <hi rend="i">comparaison</hi> et la <hi rend="i"
         >description</hi>, à laquelle se rapportent plusieurs autres figures que je ferai
        connaître.</p>
       <div5 type="section">
        <head>Antithèse.</head>
        <p>L’<hi rend="i">Antithèse</hi> est une figure, par laquelle on oppose des pensées les unes
         aux autres, pour les développer davantage : elle consiste aussi un peu dans le choix des
         mots opposés, comme on le voit dans cette pensée de <hi rend="i">La Bruyère</hi> :
          <quote>« La vie des Héros a enrichi l’histoire ; et l’histoire a embelli la vie des
          Héros. »</quote></p>
        <p>Dans ces vers de la <hi rend="i">Henriade</hi> :</p>
        <quote>
         <l>De tous ses favoris, Mornai<note n="c" place="bottom">Voyez ce mot, <hi rend="i"
            >ibid.</hi></note> seul l’accompagne,</l>
         <l>Mornai son confident, mais jamais son flatteur,</l>
         <pb n="255" xml:id="p255"/>
         <l>Trop vertueux soutien du parti de l’erreur ;</l>
         <l>Qui signalant toujours son zèle et sa prudence,</l>
         <l>Servit également son Église et la France ;</l>
         <l>Censeur des courtisans, mais à la Cour aimé,</l>
         <l>Fier ennemi de Rome, et de Rome estimé.</l>
        </quote>
        <p>et dans ceux-ci de <hi rend="i">la Chartreuse de Gresset</hi> :</p>
        <quote>
         <l>J’ai vu mille peines cruelles</l>
         <l>Sous un vain masque de bonheur ;</l>
         <l>Mille petitesses réelles</l>
         <l>Sous une écorce de grandeur ;</l>
         <l>Mille lâchetés infidèles</l>
         <l>Sous un coloris de candeur.</l>
        </quote>
        <p>Cette figure si brillante doit être employée rarement dans un Ouvrage sérieux, et partout
         ailleurs même, avec quelques ménagements. Des antithèses trop multipliées deviendraient
         puériles et fatigantes. Cette figure n’est réellement belle, que lorsque les pensées
         opposées sont naturelles, tirées du fond du sujet, et qu’elles servent à se donner
         réciproquement de la justesse et de la clarté. Le sermon de <hi rend="i">Massillon</hi> sur
          <hi rend="i">le triomphe de la Religion</hi> en fournit un bien bel exemple. Le
         voici :</p>
        <quote>
         <p>« Un Prince qui craint Dieu, et qui gouverne sagement ses peuples, n’a plus rien à
          craindre des hommes. Sa gloire toute seule aurait pu faire des envieux ; sa piété rendra
          sa gloire même respectable : ses <pb n="256" xml:id="p256"/>entreprises auraient trouvé
          des censeurs ; sa piété sera l’apologie de sa conduite : ses prospérités auraient excité
          la jalousie ou la défiance de ses voisins ; il en deviendra par sa piété l’asile et
          l’arbitre. Ses démarches ne seront jamais suspectes, parce qu’elles seront toujours
          annoncées par la justice. On ne sera pas en garde contre son ambition, parce que son
          ambition sera toujours réglée par ses droits. Il n’attirera point sur ses États le fléau
          de la guerre, parce qu’il regardera comme un crime de la porter sans raison dans les États
          étrangers. Il réconciliera les peuples et les Rois, loin de les diviser pour les
          affaiblir, et pour élever sa puissance sur leurs divisions et sur leur faiblesse. Sa
          modération sera le plus sûr rempart de son empire : il n’aura pas besoin de garde qui
          veille à la porte de son Palais ; les cœurs de ses sujets entoureront son trône, et
          brilleront autour à la place des glaives qui le défendent. Son autorité lui sera inutile
          pour se faire obéir ; les ordres les plus sûrement accomplis sont ceux que l’amour
          exécute ; et la soumission sera sans murmure, parce qu’elle sera sans contrainte. Toute sa
          puissance l’aurait rendu à peine maître de ses peuples ; par la vertu il deviendra
          l’arbitre même des Souverains. »</p>
        </quote>
       </div5>
       <div5 type="section">
        <head>Comparaison.</head>
        <p>La <hi rend="i">Comparaison</hi> est une figure, par laquelle on présente les rapports de
         deux objets, pour orner ou pour éclaircir ses pensées. En voici une bien noble et bien
         belle, tirée de l’<hi rend="i">Oraison funèbre de</hi>
         <pb n="257" xml:id="p257"/>Henriette-Marie de France<note n="a" place="bottom">Voyez ce
          mot, dans les notes, à la fin de ce Volume.</note>, <hi rend="i">Reine d’Angleterre</hi>,
         par <hi rend="i">Bossuet</hi>.</p>
        <quote>
         <p>« Comme une colonne, dont la masse solide paraît le plus ferme appui d’un temple
          ruineux, lorsque ce grand édifice qu’elle soutenait, fond sur elle sans l’abattre : ainsi
          la Reine se montre le ferme soutien de l’État, lorsqu’après en avoir longtemps porté le
          faix, elle n’est pas même courbée sous sa chute. »</p>
        </quote>
        <p>Le <hi rend="i">Télémaque</hi> de <hi rend="i">Fénelon</hi> est plein de comparaisons
         également riches et agréables. Je me borne à celle-ci.</p>
        <quote>
         <p>« À le voir pâle, abattu et défiguré, on aurait cru que ce n’était point Télémaque<note
           n="b" place="bottom">Voyez ce mot, <hi rend="i">ibid.</hi></note>. Sa beauté, son
          enjouement, sa noble fierté s’enfuyaient loin de lui. Il périssait, tel qu’une fleur qui
          étant épanouie le matin, répand ses doux parfums dans la campagne, et se flétrit peu à peu
          vers le soir : ses vives couleurs s’effacent ; elle languit, elle se dessèche ; et sa
          belle tête se penche ne pouvant plus se soutenir. Ainsi le fils d’Ulysse<note n="c"
           place="bottom">Voyez ce mot, <hi rend="i">ibid.</hi></note> était aux portes de la
          mort. »</p>
        </quote>
        <p>La comparaison doit être courte le plus qu’il est possible, et offrir un rapport
         convenable entre l’objet comparé et celui auquel on le compare : elle doit, de plus, être
         relevée par la justesse des expressions.</p>
        <p>On peut rapporter à cette figure le <pb n="258" xml:id="p258"/><hi rend="i"
          >Parallèle</hi>, qui n’est autre chose que la comparaison de deux hommes illustres, comme
         on le voit dans celui-ci, que <hi rend="i">La Motte</hi> a fait de Corneille et de
         Racine :</p>
        <quote>
         <l>Des deux souverains de la scène</l>
         <l>L’aspect a frappé nos esprits :</l>
         <l>C’est sur leurs pas que Melpomène<note n="a" place="bottom">Voyez ce mot, dans les
           notes, à la fin de ce Volume.</note></l>
         <l>Conduit ses plus chers favoris.</l>
         <l>L’un plus pur, l’autre plus sublime,</l>
         <l>Tous deux partagent notre estime</l>
         <l>Par un mérite différent :</l>
         <l>Tour à tour ils nous font entendre</l>
         <l>Ce que le cœur a de plus tendre,</l>
         <l>Ce que l’esprit a de plus grand.</l>
        </quote>
       </div5>
       <div5 type="section">
        <head>Description.</head>
        <p>La <hi rend="i">Description</hi> est en général une figure par laquelle nous présentons
         l’image d’un objet. Je vais essayer d’en donner une idée dans l’exemple suivant, que je
         suis bien loin de proposer pour modèle.</p>
        <p>« Quel plaisir d’être assis, à la pointe du jour, sur le bord de la mer ! sans doute le
         passage des ténèbres à la lumière, et le lever du soleil sont, en quelque lieu qu’on se
         trouve, le plus beau spectacle que l’homme puisse admirer. Mais ce spectacle est pour nous
         plus ou moins ravissant, suivant les objets qui nous entourent, et qui excitent en nous des
         sensations plus ou moins vives. Sur le bord de la mer, avant les premières lueurs de
         l’aurore, l’air est plus pur et plus <pb n="259" xml:id="p259"/>frais : là, plus que
         partout ailleurs, il porte une nouvelle vie dans les sens, et régénère toutes les facultés
         de l’âme. Le bruissement des flots mollement agités, qui seul trouble en ce moment le calme
         profond de la nature, n’aura peut-être rien d’extrêmement doux et flatteur pour nous, qui
         aurons entendu le bruit d’une rivière tranquille, ou le murmure d’un ruisseau qui serpente
         dans un bocage. Mais la vue d’une immensité d’eau, dont les bornes paraissent être celles
         de l’univers, et qui rembrunie sous les ombres de la nuit, reprend insensiblement son azur,
         à la clarté graduelle du jour naissant : de longs traits de lumière qui paraissent jaillir
         du sein des eaux pour dorer l’horizon : un tourbillon de feux et d’éclairs étincelants, qui
         semblent embrasser cette surface liquide, pour annoncer le flambeau de la terre et des
         cieux : enfin ce grand astre, dont le globe resplendissant paraît s’élancer du milieu des
         ondes, réalisant, en quelque sorte, les fictions des anciens poètes ! quoi de plus
         majestueux, de plus imposant que ce spectacle ! ah ! qu’il est propre à élever l’âme
         jusqu’à l’être des êtres ! J’en ai joui plusieurs fois ; et je ne suis sorti de mon
         enchantement, que pour m’écrier : heureux les habitants de cette délicieuse contrée !
         heureux de pouvoir à leur gré contempler tous les jours ce que la nature a de plus
         admirable, et ce qui peut le plus faire sentir à l’homme sa noblesse et sa dignité » ! <pb
          n="260" xml:id="p260"/>Il y a quatre sortes de descriptions ; l’<hi rend="i"
          >hypotypose</hi>, l’<hi rend="i">éthopée</hi>, la <hi rend="i">posographie</hi>, et la <hi
          rend="i">topographie</hi>.</p>
       </div5>
       <div5 type="section">
        <head>Hypotypose.</head>
        <p>L’<hi rend="i">Hypotypose</hi> réunit, pour ainsi dire, tous les ornements, tout l’éclat,
         tout le coloris des figures. Elle raconte un fait particulier, un événement, une tempête,
         une bataille, un incendie, etc. ; mais avec tant de feu, avec des couleurs si vives et si
         animées, qu’on croit voir sous ses yeux l’objet même que décrit le Poète ou l’Orateur.
         C’est en cela que la poésie et l’éloquence touchent de si près à la peinture. Homère et
         Virgile excellent dans ce grand art de peindre : leurs poèmes offrent une suite de tableaux
         de la dernière force et de la plus grande vérité. On en trouve aussi d’admirables en tous
         les genres dans les écrivains de notre nation. Les brillants exemples qu’ils nous
         fournissent de cette figure si belle, sont en si grand nombre, qu’il serait bien difficile
         de faire un choix. En voici quelques-uns de ceux qui s’offrent à ma mémoire. Voyez d’abord
         avec quelles couleurs le P. <hi rend="i">Berruyer</hi>, dans son <hi rend="i">Histoire du
          peuple de Dieu</hi>, peint l’embrasement de ces anciennes villes, dont les habitants
         livrés à d’infâmes débauches, attirèrent sur eux un des plus terribles fléaux de la
         vengeance céleste.</p>
        <quote>
         <p>«  Au moment où le soleil commençait à se montrer, le ciel se couvrit de nuages de
          soufre et de bitume. La terre ouverte et tremblante, vomit des tourbillons de flammes. Une
          horrible pluie de feu tombant du ciel à grands flots, s’unit au feu allumé dans <pb
           n="261" xml:id="p261"/>les entrailles de la terre. Les villes de Sodome, de Gomorrhe,
          d’Adama et de Séboim, furent consumées, détruites, englouties dans l’abîme, sans qu’il en
          restât les moindres vestiges. Tous les habitants de cette terre proscrite, périrent dans
          le feu ; tous les animaux furent exterminés. Un lac épais et sulfureux<note n="a"
           place="bottom">Voyez le mot <hi rend="i">asphaltite</hi>, dans les notes, à la fin de ce
           Volume.</note>, vaste comme une mer, prit la place de ces fertiles campagnes. Un air
          mortel et empesté succéda à la douce température de cet agréable climat. Les arbres se
          desséchèrent ; et l’on vit disparaître pour toujours ces régions enchantées, plus
          heureuses de n’avoir plus de quoi corrompre leurs habitants, que d’avoir fourni à ces
          hommes abominables l’abondance et les délices. »</p>
        </quote>
        <p>L’exemple suivant est tiré de l’<hi rend="i">épître</hi> de <hi rend="i">Boileau</hi> sur
          <hi rend="i">le passage du Rhin</hi><note n="b" place="bottom">Voyez ce mot, <hi rend="i"
           >ibid.</hi></note>, par l’armée de Louis XIV. C’est un des plus beaux morceaux de poésie
         que nous ayons en notre langue.</p>
        <quote>
         <l>Ils marchent droit au fleuve, où Louis en personne,</l>
         <l>Déjà prêt à passer, instruit, dispose, ordonne.</l>
         <l>Par son ordre Grammont<note n="c" place="bottom">Voyez ce mot, <hi rend="i"
           >ibid.</hi></note> le premier dans les flots,</l>
         <l>S’avance, soutenu des regards du Héros.</l>
         <l>Son coursier écumant, sous un maître intrépide,</l>
         <l>Nage tout orgueilleux de la main qui le guide.</l>
         <pb n="262" xml:id="p262"/>
         <l>Revel<note n="a" place="bottom">Voyez ce mot, dans les notes, à la fin de ce
           Volume.</note> le suit de près : sous ce chef redouté,</l>
         <l>Marche des Cuirassiers l’escadron indompté.</l>
         <l>Mais déjà devant eux une chaleur guerrière</l>
         <l>Emporte loin du bord le bouillant Lesdiguière<note n="b" place="bottom">Voyez ce mot,
            <hi rend="i">ibid.</hi></note>,</l>
         <l>Vivonne<note n="c" place="bottom">Voyez ce mot, <hi rend="i">ibid.</hi></note>,
           Nantouillet<note n="d" place="bottom">Voyez ce mot, <hi rend="i">ibid.</hi></note>, et
           Coislin<note n="e" place="bottom">Voyez ce mot, <hi rend="i">ibid.</hi></note>, et
           Salart<note n="f" place="bottom">Voyez ce mot, <hi rend="i">ibid.</hi></note></l>
         <l>Chacun d’eux au péril veut la première part.</l>
         <l>Vendôme<note n="g" place="bottom">Voyez ce mot, <hi rend="i">ibid.</hi></note> que
          soutient l’orgueil de sa naissance, </l>
         <l>Au même instant dans l’onde impatient s’élance.</l>
         <l>La Salle<note n="h" place="bottom">Voyez ce mot, <hi rend="i">ibid.</hi></note>,
           Beringhen<note n="i" place="bottom">Voyez ce mot, <hi rend="i">ibid.</hi></note>,
           Nogent<note n="k" place="bottom">Voyez ce mot, <hi rend="i">ibid.</hi></note>,
           d’Ambre<note n="l" place="bottom">Voyez ce mot, <hi rend="i">ibid.</hi></note>,
           Cavais<note n="m" place="bottom">Voyez ce mot, <hi rend="i">ibid.</hi></note>,</l>
         <l>Fendent les flots tremblants sous un si noble poids.</l>
         <l>Louis les animant du feu de son courage,</l>
         <l>Se plaint de sa grandeur qui l’attache au rivage.</l>
         <l>Par ses soins cependant trente légers vaisseaux,</l>
         <l>D’un tranchant aviron coupent déjà les eaux.</l>
         <l>Cent guerriers s’y jetant signalent leur audace.</l>
         <l>Le Rhin<note n="1" place="bottom">C’est ici le dieu du Rhin, qui suivant la fiction d’un
           poète, a pris la figure d’un vieux guerrier, pour marcher à la tête des ennemis.</note>
          les voit d’un œil qui porte la menace :</l>
         <l>Il s’avance en courroux : le plomb vole à l’instant</l>
         <l>Et pleut de toutes parts sur l’escadron flottant.</l>
         <pb n="263" xml:id="p263"/>
         <l>Du salpêtre en fureur l’air s’échauffe et s’allume,</l>
         <l>Et des coups redoublés tout le rivage fume.</l>
         <l>Déjà du plomb mortel plus d’un brave est atteint.</l>
         <l>Sous les fougueux coursiers l’onde écume et se plaint.</l>
         <l>De tant de coups affreux la tempête orageuse</l>
         <l>Tient un temps sur les eaux la fortune douteuse.</l>
         <l>Mais Louis d’un regard sait bientôt la fixer :</l>
         <l>Le destin à ses yeux n’oserait balancer.</l>
         <l>Bientôt avec Grammont<note n="a" place="bottom">Voyez ce mot, dans les notes, à la fin
           de ce Volume.</note> courent Mars<note n="b" place="bottom">Voyez ce mot, <hi rend="i"
            >ibid.</hi></note> et Bellone<note n="c" place="bottom">Voyez ce mot, <hi rend="i"
            >ibid.</hi></note> :</l>
         <l>Le Rhin à leur aspect d’épouvante frissonne ;</l>
         <l>Quand pour nouvelle alarme à ses esprits glacés,</l>
         <l>Un bruit s’épand qu’Enguien<note n="d" place="bottom">Voyez ce mot, <hi rend="i"
            >ibid.</hi></note> et Condé sont passés</l>
         <l>Condé, dont le nom seul fait tomber les murailles</l>
         <l>Force les escadrons et gagne les batailles ;</l>
         <l>Enguien de son hymen le seul et digne fruit,</l>
         <l>Par lui dès son enfance à la victoire instruit.</l>
         <l>L’ennemi renversé fuit et gagne la plaine :</l>
         <l>Le Dieu lui-même cède au torrent qui l’entraîne,</l>
         <l>Et seul, désespéré, pleurant ses vains efforts,</l>
         <l>Abandonne à Louis la victoire et ses bords.</l>
        </quote>
        <p><hi rend="i">Fénelon</hi>, dans sa prose poétique, donne à tous les objets qu’il peint
         les couleurs les plus riches, les plus animées, et en même temps celles qui leur sont
         propres. Peut-on trouver, dans le genre brillant et gracieux, une description plus agréable
         que celle-ci ? C’est Télémaque qui parle.</p>
        <pb n="264" xml:id="p264"/>
        <quote>
         <p>« Nous aperçûmes des dauphins<note n="a" place="bottom">Voyez ce mot, dans les notes, à
           la fin de ce Volume.</note> couverts d’une écaille qui paraissait d’or et d’azur. En se
          jouant ils soulevaient les flots avec beaucoup d’écume. Après eux venaient des
           tritons<note n="b" place="bottom">Voyez ce mot, <hi rend="i">ibid.</hi></note> qui
          sonnaient de la trompette avec leurs conques recourbées. Ils environnaient le char
           d’Amphitrite<note n="c" place="bottom">Voyez ce mot, <hi rend="i">ibid.</hi></note>,
          traîné par des chevaux marins plus blancs que la neige, et qui fendant l’onde salée,
          laissaient loin derrière eux un vaste sillon dans la mer. Leurs yeux étaient enflammés, et
          leurs bouches étaient fumantes. Le char de la Déesse était une conque d’une merveilleuse
          figure : elle était d’une blancheur plus éclatante que l’ivoire, et les roues étaient
          d’or. Ce char semblait voler sur la surface des eaux paisibles. Une troupe de Nymphes<note
           n="d" place="bottom">Voyez ce mot, <hi rend="i">ibid.</hi></note> couronnées de fleurs,
          nageaient en foule derrière le char ; leurs beaux cheveux pendaient sur leurs épaules, et
          flottaient au gré du vent. La Déesse tenait d’une main un sceptre d’or, pour commander aux
          vagues ; de l’autre elle portait sur ses genoux le petit Dieu Palémon son fils pendant à
          sa mamelle. Elle avait un visage serein et une douce majesté, qui faisait fuir les vents
          séditieux et <pb n="265" xml:id="p265"/>toutes les noires tempêtes. Les tritons
          conduisaient les chevaux et tenaient les rênes dorées. Une grande voile de pourpre
          flottait dans l’air au-dessus du char : elle était à demi enflée par le souffle d’une
          multitude de petits zéphirs<note n="a" place="bottom">Voyez ce mot, dans les notes, à la
           fin de ce Volume.</note>, qui s’efforçaient de la pousser par leurs haleines. On voyait
          au milieu des airs Éole<note n="b" place="bottom">Voyez ce mot, <hi rend="i"
           >ibid.</hi></note> empressé, inquiet et ardent. Son visage ridé et chagrin sa voix
          menaçante, ses sourcils épais et pendants, ses yeux pleins d’un feu sombre et austère,
          tenaient en silence les fiers aquilons<note n="c" place="bottom">Voyez ce mot, <hi
            rend="i">ibid.</hi></note>, et repoussaient tous les nuages. Les immenses baleines et
          tous les monstres marins faisant avec leurs narines un flux et reflux de l’onde amère,
          sortaient à la hâte de leurs grottes profondes, pour voir la Déesse. »</p>
        </quote>
        <p>Voyez aussi dans l’idylle des <hi rend="i">Oiseaux</hi> par madame <hi rend="i"
          >Deshoulières</hi>, cette peinture si riante et si animée. Les objets y sont présentés
         dans une espèce de contraste, qui ne fait qu’augmenter le charme et le piquant de cette
         courte description.</p>
        <quote>
         <l>L’air n’est plus obscurci par des brouillards épais.</l>
         <l>Les prés font éclater les couleurs les plus vives ;</l>
         <l>                Et dans leurs humides palais,</l>
         <l>L’hiver ne retient plus les naïades<note n="d" place="bottom">Voyez ce mot, <hi rend="i"
            >ibid.</hi></note> captives.</l>
         <l>Les Bergers accordant leur musette à leurs voix,</l>
         <pb n="266" xml:id="p266"/>
         <l>    D’un pied léger foulent l’herbe naissante ;</l>
         <l>Les troupeaux ne sont plus sous leurs rustiques toits.</l>
         <l>            Mille et mille oiseaux à la fois</l>
         <l>            Ranimant leur voix languissante,</l>
         <l>Réveillent les échos endormis dans ces bois.</l>
         <l>Où brillaient les glaçons, on voit naître les roses.</l>
         <l>Quel Dieu chasse l’horreur qui régnait dans ces lieux ?</l>
         <l>Quel Dieu les embellit ? le plus petit des Dieux</l>
         <l>                Fait seul tant de métamorphoses.</l>
         <l>Il fournit au printemps tout ce qu’il a d’appas.</l>
        </quote>
        <p>Enfin je citerai pour modèle d’hypotypose ces vers pittoresques du poème des <hi rend="i"
          >Quatre Parties du Jour</hi>, par le C. de <hi rend="i">B***</hi>.</p>
        <quote>
         <l>Ce grand astre, dont la lumière</l>
         <l>Enflamme la voûte des cieux,</l>
         <l>Semble au milieu de sa carrière</l>
         <l>Suspendre son cours glorieux.</l>
         <l>Fier d’être le flambeau du monde,</l>
         <l>Il contemple du haut des airs</l>
         <l>L’olympe, la terre et les mers</l>
         <l>Remplis de sa clarté féconde,</l>
         <l>Et jusques au fond des enfers</l>
         <l>Il fait rentrer la nuit profonde,</l>
         <l>Qui lui disputait l’univers.</l>
         <l>Toute la nature en silence</l>
         <l>Attend que le Dieu de Délos<note n="a" place="bottom">Voyez ce mot, dans les notes, à la
           fin de ce Volume.</note>,</l>
         <l>De son char lumineux s’élance</l>
         <l>Dans l’humide séjour des flots.</l>
         <l>Tandis que des géants horribles,</l>
         <pb n="267" xml:id="p267"/>
         <l>Qu’un bras immortel enchaîna,</l>
         <l>Embrasent de leurs feux terribles</l>
         <l>Les monts de Vésuve<note n="a" place="bottom">Voyez ce mot, dans les notes, à la fin de
           ce Volume.</note> et d’Etna<note n="b" place="bottom">Voyez ce mot, <hi rend="i"
            >ibid.</hi></note> ;</l>
         <l>Lassés de leurs fardeaux énormes,</l>
         <l>Les Cyclopes à<note n="c" place="bottom">Voyez ce mot, <hi rend="i">ibid.</hi></note>
          demi nus,</l>
         <l>Reposent leurs têtes difformes</l>
         <l>Sur leurs travaux interrompus.</l>
        </quote>
        <p>Et ce charmant tableau du même Auteur, dans son poème des <hi rend="i">Quatre
          Saisons</hi> :</p>
        <quote>
         <l>Bacchus<note n="d" place="bottom">Voyez ce mot, <hi rend="i">ibid.</hi></note> de
          pampres couronné,</l>
         <l>Ouvre la scène des vendanges ;</l>
         <l>Il brille, il marche environné</l>
         <l>D’Amours<note n="e" place="bottom">Voyez ce mot, <hi rend="i">ibid.</hi></note> qui
          chantent ses louanges.</l>
         <l>On voit danser devant son char</l>
         <l>Les Satyres<note n="f" place="bottom">Voyez ce mot, <hi rend="i">ibid.</hi></note> et
          les Driades<note n="g" place="bottom">Voyez ce mot, <hi rend="i">ibid.</hi></note> :</l>
         <l>Un Faune<note n="h" place="bottom">Voyez ce mot, <hi rend="i">ibid.</hi></note> enivré
          de nectar,</l>
         <l>Remplit la coupe des Ménades<note n="i" place="bottom">Voyez ce mot, <hi rend="i"
            >ibid.</hi></note>.</l>
         <l>Les jeux<note n="k" place="bottom">Voyez ce mot, <hi rend="i">ibid.</hi></note> qui le
          suivent toujours</l>
         <l>Répandent des fleurs sur ses traces :</l>
         <l>Ses tigres conduits par les Grâces<note n="l" place="bottom">Voyez ce mot, <hi rend="i"
            >ibid.</hi></note>,</l>
         <l>Sont caressés par les Amours.</l>
         <l>Momus<note n="m" place="bottom">Voyez ce mot, <hi rend="i"
           >ibid.</hi></note>,Terpsichore<note n="n" place="bottom">Voyez ce mot, <hi rend="i"
            >ibid.</hi></note>,Thalie<note n="o" place="bottom">Voyez ce mot, <hi rend="i"
            >ibid.</hi></note>,</l>
         <l>Egypans<note n="p" place="bottom">Voyez ce mot, <hi rend="i">ibid.</hi></note>,
           Centaures<note n="q" place="bottom">Voyez ce mot, <hi rend="i">ibid.</hi></note>,
           Sylvains<note n="r" place="bottom">Voyez ce mot, <hi rend="i">ibid.</hi></note>,</l>
         <pb n="268" xml:id="p268"/>
         <l>Viennent annoncer aux humains</l>
         <l>L’heureux retour de la Folie.</l>
         <l>Le Soleil voit en se levant</l>
         <l>La marche du vainqueur du Gange ;</l>
         <l>Et porté sur l’aile du vent,</l>
         <l>L’Amour<note n="a" place="bottom">Voyez ce mot, dans les notes, à la fin de ce
           Volume.</note> annonce la vendange.</l>
         <l>Pan<note n="b" place="bottom">Voyez ce mot, <hi rend="i">ibid.</hi></note>, dans le
          creux de ce rocher,</l>
         <l>Foule les présents de l’Automne :</l>
         <l>À ses yeux la jeune Érigone<note n="c" place="bottom">Voyez ce mot, <hi rend="i"
            >ibid.</hi></note></l>
         <l>Folâtre, et n’ose s’approcher.</l>
         <l>Le nectar tombe par cascade ;</l>
         <l>L’onde et le vin sont confondus ;</l>
         <l>Et l’urne de chaque naïade</l>
         <l>Devient la tonne de Bacchus.</l>
         <l>Les flots de la liqueur sacrée</l>
         <l>Couvrent la campagne altérée ;</l>
         <l>Tout boit, tout s’enivre, tout rit,</l>
         <l>Et de la joie immodérée</l>
         <l>Jamais la source ne tarit.</l>
        </quote>
       </div5>
       <div5 type="section">
        <head>Éthopée</head>
        <p>L’<hi rend="i">Éthopée</hi> décrit les mœurs et le caractère. En voici un bien bel
         exemple que nous fournit <hi rend="i">La Bruyère</hi>.</p>
        <quote>
         <p>« La fausse grandeur est farouche et inaccessible : comme elle sent son faible, elle se
          cache, ou du moins ne se montre pas de front, et ne se fait voir qu’autant qu’il faut pour
          imposer, et ne paraître point ce qu’elle est, je veux dire, une vraie petitesse. La
          véritable <pb n="269" xml:id="p269"/>grandeur est libre, douce, familière, populaire. Elle
          se laisse toucher et manier : elle ne perd rien à être vue de près ; plus on la connaît,
          plus on l’admire. Elle se courbe par bonté vers ses inférieurs, et revient sans efforts
          dans son naturel. Elle s’abandonne quelquefois, se néglige, se relâche de ses avantages,
          toujours en pouvoir de les reprendre et de les faire valoir. Elle rit, joue et badine,
          mais avec dignité. On l’approche tout ensemble avec liberté et avec retenue. Son caractère
          est noble et facile, inspire le respect et la confiance, et fait que les princes nous
          paraissent grands et très grands, sans nous faire sentir que nous sommes petits. »</p>
        </quote>
        <p>Cette figure est familière au Poète, à l’Orateur, et surtout à l’Historien. Mais celui-ci
         obligé de présenter la vérité telle qu’elle est, développe le caractère de ses personnages,
         pour le faire connaître dans toute son étendue ; et sans trop s’attacher aux autres
         ornements de l’art, il n’emploie que des couleurs simples et naturelles. On peut prendre
         pour modèle en ce genre le portrait du cardinal de Richelieu<note n="a" place="bottom"
          >Voyez ce mot, dans les notes, à la fin de ce Volume.</note>, tracé par le P. <hi rend="i"
          >Bougeant</hi>, dans sa belle <hi rend="i">Histoire du traité de Westphalie</hi>. Le
         voici. Je ne craindrai point qu’on le trouve trop long.</p>
        <quote>
         <p>« Malgré les portraits odieux que des <pb n="270" xml:id="p270"/>Auteurs contemporains
          ont faits du cardinal de Richelieu, on admire aujourd’hui en lui toutes les qualités qui
          concourent à former un grand ministre, un génie vaste et supérieur qui ne concevait que de
          grands desseins, des vues profondes qu’on ne pénétrait qu’après l’événement, un grand
          discernement dans le choix des moyens, une fermeté inébranlable dans l’exécution, une
          habileté extrême à écarter ou à surmonter les obstacles. Tandis qu’il paraissait appliqué
          à une seule affaire, il donnait une égale attention à toutes les autres, agissant tout à
          la fois avec la même vivacité dans toutes les parties de l’Europe. Jamais on ne vit dans
          toutes les cours tant de négociations, tant de traités et de mouvements ; et c’était lui
          seul qui en était l’âme et le premier mobile. Il semblait occupé tout entier hors du
          royaume, et on le retrouvait tout entier au-dedans. Ceux qui avaient sous lui le plus de
          part aux affaires, n’étaient que les exécuteurs de ses ordres. Tout s’administrait par ses
          avis absolus, comme s’il se fût multiplié lui-même pour faire les fonctions de tous les
          emplois, et, ce qui peut faire connaître l’étendue de son génie, tandis qu’il paraissait
          devoir succomber sous le poids de tant d’affaires, on le voyait occupé à lier des
          intrigues de Cour, à placer ses créatures, à établir sa maison, à élever des bâtiments :
          on le voyait dans les Académies s’entretenir avec les savants, <pb n="271" xml:id="p271"
          />et se prêter à des spectacles et à des divertissements publics, comme s’il avait été
          libre de toute autre occupation…… Le cardinal de Richelieu n’eut qu’une passion ; mais
          elle fut extrême : ce fut une ambition démesurée, qui ne put être satisfaite que par toute
          l’autorité souveraine, et qui n’eut d’autres bornes que le nom et le titre de roi.
          L’attachement à la personne de Louis XIII, n’était pas la voie la plus sûre pour faire
          fortune ; on réussissait beaucoup mieux en se dévouant à toutes les volontés du Cardinal.
          On l’accuse d’avoir sacrifié à cette ambition le repos de l’État, en perpétuant la guerre
          pour perpétuer son autorité ; la vie de ses ennemis, dont aucun n’échappa, dit-on, à sa
          vengeance, et les devoirs les plus justes de la reconnaissance, en persécutant une
           reine<note n="a" place="bottom">Voyez le mot <hi rend="i">Médicis</hi>, dans les notes, à
           la fin de ce Volume.</note> exilée, autrefois sa bienfaitrice. Mais il faut avouer pour
          sa justification, que l’intérêt de l’État se trouva presque toujours heureusement enchaîné
          à celui de sa fortune et de ses passions. Car la guerre qu’il entretint si longtemps par
          ambition, fut la première source de cette grandeur, où la monarchie française est parvenue
          sous le dernier règne. L’intérêt du bien public justifia son ingratitude, quelquefois même
          sa vengeance ; <pb n="272" xml:id="p272"/>et si dans ces occasions, la passion fut le seul
          motif de sa conduite, on peut dire qu’il servit souvent l’État par ses vices mêmes comme
          par ses vertus. Ajoutons encore quelques traits pour achever son portrait. Son ambition
          s’attacha aux plus petits objets, comme aux plus grands. Magnifique dans sa dépense et ses
          largesses, il vécut dans une splendeur qui effaça la magnificence royale. Il prodigua les
          récompenses à de lâches courtisans et à de vils adulateurs ; et dans une si grande
          supériorité de vrai mérite, il fut susceptible de petites jalousies et de vanité pour les
          talents les plus médiocres. On le vit faire montre de son adresse à manier un cheval, se
          faire le rival des poètes et des écrivains de son temps, disputer avec eux du bel esprit,
          décrier leurs ouvrages, et se faire honneur de ceux d’autrui. »</p>
        </quote>
        <p>L’orateur et le poète emploient dans l’éthopée des couleurs plus brillantes, des tours
         plus nombreux que ceux de l’historien. Ils peignent avec plus de feu et de précision : ils
         peignent même souvent d’un seul trait. Voyez avec quelle force <hi rend="i">Bossuet</hi>,
         dans son <hi rend="i">Oraison funèbre de</hi> Henriette-Marie de France, <hi rend="i">reine
          d’Angleterre</hi>, trace le caractère du fameux Cromwell<note n="a" place="bottom">Voyez
          ce mot, dans les notes, à la fin de ce Volume.</note>.</p>
        <quote>
         <p>« Un homme s’est rencontré d’une <pb n="273" xml:id="p273"/>profondeur d’esprit
          incroyable ; hypocrite raffiné autant qu’habile politique ; capable de tout entreprendre
          et de tout cacher ; également actif et infatigable dans la paix et dans la guerre ; qui ne
          laissait rien à la fortune de ce qu’il pouvait lui ôter par conseil et par prévoyance ;
          mais au reste si vigilant et si prêt à tout, qu’il n’a jamais manqué les occasions qu’elle
          lui a présentées ; enfin un de ces esprits remuants et audacieux, qui semblent être nés
          pour changer le monde. »</p>
        </quote>
        <p>Les Poètes font très souvent usage de cette figure, en donnant eux-mêmes un caractère à
         leurs personnages, ou en embellissant celui que l’histoire leur donne. Parmi tous les
         portraits de cette espèce, je n’en connais pas de mieux frappé que celui de Rhadamisthe,
         dans la Tragédie de ce nom, par <hi rend="i">Crébillon</hi>. C’est Rhadamisthe lui-même qui
         parle :</p>
        <quote>
         <l>Et que sais-je, Hiéron ? furieux, incertain,</l>
         <l>Criminel sans penchant, vertueux sans dessein,</l>
         <l>Jouet infortuné de ma douleur extrême,</l>
         <l>Dans l’état où je suis, me connais-je moi-même ?</l>
         <l>Mon cœur de soins divers sans-cesse combattu,</l>
         <l>Ennemi du forfait, sans aimer la vertu,</l>
         <l>D’un amour malheureux déplorable victime,</l>
         <l>S’abandonne au remords, sans renoncer au crime.</l>
         <l>Je cède au repentir, mais sans en profiter ;</l>
         <l>Et je ne me connais que pour me détester.</l>
         <l>Dans ce cruel séjour sais-je ce qui m’entraîne ?</l>
         <l>Si c’est le désespoir, ou l’amour ou la haine ?</l>
         <pb n="274" xml:id="p274"/>
         <l>J’ai perdu Zénobie : après ce coup affreux, </l>
         <l>Peux-tu me demander encor ce que je veux ?</l>
         <l>Désespéré, proscrit, abhorrant la lumière,</l>
         <l>Je voudrais me venger de la nature entière.</l>
         <l>Je ne sais quel poison se répand dans mon cœur ;</l>
         <l>Mais jusqu’à mes remords, tout y devient fureur.</l>
        </quote>
       </div5>
       <div5 type="section">
        <head>Posographie.</head>
        <p>La <hi rend="i">Posographie</hi>, peint l’extérieur des objets. On en trouve un bien beau
         modèle dans ce portrait du prélat du <hi rend="i">Lutrin</hi> par <hi rend="i"
         >Boileau</hi> :</p>
        <quote>
         <l>La jeunesse en sa fleur brille sur son visage :</l>
         <l>Son menton sur son sein descend à triple étage,</l>
         <l>Et son corps ramassé dans sa courte grosseur,</l>
         <l>Fait gémir les coussins sous sa molle épaisseur.</l>
        </quote>
        <p>Et dans ces vers du C. de B**.</p>
        <quote>
         <l>Tout brûle des feux de l’été.</l>
         <l>Le froid serpent caché sous l’herbe,</l>
         <l>S’éveille, et dresse avec fierté</l>
         <l>La crête de son front superbe :</l>
         <l>Son corps, en replis ondoyants,</l>
         <l>Roule, circule, s’entrelace :</l>
         <l>Ses yeux pleins d’ardeur et d’audace</l>
         <l>S’arment de regards foudroyants :</l>
         <l>Bientôt levant sa tête altière,</l>
         <l>Vers l’astre qui l’a ranimé,</l>
         <l>Il s’élance de la poussière,</l>
         <l>Et fait briller à la lumière</l>
         <l>Son aiguillon envenimé.</l>
        </quote>
        <p>Un autre Poète, dont le nom m’est échappé, offre aussi un bel exemple de posographie dans
         ces vers où il peint l’attitude <pb n="275" xml:id="p275"/>d’une personne qui va écouter à
         une porte :</p>
        <quote>
         <l>Cependant il hésite, il approche en tremblant,</l>
         <l>Posant sur l’escalier une jambe en avant,</l>
         <l>Étendant une main, portant l’autre en arrière,</l>
         <l>Le cou tendu, l’œil fixe, et le cœur palpitant,</l>
         <l>D’une oreille attentive avec peine écoutant.</l>
        </quote>
        <p>L’éthopée et la posographie se trouvent souvent jointes ensemble, et n’en sont l’une et
         l’autre que les plus piquantes et plus agréables ; ce portrait d’un jeune fat dans <hi
          rend="i">La Bruyère</hi>, en est un très bel exemple.</p>
        <quote>
         <p>« J’entends Théodecte de l’antichambre. Il grossit sa voix à mesure qu’il s’approche ;
          le voilà entré : il rit, il crie, il éclate : on bouche ses oreilles ; c’est un tonnerre :
          il n’est pas moins redoutable par les choses qu’il dit, que par le ton dont il parle : il
          ne s’apaise, et il ne revient de ce grand fracas, que pour bredouiller des vanités et des
          sottises. Il a si peu d’égard au temps, aux personnes, aux bienséances, que chacun a son
          fait, sans qu’il ait eu intention de le lui donner : il n’est pas encore assis, qu’il a, à
          son insu, désobligé toute l’assemblée. A-t-on servi ; il se met le premier à table, et
          dans la première place : il n’a nul discernement des personnes, ni du maître, ni des
          conviés : il abuse de la folle déférence qu’on a pour lui…. Si l’on joue, il gagne au
          jeu : il veut railler celui qui perd, et il l’offense. Les rieurs sont pour lui : il n’y a
          sorte de fatuité qu’on ne lui passe. »</p>
        </quote>
       </div5>
       <div5 type="section">
        <pb n="276" xml:id="p276"/>
        <head>Topographie.</head>
        <p>La <hi rend="i">Topographie</hi> décrit les lieux. Telle est, dans <hi rend="i"
          >Télémaque</hi>, la description de celui où était située la grotte de Calypso.</p>
        <quote>
         <p>« Les doux zéphirs<note n="a" place="bottom">Voyez ce mot, dans les notes, à la fin de
           ce Volume.</note> conservaient en ce lieu, malgré les ardeurs du soleil, une délicieuse
          fraîcheur. Des fontaines coulant avec un doux murmure sur des prés semés d’amaranthes et
          de violettes, formaient en divers lieux des bains aussi purs et aussi clairs que le
          cristal. Mille fleurs naissantes émaillaient les tapis verts dont la grotte était
          environnée. Là, on trouvait un bois de ces arbres touffus qui portent des pommes d’or, et
          dont la fleur, qui se renouvelle dans toutes les saisons, répand le plus doux de tous les
          parfums. Ce bois semblait couronner ces belles prairies, et formait une nuit que les
          rayons du soleil ne pouvaient percer. Là, on n’entendait jamais que le chant des oiseaux
          ou le bruit d’un ruisseau qui se précipitant du haut d’un rocher, tombait à gros bouillons
          pleins d’écume, et s’enfuyait au travers de la prairie. La grotte de la Déesse était sur
          le penchant d’une colline : de-là on découvrait la mer quelquefois claire et unie comme
          une glace, quelquefois follement irritée contre les rochers où elle se brisait en
          mugissant, et élevant ses vagues comme des montagnes. D’un autre côté on <pb n="277"
           xml:id="p277"/>voyait une rivière, où se formaient des îles bordées de tilleuls fleuris
          et de hauts peupliers, qui portaient leurs têtes superbes jusques dans les nues. Les
          divers canaux qui formaient ces îles, semblaient se jouer dans la campagne : les uns
          roulaient leurs eaux claires avec rapidité ; d’autres avaient une eau paisible et
          dormante ; d’autres, par de longs détours, revenaient sur leurs pas, comme pour remonter
          vers leur source, et semblaient ne pouvoir quitter ces bords enchantés. On apercevait de
          loin des collines et des montagnes qui se perdaient dans les nues, et dont la figure
          bizarre formait un horizon à souhait pour le plaisir des yeux. Les montagnes voisines
          étaient couvertes de pampre vert qui pendait en feston : le raisin plus éclatant que la
          pourpre, ne pouvait se cacher sous les feuilles, et la vigne était accablée sous son
          fruit. Le figuier, l’olivier, le grenadier, et tous les autres arbres couvraient la
          campagne, et en faisaient un grand jardin. »</p>
        </quote>
        <p>La <hi rend="i">Chartreuse</hi> de <hi rend="i">Gresset</hi>, est presque en entier un
         modèle de topographie. En voici quelques vers :</p>
        <quote>
         <l>Si ma chambre est ronde ou carrée,</l>
         <l>C’est ce que je ne dirai pas.</l>
         <l>Tout ce que j’en sais sans compas,</l>
         <l>C’est que depuis l’oblique entrée,</l>
         <l>Dans cette cage resserrée,</l>
         <pb n="278" xml:id="p278"/>
         <l>On peut former jusqu’à six pas.</l>
         <l>Une lucarne mal vitrée,</l>
         <l>Près d’une gouttière livrée</l>
         <l>À d’interminables sabats,</l>
         <l>Où l’université des chats,</l>
         <l>À minuit, en robe fourrée,</l>
         <l>Vient tenir ses bruyants états ;</l>
         <l>Une table mi-démembrée,</l>
         <l>Près du plus humble des grabats,</l>
         <l>Six brins de paille délabrée</l>
         <l>Tressés sur de vieux échalas ;</l>
         <l>Voilà les meubles délicats,</l>
         <l>Dont ma <hi rend="i">Chartreuse</hi> est décorée.</l>
        </quote>
        <p>Telles sont les principales figures qui rendent le style brillant, fleuri et quelquefois
         élevé, en embellissant et ennoblissant les objets que présente l’écrivain. Ce que j’ai à
         dire du style sublime, et des figures qui lui sont propres, je le renvoie à la section
         suivante, pour mettre de l’ordre et de l’exactitude dans les matières.</p>
       </div5>
      </div4>
     </div3>
    </div2>
    <div2 type="section">
     <head type="sur">Section III. </head>
     <head type="main"><hi rend="i">De l’Art d’écrire pathétiquement</hi>.</head>
     <p><hi rend="sc">On</hi> écrit <hi rend="i">pathétiquement</hi>, lorsque par la noblesse des
      pensées, l’élévation des sentiments, la vivacité des images, l’énergie et la chaleur du Style,
      on touche et l’on persuade. On ne peut toucher qu’en employant le <hi rend="i"
      >pathétique</hi> : on ne peut persuader <pb n="279" xml:id="p279"/>que par le secours de l’<hi
       rend="i">éloquence</hi>. Il est donc essentiel de savoir en quoi l’un et l’autre
      consistent.</p>
     <div3 type="chapter">
      <head type="sur">Chapitre I. </head>
      <head type="main"><hi rend="i">Du Pathétique</hi>.</head>
      <p><hi rend="sc">Le</hi> <hi rend="i">pathétique</hi>, est, dans la manière d’exprimer ses
       idées et ses sentiments, une certaine force, une véhémence extraordinaire, qui excite les
       passions, c’est-à-dire, qui touche, remue, agite l’âme avec violence. Il comprend le <hi
        rend="i">style sublime</hi>, et ce qu’on appelle proprement le <hi rend="i">sublime</hi>.
       L’un et l’autre ne doivent pas être confondus : on verra en quoi ils différent.</p>
      <div4 type="article">
       <head type="sur"><hi rend="sc">Article I</hi>. </head>
       <head type="main"><hi rend="i">Du Style sublime et des Figures qui lui sont
        propres</hi>.</head>
       <p><hi rend="sc">Le</hi> Style <hi rend="i">sublime</hi> déploie toutes les richesses de
        l’imagination, pour présenter dans tout leur éclat et dans toute leur grandeur, des pensées
        nobles, des sentiments élevés. Abondant, nombreux, plein d’énergie et de dignité, il étonne,
        il ravit, il transporte par la magnificence et la pompe des expressions, la vivacité des
        tours, la hardiesse des figures, la beauté frappante des comparaisons, la force et la
        rapidité des mouvements. Tout ce que <pb n="280" xml:id="p280"/>je pourrais en dire, en
        donnerait une bien moins juste idée que les exemples. Voici sur quel ton <hi rend="i"
         >Bourdaloue</hi> commence la seconde partie de son <hi rend="i">Oraison funèbre du</hi>
        grand <hi rend="i">Condé</hi><note n="a" place="bottom">Voyez ce mot, dans les notes, à la
         fin de ce Volume.</note> :</p>
       <quote>
        <p>« Il n’y a point d’astre qui ne souffre quelque éclipse ; et le plus brillant de tous,
         qui est le soleil, est celui qui en souffre de plus grandes et de plus sensibles. Mais deux
         choses en ceci sont bien remarquables : l’une, que le soleil, quoiqu’éclipsé, ne perd rien
         du fond de ses lumières, et que malgré sa défaillance, il ne laisse pas de conserver la
         rectitude de son mouvement : l’autre, qu’au moment qu’il s’éclipse, c’est alors que tout
         l’univers est plus attentif à l’observer et à le contempler, et qu’on en étudie plus
         curieusement les variations et le système : symbole admirable des états où Dieu a permis
         que se soit trouvé notre Prince, et où je me suis engagé à vous le représenter. C’est un
         astre qui a eu ses éclipses : en vain entreprendrais-je de vous les cacher, puisqu’elles
         ont été aussi éclatantes que sa lumière même ; et peut-être serais-je prévaricateur, si je
         n’en profitais pas, pour en faire aujourd’hui le sujet de votre instruction. »</p>
       </quote>
       <p>L’exemple suivant est tiré de <hi rend="i">l’Oraison funèbre de</hi> Marie-Thérèse
         d’Autriche<note n="b" place="bottom">Voyez le mot <hi rend="i">Autriche</hi>, <hi rend="i"
          >ibid.</hi></note>, <pb n="281" xml:id="p281"/><hi rend="i">reine de France</hi>, par <hi
         rend="i">Bossuet</hi>. Les vraies beautés du style sublime, s’y montrent dans tout leur
        éclat.</p>
       <quote>
        <p>« Tu céderas ou tu tomberas sous ce vainqueur, Alger<note n="a" place="bottom">Voyez ce
          mot, dans les notes, à la fin de ce Volume.</note>, riche des dépouilles de la chrétienté.
         Tu disais en ton cœur avare : je tiens la mer sous mes lois, et les nations sont ma proie.
         La légèreté de tes vaisseaux te donnait de la confiance : mais tu te verras attaquée dans
         tes murailles, comme un oiseau ravissant qu’on irait chercher parmi ses rochers et dans son
         nid, où il partage son butin à ses petits. Tu rends déjà tes esclaves. Louis a brisé les
         fers dont tu accablais ses sujets, qui sont nés pour être libres sous son glorieux empire.
         Tes maisons ne sont plus qu’un amas de pierres. Dans ta brutale fureur tu te tournes contre
         toi-même, et tu ne sais comment assouvir ta rage impuissante. Mais nous verrons la fin de
         tes brigandages. Les pilotes étonnés s’écrient par avance : <hi rend="i">Qui est semblable
          à Tyr</hi><note n="b" place="bottom">Voyez ce mot, <hi rend="i">ibid.</hi></note> ? <hi
          rend="i">Et toutefois elle s’est tue au milieu de la mer</hi> ; et la navigation va être
         assurée par les armes de Louis.. »</p>
       </quote>
       <p>Jean-Baptiste <hi rend="i">Rousseau</hi> fournit une foule d’exemples de style sublime. En
        voici un pris au hasard dans son <hi rend="i">Ode sur l’aveuglement des hommes</hi>.</p>
       <pb n="282" xml:id="p282"/>
       <quote><l>L’homme en sa propre force a mis sa confiance :</l>
        <l>Ivre de ses grandeurs et de son opulence,</l>
        <l>L’éclat de sa fortune enfle sa vanité.</l>
        <l>Mais, ô moment terrible ! ô jour épouvantable !</l>
        <l>Où la mort saisira ce fortuné coupable,</l>
        <l>Tout chargé des liens de son iniquité.</l>
        <l>Que deviendront alors, répondez, grands du monde,</l>
        <l>Que deviendront ces biens où votre espoir se fonde,</l>
        <l>Et dont vous étalez l’orgueilleuse moisson ?</l>
        <l>Sujets, amis, parents, tout deviendra stérile ;</l>
        <l>Et dans ce jour fatal l’homme à l’homme inutile</l>
        <l>Ne paîra point à Dieu le prix de sa rançon….</l>
        <l>D’avides étrangers, transportés d’allégresse,</l>
        <l>Engloutissent déjà toute cette richesse,</l>
        <l>Ces terres, ces palais, de vos noms ennoblis.</l>
        <l>Et que vous reste-t-il en ces moments suprêmes ?</l>
        <l>Un sépulcre funèbre, où vos noms, où vous-mêmes</l>
        <l>Dans l’éternelle nuit serez ensevelis.</l>
       </quote>
       <p>Les figures touchantes ou propres aux passions, celles qui conviennent plus
        particulièrement au style sublime, sont la <hi rend="i">prosopopée</hi>, l’<hi rend="i"
         >apostrophe</hi>, l’<hi rend="i">exclamation</hi>, l’<hi rend="i">épiphonème</hi>, la <hi
         rend="i">dubitation</hi>, l’<hi rend="i">interrogation</hi>, l’<hi rend="i"
         >imprécation</hi>, la <hi rend="i">déprécation</hi>, la <hi rend="i">réticence</hi> et la
         <hi rend="i">suspension</hi>.</p>
       <div5 type="section">
        <head>Prosopopée.</head>
        <p>La <hi rend="i">Prosopopée</hi>, une des plus vives, des plus magnifiques et des plus
         brillantes figures de l’éloquence et de la poésie, fait parler tous les êtres, soit animés,
         soit insensibles, soit réels, soit imaginaires ; les morts mêmes. Tel est cet endroit du
         Poème de la <hi rend="i">Religion</hi> par <hi rend="i">Racine</hi> le fils :</p>
        <quote>
         <pb n="283" xml:id="p283"/>
         <l>La voix de l’univers à ce Dieu me rappelle.</l>
         <l>La terre le publie : est-ce moi, me dit-elle,</l>
         <l>Est-ce moi qui produis mes riches ornements ?</l>
         <l>C’est celui dont la main posa mes fondements.</l>
         <l>Si je sers tes besoins, c’est lui qui me l’ordonne.</l>
         <l>Les présents qu’il me fait, c’est à toi qu’il les donne.</l>
         <l>Je me pare des fleurs qui tombent de sa main ;</l>
         <l>Il ne fait que l’ouvrir, et m’en remplit le sein,</l>
         <l>Pour consoler l’espoir du laboureur avide,</l>
         <l>C’est lui qui dans l’Égypte<note n="a" place="bottom">Voyez ce mot, dans les notes, à la
           fin de ce Volume.</note> où je suis, trop aride,</l>
         <l>Veut qu’au moment prescrit, le Nil<note n="b" place="bottom">Voyez ce mot, <hi rend="i"
            >ibid.</hi></note> loin de ses bords,</l>
         <l>Répandu sur ma plaine, y porte mes trésors.</l>
        </quote>
        <p>Jean-Jacques <hi rend="i">Rousseau</hi> s’est servi bien avantageusement de cette figure
         dans son <hi rend="i">Discours</hi> sur les <hi rend="i">Lettres</hi>. Voici ce beau
         morceau.</p>
        <quote>
         <p>« Ô Fabricius<note n="c" place="bottom">Voyez ce mot, <hi rend="i">ibid.</hi></note>,
          qu’eût pensé votre grande âme, si, pour votre malheur vous eussiez, vu la face pompeuse de
          Rome sauvée par votre bras, et que votre nom respectable avait plus illustrée que toutes
          ses conquêtes ? Dieux ! eussiez-vous dit, que sont devenus ces toits de chaume et ces
          foyers rustiques qu’habitaient jadis la modération et la vertu ? Quelle splendeur funeste
          a succédé à la simplicité Romaine ? Quel est ce langage étranger ? Quelles sont ces mœurs
          efféminées ? Que signifient ces statues, ces tableaux, <pb n="284" xml:id="p284"/>ces
          édifices ? Insensés, qu’avez-vous fait ? Vous, les maîtres des nations, vous vous êtes
          rendus les esclaves des hommes frivoles que vous avez vaincus ! Ce sont des Rhéteurs qui
          vous gouvernent ! C’est pour enrichir des architectes, des peintres, des statuaires, et
          des histrions, que vous avez arrosé de votre sang la Grèce et l’Asie ! Les dépouilles de
           Carthage<note n="a" place="bottom">Voyez ce mot, dans les notes, à la fin de ce
           Volume.</note> sont la proie d’un joueur de flûte ! Romains, hâtez-vous de renverser ces
          amphithéâtres ; brisez ces marbres ; brûlez ces tableaux ; chassez ces esclaves qui vous
          subjuguent, et dont les funestes arts vous corrompent. Que d’autres mains s’illustrent par
          de vains talents : le seul talent digne de Rome, est celui de conquérir le monde, et d’y
          faire régner la vertu. »</p>
        </quote>
       </div5>
       <div5 type="section">
        <head>Apostrophe.</head>
        <p>L’<hi rend="i">Apostrophe</hi> adresse directement la parole à quelque objet animé ou
         inanimé : À Dieu, comme on le voit dans cet endroit de l’<hi rend="i">Oraison funèbre de
          Turenne</hi><note n="b" place="bottom">Voyez ce mot, <hi rend="i">ibid.</hi></note>, par
          <hi rend="i">Fléchier</hi>.</p>
        <quote>
         <p>« Ô Dieu terrible, mais juste en vos conseils sur les enfants des hommes, vous disposez
          et des vainqueurs et des victoires. Pour accomplir vos volontés et faire craindre vos
          jugements, votre puissance renverse ceux que votre puissance avait élevés. Vous immolez à
          votre souveraine grandeur de <pb n="285" xml:id="p285"/>grandes victimes, et vous frappez,
          quand il vous plaît, ces têtes illustres que vous avez tant de fois couronnées. »</p>
        </quote>
        <p>À l’homme en général : c’est ce qu’on voit dans ces vers de M<hi rend="sup">me</hi> <hi
          rend="i">Deshoulières</hi> :</p>
        <quote>
         <l>De ce sublime esprit dont ton orgueil se pique,</l>
         <l>            Homme, quel usage fais-tu ?</l>
         <l>Des plantes, des métaux tu connais la vertu,</l>
         <l>Des différents pays les mœurs, la politique,</l>
         <l>La cause des frimas, de la fortune, du vent,</l>
         <l>            Des astres le pouvoir suprême ;</l>
         <l>            Et sur tant de choses savant,</l>
         <l>            Tu ne te connais pas toi-même.</l>
        </quote>
        <p>À des personnes mortes : tel est l’exemple que nous en offrent les derniers de ces beaux
         vers que <hi rend="i">Racine</hi> met dans la bouche de Phèdre en proie à tous les remords
         de son amour criminel pour Hippolyte.</p>
        <quote>
         <l>Où me cacher ? fuyons dans la nuit infernale.</l>
         <l>Mais que dis-je ! mon père y tient l’urne fatale.</l>
         <l>Le sort, dit-on, l’a mise en ses sévères mains.</l>
         <l>Minos<note n="a" place="bottom">Voyez ce mot, dans les notes, à la fin de ce
           Volume.</note>, juge aux enfers tous les pâles humains.</l>
         <l>Ah ! combien frémira son ombre épouvantée,</l>
         <l>Lorsqu’il verra sa fille à ses yeux présentée,</l>
         <l>Contrainte d’avouer tant de forfaits divers,</l>
         <l>Et des crimes peut-être inconnus aux enfers ?</l>
         <l>Que diras-tu, mon père, à ce spectacle horrible ?</l>
         <pb n="286" xml:id="p286"/>
         <l>Je crois voir de ta main tomber l’urne terrible ;</l>
         <l>Je crois te voir cherchant un supplice nouveau,</l>
         <l>Toi-même de ton sang devenir le bourreau.</l>
         <l>Pardonne. Un Dieu cruel a perdu ta famille,</l>
         <l>Reconnais sa vengeance aux fureurs de ta fille.</l>
        </quote>
        <p>À des villes, à des provinces : tel est cet endroit de l’<hi rend="i">Oraison funèbre de
          Turenne</hi><note n="a" place="bottom">Voyez ce mot, dans les notes, à la fin de ce
          Volume.</note> par <hi rend="i">Fléchier</hi>.</p>
        <quote>
         <p>« Villes, que nos ennemis s’étaient déjà partagées, vous êtes encore dans l’enceinte de
          notre empire. Provinces, qu’ils avaient déjà ravagées dans le désir et dans la pensée,
          vous avez encore recueilli vos moissons. Vous durez encore, places que l’art et la nature
          ont fortifiées, et qu’ils avaient dessein de démolir ; et vous n’avez tremblé que sous des
          projets frivoles d’un vainqueur en idée, qui comptait le nombre de nos soldats, et qui ne
          songeait pas à la sagesse de leur capitaine. »</p>
        </quote>
        <p>À des êtres métaphysiques qu’on personnifie : c’est ce qu’a fait Jean-Jacques <hi
          rend="i">Rousseau</hi>, dans cet endroit de son <hi rend="i">Discours sur les
         Lettres</hi>.</p>
        <quote>
         <p>« Ô vertu, science sublime des âmes simples, faut-il donc tant de peines et d’appareil
          pour te connaître ? Tes principes ne sont-ils pas gravés dans tous les cœurs ; et ne
          suffit-il pas, pour apprendre tes lois, de rentrer en soi-même, et d’écouter la voix <pb
           n="287" xml:id="p287"/>de sa conscience dans le silence des passions ? »</p>
        </quote>
        <p>Enfin à des êtres insensibles : tels sont ces beaux vers de <hi rend="i">Racine</hi> le
         fils, dans son Poème sur <hi rend="i">la Religion</hi>.</p>
        <quote>
         <l>Quel bras peut vous suspendre, innombrables étoiles ?</l>
         <l>Nuit brillante, dis-nous qui t’a donné tes voiles ?</l>
         <l>O cieux ! que de grandeur et que de majesté !</l>
         <l>J’y reconnais un maître à qui rien n’a coûté, </l>
         <l>Et qui dans vos déserts a semé la lumière,</l>
         <l>Ainsi que dans nos champs il sème la poussière.</l>
         <l>Toi, qu’annonce l’aurore, admirable flambeau,</l>
         <l>Astre toujours le même, astre toujours nouveau,</l>
         <l>Par quel ordre, ô soleil, viens-tu, du sein de l’onde,</l>
         <l>Nous rendre les rayons de ta clarté féconde ?</l>
         <l>Tous les jours je t’attends ; tu reviens tous les jours.</l>
         <l>Est-ce moi qui t’appelle, et qui règle ton cours ?</l>
         <l>Et toi, dont le courroux veut engloutir la terre,</l>
         <l>Mer terrible, en ton lit quelle main te resserre ?</l>
         <l>Pour forcer ta prison, tu fais de vains efforts :</l>
         <l>La rage de tes flots expire sur tes bords.</l>
        </quote>
        <p>On voit encore un exemple de cette espèce d’apostrophe, dans ces vers du Poème <hi
          rend="i">des Quatre Saisons</hi>, du C. de B**.</p>
        <quote>
         <l>Arbres dépouillés si longtemps,</l>
         <l>Couronnez vos têtes naissantes,</l>
         <l>Et de vos fleurs éblouissantes,</l>
         <l>Parez le trône du printemps<note n="a" place="bottom">Voyez ce mot, dans les notes, à la
           fin de ce Volume.</note></l>
         <pb n="288" xml:id="p288"/>
         <l>Élevez vos pampres superbes</l>
         <l>Sur le faîte de ces ormeaux,</l>
         <l>Vignes, étendez vos rameaux.</l>
         <l>Jasmins, sortez du sein des herbes ;</l>
         <l>Montez, ombragez ces berceaux ;</l>
         <l>Et vous, aimables arbrisseaux,</l>
         <l>Lilas, croissez, tombez en gerbes,</l>
         <l>Ornez ces portiques nouveaux.</l>
        </quote>
        <p>Et dans ceux-ci du même Poème :</p>
        <quote>
         <l>Orange douce et parfumée,</l>
         <l>Limons, Poncires fastueux,</l>
         <l>Et vous, Cedrats voluptueux,</l>
         <l>Couronnez l’automne<note n="a" place="bottom">Voyez ce mot, dans les notes, à la fin de
           ce Volume.</note> charmée,</l>
         <l>Raisins brillants dont la fraîcheur</l>
         <l>Étanche la soif qui nous presse ;</l>
         <l>Pommes, dont l’aimable rougeur</l>
         <l>Ressemble au teint de la jeunesse,</l>
         <l>Tombez et renaissez sans cesse</l>
         <l>Sur le chemin du voyageur.</l>
        </quote>
        <p>On a pu juger par tous ces exemples, que l’apostrophe est une des figures les plus
         propres à exciter les passions, à remuer, à maîtriser les âmes. Mais il faut qu’elle soit
         amenée avec art, et que l’esprit de l’auditeur y ait ôté insensiblement disposé. Quand il a
         été attiré par degrés, ému, saisi, c’est alors qu’il doit être frappé, enlevé avec
         violence.</p>
       </div5>
       <div5 type="section">
        <head>Exclamation.</head>
        <p>L’<hi rend="i">Exclamation</hi> est assez semblable à <pb n="289" xml:id="p289"
         />l’apostrophe : elle éclate par des interjections, pour exprimer un vif sentiment de
         l’âme. <hi rend="i">Virgile</hi>en fournit un exemple dans cet endroit de l’<hi rend="i"
          >Énéide</hi>.</p>
        <quote>
         <p>« Ô Ilion !<note n="a" place="bottom">Voyez ce mot, dans les notes, à la fin de ce
           Volume.</note> ô ma chère patrie ! ô murs célèbres par tant d’exploits ! le cheval fut
          quatre fois arrêté à l’entrée de la ville. Nous l’entendîmes quatre fois retenir du bruit
          des armes qu’il renfermerait. Rien ne put dessiller nos yeux ; et nous plaçâmes le monstre
          fatal à l’entrée du Temple de Minerve<note n="b" place="bottom">Voyez ce mot, <hi rend="i"
            >ibid.</hi></note>. »</p>
        </quote>
        <p>Voici encore une bien belle exclamation que fait <hi rend="i">Bossuet</hi> dans son <hi
          rend="i">Oraison funèbre de</hi> Henriette-Anne d’Angleterre<note n="c" place="bottom"
          >Voyez le mot Angleterre, <hi rend="i">ibid.</hi></note><hi rend="i">duchesse
          d’Orléans</hi>.</p>
        <quote>
         <p>« Ô nuit désastreuse ! ô nuit effroyable, où retentit tout à coup comme un éclat de
          tonnerre, cette étonnante nouvelle : <hi rend="i">Madame se meurt, Madame est
          morte</hi> » !</p>
        </quote>
        <p>Ces paroles si touchantes arrachèrent des sanglots à tout l’auditoire ; et l’Orateur
         lui-même, après les avoir prononcées, fut obligé de s’arrêter.</p>
       </div5>
       <div5 type="section">
        <head>Épiphonème.</head>
        <p>L’<hi rend="i">Épiphonème</hi> est une espèce d’exclamation ou une réflexion courte et
         vive à la fin d’un récit, comme on va le voir dans cet endroit de l’<hi rend="i"
          >Énéide</hi> :</p>
        <quote>
         <p>« L’infortuné Priam<note n="d" place="bottom">Voyez ce mot, <hi rend="i"
           >ibid.</hi></note> se voyant <pb n="290" xml:id="p290"/>menacé d’une guerre et d’un
          siège, dont il redoutait les événements, avait secrètement envoyé le jeune Polydore, un de
          ses fils, avec beaucoup d’or, au roi de Thrace<note n="a" place="bottom">Voyez le mot <hi
            rend="i">Polymnestor</hi>, dans les notes, à la fin de ce Volume.</note>, pour le faire
          élever dans sa cour. Ce perfide voyant les malheurs de Troie, se rangea du parti des
          vainqueurs, viola les droits les plus sacrés, assassina Polydore, et s’empara du dépôt.
          Exécrable soif de l’or, quels crimes ne fais-tu pas commettre ? »</p>
        </quote>
        <p>Et dans ces vers du <hi rend="i">Voyage de Munich</hi><note n="b" place="bottom">Voyez ce
          mot, <hi rend="i">ibid.</hi></note> par <hi rend="i">Regnier des Marest</hi>.</p>
        <quote>
         <l>Déjà nous avons vu le Danube<note n="c" place="bottom">Voyez ce mot, <hi rend="i"
            >ibid.</hi></note> inconstant,</l>
         <l>Qui tantôt catholique et tantôt protestant,</l>
         <l>        Sert Rome<note n="d" place="bottom">Voyez ce mot, <hi rend="i">ibid.</hi></note>
          et Luther<note n="e" place="bottom">Voyez ce mot, <hi rend="i">ibid.</hi></note> de son
          onde,</l>
         <l>        Et qui comptant après pour rien</l>
         <l>        Le Romain, le Luthérien,</l>
         <l>        Finit sa course vagabonde</l>
         <l>        Par n’être pas même chrétien.</l>
         <l>        Rarement à courir le monde</l>
         <l>        On devient plus homme de bien.</l>
        </quote>
       </div5>
       <div5 type="section">
        <head>Dubitation.</head>
        <p>La <hi rend="i">Dubitation</hi> consiste dans une délibération sur ce qu’on doit dire ou
         faire. Cette figure est bien propre à exprimer les mouvements d’une âme, qui, agitée d’une
         passion violente, est dans une irrésolution continuelle sur le parti qu’elle doit prendre.
         Telle est dans l’<hi rend="i">Énéide</hi> la <pb n="291" xml:id="p291"/>situation de
          Didon<note n="a" place="bottom">Voyez ce mot, dans les notes, à la fin de ce
          Volume.</note> abandonnée par Énée. Voici la traduction en vers de ce morceau par <hi
          rend="i">Boileau</hi>, frère de l’auteur du <hi rend="i">Lutrin</hi>.</p>
        <quote>
         <l>Hélas ! s’écria-t-elle au fort de sa misère,</l>
         <l>Quel projet désormais me reste-t-il à faire ?</l>
         <l>Chez les Rois mes voisins, mon cœur humble et confus</l>
         <l>Ira-t-il s’exposer au hasard d’un refus ;</l>
         <l>Eux dont j’ai tant de fois avec tant d’insolence</l>
         <l>Méprisé la recherche et bravé la puissance ?</l>
         <l>Irai-je en suppliant, à la honte des miens,</l>
         <l>Implorer la pitié des superbes Troyens ?</l>
         <l>Trop aveugle Didon ! puis-je après cette injure</l>
         <l>Ne pas connaître encor cette race parjure ?</l>
         <l>Et comment mes soupirs pourraient-ils retenir</l>
         <l>Ceux de qui mes bienfaits n’ont pu rien obtenir ?</l>
         <l>Ou bien irai-je enfin jusqu’au bout de la terre</l>
         <l>Avec tous mes sujets leur déclarer la guerre ?</l>
         <l>Mais comment voudraient-ils à travers les dangers,</l>
         <l>Poursuivre ma vengeance en des bords étrangers ;</l>
         <l>Eux que leur intérêt et que leur propre vie</l>
         <l>Ont à peine arrachés du sein de leur patrie ?</l>
         <l>Mourons donc puisqu’enfin dans l’état où je suis</l>
         <l>La mort est l’espoir seul qui reste à mes ennuis.</l>
        </quote>
       </div5>
       <div5 type="section">
        <head>Interrogation.</head>
        <p>L’<hi rend="i">Interrogation</hi> est une figure, par laquelle on parle en forme de
         question. Elle est très propre au pathétique, et donne une grande énergie au discours,
         comme il est aisé de le voir dans cet endroit de l’<hi rend="i">Oraison funèbre de</hi>
         <pb n="292" xml:id="p292"/>Henriette Anne d’Angleterre<note n="a" place="bottom">Voyez le
          mot <hi rend="i">Angleterre</hi>, dans les notes, à la fin de ce Volume.</note>, <hi
          rend="i">duchesse d’Orléans</hi>, par <hi rend="i">Bossuet</hi>.</p>
        <quote>
         <p>« Avec tant de grandes et tant d’aimables qualités, qui eût pu lui refuser son
          admiration ? Mais avec son crédit, avec sa puissance, qui n’eût pas voulu s’attacher à
          elle ? N’allait-elle pas gagner tous les cœurs, c’est-à-dire la seule chose qu’ont à
          gagner ceux, à qui la naissance et la fortune semblent tout donner ? et si cette haute
          élévation est un précipice affreux pour les Chrétiens, ne puis-je pas dire, pour me servir
          des paroles fortes du plus grave des Historiens, qu’elle <hi rend="i">allait être
           précipitée dans la gloire</hi> ? Car quelle créature fut jamais plus propre à être
          l’idole du monde ? Mais ces idoles que le monde adore, à combien de tentations délicates
          ne sont-elles pas exposées ? La gloire, il est vrai, les défend de quelques faiblesses :
          mais la gloire les défend-elle de la gloire même ? Ne s’adorent-elles pas secrètement ? Ne
          veulent-elles pas être adorées ? Que n’ont-elles pas à craindre de leur amour-propre ? Et
          que peut se refuser la faiblesse humaine, pendant qu’on lui accorde tout ? N’est-ce pas
          qu’on apprend à faire servir à l’ambition, à la grandeur, à la politique, et la vertu, et
          la Religion, et le nom de Dieu » ?</p>
        </quote>
        <p>On se sert encore très avantageusement de cette figure, pour exprimer toutes les <pb
          n="293" xml:id="p293"/>passions vives. C’est ce qu’a fait <hi rend="i">Racine</hi> dans
         cet endroit de sa tragédie d’<hi rend="i">Athalie</hi>, où Joad, à la vue de Mathan, parle
         ainsi à Josabet :</p>
        <quote>
         <l>Où suis-je ? de Baal<note n="a" place="bottom">Voyez ce mot, dans les notes, à la fin de
           ce Volume.</note> ne vois-je pas le Prêtre ?</l>
         <l>Quoi ! fille de David<note n="b" place="bottom">Voyez ce mot, <hi rend="i"
           >ibid.</hi></note>, vous parlez à ce traître ?</l>
         <l>Vous souffrez qu’il vous parle ? et vous ne craignez pas</l>
         <l>Que du fond de l’abîme entr’ouvert sous ses pas,</l>
         <l>Il ne sorte à l’instant des feux qui vous embrassent,</l>
         <l>Ou qu’en tombant sur lui ces murs ne vous écrasent ?</l>
         <l>Que veut-il, de quel front cet ennemi de Dieu</l>
         <l>Vient-il infecter l’air qu’on respire en ce lieu ?</l>
        </quote>
       </div5>
       <div5 type="section">
        <head>Imprécation.</head>
        <p>L’<hi rend="i">Imprécation</hi> est une figure par laquelle on souhaite du mal à
         quelqu’un. Elle est quelquefois dictée par l’horreur du crime et des scélérats. <hi
          rend="i">Racine</hi>en fournit un exemple de cette espèce dans la même tragédie. C’est
         encore Joad qui parle :</p>
        <quote>
         <l>Grand Dieu, si tu prévois qu’indigne de sa race,</l>
         <l>Il doive de David abandonner la trace ;</l>
         <l>Qu’il soit comme le fruit en naissant arraché,</l>
         <l>Ou qu’un souffle ennemi dans sa tige a séché.</l>
         <l>Mais si ce même enfant à tes ordres docile,</l>
         <l>Doit être à tes desseins un instrument utile,</l>
         <l>Fais qu’au juste héritier le sceptre soit remis :</l>
         <l>Livre en mes faibles mains ses puissants ennemis ;</l>
         <l>Confonds dans ses conseils une reine cruelle<note n="c" place="bottom">Voyez le mot <hi
            rend="i">Athalie, ibid.</hi></note> ;</l>
         <pb n="294" xml:id="p294"/>
         <l>Daigne, daigne, mon Dieu, sur Mathan<note n="a" place="bottom">Voyez ce mot, dans les
           notes, à la fin de ce Volume.</note> et sur elle</l>
         <l>Répandre cet esprit d’imprudence et d’erreur,</l>
         <l>De la chute des Rois funeste avant-coureur.</l>
        </quote>
        <p>Cette figure est le plus souvent l’expression de la colère et du désespoir. Les deux plus
         beaux exemples que je connaisse en ce genre d’imprécation, se trouvent dans <hi rend="i"
          >Corneille</hi>. Le premier est tiré de la tragédie de <hi rend="i">Rodogune</hi>,
         princesse <hi rend="i">des Parthes</hi>, où Cléopâtre, reine de Syrie, étant près
         d’expirer, dit à son fils Antiochus et à la princesse son épouse :</p>
        <quote>
         <l>Puisse le ciel tous deux vous prendre pour victimes,</l>
         <l>Et laisser choir sur vous les peines de mes crimes !</l>
         <l>Puissiez-vous ne trouver dedans votre union</l>
         <l>Qu’horreur, que jalousie et que confusion !</l>
         <l>Et pour vous souhaiter tous les malheurs ensemble,</l>
         <l>Puisse naître de vous un fils qui me ressemble !</l>
        </quote>
        <p>Celui-ci est pris de la tragédie d’<hi rend="i">Horace</hi>, C’est Camille qui parle à
         Horace son frère.</p>
        <quote>
         <l>Rome<note n="b" place="bottom">Voyez ce mot, <hi rend="i">ibid.</hi></note>, l’unique
          objet de mon ressentiment,</l>
         <l>Rome, à qui vient ton bras d’immoler mon amant ;</l>
         <l>Rome, qui t’a vu naître et que ton cœur adore,</l>
         <l>Rome, enfin que je hais, parce qu’elle t’honore,</l>
         <l>Puissent tous ses voisins ensemble conjurés,</l>
         <l>Saper ses fondements encor mal assurés !</l>
         <l>Et si ce n’est assez de toute l’Italie,</l>
         <l>Que l’Orient contr’elle à l’Occident s’allie :</l>
         <l>Que cent peuples unis des bouts de l’univers,</l>
         <pb n="295" xml:id="p295"/>
         <l>Passent pour la détruire et les monts et les mers !</l>
         <l>Qu’elle-même sur soi renverse ses murailles,</l>
         <l>Et de ses propres mains déchire ses entrailles !</l>
         <l>Que le courroux du ciel allumé par mes vœux,</l>
         <l>Fasse pleuvoir sur elle un déluge de feux !</l>
         <l>Puissé-je de mes yeux y voir tomber la foudre,</l>
         <l>Voir ses maisons en cendre et tes lauriers en poudre,</l>
         <l>Voir le dernier Romain à son dernier soupir,</l>
         <l>Moi seule en être cause et mourir de plaisir !</l>
        </quote>
       </div5>
       <div5 type="section">
        <head>Déprécation.</head>
        <p>La <hi rend="i">Déprécation</hi> est une figure, par laquelle on a recours aux prières,
         aux larmes pour demander quelque chose. Tel est dans la tragédie de la <hi rend="i">mort de
          César</hi> par <hi rend="i">Voltaire</hi>, ce discours de Brutus<note n="a" place="bottom"
          >Voyez ce mot, dans les notes, à la fin de ce Volume.</note>à César<note n="b"
          place="bottom">Voyez ce mot, <hi rend="i">ibid.</hi></note></p>
        <quote>
         <l>Sais-tu que le Sénat n’a point de vrai Romain,</l>
         <l>Qui n’aspire en secret à te percer le sein ?</l>
         <l>Que le salut de Rome<note n="c" place="bottom">Voyez ce mot, <hi rend="i"
           >ibid.</hi></note> et que le tien te touche.</l>
         <l>Ton génie alarmé te parle par ma bouche :</l>
         <l>Il me pousse, il me presse, il me jette à tes pieds.</l>
         <l>César, au nom des Dieux dans ton cœur oubliés,</l>
         <l>Au nom de tes vertus, de Rome et de toi-même,</l>
         <l>Dirai-je au nom d’un fils qui frémit et qui t’aime</l>
         <l>Qui te préfère au monde et Rome seule à toi,</l>
         <l>Ne me rebute pas.</l>
        </quote>
       </div5>
       <div5 type="section">
        <head>Réticence.</head>
        <p>La <hi rend="i">Réticence</hi> est une figure, par laquelle on interrompt son discours
         pour <pb n="296" xml:id="p296"/>passer à un autre objet ; en sorte néanmoins que ce qu’on a
         dit, laisse suffisamment entendre ce qu’on affecte de supprimer. Telles sont ces paroles
         que <hi rend="i">Virgile</hi> met dans la bouche de Neptune<note n="a" place="bottom">Voyez
          ce mot, dans les notes, à la fin de ce Volume.</note>.</p>
        <quote>
         <p>« Race téméraire, qui vous inspire tant d’audace ? Vents, vous osez, sans mon aveu,
          troubler le Ciel et la Terre et ravager mon empire ! Si je… Mais il s’agit de calmer les
          flots : un pareil attentat ne demeurera pas une autre fois impuni. »</p>
        </quote>
        <p>On voit un autre exemple de cette figure dans la tragédie d’Athalie, lorsque cette
         Princesse demandant à Joad le jeune Éliacin, et les trésors qu’elle croit cachés dans le
         Temple, lui dit :</p>
        <quote>
         <l>Je devrais sur l’autel où ta main sacrifie,</l>
         <l>Te… mais du prix qu’on m’offre il faut me contenter.</l>
        </quote>
        <p>Et dans cet endroit de la Tragédie de Phèdre, où Aricie dit à Thésée :</p>
        <quote>
         <l>Prenez garde, Seigneur, vos invincibles mains</l>
         <l>Ont de monstres sans nombre affranchi les humains ;</l>
         <l>Mais tout n’est pas détruit et vous en laissez vivre</l>
         <l>Un… votre fils, Seigneur, me défend de poursuivre.</l>
        </quote>
       </div5>
       <div5 type="section">
        <head>Suspension.</head>
        <p>La <hi rend="i">Suspension</hi> est une figure, par laquelle, pour piquer la curiosité du
         Lecteur, on tient quelque temps son esprit en <pb n="297" xml:id="p297"/>suspens, et dans
         l’incertitude de ce qu’on va dire. En voici un exemple tiré du <hi rend="i">Panégyrique de
          saint Thomas</hi><note n="a" place="bottom">Voyez le mot <hi rend="i">Thomas</hi>, dans
          les notes, à la fin de ce Volume.</note><hi rend="i">de Cantorbéry</hi>, par <hi rend="i"
          >Fléchier</hi>.</p>
        <quote>
         <p>« Ils partent de la cour ; ils passent les mers ; ils entrent dans l’église, où le saint
          célébrait l’office ; ils s’avancent vers lui, la fureur dans le cœur et le feu dans les
          yeux, le fer à la main, sans respect des autels ni du sanctuaire de Jésus-Christ…. Vous
          entendez presque le reste, Messieurs. Je voudrais pouvoir me dispenser de représenter un
          spectacle si pitoyable. Mais pour épargner votre piété, j’offenserais votre religion, et
          je vous cacherais la gloire du martyre, en vous cachant la cruauté des bourreaux. Ils
          approchent donc, portant sur leur visage les marques de leur barbare résolution : le
          clergé tremblant se disperse : on se ramasse confusément : les assassins ont eux-mêmes
          horreur du crime qu’ils vont commettre ; et saisis d’une frayeur respectueuse à la vue de
          l’archevêque qui se présente, ils demeurent quelque temps interdits. Mais la fureur ayant
          étouffé tout sentiment de respect et d’humanité, chacun le frappe comme à l’envi, et veut
          avoir part au crime, espérant avoir part à la récompense. »</p>
        </quote>
        <p>Les Poètes dramatiques font un fréquent usage de cette figure. On en trouve de beaux
         exemples dans la troisième scène du premier <pb n="298" xml:id="p298"/>acte de la tragédie
         de <hi rend="i">Phèdre</hi>, où cette Princesse cédant aux vives instances, aux prières,
         aux larmes d’Œnone, sa nourrice et sa confidente, lui découvre la cause de ses mortels
         chagrins : dans la troisième scène du quatrième acte de <hi rend="i">Rhadamisthe</hi>, où
         Zénobie déclare à Arsame qu’elle est mariée, et que son époux est le frère de ce même
         Arsame : dans la troisième scène du cinquième acte de l’<hi rend="i">Œdipe</hi> de <hi
          rend="i">Voltaire</hi>, où ce malheureux Prince apprend du vieillard Phorbas que le Roi
         Laius, qu’il avait tué sans le connaître, était son père, et que la Reine Jocaste, dont il
         était devenu l’époux, est sa mère.</p>
        <p>Quoique cette figure soit particulièrement propre au style sublime, il ne faut pas croire
         qu’elle ne puisse, ainsi que bien d’autres, convenir au style simple. Elle peut même
         trouver place dans le genre épistolaire, suivant la manière dont elle y est employée, et
         suivant la manière dont elle y est employée, et suivant la nature des choses qu’on y dit.
         Voyez l’effet agréable qu’elle produit dans cette lettre de madame de <hi rend="i"
          >Sévigné</hi> à monsieur de Coulanges.</p>
        <quote>
         <p>« Je vais vous marquer la chose du monde la plus étonnante, la plus surprenante, la plus
          merveilleuse, la plus miraculeuse, la plus triomphante, la plus étourdissante, la plus
          inouïe, la plus singulière, la plus extraordinaire, la plus incroyable, la plus imprévue,
          la plus grande, la plus petite, la plus rare, la plus commune, la plus éclatante, la plus
          secrète, jusqu’aujourd’hui, la plus brillante, la plus digne d’envie ; enfin une chose
          dont on ne trouve qu’un <pb n="299" xml:id="p299"/>exemple dans les siècles passés ;
          encore cet exemple n’est-il pas juste ; une chose que nous ne saurions croire à Paris ;
          comment la pourrait-on croire à Lyon ? une chose qui fait crier miséricorde à tout le
          monde ; une chose qui comble de joie madame <hi rend="i">de Rohan</hi> et madame <hi
           rend="i">de Hauteville</hi> ; une chose enfin qui se fera dimanche, où ceux qui la
          verront, croiront avoir la berlue ; une chose qui se fera dimanche, et qui ne sera
          peut-être pas faite lundi. Je ne puis me résoudre à la dire ; devinez-la : je vous le
          donne en trois. <hi rend="i">Jetez vous votre langue aux chiens ?</hi> Eh bien ! il faut
          donc vous la dire. Monsieur <hi rend="i">de Lauzun</hi> épouse dimanche au Louvre ;
          devinez qui ? je vous le donne en dix, je vous le donne en cent. Madame <hi rend="i">de
           Coulanges</hi> dit : voilà qui est bien difficile à deviner ! c’est mademoiselle <hi
           rend="i">de La Vallière</hi>. Point du tout, madame. C’est donc mademoiselle <hi rend="i"
           >de Retz</hi> ? Point du tout ; vous êtes bien provinciale. Vraiment, nous sommes bien
          bêtes, dites-vous ; c’est mademoiselle <hi rend="i">Colbert</hi>. Encore moins. C’est
          assurément mademoiselle <hi rend="i">de Créqui</hi>. Vous n’y êtes pas. Il faut donc à la
          fin vous le dire. Il épouse dimanche au Louvre, avec la permission du Roi, mademoiselle ;
          mademoiselle de…. mademoiselle ; devinez le nom. Il épouse <hi rend="i"
          >Mademoiselle</hi> ; ma foi, par ma foi, ma foi jurée, <hi rend="i">Mademoiselle</hi>, la
          grande <hi rend="i">Mademoiselle</hi>, <hi rend="i">Mademoiselle</hi>, fille de feu <hi
           rend="i">Monsieur</hi>, <hi rend="i">Mademoiselle</hi>, petite-fille de <hi rend="i"
           >Henry IV</hi>, mademoiselle <hi rend="i">d’Eu</hi>, <pb n="300" xml:id="p300"
          />mademoiselle <hi rend="i">de Dombes</hi>, mademoiselle <hi rend="i">de Montpensier</hi>,
          mademoiselle <hi rend="i">d’Orléans</hi>, <hi rend="i">Mademoiselle</hi>, cousine germaine
          du Roi ; <hi rend="i">Mademoiselle</hi>, destinée au trône ; <hi rend="i"
           >Mademoiselle</hi>, le seul parti de France, qui fût digne de <hi rend="i"
          >Monsieur</hi>. »</p>
        </quote>
        <p>Il y a une espèce de suspension qui badine et qui se joue de l’attention du Lecteur. On
         débute sur un ton noble et pompeux ; on a l’air d’annoncer quelque chose de grand, et l’on
         finit par un trait d’esprit agréable, plaisant ou épigrammatique. Ce fameux sonnet de <hi
          rend="i">Scarron</hi> en est un exemple.</p>
        <quote>
         <lg>
          <l>Superbes monuments de l’orgueil des humains,</l>
          <l>Pyramides, tombeaux, dont la vaine structure</l>
          <l>A témoigné que l’art, par l’adresse des mains</l>
          <l>Et l’assidu travail, peut vaincre la nature :</l>
         </lg>
         <lg>
          <l>Vieux palais ruinés, chef-d’œuvre des Romains,</l>
          <l>Et les derniers efforts de leur architecture,</l>
          <l>Colisée où souvent les peuples inhumains</l>
          <l>De s’entr’assassiner se donnaient tablature :</l>
         </lg>
         <lg>
          <l>Par l’injure des temps vous êtes abolis,</l>
          <l>Ou du moins la plupart vous êtes démolis :</l>
          <l>Il n’est point de ciment que le temps ne dissoude.</l>
         </lg>
         <lg>
          <l>Si vos marbres si durs ont senti son pouvoir,</l>
          <l>Dois je trouver mauvais qu’un méchant pourpoint noir</l>
          <l>Qui m’a duré deux ans, soit percé par le coude ?</l>
         </lg>
        </quote>
        <pb n="301" xml:id="p301"/>
        <p>Voici encore un joli exemple de cette espèce de suspension.</p>
        <quote>
         <l>        Après le malheur effroyable</l>
         <l>        Qui vient d’arriver à mes yeux,</l>
         <l>        Je croirai désormais, grands Dieux !</l>
         <l>        Qu’il n’est rien d’incroyable.</l>
         <l>        J’ai vu, sans mourir de douleur,</l>
         <l>J’ai vu… siècles futurs, vous ne pourrez le croire ;</l>
         <l>Ah ! j’en frémis encor de dépit et d’horreur ;</l>
         <l>J’ai vu mon verre plein, et je n’ai pu le boire.</l>
        </quote>
       </div5>
      </div4>
      <div4 type="article">
       <head type="sur"><hi rend="sc">Article</hi> II. </head>
       <head type="main"><hi rend="i">Du sublime</hi>.</head>
       <p>J’ai dit ailleurs qu’il ne faut pas confondre ce qu’on appelle proprement le <hi rend="i"
         >sublime</hi>, avec le style sublime. Voici en quoi l’un et l’autre diffèrent. Le style
        sublime consiste à exprimer noblement une suite d’idées grandes, de sentiments élevés, mais
        qui ne sont pas sublimes, et à leur donner un certain caractère de sublimité. C’est ce qu’on
        a pu voir dans les différents exemples que j’ai cités. Le <hi rend="i">sublime</hi>, soit
        dans les pensées, soit dans les sentiments, est un trait merveilleux, extraordinaire, qui
        ravit, transporte, élève l’âme, au dessus d’elle-même, et qui lui fait sentir en même temps
        cette élévation. Le <hi rend="i">style sublime</hi> ne peut se montrer que sous le pompeux
        appareil des figures les plus brillantes et les plus magnifiques. Le <hi rend="i"
         >sublime</hi> peut se trouver, et se trouve bien souvent dans une expression, dans un seul
        mot. Quoi de plus simple <pb n="302" xml:id="p302"/>que ces paroles de l’Écriture.
          <quote><hi rend="i">Dieu dit : que la lumière se fasse ; et la lumière fut
         faite.</hi></quote> = <quote><hi rend="i">Il jette ses regards ; et les nations sont
          dissipées.</hi></quote> Aussi ces paroles ne sont-elles pas du <hi rend="i">style
         sublime</hi>. Mais l’idée qu’elles renferment, est <hi rend="i">sublime</hi>. Elle est en
        effet la plus haute, la plus relevée qu’il soit possible de concevoir de la toute-puissance
        de Dieu, et de l’obéissance de la créature aux ordres du créateur.</p>
       <p><hi rend="i">Racine</hi> nous fournit dans sa Tragédie d’<hi rend="i">Esther</hi>, un
        exemple bien propre à faire saisir la différence qu’il y a entre le <hi rend="i">style
         sublime</hi>, et le <hi rend="i">sublime</hi>. Le voici :</p>
       <quote>
        <l>        J’ai vu l’impie adoré sur la terre :</l>
        <l>        Pareil au cèdre, il cachait dans les cieux,</l>
        <l>            Son front audacieux.</l>
        <l>Il semblait à son gré gouverner le tonnerre,</l>
        <l>        Foulait aux pieds ses ennemis vaincus.</l>
        <l>Je n’ai fait que passer : il n’était déjà plus.</l>
       </quote>
       <p>Les cinq premiers vers offrent des idées vraiment grandes, mais qui ne sont pas sublimes,
        parce qu’elles n’ont point ce merveilleux, cet extraordinaire qui enlève et qui ravit. Elles
        sont rendues d’une manière sublime, et sont par conséquent du <hi rend="i">style
         sublime</hi>, sans être <hi rend="i">sublimes</hi>. Le dernier vers présente une idée
        sublime par elle-même : c’est là que se trouve ce merveilleux, cet extraordinaire qui
        caractérise proprement le <hi rend="i">sublime</hi>. L’Impie était le Dieu de la terre ; le
        Poète ne <hi rend="i">fait que passer</hi> ; et ce Dieu est disparu, anéanti : <hi rend="i"
         >il n’est plus</hi>. Mais cette idée <pb n="303" xml:id="p303"/>est rendue par les mots les
        plus simples. Ce dernier vers est par conséquent <hi rend="i">sublime</hi>, sans être du <hi
         rend="i">style sublime</hi>. Le vrai <hi rend="i">sublime</hi> peut donc se passer du
        secours de l’expression. Il s’en passe en effet assez souvent, quoiqu’on doive convenir que
        l’éclat en est rehaussé par le sublime des paroles.</p>
       <p>Le <hi rend="i">sublime</hi> peut naître de trois différentes sources ; des <hi rend="i"
         >pensées</hi>, des <hi rend="i">sentiments</hi>, des <hi rend="i">images</hi>.</p>
       <div5 type="section">
        <head type="sur">I. </head>
        <head type="main"><hi rend="i">Du Sublime des Pensées</hi>.</head>
        <p>Ce que je viens de dire, peut faire assez comprendre en quoi consiste le sublime d’une
         pensée. Cependant pour en donner une idée encore plus claire et plus juste, je vais
         rapporter la traduction littérale du texte sacré qui a fourni à Racine la matière des beaux
         vers que j’ai cités. <quote>« J’ai vu<seg type="exquote">, dit le Prophète David,</seg>
          l’impie élevé aussi haut que les Cèdres du Liban<note n="a" place="bottom">Voyez ce mot,
           dans les notes, à la fin de ce Volume.</note> : je n’ai fait que passer, et il n’était
          plus. Je l’ai cherché, et je n’ai pas même trouvé la place où il était. »</quote> On voit
         sans peine que Racine a paraphrasé le texte ; mais qu’il n’a pas rendu cette pensée si
         forte et si sublime : <hi rend="i">Je l’ai cherché, et je n’ai pas même trouvé la place où
          il était</hi>. Tout ce <pb n="304" xml:id="p304"/>que les Poètes, remarque le P. <hi
          rend="i">Bouhours</hi><note n="1" place="bottom">Man. de bien pens. II. Dial.</note>, ont
         dit de plus fort sur la ruine de Troie, de Rome et de Carthage, c’est qu’il ne restait que
         le lieu où avaient été ces villes fameuses. Mais ici le lieu même où était l’impie dans sa
         plus haute fortune, ne reste pas.</p>
        <p>Peut-on donner de la grandeur, de l’indépendance, de l’éternité de Dieu, une idée aussi
         noble, aussi magnifique, aussi vraie que celle qu’en donnent les livres saints ? <quote><hi
           rend="i">Je suis celui qui est… Le Seigneur régnera dans toute l’éternité et
           au-delà.</hi></quote></p>
        <p>Est-il possible de dire sur l’idolâtrie quelque chose de plus fort et de plus frappant,
         que ce qu’en dit <hi rend="i">Bossuet</hi> dans son <hi rend="i">Discours sur l’Histoire
          Universelle</hi> : <quote><hi rend="i">Tout était Dieu, excepté Dieu
          lui-même.</hi></quote></p>
       </div5>
       <div5 type="section">
        <head type="sur">II. </head>
        <head type="main"><hi rend="i">Du Sublime des sentiments</hi>.</head>
        <p>Les sentiments sont sublimes, dit l’Abbé <hi rend="i">Batteux</hi><note n="(2)"
          place="bottom">Princ. de la Litt. tom. III.</note>, quand fondés sur une vraie vertu, ils
         paraissent être presque au-dessus de la condition humaine, et qu’ils font voir, comme l’a
         dit Sénèque, dans la faiblesse de l’humanité la constance d’un Dieu. L’univers tomberait
         sur la tête du juste ; son âme serait tranquille dans le temps même de sa <pb n="305"
          xml:id="p305"/>chute. L’idée de cette tranquillité comparée avec le fracas du monde entier
         qui se brise, est une image sublime, et la tranquillité du juste un sentiment sublime.</p>
        <p><hi rend="i">Corneille</hi> est de tous nos Poètes celui dans lequel on trouve le plus de
         sentiments sublimes ; et ces sentiments sont toujours rendus par l’expression la plus
         simple. Médée, dans la Tragédie de ce nom, veut se venger de ses ennemis. Nérine sa
         confidente lui dit :</p>
        <quote>
         <l>Votre pays vous hait, votre époux est sans foi :</l>
         <l>Contre tant d’ennemis, que vous reste-t-il ?</l>
        </quote>
        <p>Médée lui répond :</p>
        <quote>
         <l rend="i">Moi.</l>
        </quote>
        <p>Qui ne sent que ce <hi rend="i">moi</hi> est le sublime du courage ?</p>
        <p>Dans la Tragédie d’<hi rend="i">Horace</hi>, le Héros de la pièce ayant été nommé avec
         ses deux frères pour combattre contre les trois guerriers qu’Albe doit choisir, Curiace,
         Albain, beau-frère d’Horace, dont il doit même épouser la sœur, lui dit :</p>
        <quote>
         <l>Quels vœux puis-je former, et quel bonheur attendre ?</l>
         <l>De tous les deux côtés j’ai des pleurs à répandre :</l>
         <l>De tous les deux côtés mes désirs sont trahis.</l>
        </quote>
        <p>Horace lui répond :</p>
        <quote>
         <l rend="i">Quoi ! vous me pleureriez mourant pour mon pays !</l>
        </quote>
        <p>Cette réponse si fière, où éclatent tout à la fois la surprise et l’indignation, est le
         sublime de l’amour de la patrie.</p>
        <pb n="306" xml:id="p306"/>
        <p>Dans la même Tragédie, une femme qui avait été témoin du combat des trois Horaces contre
         les trois Curiaces, mais qui n’en avait pas vu la fin, annonce au vieil Horace, que deux de
         ses fils ont été tués, et que le troisième a pris la fuite. Le père est outré de la lâcheté
         de son fils. Cette femme lui dit alors :</p>
        <quote>
         <l>Que vouliez-vous qu’il fit contre trois ?</l>
        </quote>
        <p>Le vieil Horace lui répond :</p>
        <quote>
         <l rend="i">Qu’il mourût.</l>
        </quote>
        <p>Voilà, dit <hi rend="i">Voltaire</hi><note n="1" place="bottom">Chefs-d’œuvre de
          Corneille, avec les Commentaires de Voltaire, tom. I.</note>, voilà ce trait du plus grand
         sublime, ce mot auquel il n’en est aucun de comparable dans toute l’antiquité.</p>
        <p>Cinna, dans la Tragédie de ce nom, forme une conjuration contre Auguste. L’empereur
         Romain la découvre ; et dans l’instant même où il pourrait faire mourir ce chef des
         conjurés, non seulement il lui pardonne, mais encore il lui dit :</p>
        <quote>
         <l><hi rend="i">Soyons amis</hi>, Cinna ; c’<hi rend="i">est</hi> moi qui t’en convie.</l>
        </quote>
        <p>N’est-ce pas là le sublime de la clémence, de la générosité ? Ce sentiment sublime est
         parfaitement soutenu par ces vers qui suivent peu après :</p>
        <quote>
         <l>Tu trahis mes bienfaits ; je veux les redoubler.</l>
         <l>Je t’ai comblé de biens ; je veux t’en accabler.</l>
        </quote>
        <p>Je borne à ces quatre traits mes citations <pb n="307" xml:id="p307"/>de Corneille :
         elles seraient trop multipliées, si je rapportais tous les sentiments vraiment sublimes
         qu’il a répandus dans ses Tragédies.</p>
        <p>Dans l’<hi rend="i">Athalie</hi> de <hi rend="i">Racine</hi>, Abner témoigne au
         Grand-Prêtre Joad les craintes qu’il a qu’Athalie ne le fasse arracher de l’autel, et
         n’exerce sur lui ses vengeances. Joad lui répond :</p>
        <quote>
         <l>Celui qui met un frein à la fureur des flots,</l>
         <l>Sait aussi des méchants arrêter les complots.</l>
         <l>Soumis avec respect à sa volonté sainte,</l>
         <l>Je crains Dieu, cher Abner, et <hi rend="i">n’ai point d’autre crainte</hi>.</l>
        </quote>
        <p>Tout est beau, tout est grand dans ces quatre vers. Mais le vrai sublime de sentiment ne
         se trouve que dans le second hémistiche du dernier. Rien d’extraordinaire en effet qu’un
         mortel soit soumis à Dieu. Mais qu’il n’ait <hi rend="i">point d’autre crainte</hi> ; qu’il
         ne craigne point la puissance et la fureur d’une Reine impie, ambitieuse et vindicative,
         c’est un courage dont les âmes les plus fortes et les plus élevées sont seules
         capables.</p>
        <p>On trouve encore le sublime de sentiment dans ces vers de la Tragédie de <hi rend="i"
          >Rhadamisthe</hi> par <hi rend="i">Crébillon</hi>. C’est Zénobie qui parle à
         Rhadamisthe :</p>
        <quote>
         <l>Je connais la fureur de tes soupçons jaloux ;</l>
         <l rend="i">Mais j’ai trop de vertu pour craindre mon époux.</l>
        </quote>
        <p>Son âme inaccessible à la crainte, parce qu’elle est vertueuse, est dans une sécurité <pb
          n="308" xml:id="p308"/>parfaite ; et cette sécurité est un sentiment sublime.</p>
       </div5>
       <div5 type="section">
        <head type="sur">III. </head>
        <head type="main"><hi rend="i">Du Sublime des Images</hi>.</head>
        <p>Le sublime des images consiste à représenter un grand objet avec les couleurs les plus
         vives, les plus fortes et les plus vraies. Les livres saints offrent presque à chaque page
         des exemples de ce genre de sublime. Voici comment s’exprime <hi rend="i">Moyse</hi><note
          n="a" place="bottom">Voyez ce mot, dans les notes, à la fin de ce Volume.</note> dans son
         beau Cantique sur le passage de la mer rouge.</p>
        <quote>
         <p>« Votre droite, Seigneur, a fait éclater sa grandeur par sa force ; votre droite,
          Seigneur, a brisé l’ennemi. Dans la magnificence de votre gloire, vous avez terrassé ceux
          qui s’élevaient contre vous. Vous avez envoyé votre colère : elle les a dévorés comme une
          paille. Au souffle de votre fureur, les eaux se sont entassées, les ondes rapides se sont
          tenues élevées comme en un monceau ; les flots de l’abîme se sont condensés et durcis au
          milieu de la mer. L’ennemi disait : Je les poursuivrai, je les atteindrai, je partagerai
          leurs dépouilles ; j’assouvirai mes désirs ; je tirerai mon épée ; ma main me les
          assujettira. Vous avez soufflé, et la mer les a engloutis. Ils sont tombés au fond des
          eaux violentes comme une masse <pb n="309" xml:id="p309"/>de plomb… Vous avez étendu votre
          main ; la terre les a dévorés. »</p>
        </quote>
        <p><hi rend="i">David</hi><note n="a" place="bottom">Voyez ce mot, dans les notes, à la fin
          de ce Volume.</note> décrivant dans le psaume 103 les merveilles de la création,
         s’écrie :</p>
        <quote>
         <p>« Que votre grandeur a d’éclat, ô mon Dieu ! Quelle gloire, quelle majesté vous
          environne ! Vous êtes entouré de lumière, comme d’un vêtement. C’est vous qui avez tendu
          le Ciel comme un pavillon, dont les eaux supérieures sont le toit. Vous montez sur les
          nuées : vous marchez sur les ailes des vents. Les vents orageux sont vos Ministres, et le
          feu brûlant exécute vos ordres…. La gloire du Seigneur sera célébrée dans tous les
          siècles : il se réjouira dans ses ouvrages. Le Seigneur regarde la terre ; elle frémit de
          crainte : il touche les montagnes ; elles s’exhalent en fumée. »</p>
        </quote>
        <p>Le Marquis <hi rend="i">de Pompignan</hi> dans sa belle Ode tirée de ce psaume, a ainsi
         paraphrasé ce morceau :</p>
        <quote>
         <lg>
          <l>        L’éclat pompeux de ses ouvrages,</l>
          <l>        Depuis la naissance des âges,</l>
          <l>        Fait l’étonnement des mortels.</l>
          <l>        Les feux célestes le couronnent,</l>
          <l>        Et les flammes qui l’environnent,</l>
          <l>        Sont ses vêtements éternels.</l>
         </lg>
         <lg>
          <l>Ainsi qu’un pavillon tissu d’or et de soie.</l>
          <l>Le vaste azur des cieux sous sa main se déploie :</l>
          <pb n="310" xml:id="p310"/>
          <l>Il peuple leurs déserts d’astres étincelants.</l>
          <l>Les eaux autour de lui demeurent suspendues :</l>
          <l>            Il foule aux pieds les nues,</l>
          <l>            Et marche sur les vents.</l>
         </lg>
         <lg>
          <l>        Fait-il entendre sa parole :</l>
          <l>        Les cieux croulent, la mer gémit,</l>
          <l>        La foudre part, l’aquilon vole,</l>
          <l>        La terre en silence frémit.</l>
          <l>        Du seuil des portes éternelles,</l>
          <l>        Des légions d’esprits fidèles</l>
          <l>        À sa voix s’élancent dans l’air.</l>
          <l>        Un zèle dévorant les guide ;</l>
          <l>        Et leur essor est plus rapide</l>
          <l>        Que le feu brûlant de l’éclair…</l>
         </lg>
         <lg>
          <l>Dieu des jours, Dieu des temps, triomphe d’âge en âge,</l>
          <l>Jouis de ta grandeur, jouis de ton ouvrage,</l>
          <l>Tu regardes la terre, elle tremble d’effroi :</l>
          <l>Tu frappes la montagne, et sa cime enflammée</l>
          <l>        Dans des flots de fumée</l>
          <l>        S’abîme devant toi.</l>
         </lg>
        </quote>
        <p>Le Prophète <hi rend="i">Isaïe</hi><note n="a" place="bottom">Voyez ce mot, dans les
          notes, à la fin de ce Volume.</note> n’est pas moins sublime que <hi rend="i">David</hi>.
         Voyez sous quelles images il peint dans le chapitre 40 la grandeur et la puissance de
         Dieu.</p>
        <quote>
         <p>« Quel est celui qui a mesuré les eaux dans le creux de sa main, et qui la tenant
          étendue a pesé les cieux ; qui soutient de trois doigts toute la masse de la terre, et qui
          met les collines dans la balance ?… Toutes les <pb n="311" xml:id="p311"/>nations ne sont
          devant lui que comme une goutte d’eau, et comme ce petit grain qui donne à peine la
          moindre inclination à la balance. Toutes les îles sont comme un petit grain de poussière…
          Tous les peuples du monde sont devant lui comme s’ils n’étaient pas ; et il les regarde
          comme un vide et comme un néant. »</p>
        </quote>
        <p>Voici l’heureuse imitation que <hi rend="i">Racine</hi> a faite de ce passage, dans sa
         Tragédie d’<hi rend="i">Esther</hi>.</p>
        <quote>
         <l>Que peuvent contre lui tous les Rois de la terre ?</l>
         <l>En vain ils s’uniraient pour lui faire la guerre ;</l>
         <l>Pour dissiper leur ligue, il n’a qu’à se montrer :</l>
         <l>Il parle, et dans la poudre il les fait tous rentrer.</l>
         <l>Au seul son de sa voix la mer fuit, le ciel tremble :</l>
         <l>Il voit comme un néant tout l’univers ensemble ;</l>
         <l>Et les faibles mortels, vains jouets du trépas,</l>
         <l>Sont tous devant ses yeux comme s’ils n’étaient pas.</l>
        </quote>
        <p>Si ces différents morceaux traduits en notre langue, éclatent par tant de beautés
         sublimes, combien plus admirables encore doivent-ils être dans la langue hébraïque ! On
         sait que la meilleure traduction d’un ouvrage n’en est qu’une copie imparfaite.</p>
        <p>Passons aux exemples que nous fournissent les Auteurs profanes. On y trouvera le vrai
         sublime des images, quoiqu’on ne puisse pas y admirer ces traits énergiques, ce coloris
         vigoureux, cette élévation majestueuse qui caractérisent les Prophètes. Celui qui en a le
          <pb n="312" xml:id="p312"/>plus approché, est sans contredit <hi rend="i">Homère</hi>,
         peintre sublime dans toutes ses descriptions. Une armée en marche est, sous ses pinceaux,
           <quote><hi rend="i">un feu dévorant, qui poussé par les vents, consume la terre devant
           lui</hi></quote>. Un Dieu qui se transporte d’un lieu à un autre, <quote><hi rend="i"
           >fait trois pas ; et au quatrième, il arrive au bout de la terre</hi></quote>. Les yeux
         d’Agamemnon irrité contre Achille, <quote><hi rend="i">ressemblent à une flamme
           étincelante</hi></quote>. Mais la description du combat des Dieux est une des plus vives
         et des plus magnifiques qui se trouvent dans ce Poète. Jupiter<note n="a" place="bottom"
          >Voyez ce mot, dans les notes, à la fin de ce Volume.</note> leur avait permis de
         descendre du ciel, et de se mêler dans le combat des Grecs et des Troyens, en prenant
         chacun le parti de ceux qu’ils voudraient favoriser. Je n’en citerai que ce morceau, dont
         la plus grande partie a été traduite en vers par <hi rend="i">Boileau</hi>.</p>
        <quote>
         <p>« Le Souverain Maître des Dieux et des Hommes tonne du haut du Ciel ; et Neptune<note
           n="b" place="bottom">Voyez ce mot, <hi rend="i">ibid.</hi></note> élevant ses flots,
          ébranle la terre et le sommet des montagnes. Les cimes du mont Ida<note n="c"
           place="bottom">Voyez ce mot, <hi rend="i">ibid.</hi></note> tremblent jusques dans leurs
          fondements. <hi rend="i">Troie</hi><note n="d" place="bottom">Voyez ce mot, <hi rend="i"
            >ibid.</hi></note>, le champ de bataille, et les vaisseaux sont agités par des secousses
          violentes.</p>
         <l>L’enfer se ment au bruit de Neptune en furie.</l>
         <pb n="313" xml:id="p313"/>
         <l>Pluton<note n="a" place="bottom">Voyez ce mot, dans les notes, à la fin de ce
           Volume.</note> sort de son trône ; il pâlit, il s’écrie :</l>
         <l>Il a peur que ce Dieu, dans cet affreux séjour,</l>
         <l>D’un coup de son trident ne fasse entrer le jour,</l>
         <l>Et par le centre ouvert de la terre ébranlée,</l>
         <l>Ne fasse voir du Styx<note n="b" place="bottom">Voyez ce mot, <hi rend="i"
           >ibid.</hi></note> la rive désolée,</l>
         <l>Ne découvre aux vivants cet empire odieux,</l>
         <l>Abhorré des mortels, et craint même des Dieux.</l>
        </quote>
        <p>Toutes ces images sont vraiment sublimes, ainsi que celle, où le Poète grec peint la
          Discorde<note n="c" place="bottom">Voyez ce mot, <hi rend="i">ibid.</hi></note>, ayant</p>
        <quote>
         <l>La tête dans les cieux et les pieds sur la terre.</l>
        </quote>
        <p>Notre J.-B. <hi rend="i">Rousseau</hi> l’a fort bien imitée dans ces beaux vers de l’<hi
          rend="i">Ode au prince Eugène</hi>, en parlant de la Renommée :</p>
        <quote>
         <l>Quelle est cette Déesse énorme,</l>
         <l>Ou plutôt ce monstre difforme,</l>
         <l>Tout couvert d’oreilles et d’yeux,</l>
         <l>Dont la voix ressemble au tonnerre,</l>
         <l>Et qui des pieds touchant la terre,</l>
         <l>Cache sa tête dans les cieux ?</l>
        </quote>
        <p>Dans le même <hi rend="i">Homère</hi>, Jupiter, après avoir parlé, <quote><hi rend="i"
           >fait un signe de ses noirs sourcils ; les cheveux sacrés du roi des Dieux se dressent et
           se relèvent sur sa tête immortelle ; et tout l’Olympe est ébranlé par ce signe
           redoutable</hi></quote>.</p>
        <p><hi rend="i">Virgile</hi>, dans son <hi rend="i">Énéide</hi>, fait assembler <pb n="314"
          xml:id="p314"/>les Divinités de la Cour céleste. <quote><hi rend="i">Jupiter parle ; tous
           les Dieux se taisent ; la terre tremble ; un profond silence règne au haut des airs ; les
           vents retiennent leur haleine ; la mer calme ses flots…</hi></quote> Après avoir parlé,
           <quote><hi rend="i">le Maître du monde incline sa tête ; et ce signe fait trembler tout
           l’Olympe</hi></quote>.</p>
        <p>On voit que cette dernière image a été imitée d’Homère. On la retrouve aussi dans <hi
          rend="i">Horace</hi> et dans <hi rend="i">Ovide</hi>. Le premier dit que Jupiter qui
           <quote><hi rend="i">signala sa puissance par la défaite des géants, ébranle, du mouvement
           de ses sourcils, toute la nature</hi></quote>. Le second, que ce père des Dieux,
           <quote><hi rend="i">en secouant sa terrible chevelure, ébranle le ciel, la terre et les
           mers</hi></quote>. Ces trois poètes, dit <hi rend="i">Rollin</hi>, semblent avoir partagé
         entre eux les trois vers d’Homère, et les trois circonstances qui y sont employées. <hi
          rend="i">Virgile</hi> s’en est tenu au signe de tête ; <hi rend="i">Ovide</hi> à
         l’agitation des cheveux ; et <hi rend="i">Horace</hi> au mouvement des sourcils.</p>
        <p><hi rend="i">Bossuet</hi> présente une image sublime, lorsqu’à la suite de cette pensée
         que j’ai déjà citée, <quote><hi rend="i">tout était Dieu, excepté Dieu
          lui-même</hi></quote>, il ajoute : <quote><hi rend="i">et le monde que Dieu avait fait
           pour manifester sa puissance, semblait être devenu un temple d’idoles</hi></quote>.</p>
        <p>En voici une autre du grand <hi rend="i">Corneille</hi> : c’est de Pompée qu’il
         parle.</p>
        <quote>
         <l>Il reçoit les adieux des siens et de sa femme,</l>
         <l>Leur défend de le suivre, et s’avance au trépas</l>
         <l>Avec le même front qu’il donnait des états.</l>
        </quote>
        <p><hi rend="i">Voltaire</hi>, dans le chant IV de sa <hi rend="i">Henriade</hi>, <pb
          n="315" xml:id="p315"/>a imité cette belle image, en disant du Président <hi rend="i">de
          Harlay</hi>, que <hi rend="i">Bussy</hi> (<hi rend="i">Leclerc</hi>) menace de faire
         conduire à la Bastille, avec tout le Parlement :</p>
        <quote>
         <l>Il se présente aux seize, et demande des fers,</l>
         <l>Du front dont il aurait condamné ces pervers.</l>
        </quote>
        <p>On trouve encore le vrai sublime des images dans les deux morceaux suivants. Le premier
         est tiré d’un sermon de <hi rend="i">Massillon</hi>, qui peint ainsi le néant des choses
         humaines.</p>
        <quote>
         <p>« Une fatale révolution, une rapidité que rien n’arrête, entraîne tout dans les abîmes
          de l’éternité. Les siècles, les générations, les empires, tout va se perdre dans ce
          gouffre. Tout y entre, et rien n’en sort. Nos ancêtres nous en ont frayé le chemin, et
          nous allons le frayer dans un moment à ceux qui viennent après nous. Ainsi les âges se
          renouvellent ; ainsi la figure du monde change sans cesse ; ainsi les morts et les vivants
          se succèdent et se remplacent continuellement : rien ne demeure ; tout s’use, tout
          s’éteint. Dieu seul est toujours le même, et ses années ne finissent point. Le torrent des
          âges et des siècles coule devant ses yeux ; et il voit avec un air de vengeance et de
          fureur de faibles mortels, dans le temps même qu’ils sont emportés dans le cours fatal,
          l’insulter, en passant, profiter de ce seul moment pour déshonorer son nom, et tomber au
          sortir de là entre les mains éternelles de sa colère et de sa justice. »</p>
        </quote>
        <pb n="316" xml:id="p316"/>
        <p>Celui-ci est la description du jugement dernier dans le poème de <hi rend="i">la
          Religion</hi> par <hi rend="i">Racine</hi> le fils. Il est plein de grandes idées et
         d’images sublimes : c’est un morceau de poésie fini.</p>
        <quote>
         <l>Déjà j’entends des mers mugir les flots troublés ;</l>
         <l>Déjà je vois pâlir les astres ébranlés.</l>
         <l>Le feu vengeur s’allume, et le son des trompettes</l>
         <l>Va réveiller les morts dans leurs sombres retraites.</l>
         <l>Ce jour est le dernier des jours de l’univers.</l>
         <l>Dieu cite devant lui tous les peuples divers ;</l>
         <l>Et pour en séparer les Saints, son héritage,</l>
         <l>De sa religion vient consommer l’ouvrage.</l>
         <l>La terre, le soleil, le temps, tout va périr,</l>
         <l>Et de l’éternité les portes vont s’ouvrir :</l>
         <l>Elles s’ouvrent. Le Dieu si long temps invisible</l>
         <l>S’avance, précédé de sa gloire terrible.</l>
         <l>Entouré du tonnerre au milieu des éclairs,</l>
         <l>Son trône étincelant s’élève dans les airs.</l>
         <l>Le grand rideau se tire ; et ce Dieu vient en maître.</l>
         <l>Malheureux, qui pour lors commence à le connaître !</l>
         <l>Ses anges ont partout fait entendre leur voix ;</l>
         <l>Et sortant de la poudre une seconde fois,</l>
         <l>Le genre humain tremblant, sans appui, sans refuge,</l>
         <l>Ne voit plus de grandeur que celle de son juge :</l>
         <l>Ébloui des rayons dont il se sent percer,</l>
         <l>L’impie avec horreur voudrait les repousser.</l>
         <l>Il n’est plus temps : il voit la gloire qui l’opprime :</l>
         <l>Il tombe enseveli dans l’éternel abîme…</l>
         <l>Et loin des voluptés où fut livré son cœur,</l>
         <l>Ne trouve devant lui que la rage et l’horreur.</l>
         <pb n="317" xml:id="p317"/>
         <l>Le vrai chrétien lui seul ne voit rien qui l’étonne,</l>
         <l>Et sur ce tribunal que la foudre environne,</l>
         <l>Il voit le même Dieu, qu’il a cru, sans le voir,</l>
         <l>L’objet de son amour, la fin de son espoir.</l>
         <l>Mais il n’a plus besoin de foi ni d’espérance :</l>
         <l>Un éternel amour en est la récompense.</l>
        </quote>
        <p>Tout ce qu’on pourrait dire sur l’usage de chacun des trois styles dont j’ai parlé, et du
         sublime des pensées, des sentiments, des images, est renfermé dans le peu que j’ai dit de
         la convenance du style en général. L’Écrivain, qui non seulement connaît les principes de
         sa langue, et qui les observe, qui enchaîne bien ses idées, et qui les présente sous un
         jour lumineux ; mais encore qui n’est jamais ni au-dessus ni au-dessous du sujet qu’il
         traite, employant tour à tour le style simple, le style fleuri, le style sublime, selon que
         la matière s’élève ou s’abaisse ; cet Écrivain, dis-je, est un Écrivain parfait. Voyons par
         où il peut mériter le titre d’homme vraiment éloquent.</p>
       </div5>
      </div4>
     </div3>
     <div3 type="chapter">
      <head type="sur">Chapitre II. </head>
      <head type="main"><hi rend="i">De l’Éloquence</hi>.</head>
      <p><hi rend="sc">Nulle</hi> autre force que l’éloquence, suivant la pensée de <hi rend="i"
        >Cicéron</hi><note n="1" place="bottom">De Orat, n° 8.</note>, n’a pu <pb n="318"
        xml:id="p318"/>dans l’origine des temps, engager les hommes dispersés et féroces, à se
       réunir et à se civiliser. C’est elle sans doute qui leur mit devant les yeux l’utile et
       l’honnête, leur fit goûter la raison, les rendit doux et humains, cimenta parmi eux la bonne
       foi et la justice, les accoutuma à la subordination, et les détermina non seulement à ne pas
       épargner leurs peines, mais même à sacrifier leur vie pour le bien public.</p>
      <p>Nous ne doutons point que ce changement si considérable n’ait été l’ouvrage de l’éloquence,
       si nous nous formons une juste idée du pouvoir qu’elle a sur les esprits et sur les cœurs.
       Examinons dans cette vue, 1°. <hi rend="i">en quoi</hi> elle <hi rend="i">consiste</hi> ; 2°.
       quels en sont les différents <hi rend="i">genres</hi> ou <hi rend="i">caractères</hi>.</p>
      <div4 type="article">
       <head type="sur"><hi rend="sc">Article</hi> I. </head>
       <head type="main"><hi rend="i">En quoi consiste l’Éloquence</hi>.</head>
       <p>L’éloquence est le talent de persuader, c’est-à-dire, de déterminer ceux qui nous écoutent
        à croire ou à faire quelque chose. Pour en venir à bout, il faut émouvoir puissamment leur
        âme, et y imprimer avec force les sentiments dont nous sommes nous-mêmes pénétrés.</p>
       <p>Mais est-il bien vrai, dira-t-on sans doute, que l’Orateur doive éprouver les sentiments
        qu’il veut faire passer dans l’âme de ses auditeurs, puisqu’il y a tant d’écrivains qui
        n’avaient assurément pas les <pb n="319" xml:id="p319"/>vertus qu’ils font aimer par leurs
        ouvrages ?</p>
       <p>On répond à cela qu’au moment où ces Auteurs ont écrit, ils ont dû nécessairement être
        remplis de l’amour de ces vertus : et comment auraient-ils pu nous les peindre si dignes
        d’être aimées ? Mais ce sentiment, quoique très vif et très pénétrant, n’a été
        malheureusement en eux que passager. Il en est de même des auditeurs ou des lecteurs qui,
        après avoir entendu ou lu un discours éloquent, ne croient ni ne font rien de ce que leur a
        dit l’Orateur. Ils ont été intimement persuadés ; mais cette persuasion n’a été que
        momentanée : des causes étrangères ont empêché qu’elle n’eût des effets sensibles et
        durables.</p>
       <div5 type="section">
        <head>Éloquence indépendante des règles.</head>
        <p>L’éloquence véritable et proprement dite, est comme le pathétique et le vrai sublime ; et
         peut-être ne sont-ils tous les trois qu’une seule et même chose : c’est ce qu’il est
         inutile de discuter ici. Bornons-nous à dire que l’extraordinaire les caractérise
         également. Le pathétique, en effet, est un trait d’une énergie et d’une véhémence
         extraordinaire qui émeut et agite l’âme ; le sublime, un trait d’une noblesse et d’une
         grandeur extraordinaire qui la transporte et l’élève ; l’éloquence, un trait d’une vivacité
         et d’une rapidité extraordinaire qui la pénètre, la subjugue et la maîtrise. Mais celle ci
         ne peut arriver à sa fin, que par le secours des deux autres, parce que pour subjuguer et
         maîtriser l’âme, il faut <pb n="320" xml:id="p320"/>nécessairement l’agiter avec violence,
         et l’élever au-dessus d’elle-même.</p>
        <p>Une âme vraiment grande a des idées sublimes : un cœur vraiment sensible a des sentiments
         vifs et profonds. Pour être véritablement éloquent, il faut donc non seulement penser avec
         noblesse, mais encore sentir vivement et avec chaleur : on n’aura pas de peine à s’exprimer
         de même. Ces dons heureux ne peuvent être le fruit du travail ; ce sont des talents qui ne
         s’acquièrent point par l’étude : nous les devons à la seule nature. Il n’y a donc point de
         règles que l’art ait pu et puisse jamais inventer, pour nous apprendre à être proprement
         éloquents : c’est une vérité incontestable. Mais en voici une autre qui ne l’est pas
         moins.</p>
       </div5>
       <div5 type="section">
        <head>Éloquence acquise par l’étude.</head>
        <p>L’éloquence consiste, comme je viens de le dire, dans un trait vif et rapide, qui part
         d’un sentiment profond. Mais il est impossible que ces sortes de traits soient en bien
         grand nombre dans un Ouvrage : ils n’y paraissent que rarement et par intervalles. Un homme
         pourra bien, sans le secours des règles que les grands maîtres ont tracées, en produire
         quelques-uns et faire même un morceau vraiment éloquent, que lui dictera le seul sentiment
         dont il sera pénétré. Mais pourra-t-il, sans le secours de ces règles, composer un discours
         qui soit beau dans son ensemble et dans toutes ses parties ; qui ne pèche ni par le plan ni
         par le style ? Non sans doute : il est impossible qu’il ne <pb n="321" xml:id="p321"
         />défigure ces morceaux éloquents par d’autres morceaux défectueux. C’est ce que font tous
         les jours des hommes, qui ont reçu de la nature les plus heureuses dispositions, mais
         qu’ils n’ont pas eu soin de cultiver par l’étude. C’est ce qu’ont fait même les plus grands
         génies qui ont paru avant les beaux siècles des arts. Il y a, par exemple, dans les poèmes
         dramatiques de <hi rend="i">Shakespeare</hi>, des morceaux d’une vraie éloquence, que
         déparent d’autres morceaux pleins de défauts monstrueux. Si ce Tragique anglais avait connu
         les règles, il aurait certainement évité ces fautes de négligence et de mauvais goût.</p>
        <p>Le génie peut sans doute prendre son essor, et s’élever de lui-même. Mais il a besoin
         d’un ferme appui pour ne pas tomber, d’un guide sûr et fidèle pour ne pas s’égarer. Cet
         appui et ce guide, ce sont les règles. Il est vrai, encore une fois, que l’étude de ces
         règles ne donne point cette éloquence qui, par intervalles, excite en nous les plus grands
         mouvements, le plus vif enthousiasme. Mais il est constant que l’étude de ces règles, en
         développant et perfectionnant le jugement, la raison et le goût, donne cette éloquence qui
         met du choix, de l’ordre, de l’intérêt, de la variété dans les choses qu’on doit dire ; qui
         flatte l’esprit par les charmes d’une élocution belle et soutenue, s’ouvre avec douceur
         l’entrée de nos cœurs, et leur cause une émotion délicieuse et durable. Dans un bon
         ouvrage, les endroits où règne <pb n="322" xml:id="p322"/>l’éloquence proprement dite, sont
         comme ces objets que la nature seule a produits avec toute la beauté dont ils étaient
         susceptibles. Les endroits (et c’est assurément le plus grand nombre) où règne cette
         éloquence acquise par l’étude, sont comme ces objets, dont la beauté naturelle a eu besoin
         d’être relevée par des ornements artificiels.</p>
        <p>Concluons donc que l’éloquence véritable et proprement dite, est un talent heureux, mais
         bien rare, qui ne peut être qu’un don de la nature, et que l’autre espèce d’éloquence est
         un art qui ne peut s’acquérir que par l’étude et l’exercice. L’objet de cette étude pour
         l’Orateur, est une connaissance profonde des règles qui concernent le plan, l’ordonnance,
         l’économie et le style du discours ; règles que j’exposerai dans la suite, en parlant du
         discours oratoire en général et de ses différentes espèces.</p>
        <p>Persuader est le propre de l’éloquence : peindre est le propre de la poésie. Mais il
         n’est pas rare que ces deux talents se trouvent ensemble. Assez ordinairement l’Orateur ne
         persuade, qu’en peignant avec force et avec vérité : bien souvent aussi le Poète, en
         présentant des tableaux énergiques et vrais, parvient jusqu’à émouvoir et à persuader. Un
         écrivain peut donc être éloquent non seulement en prose, mais encore en vers. J’ajoute
         qu’il peut l’être, quelque sujet qu’il traite, soit dans le genre noble, soit dans le
         familier. Il suffit pour cela qu’il sente vivement, et s’exprime de même. Le <pb n="323"
          xml:id="p323"/>Paysan du Danube, dans une des fables de <hi rend="i">La Fontaine</hi>, est
         aussi éloquent que Burrhus, dans une des tragédies de <hi rend="i">Racine</hi>. On en
         jugera par le discours de l’un et de l’autre, que je vais rapporter. Le premier avait été
         député des villes de la Germanie<note n="a" place="bottom">Voyez ce mot, dans les notes, à
          la fin de ce Volume.</note>, vers les Romains, pour se plaindre des vexations des Préteurs
         qu’ils avaient envoyés dans ce pays. Il parut à Rome en plein Sénat. Voici la harangue que
          <hi rend="i">La Fontaine</hi> met dans sa bouche :</p>
        <quote>
         <l>Romains, et vous, Sénat, assis pour m’écouter,</l>
         <l>Je supplie avant tout les Dieux de m’assister.</l>
         <l>Veuillent les immortels conducteurs de ma langue,</l>
         <l>Que je ne dise rien qui doive être repris !</l>
         <l>Sans leur aide il ne peut entrer dans les esprits,</l>
         <l>        Que tout mal et toute injustice.</l>
         <l>Faute d’y recourir on viole leurs lois ;</l>
         <l>Témoins nous que punit la romaine avarice.</l>
         <l>Rome est par nos forfaits plus que par ses exploits</l>
         <l>        L’instrument de notre supplice.</l>
         <l>Craignez, Romains, craignez que le ciel quelque jour</l>
         <l>Ne transporte chez vous les pleurs et la misère,</l>
         <l>En mettant en nos mains, par un juste retour,</l>
         <l>Les armes dont se sert sa vengeance sévère,</l>
         <l>        Il ne vous fasse en sa colère</l>
         <l>        Nos esclaves à votre tour.</l>
         <l>Et pourquoi sommes-nous les vôtres ? qu’on me die.</l>
         <pb n="324" xml:id="p324"/>
         <l>En quoi vous valez mieux que cent peuples divers :</l>
         <l>Quel droit vous a rendus maîtres de l’univers ?</l>
         <l>Pourquoi venir troubler une innocente vie ?</l>
         <l>Nous cultivons en paix d’heureux champs ; et nos mains</l>
         <l>Étaient propres aux arts ainsi qu’au labourage.</l>
         <l>        Qu’avez-vous appris aux Germains ?</l>
         <l>        Ils ont l’adresse et le courage :</l>
         <l>        S’ils avaient eu l’avidité</l>
         <l>        Comme vous, et la violence,</l>
         <l>Peut-être en votre place ils auraient la puissance,</l>
         <l>Et sauraient en user sans inhumanité.</l>
         <l>Celle que vos Préteurs ont sur nous exercée,</l>
         <l>        N’entre qu’à peine en la pensée.</l>
         <l>        La majesté de vos autels,</l>
         <l>        Elle-même en est offensée ;</l>
         <l>        Car sachez que les immortels</l>
         <l>Ont les regards sur vous. Grâces à vos exemples</l>
         <l>Ils n’ont devant les yeux que des objets d’horreur,</l>
         <l>        De mépris d’eux et de leurs temples,</l>
         <l>D’avarice qui va jusques à la fureur.</l>
         <l>Rien ne suffit aux gens qui nous viennent de Rome :</l>
         <l>        La terre et le travail de l’homme</l>
         <l>Font, pour les assouvir, des efforts superflus.</l>
         <l>        Retirez-les : on ne veut plus</l>
         <l>        Cultiver pour eux les campagnes.</l>
         <l>Nous quittons les cités, nous fuyons aux montagnes ;</l>
         <l>        Nous laissons nos chères compagnes ;</l>
         <l>Nous ne conversons plus qu’avec des ours affreux,</l>
         <l>Découragés de mettre au jour des malheureux,</l>
         <l>Et de peupler pour Rome un pays qu’elle opprime.</l>
         <l>        Quant à nos enfants déjà nés,</l>
         <l>Nous souhaitons de voir leurs jours bientôt bornés.</l>
         <pb n="325" xml:id="p325"/>
         <l>Vos Prêteurs au malheur nous font joindre le crime :</l>
         <l>        Retirez-les ; ils ne nous apprendront</l>
         <l>        Que la mollesse et que le vice :</l>
         <l>        Les Germains comme eux deviendront</l>
         <l>        Gens de rapine et d’avarice.</l>
         <l>C’est tout ce que j’ai vu dans Rome à mon abord.</l>
         <l>        N’a-t-on point de présent à faire ?</l>
         <l>Point de pourpre à donner ? c’est en vain qu’on espère</l>
         <l>Quelque refuge aux lois : encor leur ministère</l>
         <l>A-t-il mille longueurs. Ce discours un peu fort</l>
         <l>        Doit commencer à vous déplaire.</l>
         <l>        Je finis. Punissez de mort</l>
         <l>        Une plainte un peu trop sincère.</l>
         <l>À ces mots, il se couche, et chacun étonné</l>
         <l>Admire le grand cœur, le bon sens, l’éloquence</l>
         <l>        Du sauvage ainsi prosterné.</l>
        </quote>
        <p>Dans la tragédie de <hi rend="i">Britannicus</hi>, Néron<note n="a" place="bottom">Voyez
          ce mot, dans les notes, à la fin de ce Volume.</note> a conçu l’horrible dessein de faire
         empoisonner Britannicus son frère. Burrhus, ancien gouverneur de cet empereur, veut l’en
         détourner, et lui tient ce discours :</p>
        <quote>
         <l>C’est à vous à choisir ; vous êtes encor maître.</l>
         <l>Vertueux jusqu’ici vous pouvez toujours l’être.</l>
         <l>Le chemin est tracé ; rien ne vous retient plus :</l>
         <l>Vous n’avez qu’à marcher de vertus en vertus.</l>
         <l>Mais si de vos flatteurs vous suivez la maxime,</l>
         <l>Il vous faudra, Seigneur, courir de crime en crime ;</l>
         <pb n="326" xml:id="p326"/>
         <l>Soutenir vos rigueurs par d’autres cruautés,</l>
         <l>Et laver dans le sang vos bras ensanglantés.</l>
         <l>Britannicus mourant excitera le zèle</l>
         <l>De ses amis tout prêts à prendre sa querelle.</l>
         <l>Ces vengeurs trouveront de nouveaux défenseurs,</l>
         <l>Qui même après leur mort auront des successeurs ;</l>
         <l>Vous allumez un feu qui ne pourra s’éteindre.</l>
         <l>Craint de tout l’univers, il vous faudra tout craindre,</l>
         <l>Toujours punir, toujours trembler dans vos projets,</l>
         <l>Et pour vos ennemis compter tous vos sujets.</l>
         <l>Ah ! de vos premiers ans l’heureuse expérience</l>
         <l>Vous fait-elle, Seigneur, haïr votre innocence ?</l>
         <l>Songez-vous au bonheur qui les a signalés ?</l>
         <l>Dans quel repos, ô ciel ! les avez-vous coulés !</l>
         <l>Quel plaisir de penser et de dire en vous-même :</l>
         <l>« Partout en ce moment on me bénit, on m’aime ;</l>
         <l>« On ne voit point le peuple à mon nom s’alarmer.</l>
         <l>« Le ciel dans tous leurs pleurs ne m’entend point nommer ;</l>
         <l>« Leur sombre inimitié ne fuit point mon visage :</l>
         <l>« Je vois voler partout les cœurs à mon passage ».</l>
         <l>Tels étaient vos plaisirs. Quel changement, ô Dieux ?</l>
         <l>Le sang le plus abject vous était précieux.</l>
         <l>Un jour, il m’en souvient, le Sénat équitable</l>
         <l>Vous pressait de souscrire à la mort d’un coupable ;</l>
         <l>Vous résistiez, Seigneur, à leur sévérité ;</l>
         <l>Votre cœur s’accusait de trop de cruauté ;</l>
         <l>Et plaignant les malheurs attachés à l’empire,</l>
         <l><hi rend="i">Je voudrois</hi>, disiez-vous, <hi rend="i">ne savoir pas écrire</hi>.</l>
         <l>Non, ou vous me croirez ; ou bien de ce malheur</l>
         <l>Ma mort m’épargnera la vue et la douleur.</l>
         <pb n="327" xml:id="p327"/>
         <l>On ne me verra point survivre à votre gloire,</l>
         <l>Si vous allez commettre une action si noire.</l>
         <stage>(se jetant aux pieds de Néron,)</stage>
         <l>Me voilà prêt, Seigneur, avant que de partir,</l>
         <l>Faites percer ce cœur qui n’y peut consentir ;</l>
         <l>Appelez les cruels qui vous l’ont inspirée ;</l>
         <l>Qu’ils viennent essayer leur main mal assurée.</l>
         <l>Mais je vois que mes pleurs touchent mon empereur ;</l>
         <l>Je vois que sa vertu frémit de leur fureur.</l>
        </quote>
        <p>Il n’est aucun homme sensible, qui, à la lecture de ces deux morceaux, ne conçoive et
         n’éprouve lui-même les vives impressions qu’ils durent faire, l’un sur le Sénat de Rome,
         l’autre sur Néron. On croira sans peine que le <hi rend="i">paysan du Danube</hi> fit
         passer dans l’âme des Sénateurs la juste indignation dont il était transporté contre les
         vexations tyranniques des Préteurs romains ; et que Burrhus remplit l’âme de Néron du
         sentiment d’horreur dont il avait été lui-même saisi à la seule idée de cet empoisonnement.
         Aussi le Sénat, rappelant les Préteurs qu’il avait envoyés en Germanie, admit dans son sein
         l’éloquent paysan ; et Néron, persuadé par le discours de Burrhus, révoqua sur-le-champ
         l’ordre qu’il avait donné pour la consommation de son crime, disant qu’il voulait se
         réconcilier avec son frère. Voilà la véritable éloquence et ses heureux effets.</p>
        <p>Qu’on ne dise point que cet empereur revint, bientôt après, à son premier dessein, et que
         malheureusement il le fit <pb n="328" xml:id="p328"/>exécuter. Cela prouverait-il qu’il
         n’avait pas été intimement persuadé par l’éloquence de son ancien gouverneur ? Non sans
         doute ; puisque sans les conseils parricides d’un confident aussi rusé que scélérat, il
         aurait étouffé toute sa haine dans les bras de son frère. Cette objection n’affaiblirait en
         rien le pouvoir et la force de l’éloquence, qui, comme je l’ai déjà dit, n’a souvent que
         des effets momentanés, parce qu’elle ne peut pas enchaîner la volonté de l’homme, qui, de
         sa nature, est toujours libre et maître de ses actions.</p>
        <p>Au reste, peu importe que les faits dont il s’agit ici, soient imaginés ou réellement
         vrais. S’ils ont été inventés, il suffit qu’ils soient aussi vraisemblables qu’ils puissent
         l’être, et que par conséquent il y ait des raisons de croire que, dans leur réalité, ils se
         seraient passés de la même manière que nos deux Poètes le supposent dans la fiction qu’ils
         emploient.</p>
       </div5>
      </div4>
      <div4 type="article">
       <head type="sur"><hi rend="sc">Article</hi> II. </head>
       <head type="main"><hi rend="i">Des divers Genres d’Éloquence</hi>.</head>
       <p>Il y a trois <hi rend="i">genres</hi> ou caractères d’éloquence : le genre <hi rend="i"
         >simple</hi>, qui dit les choses telles qu’elles sont ; le genre <hi rend="i">fleuri</hi>,
        qui les orne et les embellit ; le genre <hi rend="i">sublime</hi>, qui déploie tout ce que
        les pensées, les sentiments et les expressions ont de plus élevé, de plus frappant et de
        plus pompeux. Quoiqu’ils ne doivent pas être confondus avec les <pb n="329" xml:id="p329"
        />trois styles auxquels on donne le même nom, il est cependant vrai de dire que de justes
        notions de ceux-ci aident beaucoup à se former une idée nette de ces trois genres
        d’éloquence.</p>
       <div5 type="section">
        <head type="sur">I. </head>
        <head type="main"><hi rend="i">Du Genre simple</hi>.</head>
        <p>Le genre <hi rend="i">simple</hi> présente les objets sans les revêtir d’aucun ornement
         recherché. La délicatesse des pensées et l’élégance des expressions s’y font plus sentir
         qu’elles ne paraissent. S’il peint par des images, ces images sont moins fortes que
         gracieuses : s’il exprime des sentiments, ces sentiments portent dans l’âme une émotion
         plus douce que vive. Agréable et touchant, suivant la pensée de <hi rend="i"
          >Cicéron</hi><note n="1" place="bottom">De Orat., n° 77.</note>, sans chercher à le
         paraître, il dédaigne, comme ces beautés modestes, toute parure affectée, tout ce qui
         s’appelle fard et ornement étranger. La propreté seule, jointe aux grâces naturelles, lui
         suffit. Ce n’est pas la nature brute et sauvage qu’il demande : c’est la nature sans pompe,
         sans ornements affectés, sans dessein formé de plaire. On voit par-là que ce genre
         s’éloigne peu de la manière commune de parler. Cependant qu’on ne s’imagine pas qu’il faut
         peu de talent pour y exceller. La justesse et la précision sont les deux principales
         qualités qui le caractérisent ; et ces qualités sont bien rares dans les écrivains.</p>
        <pb n="330" xml:id="p330"/>
        <p>Parmi les anciens, <hi rend="i">Phèdre</hi> dans ses Fables,<hi rend="i">Térence</hi>
         dans ses Comédies, <hi rend="i">Horace</hi> dans ses Épîtres et ses Satyres, <hi rend="i"
          >Cicéron</hi> dans ses Lettres ; parmi nous <hi rend="i">La Fontaine</hi> et madame <hi
          rend="i">de Sévigné</hi> offrent en ce genre des exemples sans nombre. Néanmoins leurs
         meilleurs morceaux sont inférieurs à l’histoire admirable de Joseph<note n="a"
          place="bottom">Voyez ce mot, dans les notes, à la fin de ce Volume.</note> dans
         l’écriture. Il n’est pas possible de trouver un plus beau chef d’œuvre d’éloquence dans le
         genre simple. Voici le discours que Juda<note n="b" place="bottom">Voyez ce mot, <hi
           rend="i">ibid.</hi></note> fait à Joseph qui gouvernait en Égypte, pour le prier de ne
         point retenir captif son frère Benjamin<note n="c" place="bottom">Voyez ce mot,<hi rend="i"
           >ibid.</hi></note>, mais de le garder plutôt lui-même à sa place.</p>
        <quote>
         <p>« Mon Seigneur, permettez, je vous prie, à votre serviteur de vous dire un mot, et ne
          vous mettez pas en colère contre votre esclave ; car vous jugez aussi souverainement que
           Pharaon<note n="1" place="bottom">Ce mot signifie <hi rend="i">roi</hi>, dans l’ancienne
           langue des Égyptiens.</note>. Mon Seigneur a demandé d’abord à ses serviteurs : avez-vous
          encore votre père et quelque autre frère ? Et nous avons répondu à mon Seigneur : Nous
          avons un père fort âgé, et un jeune frère qui est né dans sa vieillesse ; son frère qui
          est né de la même mère est mort : il est resté seul, et son père l’aime tendrement. Vous
          dîtes alors à vos serviteurs : Amenez-le <pb n="331" xml:id="p331"/>moi ; je serai bien
          aise de le voir. Et nous dîmes à mon Seigneur : le jeune homme ne peut quitter son père ;
          car s’il s’éloigne de lui, son père mourra. Et vous dîtes à vos serviteurs : Si votre
          jeune frère ne vient avec vous, vous ne paraîtrez plus devant moi. Quand nous fûmes
          retournés vers notre père votre serviteur, nous lui rapportâmes ce que mon Seigneur nous
          avait dit. Quelque temps après, notre père nous dit : Retournez en Égypte, et achetez-nous
          des vivres. Nous lui répondîmes : Nous irons si notre jeune frère vient avec nous ; sans
          cela nous n’irons point, parce que nous ne pouvons paraître devant celui qui commande en
          Égypte, que notre jeune frère ne soit avec nous. Et notre père votre serviteur nous dit :
          Vous savez que Rachel<note n="a" place="bottom">Voyez ce mot, dans les notes, à la fin de
           ce Volume.</note> mon épouse m’a donné deux fils ; l’un étant sorti d’auprès de moi, j’ai
          cru qu’une bête l’avait dévoré, et je ne l’ai pas revu depuis ce temps-là. Si vous emmenez
          encore celui-ci, et qu’il lui arrive quelque accident, vous accablerez ma vieillesse d’une
          affliction qui la conduira au tombeau. Maintenant donc si je retourne vers mon père votre
          serviteur, et que ce jeune homme n’y soit pas, comme sa vie dépend absolument de celle de
          son fils, dès qu’il ne le verra point avec nous, il mourra, et vos serviteurs accableront
          sa <pb n="332" xml:id="p332"/>vieillesse d’une douleur qui le mettra au tombeau. C’est moi
          qui ai répondu de ce jeune homme à mon père, en disant : Si je ne vous le ramène, je
          consens d’être coupable à vos yeux tous les jours de ma vie. Que ce soit donc moi, je vous
          prie, qui demeure esclave de mon Seigneur en la place du jeune homme, et qu’il s’en
          retourne avec ses frères ; car comment retournerai-je sans lui, pour être témoin de
          l’extrême affliction qui accablera mon père ? »</p>
        </quote>
       </div5>
       <div5 type="section">
        <head type="sur">II. </head>
        <head type="main"><hi rend="i">Du Genre fleuri</hi>.</head>
        <p>Le genre <hi rend="i">fleuri</hi> se pare de tous les ornements de l’art, sans prendre
         soin de les cacher. Il joint aux grâces du sentiment le coloris de l’imagination ; et en
         s’attachant à plaire par tout ce que l’élocution a de plus séduisant, il contribue
         merveilleusement à la persuasion. Ce qui le caractérise principalement, ce sont les pensées
         brillantes, les belles images, l’éclat des figures, l’agrément des digressions, la variété
         des tours, cette cadence nombreuse et périodique, cette harmonie de style qui charme
         l’oreille, et jette l’esprit dans une espèce d’enchantement. Néanmoins, dit <hi rend="i"
          >Quintilien</hi><note n="1" place="bottom">De Inst., L. 12, c. 10.</note>, il coule avec
         douceur, semblable à une belle rivière qui roule tranquillement une eau claire et pure, et
          <pb n="333" xml:id="p333"/>que des forêts verdoyantes ombragent des deux côtés.</p>
        <p>Les plus beaux modèles du genre fleuri chez les anciens, sont la plupart des Oraisons de
          <hi rend="i">Cicéron</hi>, et le Panégyrique de Trajan par <hi rend="i">Pline</hi>. Parmi
         nous ce sont les Oraisons funèbres de <hi rend="i">Fléchier</hi>, les Eloges des
         Académiciens par <hi rend="i">Fontenelle</hi>, et les Sermons du Père <hi rend="i">de
          Neuville</hi>, surtout son <hi rend="i">Oraison funèbre</hi> du cardinal <hi rend="i">de
          Fleuri</hi><note n="a" place="bottom">Voyez ce mot, dans les notes, à la fin de ce
          Volume.</note>, d’où le morceau suivant a été tiré.</p>
        <quote>
         <p>« Le moment arrivait où ce mérite si modeste devait se développer aux yeux de l’Univers,
          et par tous les services qu’un sujet peut rendre à son roi, se montrer digne de tout ce
          qu’un roi peut faire pour son sujet. Louis XIV, ce monarque, la gloire de son peuple et de
          son siècle, la gloire de la religion et de l’État, plus héros dans le déclin des années et
          dans l’adversité, que dans le brillant de la jeunesse et de ses victoires, et dont la
          vertu éprouvée par la disgrâce, força enfin la fortune à rougir de son inconstance, lui
          fit sentir sa faiblesse, lui apprit qu’il ne lui appartient ni de donner, ni d’ôter la
          véritable grandeur ; Louis XIV avait vu passer comme l’ombre sa nombreuse postérité. Seul
          dans ses palais immenses, il semble se survivre à lui-même : ses yeux prêts à se fermer
          pour toujours, n’aperçoivent, à la place <pb n="334" xml:id="p334"/>de tant de fleurs
          moissonnées dans leur printemps, qu’une fleur à peine éclose, faible, chancelante, presque
          dévorée par le souffle qui avait séché, consumé tant de tiges si florissantes. Nouveau
           Joas<note n="a" place="bottom">Voyez ce mot, dans les notes, à la fin de ce
           Volume.</note>, unique reste du sang de David, arraché aux débris de son auguste maison,
          ayant peine à se faire jour à travers les ruines sous lesquelles il parut enseveli : dans
          cet enfant se réunissent les mouvements de son cœur et les vues de son esprit, les
          tendresses d’un père et les projets d’un roi. Oh ! si du moins il pouvait, par ses leçons
          et par ses exemples, le former dans le grand art de régner ! Mais le temps s’écoule ; le
          tombeau s’ouvre devant le monarque ; le tombeau l’attend et le demande : il pense donc à
          se remplacer auprès de son successeur. Or sur qui tombera le choix de ce prince vieilli
          dans l’étude et dans la connaissance des hommes ; de ce prince, dont le choix des <hi
           rend="i">Bossuet</hi> et des <hi rend="i">Fénelon</hi> avait prouvé et honoré les
          lumières ? Il appelle l’évêque de Fréjus, et lui remet les destinées de son sang et de son
          royaume. »</p>
        </quote>
       </div5>
       <div5 type="section">
        <head type="sur">III. </head>
        <head type="main"><hi rend="i">Du Genre sublime</hi>.</head>
        <p>Le genre sublime se reconnaît à l’élévation des pensées, à la pompe des <pb n="335"
          xml:id="p335"/>expressions, à la vivacité des images, à la noblesse et à la grandeur des
         sentiments. Il émeut les esprits avec une adresse merveilleuse, agite l’âme avec violence,
         la transporte, l’enlève à elle-même. Majestueux, abondant et magnifique, dit <hi rend="i"
          >Cicéron</hi><note n="1" place="bottom">De Orat., n° 97.</note>, il réunit tout ce que
         l’art oratoire a de plus fort et de plus véhément. C’est cette espèce d’éloquence qui a
         enlevé les suffrages, qui s’est rendue maîtresse des délibérations publiques, qui a étonné
         le monde par le bruit et la rapidité de sa course ; qui, après avoir excité
         l’applaudissement et l’admiration des hommes, les laisse dans le désespoir d’atteindre à
         cette haute perfection où elle s’est élevée. En un mot, c’est elle qui règne souverainement
         sur les esprits et sur les cœurs ; qui tantôt brise tout ce qui ose lui résister, tantôt
         s’insinue dans l’âme des auditeurs par des charmes secrets, et tantôt y établit de
         nouvelles opinions, ou déracine celles qui paraissent les mieux affermies.</p>
        <p><hi rend="i">Quintilien</hi> compare ce genre d’éloquence à un fleuve impétueux, qui
         entraîne tout, jusqu’aux pierres et aux rochers, rompt ses ponts et ses digues, ne connaît
         d’autres rives que celles qu’il se fait lui-même, s’enfle et s’irrite de plus en plus dans
         son cours. Aussi l’Orateur, dit-il<note n="2" place="bottom">De Inst., L. 12,
         c. 10.</note>, y emploie les couleurs les plus fortes et les plus vives. Tantôt il évoque
         les morts, tantôt il personnifie la patrie, <pb n="336" xml:id="p336"/>pour gémir sur les
         attentats d’un citoyen rebelle. Il élève son discours par la hardiesse des hyperboles,
         apostrophe les Dieux, prête de l’âme et du sentiment aux êtres inanimés, excite la colère
         et toutes sortes d’autres mouvements.</p>
        <p>Les Orateurs de l’antiquité qui ont le plus excellé dans ce genre d’éloquence, sont <hi
          rend="i">Démosthène</hi> et <hi rend="i">Cicéron</hi> : parmi nous, ce sont <hi rend="i"
          >Bourdaloue</hi>, <hi rend="i">Bossuet</hi> et <hi rend="i">Massillon</hi>. Le <hi
          rend="i">Sermon</hi> de ce dernier sur le petit nombre des élus, est plein de morceaux
         sublimes. Voici le plus frappant. L’orateur l’a imité d’un discours prononcé par le grand
          <hi rend="i">Saint Chrysostôme</hi>, dans l’église de Constantinople.</p>
        <quote>
         <p>« Je suppose que ce soit ici notre dernière heure à tous ; que les cieux vont s’ouvrir
          sur nos têtes ; que le temps est passé, et que l’éternité commence ; que Jésus-Christ va
          paraître, pour nous juger selon nos œuvres, et que nous sommes tous ici, pour attendre de
          lui l’arrêt de la vie ou de la mort éternelle. Je vous le demande, frappé de terreur comme
          vous, ne séparant point mon sort du vôtre, et me mettant dans la même situation où nous
          devons tous paraître un jour devant Dieu notre juge ; si Jésus-Christ, dis-je, paraissait
          dès à présent, pour faire la terrible séparation des justes et des pécheurs, croyez-vous
          que le nombre des justes fût sauvé ? Croyez-vous que le nombre des justes fût au moins
          égal à celui des pécheurs ? Croyez-vous <pb n="337" xml:id="p337"/>que, s’il faisait
          maintenant la discussion des œuvres du grand nombre qui est dans cette Église, il trouvât
          seulement dix justes parmi nous ? En trouverait-il un seul ? »</p>
        </quote>
        <p>Ce morceau, dit <hi rend="i">Voltaire</hi><note n="1" place="bottom">Mélang.
          Tom. I.</note>, est un des plus beaux traits d’éloquence qu’on puisse lire chez les
         Nations anciennes et modernes ; et le reste du discours n’est pas indigne de cet endroit si
         saillant. Il ajoute qu’à peine Massillon eut prononcé ces dernières paroles, qu’un
         transport de saisissement s’empara de tout l’auditoire : presque tout le monde se leva à
         moitié par un mouvement involontaire. Le murmure d’acclamation et de surprise fut si fort,
         qu’il troubla l’Orateur ; et ce trouble ne servit qu’à augmenter le pathétique de ce
         morceau.</p>
        <p>Aucun de ces trois genres ne se trouve ordinairement seul dans une pièce d’éloquence.
         Tous les trois y sont réunis, et s’y soutiennent l’un par l’autre. L’Orateur devant
         instruire, plaire et toucher, est obligé de les entremêler, parce que chacun de ces trois
         genres a un rapport plus marqué à chacun de ces trois devoirs. Dans les endroits du
         discours où il veut instruire, il doit s’exprimer d’une manière simple : dans les endroits
         où il veut plaire, il doit répandre les plus belles fleurs de l’élocution : dans les
         endroits où il veut toucher, il doit parler fortement au cœur, élever l’âme par le sublime
         des pensées et <pb n="338" xml:id="p338"/>des sentiments. Le genre simple est donc plus
         particulièrement propre à la preuve, quoiqu’il soit quelquefois pathétique et touchant. Le
         genre fleuri est plus particulièrement propre à plaire, quoiqu’il pénètre aussi quelquefois
         jusqu’au cœur. Mais le propre du genre sublime est toujours d’émouvoir vivement et de
         persuader : c’est le triomphe de l’éloquence ; c’est le talent suprême de l’Orateur.</p>
        <p>De plus grands détails sur l’art de bien écrire, me paraîtraient ici superflus : ils ne
         serviraient qu’à fatiguer la mémoire et l’esprit des jeunes gens, sans les instruire
         peut-être davantage. Il leur suffit d’en bien savoir les principes généraux, et de lire nos
         bons Écrivains, que je ferai connaître en exposant les règles des divers genres de
         littérature. Avant de traiter cette seconde Partie de mon Ouvrage, je vais faire quelques
         remarques sur le style épistolaire. Il est assez important aux jeunes gens de ne pas
         ignorer, en entrant dans le monde, la manière de bien écrire une lettre, et le cérémonial
         qu’on y doit observer.</p>
       </div5>
      </div4>
     </div3>
     <div3 type="chapter">
      <pb n="339" xml:id="p339"/>
      <head type="main">Observations <hi rend="sc">générales sur l’Art d’écrire les
       Lettres</hi></head>
      <p>Il y a deux espèces de lettres ; les unes qu’on appelle <hi rend="i">philosophiques</hi>,
       parce que l’on peut y discourir sur toutes sortes de matières ; y traiter de la morale, de
       l’homme, des passions, de la politique, de la littérature, en un mot de tous les arts, de
       toutes les sciences, et de tous les objets qui y ont quelque rapport. Les autres appelées <hi
        rend="i">familières</hi>, ne sont autre chose qu’une conversation par écrit entre des
       personnes absentes. Il n’est question ici que de celles de cette dernière espèce.</p>
      <div4 type="section">
       <head>Lettres familières.</head>
       <p>Tout ce qu’on peut dire sur le style propre aux lettres familières, est renfermé dans ce
        précepte si connu et si souvent recommandé ; qu’on doit écrire comme l’on parle. Mais il
        faut supposer qu’on parle bien ; et peut-être même est-on obligé de parler un peu mieux dans
        une lettre que dans la conversation, parce qu’on a le temps de choisir ses idées et ses
        expressions, et de leur donner un tour plus agréable. Cependant rien n’y doit paraître
        recherché en aucune manière. Le style simple et facile est le seul qui puisse être mis en
        usage. Dans les lettres de sentiment, il doit être pathétique, mais en pénétrant dans l’âme
         <pb n="340" xml:id="p340"/>avec douceur, sans trop échauffer l’imagination, sans exciter de
        grands mouvements. Dans les lettres d’agrément, il doit être fleuri, mais en n’admettant que
        des ornements naturels, et en rejetant toute parure affectée. Ce style pathétique, et ce
        style fleuri doivent toujours porter un caractère de simplicité.</p>
       <p>Deux excès sont à éviter dans le style épistolaire ; le trop d’art, c’est-à-dire, les
        pensées raffinées, les mots sonores, les figures éclatantes, les périodes nombreuses, les
        tours pompeux ou alambiqués. Madame <hi rend="i">de Maintenon</hi><note n="a" place="bottom"
         >Voyez ce mot, dans les notes, à la fin de ce Volume.</note> répondant à la lettre d’un
        jeune Ecclésiastique, pour qui elle s’intéressait, lui disait : <quote>« Je crois votre
         lettre très exacte, et dans toutes les règles de l’art de bien dire. Mais elle ne me paraît
         point conforme à celles du bon goût : je l’aurais voulue plus simple. Votre bon cœur est
         pressé de reconnaissance et d’amitié pour moi ; je vous permets de le dire ; car je suis
         fort touchée de ces sentiments, et ce sont des vertus : mais il fallait le dire sans
         chercher des termes et des expressions plus propres à une déclamation qu’à une
         lettre. »</quote></p>
       <p>L’autre excès est le trop de négligence. On doit dire dans une lettre les choses comme
        elles se présentent à l’esprit, sans se permettre jamais des mots impropres, des phrases
        triviales, des proverbes populaires. Par exemple, ces expressions, <hi rend="i">je vous
         écris ces deux <pb n="341" xml:id="p341"/>lignes</hi>, <hi rend="i">je prends la liberté de
         vous écrire</hi>, <hi rend="i">pour m’informer de l’état de votre santé, etc.</hi>, sont,
        non pas du style simple, mais du style bas : le ton de la bonne compagnie ne les souffre
        point. Il faut surtout éviter les grandes fautes de langage : elles décèlent une profonde
        ignorance des principes de notre langue, et par-là même une éducation négligée, qui ne peut
        donner qu’une idée peu favorable de l’homme qui écrit. Les jeunes gens doivent à cet égard
        s’appliquer à corriger leurs lettres, jusqu’à ce qu’ils aient acquis par l’habitude, la
        facilité d’écrire purement et avec grâce.</p>
       <p>Si l’on sent bien qui l’on est, et à qui l’on parle, on ne dira dans une lettre que ce que
        l’on doit dire, et on le dira de la manière dont on doit le dire. Le respect, le devoir,
        l’amitié, la supériorité même, ont chacun un langage particulier. La bonne éducation, le bon
        esprit, le sentiment nous dictent ce langage. Un inférieur concevra aisément qu’il doit
        parler en termes respectueux, sans trop s’abaisser ; un égal, qu’il ne doit point prendre un
        ton de hauteur ; un supérieur, qu’il ne doit pas trop faire sentir ce qu’il est. Un ami se
        livrera au sentiment, et laissera courir la plume : c’est au cœur seul à dicter les lettres
        d’amitié. On recommande cependant, et avec juste raison, d’y être réservé sur la
        plaisanterie : il ne faut se la permettre que rarement, en écrivant à un ami. Un bon mot
        peut être lu dans un moment d’humeur, et affaiblir, briser même insensiblement les liens de
        l’amitié.</p>
      </div4>
      <div4 type="section">
       <pb n="342" xml:id="p342"/>
       <head type="main">Différentes espèces de Lettres familières.</head>
       <p>Le style ne saurait être trop simple, trop clair et trop précis dans les lettres
        d’affaires. L’esprit et l’enjouement doivent en être bannis. Dites ce qu’il faut, et ne
        dites que ce qu’il faut : entrez en matière sans préambule, et passez d’un article à
        l’autre, sans chercher de transition. C’est là qu’il faut s’occuper plus des choses, que de
        la manière de les dire, pourvu qu’on s’exprime nettement et sans équivoque.</p>
       <p>Il n’en est pas de même dans les lettres de demande. Le ton doit en être modeste et
        respectueux, à proportion de la qualité de la personne à laquelle on écrit ; les expressions
        choisies, sans le paraître ; les pensées justes et convaincantes ; les tours agréables et
        propres à persuader. Mais l’art doit être ici bien caché. Quelquefois on obtient en louant
        avec finesse les personnes, en flattant leur vanité, en leur faisant même entrevoir qu’il
        est de leur intérêt de vous rendre service. Tout cela dépend du caractère de celui à qui
        l’on demande. Il faut le connaître par soi-même, ou par la voix publique.</p>
       <p>À ces sortes de lettres ressemblent, à bien des égards, les lettres de recommandation. La
        chaleur du sentiment, la douceur et l’agrément du style doivent les caractériser. On ne
        saurait trop y montrer l’intérêt qu’on prend à la personne pour laquelle on demande quelque
        chose, et dont on ne doit pas passer sous silence les talents et les vertus. <hi rend="i"
         >Cicéron</hi> est admirable dans ces sortes de lettres : il s’exprime, il sollicite, il
        insiste avec la plus vive chaleur, et avec cette éloquence qui <pb n="343" xml:id="p343"
        />entraîne le cœur et la volonté de celui à qui il écrit. <hi rend="i">Pline</hi> le <hi
         rend="i">jeune</hi> n’est ni moins zélé, ni moins pressant, ni moins pathétique dans ses
        lettres de recommandation. Nous n’en connaissons qu’une tout entière d’<hi rend="i"
         >Horace</hi>, celle qu’il écrivit à <hi rend="i">Tibère</hi>, pour le prier de placer
        auprès de-lui <hi rend="i">Septimius</hi>, dans un voyage que ce jeune Prince allait faire
        en Orient, à la tête d’une armée. <hi rend="i">Tibère</hi> en effet agréa <hi rend="i"
         >Septimius</hi>, et le fit ensuite connaître d’<hi rend="i">Auguste</hi>, qui ne tarda pas
        à lui donner son affection. Cette lettre est un vrai modèle en ce genre, principalement pour
        la précision, la délicatesse, et le ton qu’on doit prendre, quand on écrit dans ces
        circonstances à des personnes d’un rang élevé. La voici :</p>
       <quote>
        <p>« <hi rend="i">Septimius</hi> est sans doute le seul qui juge que j’ai quelque part à
         votre estime. Quand il me prie, ou plutôt quand il m’oblige de vous le recommander comme un
         homme digne d’entrer dans la maison et dans la confidence d’un Prince, qui ne choisit que
         des gens de mérite ; quand il se persuade que vous voulez bien m’honorer d’une amitié
         intime, il s’imagine certainement que je peux plus que je ne le crois moi-même. Je lui ai
         dit bien des raisons pour m’excuser. Mais enfin, j’ai appréhendé qu’il ne me soupçonnât de
         vouloir rabaisser mon crédit auprès de vous, et d’user de dissimulation envers lui, dans la
         vue de n’être utile qu’à moi-même. Ainsi, pour éviter ce reproche honteux, j’ai osé aspirer
         aux récompenses des courtisans les plus assidus. Si donc je vous parais digne <pb n="344"
          xml:id="p344"/>de quelque éloge, pour avoir franchi les bornes de la retenue et du
         respect, par déférence aux ordres d’un ami, je vous supplie d’accorder à <hi rend="i"
          >Septimius</hi> une place dans votre maison ; et croyez que vous aurez un homme de cœur et
         de probité. »</p>
       </quote>
       <p>Votre cœur doit fournir ce que vous avez à dire dans une lettre de remerciement. Si vous
        êtes vraiment sensible au service que vous avez reçu, vous ne manquerez ni d’expressions ni
        de tours pour en marquer toute votre reconnaissance, et pour louer la générosité de la
        personne qui vous a obligé. Mais ne vous imaginez pas qu’il faille pour cela une bien longue
        lettre. Le sentiment se peint souvent dans un seul mot. Voyez cette lettre du Maréchal <hi
         rend="i">de Tallard</hi> à Madame <hi rend="i">de Maintenon</hi>.</p>
       <quote>
        <label type="salute"><hi rend="sc">Madame</hi>,</label>
        <p>« Recevez, s’il vous plaît, ici mes très humbles remerciements du mot que vous me fîtes
         l’honneur de me dire hier. Rien n’égale vos bontés ; rien n’égale ma reconnaissance. Vous
         m’avez accordé votre protection pour me faire Chevalier de l’Ordre ; j’en ai ressenti les
         effets quand j’ai été Duc. Vous achèverez, Madame, quand il vous plaira, de me mettre au
         rang de mes camarades. Pour moi je ne songerai toute ma vie qu’à marquer au Roi et à vous
         la reconnaissance de ce que je dois à l’un et à <pb n="345" xml:id="p345"/>l’autre : trop
         heureux, Madame, si vous êtes aussi persuadée de mes sentiments que je le mérite. »</p>
       </quote>
       <p>Une lettre de félicitation ou de condoléance à un ami, est facile à faire, parce qu’on se
        réjouit ou l’on s’afflige réellement avec lui. Il n’en est pas de même de celles que la
        bienséance seule nous oblige d’écrire à un Supérieur ou à un égal. Il faut alors dans une
        lettre de félicitation employer ces lieux communs déjà épuisés, qui sont le mérite de la
        personne, la justice qui lui a été rendue, les espérances qu’elle peut concevoir pour
        l’avenir, et l’intérêt qu’on prend à tout ce qui la regarde. Ces sortes de lettres doivent
        être courtes. Celle ci peut servir de modèle. Elle est du Comte <hi rend="i">de Bussy</hi> à
        M. <hi rend="i">Mascaron</hi> sur sa nomination à l’évêché de Tulles.</p>
       <quote>
        <p>« Je viens d’apprendre avec beaucoup de joie, Monsieur, la grâce que le Roi vous a faite,
         non seulement pour l’intérêt de mon ami, mais encore pour celui de mon Maître. Je trouve
         qu’il est aussi beau au Roi de vous faire du bien, qu’à vous de le mériter. »</p>
       </quote>
       <p>Voici la réponse de <hi rend="i">Mascaron</hi> :</p>
       <quote>
        <p>« Le Roi m’a donné plus qu’il ne pense, Monsieur. Le compliment que la grâce qu’il m’a
         faite m’a attiré de votre part, est pour moi un second bien presque aussi précieux que le
         premier. Toute la différence que j’y vois, c’est qu’il ne m’est pas permis de croire que je
         sois digne d’un grand Évêché, et que mon cœur me dit que je mérite un peu de <pb n="346"
          xml:id="p346"/>part dans votre amitié par les sentiments avec lesquels, etc. »</p>
       </quote>
       <p>On ne me pardonnerait point de passer sous silence la lettre que le Duc <hi rend="i">de
         Montausier</hi>, cet homme d’une vertu si pure, si droite, si ferme et si courageuse,
        écrivit au grand Dauphin, son ancien élève, après la prise de Philipsbourg. La voici :</p>
       <quote>
        <label type="salute"><hi rend="sc">Monseigneur</hi>,</label>
        <p>« Je ne vous fais pas de compliment sur la prise de Philipsbourg<note n="a"
          place="bottom">Voyez ce mot, dans les notes, à la fin de ce Volume.</note> : vous aviez
         une bonne armée, une excellente artillerie et <hi rend="i">Vauban</hi><note n="b"
          place="bottom">Voyez ce mot, <hi rend="i">ibid.</hi></note>. Je ne vous en fais pas non
         plus sur les preuves que vous avez données de bravoure et d’intrépidité : ce sont des
         vertus héréditaires dans votre maison. Mais je me réjouis avec vous de ce que vous êtes
         libéral, généreux, humain, faisant valoir les services d’autrui, et oubliant les vôtres ;
         c’est sur quoi je vous fais mon compliment. »</p>
       </quote>
       <p>Le Duc <hi rend="i">de Montausier</hi> cessant de faire les fonctions de Gouverneur du
        Dauphin, lui avait dit : <quote><hi rend="i">Monseigneur, si vous êtes honnête homme, vous
          m’aimerez ; si vous ne <pb n="347" xml:id="p347"/>l’êtes pas, vous me haïrez, et je m’en
          consolerai.</hi></quote></p>
       <p>Les lettres de condoléance exigent un style sérieux, grave et négligé, un ton conforme à
        celui de la personne qui pleure. Quelques réflexions de piété y sont très bien placées,
        pourvu qu’elles ne soient pas longues. Il est bien des peines, bien des revers qui abattent
        cette fière raison, dont nous nous enorgueillissons. La douce, la consolante religion peut
        seule en relever le courage et ranimer les forces.</p>
       <p>Louis XV était convalescent à Metz. Madame la Duchesse <hi rend="i">de Ventadour</hi>,
        Gouvernante des Enfants de France, allait lui écrire pour le féliciter sur le rétablissement
        de sa santé, lorsqu’on vint lui annoncer la mort de Madame sixième, qui était élevée avec
        Mesdames à Fontevrault<note n="a" place="bottom">Voyez ce mot, dans les notes, à la fin de
         ce Volume.</note>. Au compliment de félicitation, elle joignit ainsi le compliment de
        condoléance.</p>
       <quote>
        <label type="salute">SIRE,</label>
        <p>« Après la grâce que le Seigneur vient d’accorder à la France, en lui conservant Votre
         Majesté, il ne fallait rien de moins qu’un Ange en ambassade pour l’en aller
         remercier. »</p>
       </quote>
       <pb n="348" xml:id="p348"/>
       <p>Il faut beaucoup de prudence et de circonspection dans une lettre de reproches.
        Plaignez-vous avec douceur ; la politesse l’exige. Mêlez même l’enjouement à vos plaintes :
        en blâmant les procédés de la personne, justifiez ses intentions ; c’est le moyen de ramener
        les esprits. Des reproches trop vifs et amers n’ont presque toujours d’autre effet qu’une
        rupture ouverte.</p>
       <p>Si au contraire vous avez des torts, ne rougissez point d’en convenir dans votre lettre.
        Montrez-vous touché d’avoir pu déplaire à celui à qui vous écrivez, et sincèrement disposé à
        réparer le passé. Il faut, dans ces lettres d’excuses, une manière de s’exprimer franche et
        naturelle, qui soit un sûr garant des sentiments du cœur. Dire qu’on se trompa hier, c’est
        faire voir, suivant la pensée de Pope, qu’on est plus sage aujourd’hui. Cette réflexion bien
        méditée doit nous engager à ne jamais dissimuler nos fautes. Notre amour-propre y trouve
        même son intérêt.</p>
       <p>Il y a bien peu de chose à dire sur ces lettres de bonne année, qui ne sont dictées que
        par les égards et les ménagements. Ce sont toujours les mêmes idées tant rebattues, et c’est
        ce qui les rend difficiles à faire. Le mieux est de souhaiter simplement aux personnes qu’on
        cultive une heureuse année, et de leur demander la continuation de leurs bontés. Il n’est
        peut-être pas en ce genre de plus beau souhait que celui qu’<hi rend="i">Ovide</hi> fit à
         <pb n="349" xml:id="p349"/><hi rend="i">Germanicus</hi><note n="a" place="bottom">Voyez ce
         mot, dans les notes, à la fin de ce Volume.</note>, et que le P. <hi rend="i">Brumoi</hi> a
        ainsi paraphrasé :</p>
       <quote>
        <l>Ovide pour vos destinées</l>
        <l>Ferait les souhaits les plus doux.</l>
        <l>Que le ciel donne les années ;</l>
        <l>Vous trouverez le reste en vous.</l>
       </quote>
       <p>Le style des lettres dans lesquelles on fait des récits ou des descriptions, peut être
        soigné, fleuri, avoir un certain éclat, pourvu que l’art ne paraisse point. Les peintures
        magnifiques, les grandes figures y seraient déplacées. Que le ton soit léger et badin, grave
        et sérieux, selon les choses qu’on raconte. Mais qu’il y ait toujours de la chaleur et de la
        rapidité dans le récit : c’est le moyen de flatter l’esprit et l’imagination, en même temps
        qu’on enchaîne la curiosité. Voyez la grâce et la vivacité, que Madame de Sévigné a mises
        dans ces détails du passage du Rhin.</p>
       <quote>
        <p>« Le comte <hi rend="i">de Guiche</hi> a fait une action, dont le succès le couvre de
         gloire ; car si elle eût tourné autrement, il était criminel. Il se charge de reconnaître
         si la rivière est guéable ; il dit qu’oui : elle ne l’est pas. Des escadrons entiers
         passent à la nage, sans se déranger : il est vrai qu’il passe le premier. Cela ne s’est
         jamais hasardé, cela réussit. Il enveloppe des escadrons et les force à se <pb n="350"
          xml:id="p350"/>rendre. Vous voyez bien que son bonheur et sa valeur ne se sont point
         séparés : mais vous devez avoir de grandes relations de tout cela. Un chevalier <hi
          rend="i">de Nantouillet</hi> était tombé de cheval ; il va au fond de l’eau, il revient ;
         il y rentre, il revient encore ; enfin il trouve la queue d’un cheval, il s’y attache ; ce
         cheval le mène à bord ; il monte sur le cheval, se trouve à la mêlée ; reçoit deux coups
         dans son chapeau, et revient gaillard. »</p>
        <!-- reprise -->
       </quote>
       <p>Tout fait image dans ce récit ; et tout y est naturel. Quelle légèreté ! quel enjouement !
        quel coloris ! Mais voici le ton du sentiment, l’expression de la douleur dans cette lettre,
        où Madame <hi rend="i">de Sévigné</hi> annonce au Comte de Grignan la mort de M. de
        Turenne.</p>
       <quote>
        <p>« C’est à vous que je m’adresse, mon cher Comte, pour vous écrire une des plus fâcheuses
         pertes qui pût arriver en France ; c’est celle de M. de Turenne, dont je suis assurée que
         vous serez aussi touché et aussi désolé que nous le sommes ici. Cette nouvelle arriva lundi
         à Versailles<note n="a" place="bottom">Voyez ce mot, dans les notes, à la fin de ce
          Volume.</note> : le Roi en a été affligé, comme on doit l’être de la mort du plus grand
         Capitaine et du plus honnête homme du monde : toute la Cour fut en larmes, et M. de
          Condom<note n="1" place="bottom"><hi rend="i">Bossuet</hi>, précepteur du Grand Dauphin.
          Il fut nommé depuis à l’évêché de Meaux.</note> pensa <pb n="351" xml:id="p351"
         />s’évanouir. On était près d’aller se divertir à Fontainebleau<note n="a" place="bottom"
          >Voyez ce mot, dans les notes, à la fin de ce Volume.</note> ; tout a été rompu : jamais
         un homme n’a été regretté si sincèrement ; tout ce quartier où il a logé, et tout Paris, et
         tout le peuple, étaient dans le trouble et dans l’émotion ; chacun parlait et s’attroupait
         pour regretter ce Héros. Je vous envoie une très bonne relation de ce qu’il a fait quelques
         jours avant sa mort : après trois mois d’une conduite toute miraculeuse, et que les gens du
         métier ne se lassent pas d’admirer, vous n’avez plus qu’à y ajouter le dernier jour de sa
         gloire et de sa vie. Il avait le plaisir de voir décamper l’armée des ennemis devant lui ;
         et le 27, qui était samedi, il alla sur une petite hauteur pour observer leur marche : son
         dessein était de donner sur l’arrière-garde, et il mandait au Roi, à midi, que dans cette
         pensée, il avait envoyé dire à Brisach<note n="b" place="bottom">Voyez ce mot, <hi rend="i"
           >ibid.</hi></note> qu’on fît les prières de Quarante heures. Il mande la mort du jeune
         d’Hocquincourt, et qu’il enverra un courrier pour apprendre au Roi la suite de cette
         entreprise : il cachette sa lettre et l’envoie à deux heures. Il va sur cette petite
         colline avec huit ou dix personnes ; on tire de loin à l’aventure un malheureux coup de
         canon qui le coupe par le milieu du corps, et vous <pb n="352" xml:id="p352"/>pouvez penser
         les cris et les pleurs de cette armée : le courrier part à l’instant ; il arriva lundi,
         comme je vous ai dit, de sorte qu’à une heure l’une de l’autre, le Roi eut une lettre de M.
         de Turenne, et la nouvelle de sa mort. »</p>
       </quote>
       <p>Ne prenez jamais un ton de maître dans les lettres de conseils. Vous devez y ménager
        d’amour-propre de celui à qui vous écrivez, soit que vous lui donniez de vous-même ces
        conseils, soit qu’il vous les ait demandés. Ce n’est pas assez qu’ils soient le fruit d’une
        raison saine et d’un sens droit : il faut encore les faire goûter par la douceur, la
        politesse, et l’expression de la vraie amitié. On va voir un modèle du ton et du style de
        ces sortes de lettres, dans celle-ci de Mademoiselle de Barry, à son frère, Élève de l’École
        Royale Militaire. Je l’ai trouvée dans le <hi rend="i">Mercure de France</hi> du mois de
        Septembre 1758. Elle contient de trop grandes leçons de vertu, pour que je doive craindre de
        la citer tout entière.</p>
       <quote>
        <p>« J’apprends, mon cher frère, que vous allez sortir de l’École Militaire, pour entrer
         dans la carrière des armes. Vous êtes un des premiers que cette École ait formés ; et comme
         étant parmi ses enfants du nombre de ses aînés, vous allez porter des premiers dans le sein
         de la patrie, les fruits de cette excellente culture.</p>
        <p>« Je n’ai eu jusqu’à ce moment que la douce habitude de vous aimer : mais je vous <pb
          n="353" xml:id="p353"/>avouerai que je mêle à cet amour un vrai respect, quand je me
         représente votre destinée honorable. Vous n’aviez reçu en naissant qu’un nom et de la
         pauvreté. C’était beaucoup que le premier de ces dons : mais la cruelle médiocrité rend cet
         honneur bien pensant ; et qui sait si cette fâcheuse compagne vous aurait permis de vivre,
         et de mourir avec toute la pureté de votre naissance ?</p>
        <p>« Heureusement pour vous et pour vos pareils, dans un de ces moments où Dieu parle au
         cœur des bons Rois, celui qui nous gouverne a jeté les yeux sur la pauvre noblesse de son
         Royaume. Son âme s’est ouverte au mouvement le plus généreux ; il a adopté sur-le-champ une
         foule d’enfants illustres et infortunés. Un Édit plein de grandeur leur imprime sa
         protection royale, et a consolé, par cet appui, les mânes plaintifs de leurs pères.</p>
        <p>« Bénissons, mon cher frère, les circonstances qui ont fait éclore un acte aussi grand,
         dans les premières années de votre vie. Dix ans plus tard, ce bienfait n’eût existé que
         pour vos concitoyens ; mais bénissons surtout ces âmes vraiment héroïques, qui ont embrassé
         et exécuté un projet aussi noble et aussi paternel.</p>
        <p>« Vous voilà donc, grâces à cet établissement, muni des leçons de l’honneur le plus pur,
         et des plus belles lumières. Votre éducation a été une espèce de choix parmi les <pb
          n="354" xml:id="p354"/>autres éducations, et l’État vous a prodigué ses soins les plus
         précieux et les plus chers. En vérité, mon cher frère, je considère avec joie tant
         d’avantages : mais je ne saurais m’empêcher de murmurer un peu contre mon sexe, qui en me
         laissant sentir toutes ces choses comme vous, met entre votre bonheur et le mien une si
         grande différence. Suivez donc vos destins, puisqu’il le faut ; augmentez même, j’y
         consens, ma jalousie. Je ne vous dissimulerai pourtant pas que votre tâche me paraît un peu
         difficile : vos secours passés augmentent vos engagements ; et des succès ordinaires ne
         vous acquitteraient peut-être pas. Si les inspirations du cœur valaient toujours celles de
         la raison, je romprais sans doute le silence, et je risquerais auprès de vous ces conseils,
         que l’amitié me suggère sur votre conduite et vos devoirs.</p>
        <p>« 1°. Mon cher frère, je me figurerais en votre place, qu’en tout état et en tout temps,
         je dois être modeste ; et quoique les bien faits du Roi honorent ses plus grands sujets, je
         m’en tiendrais dans ce sens fort glorieux ; mais j’irais aussi jusqu’à considérer dans ce
         bienfait ma patrie entière, et je ferais en sorte que ma conduite fût l’expression de ma
         reconnaissance.</p>
        <p>« 2°. J’aurais un courage prudent et rassis ; point de tons, point de prétentions. Je
         céderais, dès que je pourrais descendre avec décence. Je voilerais même mes forces ; et <pb
          n="355" xml:id="p355"/>je serais plus touché d’obtenir les suffrages, que de les
         contraindre.</p>
        <p>« 3°. J’aimerais mieux être un homme estimé qu’un homme aimable ; un Officier de nom,
         qu’un joli cavalier ; et je prendrais, si je pouvais, en talents, la part de mérite que les
         Français cherchent trop souvent en agréments et en amabilité.</p>
        <p>« 4°. Je fuirais les passions. Je les crois au moins une trêve à nos devoirs. Cependant,
         comme il serait peu raisonnable d’aller sur ce point jusqu’au précepte, je ferais en sorte
         de n’avoir dans mes goûts que des objets respectables : c’est le seul moyen de restituer
         par un côté ce que l’amour fait toujours perdre de l’autre à l’exacte vertu.</p>
        <p>« J’allais mettre 5°., mon cher frère ; mais la crainte de faire un sermon m’arrête ; et
         puis je me persuade qu’il faut de courtes leçons aux grands courages. C’est ainsi que mon
         âme se plaît à parler à la vôtre, et j’entre à merveille, comme vous voyez, dans
         l’éducation que vous avez reçue.</p>
        <p>« Il faut pourtant que j’ajoute à mes avis le pouvoir de l’exemple : je suis assez
         heureuse pour le trouver dans notre sang. De tels exemples sont, comme vous savez, des
         commandements absolus. Je ne sais si c’est cette raison seule qui me détermine à vous les
         transcrire ici ; mais quand j’y mêlerais <pb n="356" xml:id="p356"/>un peu d’orgueil, c’est
         peut-être là toute la gloire de notre sexe ; la vôtre consiste à les imiter.</p>
        <p>« Barry, notre grand oncle, était Gouverneur de Leucate<note n="a" place="bottom">Voyez
          ce mot, dans les notes, à la fin de ce Volume.</note> en Languedoc, sous le règne de
         Henri IV. Les Ligueurs l’ayant fait prisonnier, le conduisirent dans la ville de
          Narbonne<note n="b" place="bottom">Voyez ce mot, <hi rend="i">ibid.</hi></note> qu’ils
         avaient en leur pouvoir : là on le menaça de la mort la plus rigoureuse, s’il ne livrait la
         place ; sa réponse fut qu’il était prêt à mourir. Barry avait une jeune épouse qui s’était
         renfermée dans Leucate. Les Ligueurs la crurent plus facile à vaincre : ils l’avertirent du
         dessein de son mari, et lui promirent sa vie, si elle livrait la ville. La réponse de la
         femme de Barry, fut que l’honneur de son mari lui était encore plus cher que ses jours. La
         grandeur fut égale de part et d’autre ; Barry souffrit la mort ; et sa femme, après avoir
         défendu la place avec succès, alla ensevelir sa douleur et sa jeunesse dans un Couvent de
          Béziers<note n="c" place="bottom">Voyez ce mot, <hi rend="i">ibid.</hi></note> où elle
         mourut.</p>
        <p>« Le fils de ce généreux Barry succéda à son Gouvernement de Leucate en 1637.
          Serbelloni<note n="d" place="bottom">Voyez ce mot, <hi rend="i">ibid.</hi></note>, après
         avoir investi cette <pb n="357" xml:id="p357"/>place, tenta de le corrompre, et lui promit
         des avantages considérables, s’il embrassait le service des Espagnols : l’histoire de son
         père fut la seule réponse que le Général Espagnol en reçut.</p>
        <p>« Voilà, mon cher frère, deux Barry qui n’ont point eu d’École Militaire pour berceau, et
         qui ont été pourtant bien grands l’un et l’autre. Souvenez-vous d’eux, je vous conjure,
         toute votre vie : souvenez-vous-en le jour d’une bataille, et dans toutes les occasions où
         il s’agira de faire bien ; et si ce n’est pas assez, de faire mieux que les autres (car il
         faut porter jusques-là son ambition), dites-vous sans cesse : <hi rend="i">Je suis devant
          les yeux de mes ancêtres, ils me voient</hi> ; et ne soyez pas après cela digne d’eux si
         vous le pouvez : ma main tremble en vous écrivant ceci ; mais c’est moins de crainte que de
         courage.</p>
        <p>« Entrez donc, mon cher frère, de l’École dans la carrière militaire. Portez les armes
         que vos pères ont portées, et que ce soit avec honneur comme eux. Que je vous trouve
         heureux d’avoir tant d’obligations à devenir un sujet distingué, et de devoir au Roi votre
         vie et vos services, au double titre de votre maître et de votre père ! Vous porterez toute
         votre vie sur votre personne les signes glorieux de sa bonté (<hi rend="i">la Croix de
          l’Ordre de Saint-Lazare)</hi> ; mais je suis sûre qu’on les reconnaîtra encore mieux à vos
         actions. Je suis certaine encore que vous ne perdrez jamais le souvenir de ce que vous <pb
          n="358" xml:id="p358"/>devez à ceux qui vous ont dirigé dans l’École que vous quittez, et
         principalement à ce Citoyen vertueux<note n="a" place="bottom">Voyez le mot <hi rend="i"
           >Verney</hi>, dans les notes, à la fin de ce Volume.</note> que ses grandes qualités ont,
         pour ainsi dire, associé à l’œuvre immortelle de ce règne. Je vous aimerai alors de
         tendresse et de fierté ; et tandis que confinée dans un château, je partagerai ma vie entre
         les soins de mon sexe et des amusements littéraires, je vous perdrai de vue dans le chemin
         de la gloire. Vous cueillerez des lauriers et votre sœur disputera aux jeux floraux leurs
         couronnes. Elle s’élèvera peu à peu à un style plus noble ; et si vous devenez jamais un
         grand guerrier, vous lui apprendrez à vous chanter, et vous aurez de sa part un poème. Je
         meurs d’envie d’avoir quelque jour ce talent ; et vous sentez par-là ce que mon ambition
         vous demande. Adieu, mon cher frère, pardonnez à ma jeunesse ces réflexions ; mais
         sachez-en gré à mon amitié. J’ai voulu vous écrire dans l’époque la plus importante de
         votre vie ; et mon cœur a volé pour cela jusqu’à vous : c’est lui qui m’a dicté tout ce que
         cette lettre contient ; il vous aime trop pour avoir pu se tromper. Je suis, etc. »</p>
       </quote>
      </div4>
      <div4 type="section">
       <head type="main">Écrivains épistolaires.</head>
       <p>La lecture des bons Épistolaires est infiniment utile, et peut aider beaucoup à se <pb
         n="359" xml:id="p359"/>faire un style agréable. Mais nous en avons peu de cette espèce. On
        ne parle plus des lettres de <hi rend="i">Balzac</hi> et de <hi rend="i">Voiture</hi>, que
        pour les citer, les premières comme des modèles de style ampoulé, et les autres comme des
        modèles d’affectation. Celles de <hi rend="i">Boursault</hi> sont faites sans goût et
        dépourvues de naturel. Il y a en général trop d’esprit dans les lettres de <hi rend="i"
         >Bussi-Rabutin</hi> ; trop d’apprêt dans le style de celles de Madame <hi rend="i"
         >Lambert</hi> ; et le travail se fait trop sentir dans celles de <hi rend="i"
        >Fléchier</hi>. Il faut donc se borner aux lettres de Madame <hi rend="i">de Sévigné</hi>,
        et à celles de Madame <hi rend="i">de Maintenon</hi>. Mais qui parviendra jamais à imiter la
        vivacité, la délicatesse, l’enjouement, l’aimable négligence, les grâces si naturelles et si
        piquantes du style enchanteur de la première ? Madame <hi rend="i">de Maintenon</hi>
        pourrait plutôt servir de modèle pour la noble simplicité, l’élégance et la précision du
        style.</p>
       <p>Voici le cérémonial observé dans les lettres. Ce détail ne paraîtra pas minutieux,
        puisqu’il est nécessaire : d’ailleurs il ne sera pas long.</p>
      </div4>
      <div4 type="section">
       <head type="main">Cérémonial observé dans les lettres.</head>
       <p>On place indifféremment la date au haut ou au bas d’une lettre. Il y a des personnes qui
        prétendent que la seconde manière est plus conforme aux règles de la politesse ; et je dois
        dire qu’aujourd’hui elle est assez généralement suivie, quoiqu’elle soit peut-être moins
        commode que la première. Mais dans <pb n="360" xml:id="p360"/>les lettres d’affaires et de
        commerce, on la place ordinairement au haut de la lettre.</p>
       <p>Vers le quart de la page, à commencer en haut, on écrit le mot <hi rend="i"
         >Monseigneur</hi>, <hi rend="i">Monsieur</hi>, <hi rend="i">Madame</hi> ou <hi rend="i"
         >Mademoiselle</hi>, selon l’état et le rang de la personne, en ajoutant au mot <hi rend="i"
         >Monsieur</hi> ou <hi rend="i">Madame</hi> le titre d’une terre ou d’une charge distinguée,
        s’ils en ont un. On donne le titre de <hi rend="i">Monseigneur</hi> aux Princes du Sang, aux
        Cardinaux, aux Évêques, au Chancelier, au Garde des sceaux, aux Maréchaux de France, etc. Il
        y a d’autres personnes à qui on le donne, suivant les circonstances : c’est ce qu’on ne peut
        apprendre que par l’usage.</p>
       <p>Il faut laisser entre la qualification de la personne, et le commencement de la lettre, un
        intervalle plus ou moins grand selon le respect qu’on lui doit : c’est ce qu’on appelle <hi
         rend="i">donner la ligne</hi>. On doit laisser aussi au bas de la même page un espace un
        peu considérable, et, au revers, commencer à peu près à la même hauteur, où l’on a placé de
        l’autre côté le mot de <hi rend="i">Madame</hi> ou de <hi rend="i">Monsieur</hi>. Il faut
        donner la ligne aux personnes qui sont au-dessus de nous. On n’en agit pas de même à l’égard
        de ses égaux et de ses amis : mais on place le mot de <hi rend="i">Monsieur</hi> ou de <hi
         rend="i">Madame</hi> le plutôt qu’il se peut.</p>
       <p>Quand on écrit à des personnes de la plus haute distinction, il convient de ne pas
        employer la seconde personne, mais de se servir d’une périphrase. On dira donc : <pb n="361"
         xml:id="p361"/><hi rend="i">la lettre dont votre Altesse, votre Éminence</hi>, etc., (selon
        le titre de la personne) <hi rend="i">m’a honoré</hi>, etc. Tout le monde sait que les rois
        ont le titre de <hi rend="i">majesté</hi>, et leurs fils et petits-fils, celui d’<hi
         rend="i">altesse royale</hi>. Les autres princes du sang ont celui d’<hi rend="i">altesse
         sérénissime</hi>. On dit, <hi rend="i">votre éminence</hi> aux cardinaux, et <hi rend="i"
         >votre altesse éminentissime</hi>, s’ils sont princes ; <hi rend="i">votre excellence</hi>
        aux ambassadeurs, aux grands seigneurs des pays étrangers ; et <hi rend="i">votre
         grandeur</hi> à d’autres personnes que les circonstances de la vie feront connaître.</p>
       <p>La politesse exige que dans le cours d’une lettre, quelque peu étendue qu’elle soit, on
        rappelle le titre de <hi rend="i">Monseigneur</hi> ou le mot de <hi rend="i">Monsieur</hi>
        avec le titre dont il est accompagné, selon qu’on a commencé. Il faut avoir soin de le
        répéter le plutôt qu’on peut, quand on a tourné la page.</p>
       <p>On finit tout uniment une lettre par ces mots qu’on met à l’<hi rend="i">alinéa</hi>, <hi
         rend="i">je suis</hi>, ou <hi rend="i">j’ai l’honneur d’être</hi>, en y joignant
        l’expression de quelque sentiment, selon le rang de la personne à laquelle on écrit. Si l’on
        se sert du mot <hi rend="i">respect</hi>, on doit mettre simplement, <hi rend="i">je
         suis</hi> : mais avec toute autre expression, on met, <hi rend="i">j’ai l’honneur
         d’être</hi>, etc., <hi rend="i">je suis avec un profond respect</hi> − <hi rend="i">j’ai
         l’honneur d’être avec la plus parfaite estime</hi>, <hi rend="i">avec la plus parfaite
         considération</hi>. On répète ensuite le mot de <hi rend="i">Monsieur</hi>, en s’écartant
        de la ligne et un peu au-dessous ; et puis, en s’écartant et <pb n="362" xml:id="p362"
        />descendant toujours vers le coin de la page, on met, <hi rend="i">votre très humble et
         très obéissant serviteur</hi>. C’est à peu près vis-à-vis ces mots qu’il faut écrire la
        date, si on la place au bas de la lettre.</p>
       <p>Ces intervalles doivent être gardés dans les lettres mêmes où l’on n’a pas <hi rend="i"
         >donné la ligne</hi>. Mais dans une lettre à un inférieur, on écrit tout de suite : <hi
         rend="i">je suis avec les sentiments les plus distingués</hi>, ou <hi rend="i">avec
         attachement</hi>, ou <hi rend="i">très parfaitement</hi>, etc. La formule qu’il convient
        d’employer doit être déterminée par les circonstances. Si dans le corps de la lettre on a
        donné quelque titre particulier, il faut le répéter dans la souscription de cette
        manière :</p>
       <quote>
        <p>Je suis, etc.</p>
        <p>      <hi rend="sc">Monseigneur</hi>,</p>
        <p>            De votre Altesse sérénissime</p>
        <p rend="center">ou</p>
        <p>      De votre Éminence</p>
        <p>            Le très humble, etc.</p>
       </quote>
       <p>Il y a des personnes qui prétendent que les nobles ne doivent pas, en signant, ajouter le
         <hi rend="i">de</hi> à leur nom, non plus que leur titre ou de <hi rend="i">Marquis</hi> ou
        de <hi rend="i">Comte</hi>, etc. ; à moins qu’on ne soit plusieurs du même nom, et que ce
        titre ne soit employé comme distinctif. D’autres personnes prétendent le contraire. Je ne
        puis dire quel est sur ce point l’usage le plus généralement suivi. Si néanmoins ceux qui
        signent ordinairement, sans ajouter leur titre à leur nom, écrivent pour la première <pb
         n="363" xml:id="p363"/>fois à des personnes, dont il est à présumer qu’ils ne sont pas
        connus, il conviendra, je crois, qu’ils ajoutent le titre ou de leur terre, ou de leur
        charge, etc.</p>
       <p>Les lettres à un prince du sang ont cette adresse : <hi rend="i">À son altesse sérénissime
         Monseigneur le Prince</hi>, etc. On met pour un cardinal : <hi rend="i">À son Éminence
         Monseigneur le</hi>, etc. ; pour un évêque : <hi rend="i">À Monseigneur l’Évêque de</hi>,
        etc. ; pour le chancelier : <hi rend="i">À Monseigneur le Chancelier</hi> (en supprimant le
        nom) ; pour un ambassadeur : <hi rend="i">À son Excellence</hi>, etc. On sait que les
        lettres à des têtes couronnées n’ont d’autre adresse que celle-ci : <hi rend="i">Au
        Roi</hi>, <hi rend="i">à la Reine</hi>.</p>
       <p>Au-dessus des autres lettres, on exprime le titre, la profession et la demeure des
        personnes. Je remarquerai ici qu’en indiquant la demeure, c’est une faute de dire, par
        exemple, <hi rend="i">demeurant dans la rue du Mail, dans la rue des Noyers</hi>. Ce
        gérondif, ainsi que la préposition et l’article doivent être supprimés : il faut dire
        seulement <hi rend="i">rue du Mail, rue des Noyers</hi>. C’est encore une faute de joindre
        l’article simple et l’article particulé, au-dessus d’une lettre qu’on écrit à un religieux.
        Au lieu de mettre : <hi rend="i">Au Révérend Père</hi>, <hi rend="i">le Révérend Père</hi> ;
        il faut, <hi rend="i">au Révérend Père</hi>, <hi rend="i">Révérend Père</hi>, etc.</p>
       <p>J’avais oublié de dire, que quand on écrit à une personne à qui l’on doit du respect, <pb
         n="364" xml:id="p364"/>la politesse ne souffre pas qu’on la charge de faire des complimens
        à une autre. Si on le fait, c’est toujours avec ce correctif : <hi rend="i">Permettez que
         Madame</hi>, etc. <hi rend="i">Monsieur</hi>, etc. <hi rend="i">trouve ici les assurances
         de mon respect</hi>. La politesse proscrit aussi les apostilles, les <hi rend="i"
         >post-scriptum</hi>. Elles annoncent d’ailleurs qu’on a eu peu d’attention en écrivant.</p>
       <trailer>Fin du Tome premier.</trailer>
      </div4>
     </div3>
    </div2>
   </div1>
   <div1 type="appendix">
    <pb n="365" xml:id="p365"/>
    <head type="main">Notes pour l’intelligence des exemples cités dans ce premier volume.</head>
    <div2 type="section">
     <head>A.</head>
     <p><hi rend="sc">Achab</hi>, roi d’Israël, plus impie et plus déréglé que tous ses
      prédécesseurs. Il s’empara, pour agrandir ses jardins, de la vigne du pauvre et vertueux <hi
       rend="i">Naboth</hi>, qu’il fit mourir, et périt bientôt lui-même dans une bataille contre
       <hi rend="i">Aminadab</hi>, roi de Syrie, l’an 898 avant J.-C. Les chiens léchèrent le sang
      qui coulait de ses blessures.</p>
     <p><hi rend="sc">Achille</hi>, roi de la Phthiotide, province de la Thessalie (aujourd’hui la
       <hi rend="i">Janna</hi> ou <hi rend="i">Jannina</hi>, dans la Turquie d’Europe). Il était
      fils de <hi rend="i">Pélée</hi>, à qui la fable a donné pour épouse <hi rend="i">Thétis</hi>,
      une des déesses de la mer. Elle ajoute que sa mère le plongea dans les eaux du Styx, fleuve
      des enfers, pour le rendre invulnérable, et qu’il le fut eu effet, excepté au talon, par
      lequel elle le tenait. Ce héros si célèbre fut le plus vaillant et le plus fort de tous les
      Grecs, au siège de Troie. Mais s’étant brouillé avec <hi rend="i">Agamemnon</hi>, au sujet
      d’une jeune esclave nommée <hi rend="i">Briséis</hi>, il cessa de combattre ; et pendant tout
      le temps de son inaction, les Grecs n’éprouvèrent que des revers. La mort de son ami <hi
       rend="i">Patrocle</hi>, tué par <hi rend="i">Hector</hi>, lui fit reprendre les armes. Il
      terrassa dans un combat singulier le prince troyen, qu’il traîna trois fois autour des
      murailles de Troie. Peu de temps après, atteint lui-même au talon d’une flèche empoisonnée que
      lui décocha <hi rend="i">Pâris</hi>, frère d’<hi rend="i">Hector</hi>, il mourut de cette
      blessure, l’an 1200 avant J.-C. Les Grecs l’enterrèrent sur le promontoire de Sigée, où ils
      lui élevèrent un <pb n="366" xml:id="p366"/>tombeau. On dit qu’<hi rend="i">Alexandre le
       Grand</hi>, dans le cours de ses conquêtes, passant en Phrygie, l’an 334 avant J.-C., visita
      ce tombeau d’<hi rend="i">Achille</hi>, et porta envie au double honneur de ce héros, d’avoir
      eu un ami si fidèle pendant sa vie, et un chantre tel qu’<hi rend="i">Homère</hi>, après sa
      mort.</p>
     <p><hi rend="sc">Agamemnon</hi>, fils d’<hi rend="i">Atrée</hi> et d’<hi rend="i">Érope</hi>,
      suivant <hi rend="i">Homère</hi>, et roi d’Argos et de Mycènes, dans le Péloponnèse
      (aujourd’hui la <hi rend="i">Morée</hi>, dans la Turquie européenne). Il fut le chef général
      des dix rois de la Grèce, qui assiégèrent la ville de Troie. La flotte ayant été arrêté par
      les vents contraires dans le port d’Aulide, près de l’île Eubée (aujourd’hui <hi rend="i"
       >Nègrepont</hi>), il sacrifia aux Dieux sa fille <hi rend="i">Iphigénie</hi>, qui, suivant
      plusieurs auteurs, ne fut point immolée, ayant été enlevée par <hi rend="i">Diane</hi>. Le
      jour même qu’<hi rend="i">Agamemnon</hi> rentra dans sa patrie, après la prise de Troie, <hi
       rend="i">Clytemnestre</hi>, sa femme, lui fit préparer un grand festin, au milieu duquel il
      fut assassiné par <hi rend="i">Égysthe</hi>, fils de <hi rend="i">Thieste</hi>, frère d’<hi
       rend="i">Atrée</hi>, l’an 1209 avant J.-C. Cette princesse agissait de concert avec le
      meurtrier, qu’elle épousa bientôt après.</p>
     <p><hi rend="sc">Albe</hi>, ancienne ville d’Italie, bâtie par <hi rend="i">Ascagne</hi> ou <hi
       rend="i">Iule</hi>, fils d’<hi rend="i">Énée</hi>, environ 300 ans avant la fondation de
      Rome, et 1054 avant J.-C. Après avoir subsisté pendant près de quatre siècles, elle fut
      détruire par <hi rend="i">Tullus Hostilius</hi>, troisième roi de Rome, qui y transféra les
      habitants, dont les principaux furent incorporés dans le sénat. C’est sur ses ruines qu’a été
      bâtie la ville épiscopale d’<hi rend="i">Albano</hi>, à quatorze milles de Rome ; entre le lac
       <hi rend="i">Castel-Gandolphe</hi> et le <hi rend="i">Monte-Albano</hi> ou <hi rend="i"
       >Monte-Cavo</hi>.</p>
     <p><hi rend="sc">Alger</hi>, ville fameuse par ses pirateries, et capitale du royaume de ce nom
      en Afrique. Elle est située près de la mer, vis-à-vis l’île de Minorque, sur la pente d’une
      montagne, et bâtie en amphithéâtre. On compte dans ses environs <pb n="367" xml:id="p367"
      />dix-huit mille jardins, qui ont été faits par des esclaves. Elle fut bombardée en 1682 et
      1687 par les flottes de <hi rend="i">Louis XIV</hi>. C’était anciennement la ville de Césarée
      en Mauritanie, bâtie et embellie par <hi rend="i">Juba</hi>, roi de cette contrée.</p>
     <p><hi rend="sc">Ambres</hi> (<hi rend="i">le marquis d’</hi>), officier d’un grade distingué.
      Il se signala par sa bravoure, dans le fort de la mêlée, au passage du Rhin.</p>
     <p><hi rend="sc">Amour</hi> (l’) ou <hi rend="sc">Cupidon</hi>, que les poètes font dieu de
      l’amour, et fils de <hi rend="i">Mars</hi> et de <hi rend="i">Vénus</hi>. Ils le représentent
      sous la figure d’un enfant nu, avec un arc et un carquois rempli de flèches ardentes, dont il
      blesse les cœurs. Ils lui mettent aussi presque toujours un bandeau sur les yeux.</p>
     <p><hi rend="sc">Amours</hi> (les). La fable, qui les a personnifiés, les représente sous la
      figure de petits enfants ailés.</p>
     <p><hi rend="sc">Amphitrite</hi>, fille de <hi rend="i">Nérée</hi>, dieu marin, et de sa sœur
       <hi rend="i">Doris</hi>. <hi rend="i">Neptune</hi> voulant l’épouser, toute rebelle qu’elle
      était à ses désirs, lui envoya deux dauphins, qui la trouvèrent au pied du mont Atlas (sur la
      côte de l’<hi rend="i">Océan Atlantique</hi>, un peu en-deçà des îles <hi rend="i"
       >Canaries</hi>), et qui la lui amenèrent sur un char en forme de coquille. Cette déesse de la
      mer est représentée ayant la partie supérieure du corps semblable à celle de la femme, et le
      reste semblable à celle d’un poisson.</p>
     <p><hi rend="sc">Angleterre</hi> (<hi rend="i">Henriette Anne d’</hi>), la dernière des enfants
      de <hi rend="i">Charles I</hi>, roi d’Angleterre, et de Henriette-Marie de France. Elle fut
      mariée, en 1661 à Monsieur, frère unique de <hi rend="i">Louis XIV</hi>, et mourut en 1670 à
      l’âge de 26 ans, regrettée de la cour et de la ville.</p>
     <p><hi rend="sc">Antoine</hi> (<hi rend="i">Marc</hi>), Romain d’une illustre origine, né l’an
      86 avant J.-C. Il s’était déjà fait connaître avantageusement, lorsqu’il embrassa le parti de
       <hi rend="i">César</hi>, qu’il vint trouver dans les Gaules, <pb n="368" xml:id="p368"
      />déguisé en esclave ; et c’est alors que le sénat, à l’instigation de <hi rend="i"
       >Cicéron</hi>, le déclara ennemi de la république. Nommé gouverneur de l’Italie dès que <hi
       rend="i">César</hi> s’en fut rendu le maître, il commanda l’aile gauche de son armée à la
      bataille de Pharsale. Le dictateur ayant été assassiné, <hi rend="i">Antoine</hi> harangua le
      peuple, en lui montrant la robe du mort encore teinte de sang, et excita une sédition contre
      ses meurtriers. On lui opposa le jeune <hi rend="i">Octave</hi>, fils adoptif et héritier de
       <hi rend="i">César</hi>. Après quelques combats, ces deux ennemis se réconcilièrent, et
      formèrent avec <hi rend="i">Lépide</hi> ce fameux triumvirat qui fit couler tant de sang, et
      taillèrent en pièces l’armée de la république, commandée par <hi rend="i">Brutus</hi> et <hi
       rend="i">Cassius</hi>. D’après le partage que les Triumvirs s’étaient fait de l’empire, <hi
       rend="i">Antoine</hi> avait pour lui l’orient. Il s’y livra à la débauche, et conçut la plus
      violente passion pour <hi rend="i">Cléopâtre</hi>, reine d’Égypte. Bientôt il se brouilla avec
       <hi rend="i">Octave</hi>, dont il avait répudié la sœur peu de temps après l’avoir épousée.
      Ces deux rivaux se joignirent dans le golfe d’Ambracie (aujourd’hui <hi rend="i">Larta</hi>),
      près des côtes d’Épire (aujourd’hui la <hi rend="i">Basse-Albanie</hi>, dans la Turquie
      d’Europe), à la hauteur d’Actium (aujourd’hui <hi rend="i">Capo-Figallo</hi>). C’est là que se
      livra, l’an 31 avant J.-C., cette grande bataille navale qui décida de l’empire du monde. <hi
       rend="i">Antoine</hi> vaincu, s’enfuit précipitamment en Égypte, et s’enferma dans
      Alexandrie. Mais craignant de tomber entre les mains de son ennemi, qui vint assiéger cette
      ville, et se croyant d’ailleurs trahi par <hi rend="i">Cléopâtre</hi>, il se donna la mort,
      l’an 30 avant J.-C.</p>
     <p><hi rend="sc">Apollon</hi>, fils, selon la fable, de <hi rend="i">Jupiter</hi> et de <hi
       rend="i">Latone</hi>. Il était dans le ciel <hi rend="i">Phœbus</hi>, ou le Soleil, monté sur
      un char resplendissant traîné par quatre chevaux ; et sur la terre <hi rend="i">Apollon</hi>,
      dieu des arts et des sciences, et chef des neuf Muses. Il habitait avec elles les monts
      Parnasse, Hélicon, Pinde, Pierius, et les bords de l’Hippocrène et du Permesse (dans la
      Turquie d’Europe <pb n="369" xml:id="p369"/>d’aujourd’hui), lieux où paissait le cheval Pégase
      qui leur servait de monture. Ce dieu ayant, suivant la fable, tué les Cyclopes qui avaient
      forgé la foudre dont son fils <hi rend="i">Esculape</hi> avait été frappé par <hi rend="i"
       >Jupiter</hi>, fut chassé du ciel et privé des honneurs de la divinité pendant neuf ans. Il
      erra sur la terre avec <hi rend="i">Neptune</hi>, exilé comme lui, pour avoir conspiré contre
       <hi rend="i">Jupiter</hi> ; et ils se virent tous les deux réduits à faire des briques, sous
      les ordres de <hi rend="i">Laomédon</hi> qui élevait les murs de Troie. On représente <hi
       rend="i">Apollon</hi> sous la figure d’un jeune homme sans barbe, avec une lyre, un bouclier,
      un carquois et des flèches, ayant auprès de lui des instruments pour les arts.</p>
     <p><hi rend="sc">Aquilons</hi>. Vents froids et violents qui soufflent du Septentrion. Le
      principal, que les poètes appellent aussi <hi rend="i">Borée</hi>, souffle entre le nord et le
      levant. On le représente avec des brodequins aux pieds et des ailes aux épaules, couvert
      quelquefois d’un manteau.</p>
     <p><hi rend="sc">Asphalite</hi> (<hi rend="i">Lac</hi>), appelé aujourd’hui <hi rend="i">Mer
       Morte</hi>, à dix lieues <hi rend="i">est</hi> de Jérusalem. Il reçoit le Jourdain, et
      plusieurs autres rivières. L’eau en est très chaude et très salée : elle jette sur ses bords
      beaucoup de bitume, que les Arabes ramassent.</p>
     <p><hi rend="sc">Athalie</hi>, fille d’<hi rend="i">Achab</hi> et de <hi rend="i">Jézabel</hi>,
      et femme de <hi rend="i">Joram</hi>, roi de Juda. Après la mort de son mari, la soif de régner
      la porta à faire massacrer tous les enfants de son fils <hi rend="i">Ochosias</hi> qui
      n’existait plus. Le seul <hi rend="i">Joas</hi>, encore à la mamelle, fut dérobé à sa fureur
      par sa tante <hi rend="i">Josabeth</hi>, épouse du grand-prêtre <hi rend="i">Joïada</hi> ou
       <hi rend="i">Joad</hi>, qui, quelques années après, le montra au peuple, et le fit aussitôt
      couronner. <hi rend="i">Athalie</hi> étant accourue au bruit de la cérémonie, fut mise à mort
      par le peuple même et par les soldats, l’an 883 avant J.-C.</p>
     <p><hi rend="sc">Athènes</hi>. Ville célèbre par les grands hommes <pb n="370" xml:id="p370"
      />en tout genre qu’elle a produits, et capitale de l’Attique (aujourd’hui <hi rend="i"
       >Livadie</hi>, dans la Turquie d’Europe). C’est de ce même nom que les Grecs appelaient <hi
       rend="i">Minerve</hi> ; et c’est ce qui a donné lieu à cette fiction des poètes, que la ville
      d’Athènes fut ainsi nommée par cette déesse, qui l’emporta sur <hi rend="i">Neptune</hi>, en
      faisant sortir du sein de la terre un olivier chargé de fruits, après que ce dieu eut fait
      sortir un cheval fougueux. Athènes, située sur le golfe d’Enguia, s’appelle aujourd’hui <hi
       rend="i">Atina</hi> ou <hi rend="i">Sétines</hi> par corruption. Elle conserve très peu de
      vestiges de son ancienne splendeur. On y voit quelques restes de l’ancien temple de <hi
       rend="i">Minerve</hi>, un des plus beaux édifices de l’univers, et d’autres antiquités
      curieuses.</p>
     <p><hi rend="sc">Automne</hi>. Divinité poétique, représentée sous la figure d’un jeune homme
      qui tient d’une main une corbeille de fruits, et qui de l’autre caresse un chien. Mais c’est
      le plus souvent <hi rend="i">Pomone</hi> elle-même, déesse des fruits.</p>
     <p><hi rend="sc">Autriche</hi> (<hi rend="i">Marie - Thérèse d’</hi>), infante d’Espagne, fille
      de <hi rend="i">Philippe IV</hi> et d’Élisabeth de France, sœur de <hi rend="i"
       >Louis XIII</hi>, qui avait épousé Anne d’Autriche, sœur de ce même Philippe. <hi rend="i"
       >Marie-Thérèse</hi> fut mariée à <hi rend="i">Louis XIV</hi> en 1660, et mourut en 1683, âgée
      de 45 ans. Le roi, qui honorait sa vertu, dit en apprenant sa mort : <hi rend="i">Voilà le
       premier chagrin qu’elle m’ait jamais donné.</hi> Il répéta plusieurs fois dans sa douleur :
       <hi rend="i">Je suis veuf de la princesse du plus grand mérite</hi>.</p>
    </div2>
    <div2 type="section">
     <head>B.</head>
     <p><hi rend="sc">Baal</hi>. Une des anciennes divinités du paganisme, et à laquelle on offrit
      en sacrifice des victimes humaines. Les prêtres de ce dieu se faisaient des incisions avec des
      couteaux et des lancettes, jusqu’à ce que le sang coulât. Les Israélites lui dressèrent
      souvent des autels, et l’adorèrent.</p>
     <pb n="371" xml:id="p371"/>
     <p><hi rend="sc">Bacchus</hi>, fils, selon la fable, de <hi rend="i">Jupiter</hi> et de <hi
       rend="i">Sémélé</hi>, fille de <hi rend="i">Cadmus</hi>, qui fonda la ville de Thèbes en
      Béotie (aujourd’hui la <hi rend="i">Livadie</hi> du milieu). Après avoir conquis l’Asie et
      l’Inde, d’où il est surnommé <hi rend="i">le vainqueur du Gange, Bacchus</hi> passa en Égypte,
      où il fut le premier à planter la vigne, et fut adoré comme le dieu du vin. Dans la guerre des
      Géants, il se transforma en lion pour les dévorer, et se montra le plus puissant des dieux
      après <hi rend="i">Jupiter</hi>. On le représente sur un char traîné par des tigres, des lynx
      ou des panthères, et armé d’une espèce de pique ornée de pampre et de lierre, appelée <hi
       rend="i">thyrse</hi>, et dont il s’était servi pour faire couler des fontaines de vin. On lui
      met quelquefois des cornes à la tête, ou pour marquer sa force, ou parce que dans ses voyages
      il s’était couvert de la peau d’un bouc, animal qu’on lui sacrifiait. Assez souvent aussi, on
      le représente sur un tonneau, la tête ceinte d’une branche de lierre, un verre à la main, et
      des cothurnes aux pieds.</p>
     <p><hi rend="sc">Bellone</hi>, sœur du dieu <hi rend="i">Mars</hi>, selon la fable, et déesse,
      comme lui, de la guerre et des combats. On la représente armée d’un casque et d’une cuirasse,
      les cheveux épars, une pique ou une torche à la main, ayant quelquefois un fouet, pour animer
      les troupes au carnage.</p>
     <p><hi rend="sc">Benjamin</hi>. Douzième et dernier fils du patriarche Jacob et de Rachel, né
      l’an 1738 avant J.-C., et chef d’une des douze tribus du peuple de Dieu.</p>
     <p><hi rend="sc">Beringhen</hi> (<hi rend="i">le marquis de</hi>), premier écuyer du roi, et
      colonel du régiment Dauphin. Au passage du Rhin, il se jeta dans le bateau du prince de Condé,
      parce que son cheval ne voulait pas passer. Il reçut, après le passage, un coup de mousquet
      dans la mamelle droite, et plusieurs coups dans ses habits.</p>
     <pb n="372" xml:id="p372"/>
     <p><hi rend="sc">Béziers</hi>, ville du Bas-Languedoc, appelée du temps des Romains <hi
       rend="i">Colonie des Septimances</hi>, c’est-à-dire de la septième légion. Elle est dans une
      charmante situation, sur une colline, au pied de laquelle coule la rivière d’<hi rend="i"
       >Orbe</hi> ou <hi rend="i">Orb</hi>, à deux lieues de la mer.</p>
     <p><hi rend="sc">Bourbon</hi> (<hi rend="i">Charles de</hi>). Il mourut en 1537, laissant trois
      fils, <hi rend="i">Antoine</hi>, roi de Navarre, et père de <hi rend="i">Henri IV ;
       Louis I</hi>, tige de la maison de Condé, et <hi rend="i">Charles</hi>, cardinal, que
      Mayenne, chef des Ligueurs, fit proclamer roi de France, en 1589, sous le nom de <hi rend="i"
       >Charles X</hi>. Ce prélat était alors prisonnier à Fontenai en Poitou, où il mourut l’année
      suivante, âgé de 67 ans.</p>
     <p><hi rend="sc">Brisach</hi>, ville d’Alsace à une demi-lieue du Rhin, bâtie par ordre de
      Louis XIV, et fortifiée par le maréchal de Vauban.</p>
     <p><hi rend="sc">Brutus</hi> (<hi rend="i">Marcus Junius</hi>), né à Rome, et descendant, selon
      quelques-uns, du fameux <hi rend="i">Brutus</hi>, fondateur de la république. Il conspira avec
       <hi rend="i">Caius Cassius</hi>, préteur comme lui, contre <hi rend="i">César</hi>, dont ils
      furent les meurtriers. <hi rend="i">Cassius</hi> s’engagea <hi rend="i">Brutus</hi>, par des
      trames sourdes, dans cette conspiration. Il fit mettre d’abord au bas de la statue de l’ancien
       <hi rend="i">Brutus</hi>, ces paroles : <hi rend="i">Plût aux Dieux que tu vécusses
       encore !</hi> et répandit ensuite ce billet : <hi rend="i">Tu n’es pas le vrai Brutus,
       puisque tu dors.</hi> L’exécution de leur entreprise ne produisit que des effets bien
      funestes. Forcés, très peu de temps après, de sortir de Rome ; poursuivis par <hi rend="i"
       >Antoine</hi> et <hi rend="i">Octave</hi> jusques dans la Macédoine, ils y furent défaits
      près de la ville de Philippes, et se donnèrent eux-mêmes la mort, l’an 42 avant J.-C. La
      république perdit en eux ses derniers défenseurs. Il y en a qui disent que <hi rend="i"
       >Brutus</hi> était né d’un mariage secret de <hi rend="i">César</hi> avec <hi rend="i"
       >Servilie</hi>, sœur de <hi rend="i">Caton</hi> d’Utique. Il en fut du moins toujours traité
      comme un fils chéri qui lui dut sa fortune et sa vie. <hi rend="i">César</hi> combattant <pb
       n="373" xml:id="p373"/>à Pharsale, avait recommandé qu’on épargnât les jours de <hi rend="i"
       >Brutus</hi> ; et lorsqu’en plein sénat, tombant sous les coups de ses assassins, il vit au
      milieu d’eux <hi rend="i">Brutus</hi> armé d’un poignard, <hi rend="i">et toi aussi, mon cher
       Brutus !</hi> s’écria-t-il en expirant. <hi rend="i">Cassius</hi> avait été aussi dans
      l’armée de <hi rend="i">Pompée</hi> à Pharsale ; et <hi rend="i">César</hi> vainqueur avait eu
      la générosité de lui donner la vie.</p>
    </div2>
    <div2 type="section">
     <head>C.</head>
     <p><hi rend="sc">Camille</hi>, amazone, fille de <hi rend="i">Metabus</hi>, et reine des
      Volsques, peuple d’Italie. Exercée dès sa jeunesse à la chasse et au maniement des armes, elle
      devint bientôt célèbre par ses exploits guerriers, et soutint longtemps l’armée de <hi
       rend="i">Turnus</hi> contre <hi rend="i">Énée</hi>, qui voulait s’établir en Italie. Elle fut
      tuée dans cette guerre par un Troyen nommé <hi rend="i">Arruns</hi>.</p>
     <p><hi rend="sc">Carthage</hi>, ville d’Afrique, fondée, l’an 883 avant J.-C., par <hi rend="i"
       >Didon</hi>, venue de Phénicie, qui y fit bâtir la forteresse appelée depuis <hi rend="i"
       >Byrsa</hi>. Elle fut la capitale de la république des Carthaginois, et devint si puissante,
      qu’elle se déclara la rivale de Rome, contre laquelle elle soutint trois guerres, fameuses
      dans l’histoire, sous le nom de <hi rend="i">Puniques</hi>. Dans la première, elle subit la
      loi du vainqueur ; dans la seconde, elle en fut tributaire, et dans la troisième, elle fut
      détruite, l’an 146 avant J.-C. Elle fut rétablie sous Jules César. Mais les Sarrasins ou
      Arabes la rasèrent entièrement, l’an 698 de l’ère chrétienne. On en voit encore quelques
      ruines à trois lieues de Tunis, dans cette partie de l’Afrique qu’on appelle aujourd’hui <hi
       rend="i">Barbarie</hi>.</p>
     <p><hi rend="sc">Cassius</hi>. (Voyez le mot <hi rend="sc">Brutus</hi>.)</p>
     <p><hi rend="sc">Catilina</hi> (<hi rend="i">Lucius</hi>), d’une des plus illustres familles de
      Rome. Né avec de grands talents, mais avec les inclinations les plus perverses, il se laissa
      emporter par l’ambition de changer le <pb n="374" xml:id="p374"/>gouvernement de la
      république, et forma une conjuration, dans laquelle il eut l’adresse de faire entrer des gens
      de tous les états. Le plan de cette conjuration était de tuer les deux consuls, d’égorger tous
      les sénateurs, et de mettre le feu en même temps dans les douze quartiers de Rome. <hi
       rend="i">Cicéron</hi>, alors consul, averti par une femme nommée <hi rend="i">Fulvia</hi>,
      prévint l’effet de cet horrible complot. <hi rend="i">Catilina</hi>, instruit que son projet
      avait été découvert, passa en Étrurie (aujourd’hui <hi rend="i">Toscane</hi>), y rassembla
      quelques légions mal armées, et tenta la fortune d’un combat, où, après avoir fait des
      prodiges de valeur, il se fit tuer, l’an 62 avant J.-C.</p>
     <p><hi rend="sc">Cavais</hi> (<hi rend="i">Louis d’Oger, marquis de</hi>), grand maréchal-des
      logis de la maison du roi. Il donna de grandes preuves de valeur au passage du Rhin.</p>
     <p><hi rend="sc">Centaures</hi>, Monstres, suivant la fable, moitié hommes et moitié chevaux.
      Ce qui a donné lieu à cette fiction, c’est que les premiers hommes qui montèrent à cheval,
      parurent de loin avoir cette forme. Ces hommes habitaient un canton de la Thessalie
      (aujourd’hui la <hi rend="i">Janna</hi> ou <hi rend="i">Jannina</hi>, dans la Turquie
      d’Europe).</p>
     <p><hi rend="sc">Cérès</hi>, fille, selon la fable, de <hi rend="i">Saturne</hi> et de <hi
       rend="i">Cybèle</hi>, et déesse de l’agriculture et des moissons. On la représente la tête
      couronnée d’épis, et une faucille à la main.</p>
     <p><hi rend="sc">César</hi> (nom de). On donne ordinairement ce nom aux douze premiers
      empereurs de Rome. Celui dont il s’agit, est <hi rend="i">Néron</hi>. (Voyez ce mot.)</p>
     <p><hi rend="sc">César</hi> (<hi rend="i">Caius Julius</hi>), né d’une ancienne et très
      illustre famille de Rome, l’an 98 avant J.-C., avec une ambition démesurée, et avec tous les
      talents propres à la satisfaire. Il s’éleva aux <pb n="375" xml:id="p375"/>premières dignités
      de la république par son éloquence et ses exploits militaires, se ligua avec <hi rend="i"
       >Pompée</hi> et <hi rend="i">Crassus</hi> pour donner des lois aux Romains (ligue qu’on
      appelle le premier <hi rend="i">Triumvirat</hi>), et passa dans les Gaules, dont il fit la
      conquête, ainsi que d’une partie de la Germanie et de la Grande-Bretagne, comme il avait fait
      celle de bien d’autres pays. <hi rend="i">Crassus</hi> avait été tué dans un combat contre les
      Parthes ; et <hi rend="i">Pompée</hi>, jaloux des belles actions de <hi rend="i">César</hi>,
      fit rendre au sénat un décret contre lui, et obtint le commandement de l’armée de la
      république. Le vainqueur des Gaules se hâta d’aller combattre son rival, et l’atteignit dans
      la plaine de Pharsale en Macédoine, où il remporta une victoire complète, à laquelle <hi
       rend="i">Pompée</hi> ne survécut pas longtemps. <hi rend="i">César</hi> battit ensuite les
      deux fils de ce même <hi rend="i">Pompée</hi>, et parvint enfin à la souveraine puissance dans
      Rome, sous le titre de dictateur perpétuel. Mais il fut assassiné en plein sénat, l’an 43
      avant J.-C., par une troupe de conjurés, à la tête desquels étaient <hi rend="i">Brutus</hi>
      et <hi rend="i">Cassius</hi>. On dit que les sénateurs voyant bien que <hi rend="i">César</hi>
      n’avait voulu devenir leur maître que pour être leur bienfaiteur, se préparaient à lui déférer
      le titre de roi dans tout l’empire, excepté dans l’Italie. On convient du moins assez
      généralement que les grandes qualités de cet homme si célèbre, le rendaient tel que devait
      être le maître de Rome, si Rome avait dû en avoir un.</p>
     <p><hi rend="sc">Charles I</hi>, roi d’Angleterre. Après un règne de 24 ans, continuellement
      agité par différentes factions, rempli de révoltes, de trahisons et de guerres intestines, ce
      monarque infortuné fut condamné par le parlement à avoir la tête tranchée ; ce qui fut exécuté
      le 9 février 1649, dans la 49<hi rend="sup">e</hi> année de son âge. (Voyez le mot <hi
       rend="sc">Cromwell</hi>.)</p>
     <p><hi rend="sc">Coislin</hi> (<hi rend="i">Armand de Cambout, duc de</hi>). Il fut blessé,
      dans la mêlée, au passage du Rhin, de plusieurs coups de mousquet.</p>
     <pb n="376" xml:id="p376"/>
     <p>I. <hi rend="sc">Condé</hi> (<hi rend="i">Louis de Bourbon, prince de</hi>), qui mérita le
      surnom de <hi rend="i">Grand</hi>. Il naquit à Paris, en 1621, de Henri de Bourbon, prince de
      Condé, et de Charlotte-Marguerite de Montmorenci. Élevé chez les Jésuites à Bourges, où son
      père faisait sa résidence la plus ordinaire, il montra, dès ses études, un génie précoce, et
      devint un héros dans les premières années de sa jeunesse. Vainqueur à Rocroi, à 22 ans, il le
      fut à Fribourg, dans trois combats de suite, à 23 ; à Nortlingue, à 24, et à Lens, à 29. Ces
      quatre victoires sont les plus mémorables de ce prince, qui tint, avec Turenne, le premier
      rang parmi les plus habiles capitaines de l’Europe, dans un siècle où l’art de la guerre fut
      approfondi plus qu’il ne l’avait jamais été. Malheureusement, son caractère fier et impétueux
      lui fit prendre, dans des temps de crise, les armes contre son roi. Mais dès le moment qu’il
      fut rentré dans le devoir, il devint, comme il l’avait été auparavant, un des sujets les plus
      fidèles ; et le roi ne balança pas à lui rendre ses bonnes grâces et toute sa confiance. C’est
      lui qui ouvrit l’avis du passage du Rhin ; entreprise glorieuse, à laquelle il eut la première
      part. Dans toutes les batailles que livra <hi rend="i">Condé</hi>, il fut tout à la fois
      soldat et général. Tourmenté de la goutte, il passa les dernières années de sa vie à
      Chantilli, dans la culture des lettres, et dans la pratique des vertus chrétiennes. Ce prince
      s’étant rendu à Fontainebleau pour voir la duchesse, sa petite-fille, qui avait la petite
      vérole, y mourut, en 1686, âgé de 65 ans.</p>
     <p>II. <hi rend="sc">Condé</hi>(<hi rend="i">Henri Jules de Bourbon, duc d’Enguien, puis prince
       de</hi>), fils du grand Condé. Il se signala à côté de son père au passage du Rhin, et
      ensuite à la bataille de Senef. Il mourut en 1709, âgé de 66 ans.</p>
     <p><hi rend="sc">Cromwell</hi>(<hi rend="i">Olivier</hi>), né en Angleterre, dans la ville de
      Huntington, en 1603. Il prit le parti des armes durant la guerre civile, et servit dans <pb
       n="377" xml:id="p377"/>l’armée du parlement contre le roi <hi rend="i">Charles I</hi>.
      Parvenu d’abord au grade de colonel, et ensuite à celui de lieutenant-général, il tailla en
      pièces l’armée royale au siège d’Oxford ; et après la prise de cette ville, il alla au
      parlement, où il fit prononcer, en 1646, la déposition du roi. L’année suivante, il fut
      proclamé généralissime des armées ; défit en 1648 les royalistes commandés par le duc de
      Buckingham, et entra dans Londres en triomphateur. L’infortuné Charles ayant eu la tête
      tranchée, au mois de février 1649, Cromwell fit abolir la monarchie un mois après, et gouverna
      dès ce moment l’Angleterre en maître absolu sous le titre de <hi rend="i">Protecteur du
       Peuple</hi>. Il finit ses jours, dévoré d’inquiétudes et de soupçons, tourmenté sans cesse
      par la crainte d’être assassiné, couvert d’une large et forte cuirasse, chargé d’armes
      offensives, environné d’une garde nombreuse, ne couchant jamais deux nuits de suite dans la
      même chambre, et mourut d’une fièvre lente en 1658, âgé de 55 ans. Son cadavre, embaumé et
      enseveli avec pompe dans le tombeau des rois, fut exhumé en 1660, traîné sur la claie, pendu
      et enterré au pied du gibet.</p>
     <p><hi rend="sc">Cyclades</hi>. Îles de l’Archipel, au nombre de cinquante-deux, rangées en
      forme de cercle ; forme de laquelle, dit-on, elles tirent leur nom.</p>
     <p><hi rend="sc">Cyclopes</hi>. (Voyez le mot <hi rend="sc">Etna</hi>.)</p>
    </div2>
    <div2 type="section">
     <head>D.</head>
     <p><hi rend="sc">Danube</hi>, un des plus grands fleuves de l’Europe. Il prend sa source dans
      la Forêt Noire en Souabe, cercle d’Allemagne ; traverse la Bavière, l’Autriche, la Hongrie, la
      Servie, la Bulgarie, la Moldavie, et se jette dans la Mer Noire par deux embouchures. Il en
      avait autrefois sept, selon quelques auteurs. Mais elles ont été bouchées par les sables.</p>
     <pb n="378" xml:id="p378"/>
     <p><hi rend="sc">Dauphins</hi> ; sorte de gros poissons de mer, que la fable a personnifiés, et
      qu’elle a mis au rang des dieux subalternes.</p>
     <p><hi rend="sc">David</hi>, roi des Juifs, et l’un des plus grands et des plus vertueux
      monarques qui aient existé. Fils d’<hi rend="i">Isaï</hi> ou <hi rend="i">Jessé</hi>, de la
      tribu de Juda, il naquit à Bethléem, l’an 1085 avant J.-C., et fut sacré roi du peuple Hébreu,
      l’an 1063 avant J.-C., pendant qu’il gardait les troupeaux de son père, par le prophète <hi
       rend="i">Samuel</hi>, qui en avait reçu l’ordre de Dieu même. Si <hi rend="i">David</hi>,
      dans le cours de son règne brillant, eut quelques faiblesses, il fut du moins un parfait
      modèle de pénitence. Il mourut l’an 1515 avant J.-C., laissant 150 psaumes, où il célèbre les
      grandeurs de Dieu par la plus belle et la plus sublime poésie. On a fort bien remarqué que la
      morale de ces psaumes est qu’<quote><hi rend="i">il faut être toujours vrai dans ses paroles ;
        n’user jamais de fraude ; rendre à chacun ce qui lui appartient ; exercer la justice, sans
        avoir égard à la condition des personnes ; protéger la veuve et l’orphelin ; s’acquitter des
        vœux que l’on a faits ; ne point donner d’argent à usure ; ne calomnier personne ; ne faire
        jamais de mal à qui que ce soit, pas même à ses ennemis</hi></quote>.</p>
     <p><hi rend="sc">Délos</hi> (<hi rend="i">Dieu de</hi>). Les poètes appellent ainsi Phœbus ou
      le Soleil, parce qu’il naquit avec Diane, sa sœur, dans l’île de ce nom, et que d’ailleurs, il
      y était adoré dans un temple magnifique. Cette île, autrefois si fameuse, et la plus célèbre
      des Cyclades dans la mer Égée (aujourd’hui l’<hi rend="i">Archipel</hi>), n’est plus qu’un
      écueil abandonné, que les Grecs appellent <hi rend="i">Dili</hi>, et qui sert de retraite aux
      corsaires.</p>
     <p><hi rend="sc">Démétrius</hi> (<hi rend="i">Nicanor</hi>), roi de Syrie, l’an 146 avant J.C ;
      chassé du trône l’année suivante par Antiochus, fils de Balès ; rétabli l’an 131 avant J.-C.,
      et mort deux ans après.</p>
     <pb n="379" xml:id="p379"/>
     <p><hi rend="sc">Diane</hi>, fille, selon la fable, de <hi rend="i">Jupiter</hi> et de <hi
       rend="i">Latone</hi>, et déesse des forêts et de la chasse. Elle était <hi rend="i"
       >Phœbé</hi>, ou la lune dans le ciel ; <hi rend="i">Diane</hi> sur la terre, et <hi rend="i"
       >Hécate</hi> dans les enfers. On lui avait élevé à Éphèse, dans l’Asie mineure (aujourd’hui
       <hi rend="i">Natolie</hi>) un temple qui passait pour une des sept merveilles du monde. Elle
      est représentée tantôt en habit de chasse, les cheveux noués par-derrière, sa robe retroussée
      avec une double ceinture, le carquois sur l’épaule, tenant un arc bandé dont elle décoche une
      flèche, et ayant à ses côtés un chien qui court ; tantôt sur un char traîné par des biches,
      armée d’un arc et d’un carquois rempli de flèches, et ayant sur sa tête un croissant.</p>
     <p><hi rend="sc">Didon</hi>, fille de <hi rend="i">Bélus</hi>, roi de Tyr, dans la Phénicie,
      qui fait aujourd’hui partie de la Sourie, dans la Turquie d’Asie. Elle avait épousé un des plus
      riches Tyriens, nommé <hi rend="i">Sichée</hi>, que <hi rend="i">Pygmalion</hi>, frère de
      cette princesse, égorgea au pied des autels pour s’emparer de ses trésors. Mais <hi rend="i"
       >Didon</hi> ayant eu l’adresse de les enlever, partit secrètement avec ceux qui fuyaient la
      cruauté du tyran, et aborda en Afrique, dans un port situé vis-à-vis un des trois promontoires
      de Sicile. C’est là qu’elle bâtit l’an 882 avant J.-C., la ville de Carthage. Peu de temps
      après, cette princesse craignant d’être forcée à épouser <hi rend="i">Hyarbas</hi>, roi de
      Mauritanie, qui l’aimait passionnément, fit élever un bûcher pour apaiser, disait-elle, les
      mânes de son mari, avant de former ce nouveau lien conjugal ; monta sur ce bûcher et se
      poignarda en présence du peuple, vers l’an 890 avant J.-C. Les amours d’<hi rend="i">Énée</hi>
      et de <hi rend="i">Didon</hi>, si bien décrites dans l’<hi rend="i">Énéide</hi>, sont une pure
      fiction de <hi rend="i">Virgile</hi>.</p>
     <p><hi rend="sc">Diogène</hi>, né d’un banquier à Synope dans la Paphlagonie, province de
      l’Asie mineure (aujourd’hui la <hi rend="i">Natolie</hi>). Il était de la secte cynique, ainsi
      nommée d’un mot grec qui veut <pb n="380" xml:id="p380"/>dire <hi rend="i">chien</hi>, parce
      que ceux qui en étaient, mordaient et déchiraient tout le monde. Ces philosophes se privaient
      d’ailleurs de toutes les commodités de la vie, et avaient pour uniforme un bâton et une
      besace. <hi rend="i">Diogène</hi> y ajouta un tonneau qu’il promenait avec lui, et qui lui
      servait de maison. Il n’en était pourtant pas moins orgueilleux ; car un jour étant entré chez
       <hi rend="i">Platon</hi>, il se mit à deux pieds sur un beau tapis, en disant : <hi rend="i"
       >Je foule aux pieds le faste de Platon</hi>. – <hi rend="i">Oui</hi>, répliqua celui-ci, <hi
       rend="i">mais par un autre faste</hi>. Il mourut vers l’an 320 avant Jésus-Christ, âgé,
      dit-on, de 99 ans.</p>
     <p><hi rend="sc">Discorde</hi> (<hi rend="i">la</hi>), divinité poétique, que la fable dit
      avoir été chassée du ciel par <hi rend="i">Jupiter</hi>, parce qu’elle brouillait
      continuellement les Dieux ensemble. On la représente coiffée de serpents, tenant une torche
      ardente d’une main, une couleuvre et un poignard de l’autre, ayant le teint livide, les yeux
      égarés, la bouche écumante et les mains ensanglantées.</p>
     <p><hi rend="sc">Dryades</hi>, nymphes qui présidaient aux forêts. Les Hamadryades n’avaient
      chacune qu’un arbre sous leur protection.</p>
    </div2>
    <div2 type="section">
     <head>E.</head>
     <p><hi rend="sc">Egypans</hi>. Nom que l’on donne aux satyres. <hi rend="i">Voyez</hi> ce
      mot.</p>
     <p><hi rend="sc">Égypte</hi>. Vaste contrée d’Afrique, située le long de la mer Rouge, qui la
      sépare de l’Asie. Elle est célèbre dans l’antiquité, non seulement par le génie de ses
      habitants, qui furent les premiers à cultiver les sciences, mais encore par ses pyramides
      d’une hauteur prodigieuse, ses obélisques, ses colosses, ses sphinx (figures qui ont le visage
      et le sein d’une femme, et le reste du corps d’un lion), ses statues, ses labyrinthes, et le
      nombre infini de ses temples. Elle est <pb n="381" xml:id="p381"/>aujourd’hui habitée par des
      Maures, des Grecs, des Arabes, des Turcs, qui en sont les souverains, et des Cophtes qui sont
      les naturels du pays. Il ne pleut presque jamais en Égypte ; et son terroir ne doit sa
      fertilité qu’aux débordements du Nil.</p>
     <p><hi rend="sc">Élie</hi>, prophète d’Israël, qui, après avoir opéré un grand nombre de
      miracles, fut enlevé au ciel sur un char de feu, vers l’an 895 avant Jésus-Christ.</p>
     <p><hi rend="sc">Élisée</hi>, disciple d’<hi rend="i">Élie</hi>, et prophète comme lui. Son
      maître ayant été enlevé par un tourbillon de feu, lui laissa son manteau et son esprit
      prophétique. Il mourut vers l’an 830 avant Jésus-Christ.</p>
     <p><hi rend="sc">Élysées</hi> (<hi rend="i">les champs</hi>). Lieu des enfers, selon la fable,
      orné de prairies et de bosquets, qu’arrosait le fleuve Léthé, et où régnait un printemps
      perpétuel. Les poètes y plaçaient, après la mort, les âmes des héros et des gens de bien.</p>
     <p><hi rend="sc">Enguien</hi>. <hi rend="i">Voyez</hi> le mot <hi rend="sc">Condé</hi> II.</p>
     <p><hi rend="sc">Éole</hi>, fils de <hi rend="i">Jupiter</hi> selon la fable et dieu des vents
      qu’il tenait enfermés dans les cavernes et les montagnes d’Éolie, royaume composé de plusieurs
      îles qu’on nommait <hi rend="i">Éoliennes</hi> (aujourd’hui <hi rend="i">Lipari</hi>),
      voisines des côtes de Sicile, vers le nord. On dit que ce qui a donné lieu à cette fiction des
      poètes, c’est qu’il y avait un habile astronome, nommé <hi rend="i">Éole</hi>, qui, par
      l’observation du flux et du reflux de la mer, était parvenu à connaître le cours des vents et
      à prédire les tempêtes.</p>
     <p><hi rend="sc">Érigone</hi>, nymphe que le dieu Pan épousa.</p>
     <p><hi rend="sc">Etna</hi> et <hi rend="sc">Vésuve</hi>, montagnes d’Italie, qui <pb n="382"
       xml:id="p382"/>renferment des volcans. La première est sur la côte orientale de Sicile, et
      l’autre à deux lieues de Naples. Les poètes ont feint que les géants qui voulaient escalader
      le ciel pour détrôner <hi rend="i">Jupiter</hi>, furent ensevelis sous ces montagnes, d’où ils
      ne cessent de vomir des flammes. <hi rend="i">Encelade</hi>, le plus redoutable de tous, fut
      renversé d’un coup de foudre ; et <hi rend="i">Minerve</hi> jeta sur lui le mont <hi rend="i"
       >Etna</hi>. Aussi les poètes disent-ils que les flammes qui sortent du sommet de cette
      montagne, ne sont que les feux de la foudre qu’<hi rend="i">Encelade</hi> vomit. Selon la
      fable aussi, <hi rend="i">Vulcain</hi>, fils de <hi rend="i">Jupiter</hi> et de <hi rend="i"
       >Junon</hi>, et dieu du feu, a ses forges établies dans les cavernes de ces deux montagnes.
      Les Cyclopes, hommes d’une grandeur énorme, et qui n’ont qu’un œil tout rond au milieu du
      front, y fabriquent sous ses ordres les foudres de <hi rend="i">Jupiter</hi>.</p>
     <p>Je remarquerai ici que, suivant <hi rend="i">Macrobe</hi>, les géants étaient une nation
      d’hommes qui niaient l’existence des Dieux ; ce qui a fait dire qu’ils voulaient les chasser
      du ciel.</p>
     <p>Au reste, le mont <hi rend="i">Etna</hi>, dont la forme ressemble à un pain de sucre, offre
      sur sa surface le phénomène de trois régions différentes. Depuis sa base jusqu’au tiers de sa
      hauteur, il est couvert d’oliviers, d’arbres fruitiers et de moissons ; dans le milieu, d’une
      épaisse forêt qui environne toute la montagne, et dans la partie supérieure, d’une si grande
      quantité de neige et de glace, qu’on en fournit toute la Sicile, l’île de Malte, et presque la
      moitié de l’Italie. Cette dernière partie s’étend jusqu’au sommet de la montagne, où est la
      bouche du volcan.</p>
    </div2>
    <div2 type="section">
     <head>F.</head>
     <p><hi rend="sc">Fabricius</hi>, un des plus grands généraux et des hommes les plus vertueux de
      la république Romaine. Il fut trois fois consul, et mérita plusieurs fois les honneurs du
      triomphe. Ce qui le rend non moins célèbre dans l’histoire, c’est sa <pb n="383" xml:id="p383"
      />frugalité, sa générosité, sa franchise, sa droiture, son désintéressement. Il n’avait pour
      tout bien qu’un champ qu’il cultivait de ses mains, et ne se nourrissait que des légumes des
      herbes et des fruits qu’il y recueillait. Il mourut si pauvre, que le sénat fut obligé de
      marier ses filles aux dépens du trésor public. Il vivait l’an 282 avant Jésus-Christ.</p>
     <p><hi rend="sc">Faunes</hi>. C’étaient des demi-Dieux qui habitaient les forêts et les
      campagnes. On les appelait aussi <hi rend="i">Sylvains</hi>.</p>
     <p><hi rend="sc">Fleuri</hi> (<hi rend="i">André-Hercule de</hi>), cardinal, né à Lodève dans
      le Bas-Languedoc, en 1653 ; élevé au siège de Fréjus en 1698 ; nommé, peu de temps avant la
      mort de Louis XIV, précepteur de Louis XV ; fait cardinal en 1726 et bientôt après, placé à la
      tête du ministère. Il répara par sa sagesse, son économie et son caractère pacifique les
      grandes pertes de l’État, que la guerre de la succession et les opérations de la régence
      avaient extrêmement appauvri ; mais on lui reproche avec raison d’avoir négligé la marine et
      le commerce extérieur. Nous devons à ce ministre la Lorraine et le duché de Bar, qui, par le
      traité de 1738, furent réversibles à la France après la mort du roi <hi rend="i"
       >Stanislas</hi>. Le cardinal mourut en 1743, âgé de 90 ans.</p>
     <p><hi rend="sc">Fontainebleau</hi>, bourg de l’Île-de-France dans le Gâtinois. Il y a un
      ancien palais de nos rois, et une forêt d’une étendue immense. C’est le lieu de la naissance
      de <hi rend="i">Henri III</hi> et de <hi rend="i">Louis XIII</hi>. Les premiers livres dont on
      a formé la bibliothèque du roi, ont été placés, sous <hi rend="i">Louis XII</hi>, dans une des
      salles de ce château.</p>
     <p><hi rend="sc">Fontevrault</hi>, petite ville de France en Anjou, à une lieue de la Loire,
      non loin de Saumur, avec une célèbre abbaye de filles, qui est chef d’ordre.</p>
     <pb n="384" xml:id="p384"/>
     <p><hi rend="sc">France</hi> (<hi rend="i">Henriette Marie de</hi>), fille de <hi rend="i"
       >Henri IV</hi> et de Marie <hi rend="i">de Médicis</hi>, et femme de <hi rend="i"
       >Charles I</hi>, roi d’Angleterre. Les troubles de ce royaume et les dangers auxquels elle y
      était exposée, l’obligèrent de venir en France, où elle passa les seize dernières années de sa
      vie. Elle y mourut en 1669, âgée de 60 ans.</p>
     <p><hi rend="sc">François I</hi>, parvenu à la couronne de France en 1515, et le plus vaillant
      prince de son temps. Il joignait à de grands talents de l’esprit, de grandes qualités du cœur.
      Il fut fait prisonnier à la bataille de Pavie, où il combattit comme un lion. La gloire qu’il
      eut de faire fleurir les arts et les sciences, lui mérita le titre de <hi rend="i"
       >restaurateur</hi> des lettres. Il mourut en 1547.</p>
    </div2>
    <div2 type="section">
     <head>G.</head>
     <p><hi rend="sc">Géants</hi>. <hi rend="i">Voyez</hi> le mot <hi rend="sc">Etna</hi>.</p>
     <p><hi rend="sc">Germanicus</hi>, fils de l’estimable <hi rend="i">Drusus</hi> et de la
      vertueuse <hi rend="i">Antonia</hi>, nièce d’<hi rend="i">Auguste</hi>. Digne fils d’un tel
      père et d’une telle mère, il s’acquit beaucoup de gloire par ses exploits militaires, et <hi
       rend="i">gagna</hi> tous les cœurs par les belles qualités de son âme. Il avait même refusé,
      à la mort d’<hi rend="i">Auguste</hi>, l’Empire que les soldats lui offraient. Le cruel <hi
       rend="i">Tibère</hi>, son oncle paternel, jaloux de ses succès, le fit empoisonner l’an 29 de
      Jésus-Christ, à l’âge de 34 ans. Il avait cultivé les belles-lettres au milieu du tumulte des
      armes. De tous les ouvrages qu’il composa, il ne nous reste que quelques épigrammes et une
      traduction en vers latins d’un poème grec d’<hi rend="i">Aratus</hi> sur l’astronomie,
      intitulé <hi rend="i">Les Phénomènes</hi>.</p>
     <p><hi rend="sc">Germanie</hi>, aujourd’hui l’<hi rend="i">Allemagne</hi>, prise, à peu de
      chose près, dans toute son étendue. Les habitants étaient nommés <hi rend="i">Germains</hi>,
      c’est-à-dire, hommes de guerre, suivant plusieurs modernes qui font dériver ce mot de <hi
       rend="i">gerra</hi>, qui, en langue <pb n="385" xml:id="p385"/>celtique, signifie <hi
       rend="i">guerre</hi>, et de <hi rend="i">man</hi> qui signifie <hi rend="i">homme</hi>.
      D’autres prétendent que ce nom de <hi rend="i">Germains</hi> signifiant <hi rend="i"
       >frères</hi>, ne fut d’abord donné qu’à cinq peuples, qui, semblables par la figure, la
      taille, les mœurs et les inclinations, composaient la nation des <hi rend="i">Tongres</hi>,
      habitants du pays situé entre la Meuse et l’Escaut, et que ce nom passa dans la suite à tous
      les peuples de la Germanie.</p>
     <p><hi rend="sc">Grâces</hi>, filles, selon la fable, de <hi rend="i">Jupiter</hi> et de <hi
       rend="i">Vénus</hi>, déesse de la beauté, et dont elles composaient la cour. Elles étaient au
      nombre de trois, qu’on représente se tenant par la main. Elles présidaient, dit le P. <hi
       rend="i">Sanadon</hi>, aux bienfaits et à la reconnaissance : elles donnaient la sagesse et
      l’éloquence, et dispensaient aux hommes la bonne grâce, la gaieté, la facilité des manières,
      et toutes les autres qualités liantes qui font la douceur de la société.</p>
     <p><hi rend="sc">Grammont</hi> (<hi rend="i">le comte de Guiche, fils aîné du maréchal
      de</hi>). Il était lieutenant-général, et tenta le premier le passage du Rhin Chargé de
      reconnaître si le fleuve était guéable, pour qu’on pût aller à l’ennemi posté sur la rive
      opposée, il vint rapporter au roi qu’il avait trouvé un gué, et promit de passer à la tête de
      la cavalerie. Rien n’était cependant moins vrai que ce rapport ; de manière que l’armée fut
      obligée de traverser une grande partie du Rhin à la nage.</p>
    </div2>
    <div2 type="section">
     <head>I.</head>
     <p><hi rend="sc">Ida</hi>, montagne très élevée dans la Troade, contrée de l’Asie mineure
      (aujourd’hui <hi rend="i">Natolie</hi>), et au pied de laquelle était située la ville de
      Troie. Le sommet en était appelé <hi rend="i">gargare</hi>.</p>
     <p><hi rend="sc">Ilion</hi>. <hi rend="i">Voyez</hi> le mot <hi rend="sc">Troie</hi>.</p>
     <p><hi rend="sc">Isaïe</hi>, fils d’<hi rend="i">Amos</hi>, de la famille royale de <pb n="386"
       xml:id="p386"/><hi rend="i">David</hi>, né dans le royaume de Juda, l’an 811 avant
      Jésus-Christ, et le premier des quatre grands prophètes du peuple de Dieu. Il prophétisa sous
      les règnes d’Osias, de Joathan, d’Achaz, d’Ézéchias et de Manassès, et mourut dans un âge très
      avancé. Ses prophéties sont d’une force et d’une élévation admirables. Il y parle si
      clairement de Jésus-Christ et de son église, qu’il a toujours passé, à cet égard, pour un
      évangéliste et un historien, plutôt que pour un prophète.</p>
     <p><hi rend="sc">Israël</hi>. Nom que l’ange du Seigneur donna au patriarche <hi rend="i"
       >Jacob</hi>, et que prirent les dix tribus du peuple de Dieu, qui se séparèrent de celles de
      Juda et de Benjamin, pour former un royaume particulier.</p>
    </div2>
    <div2 type="section">
     <head>J.</head>
     <p><hi rend="sc">Jacob</hi>. Nom que l’on donne souvent au peuple de Dieu, comme étant celui du
      célèbre patriarche, père des chefs des douze tribus qui formaient le corps entier de la
      nation. Ce patriarche, né vers l’an 836 avant Jésus-Christ, mourut l’an 1689.</p>
     <p><hi rend="sc">Jeux</hi>, à peu près les mêmes que les Amours personnifiés. <hi rend="i"
       >Voyez</hi> ce mot.</p>
     <p><hi rend="sc">Jezabel</hi>, femme de l’impie <hi rend="i">Achab</hi>, roi d’Israël, et digne
      d’un tel époux. Elle suscita de faux témoins pour faire condamner <hi rend="i">Naboth</hi>, de
      la vigne duquel <hi rend="i">Achab</hi> s’était emparé. <hi rend="i">Jéhu</hi>, nouveau roi
      d’Israël, la fit jeter du haut d’une fenêtre, l’an 884 avant Jésus-Christ ; et les chiens
      dévorant son corps, ne laissèrent que le crâne, les pieds et les extrémités des mains.</p>
     <p><hi rend="sc">Joas</hi>, fils d’<hi rend="i">Ochosias</hi>, roi de Juda. Il naquit l’an 890
      avant Jésus-Christ, très peu de temps avant la mort de son père. À cette époque, <hi rend="i"
       >Athalie</hi>, sa grand-mère, s’étant saisie du <pb n="387" xml:id="p387"/>gouvernement, fit
      égorger tous les princes de la maison royale ; mais <hi rend="i">Joas</hi> fut sauvé de ce
      massacre par <hi rend="i">Josabet</hi>, sa tante, femme du grand-prêtre <hi rend="i"
       >Joïada</hi> ou <hi rend="i">Joad</hi>. Élevé secrètement dans le temple, il fut reconnu roi
      à l’âge de sept ans, par les soins du grand-prêtre, qui mourut quelques années après, et qui
      en considération de ses services, fut inhumé dans le sépulcre des rois de Juda. À peine ce
      saint homme fut mort, que <hi rend="i">Joas</hi> se laissa séduire par des flatteurs
      corrompus. Aussi souilla-t-il la suite de son règne par le rétablissement du culte de
      l’idolâtrie, et par le meurtre du grand-prêtre <hi rend="i">Zacharie</hi>, fils de ce même <hi
       rend="i">Joad</hi>, son ancien bienfaiteur.</p>
     <p><hi rend="sc">Jonathas</hi>, pontife des Juifs depuis l’an 161 jusqu’à l’an 143 avant
      Jésus-Christ. Cette dignité était à vie, et donnait au grand-prêtre toute la plénitude de
      l’autorité souveraine.</p>
     <p><hi rend="sc">Joseph</hi>, fils du patriarche <hi rend="i">Jacob</hi> et de <hi rend="i"
       >Rachel</hi>, né l’an 1745 avant Jésus-Christ, dans le pays de Canaan, appelé par la suite
       <hi rend="i">Judée</hi>. La prédilection que son père avait pour lui, et sa supériorité sur
      ses frères, qui lui fut annoncée dans un songe, excitèrent la jalousie et la haine de ceux-ci,
      au point qu’un jour qu’il était allé les voir à la campagne, où ils faisaient paître les
      troupeaux, ils résolurent de le tuer. Cependant ils se contentèrent de le jeter dans une
      vieille citerne sans eau, et presque aussitôt ils l’en retirèrent pour le vendre à des
      marchands étrangers, après lui avoir ôté ses habits, qu’ils trempèrent dans le sang d’un
      chevreau, et qu’ils envoyèrent à leur père, en lui faisant dire qu’une bête féroce l’avait
      dévoré. Ces mêmes marchands le revendirent en Égypte, à <hi rend="i">Putiphar</hi>, général
      des armées de <hi rend="i">Pharaon</hi>. Calomnié par la femme de ce seigneur, aux désirs de
      laquelle il n’avait pas voulu se rendre, <hi rend="i">Joseph</hi> fut mis dans les prisons, où
      il expliqua les songes des deux prisonniers illustres qui étaient avec lui. Peu de temps
      après, il en fit de même à l’égard d’un songe effrayant qu’avait eu <hi rend="i">Pharaon</hi>.
      Ce monarque <pb n="388" xml:id="p388"/>admirant la sagesse de <hi rend="i">Joseph</hi>, lui
      confia l’administration de son royaume qu’il gouverna pendant 80 ans. Il y mourut l’an 1636
      avant Jésus-Christ, après avoir fait venir auprès de lui son père et ses frères, à qui le roi
      donna la grande terre de <hi rend="i">Gessen</hi>. Ses cendres furent dans la suite
      transportées au lieu de sa naissance, comme il l’avait lui-même ordonné.</p>
     <p><hi rend="sc">Juda</hi>, fils du patriarche <hi rend="i">Jacob</hi> et de <hi rend="i"
       >Lia</hi>, sœur de <hi rend="i">Rachel</hi>, né l’an 1755 avant J.-C. Lorsque ses frères
      eurent jeté Joseph dans une citerne, à dessein de l’y laisser mourir de faim, il leur
      persuada, pour lui sauver la vie, de le vendre à des marchands madianites, qui allaient en
      Égypte. Celle des douze tribus d’Israël, dont il fut le chef, devint la plus nombreuse et la
      plus puissante de toutes. Il mourut l’an 1636 avant J.-C.</p>
     <p><hi rend="sc">Jupiter</hi>, fils, selon la fable, de <hi rend="i">Saturne</hi> et de <hi
       rend="i">Rhée</hi>, ou <hi rend="i">Cybèle</hi>, qui était fille du Ciel et de la Terre.
      Aussitôt qu’il fut parvenu à l’âge de régner, il détrôna son père, et partagea avec ses
      frères, <hi rend="i">Neptune</hi> et <hi rend="i">Pluton</hi>, l’empire du monde, se réservant
      pour lui le ciel et la terre. C’est alors que les Titans, géants terribles, lui déclarèrent la
      guerre, et entassèrent plusieurs montagnes ; pour escalader le ciel. Mais <hi rend="i"
       >Jupiter</hi> les écrasa tous à coups de foudre sur ces mêmes montagnes. <hi rend="i"
       >Cicéron</hi>, <hi rend="i">Varron</hi>, et plusieurs autres auteurs comptent jusqu’à trois
      cents <hi rend="i">Jupiters</hi> ; ce qui donne lieu de croire qu’on a attribué toutes leurs
      grandes actions à celui-ci, que les païens honoraient comme le Dieu suprême, le père des
      Dieux, et le roi des hommes. On le représente assis sur un trône d’ivoire, tenant la foudre de
      la main droite, et un sceptre de la gauche, foulant aux pieds les géants vaincus, et ayant
      auprès de lui un aigle, oiseau qui lui était consacré.</p>
     <pb n="389" xml:id="p389"/>
    </div2>
    <div2 type="section">
     <head>L.</head>
     <p><hi rend="sc">Lamoignon</hi> (<hi rend="i">Guillaume de</hi>), marquis de <hi rend="i"
       >Basville</hi>, un des plus grands magistrats qu’ait eus la France. Il fut reçu conseiller au
      Parlement à 18 ans ; maître des requêtes à 27, et nommé premier président à 40. Il se
      délassait des travaux de sa place par les charmes de la littérature, et admit particulièrement
      au nombre de ses amis les PP. <hi rend="i">Bourdaloue</hi> et <hi rend="i">Rapin</hi>,
      jésuites, <hi rend="i">Racine</hi> et <hi rend="i">Boileau</hi>. Il mourut en 1677, âgé de 60
      ans.</p>
     <p><hi rend="sc">Lesdiguière</hi> (<hi rend="i">François-Emmanuel de Blanchefort de Bonne de
       Créqui, duc de Lesdiguière, pair de France, comte de Saux</hi>). Il se fit remarquer au
      passage du Rhin par son impétueuse valeur. Quoiqu’il eût été blessé, il ne quitta point son
      rang, sortit le premier de l’eau, et eut la gloire de porter le premier coup.</p>
     <p><hi rend="sc">Leucate</hi>, ancienne petite ville du Bas-Languedoc, remarquable par le siège
      qu’elle soutint, en 1637, contre les Espagnols, que défit le maréchal <hi rend="i">de
       Schomberg</hi>.</p>
     <p><hi rend="sc">Liban</hi>, la plus grande montagne de Syrie (aujourd’hui <hi rend="i"
       >Sourie</hi>, dans la Turquie d’Asie). Elle est couverte de forêts de sapins, de cyprès et de
      cèdres. Les carrières qu’elle renferme, fournirent à Salomon le marbre et les pierres
      nécessaires pour la construction du temple de Jérusalem.</p>
     <p><hi rend="sc">Loire</hi>, fleuve qui partage la France en deux parties presque égales. Il
      prend sa source au mont Gerbier dans le Vivarais ; traverse le Velay, le Forez, le
      Bourbonnais, le Nivernais, l’Orléanais, la Touraine, l’Anjou, la partie méridionale de la
      Bretagne ; et se jette dans l’Océan entre Croisic et Bourgneuf, après avoir baigné <pb n="390"
       xml:id="p390"/>la ville de Roanne, dans le Forez, où elle commence à porter bateau ; celle de
      Nevers, d’Orléans, de Blois, de Tours, de Saumur et de Nantes.</p>
     <p><hi rend="sc">Luther</hi>, moine augustin d’Allemagne, hérésiarque fameux, et le premier
      auteur de la religion protestante. Un caractère violent et fougueux, un amour ardent pour les
      nouveautés, un orgueil excessif, et des mœurs corrompues le précipitèrent dans ces erreurs,
      qui inondèrent de sang l’Allemagne et la France. Il était né à Islèbe, dans le comté de
      Mansfeld, en 1483, et y mourut en 1546.</p>
    </div2>
    <div2 type="section">
     <head>M.</head>
     <p><hi rend="sc">Maintenon</hi> (<hi rend="i">Françoise d’Aubigné, marquise de</hi>), née en
      1635 dans une prison de Niort, où étaient enfermés Constant <hi rend="i">d’Aubigné</hi>, son
      père, et Anne <hi rend="i">de Cardillac</hi>, sa mère, fille du gouverneur du
      Château-Trompette à Bordeaux. Devenue orpheline, elle fut élevée chez une de ses tantes à
      Paris. La dureté avec laquelle elle y fut traitée, l’engagea à accepter la main du vieux poète
       <hi rend="i">Scarron</hi>, qui lui proposait ou de l’épouser, ou de payer sa dot, si elle
      voulait se faire religieuse. Après la mort de son mari, elle obtint avec peine une pension de
       <hi rend="i">Louis XIV</hi> ; devint ensuite gouvernante des enfants de ce monarque et de
      madame <hi rend="i">de Montespan</hi> ; fut quelque temps après, dame d’atours de la dauphine,
      et gagna enfin toute la confiance et toute l’estime de <hi rend="i">Louis XIV</hi>, avec
      lequel elle fut unie par les liens d’un mariage secret, mais revêtu de toutes les formalités
      de l’église. Cette dame, non moins illustre par ses vertus que par son esprit et la
      prééminence de son rang, mourut en 1719, âgée de 84 ans, dans l’abbaye de Saint-Cyr, que <hi
       rend="i">Louis XIV</hi> avait fondée à sa prière, en 1686, pour l’éducation gratuite de trois
      cents jeunes demoiselles nobles.</p>
     <pb n="391" xml:id="p391"/>
     <p><hi rend="sc">Marguerite</hi> (<hi rend="i">île Sainte-</hi>), la plus grande de deux
      petites îles de la mer Méditerranée, sur la côte de Provence, et dont la seconde est appelée
      l’île <hi rend="i">Saint-Honorat</hi>. Dans la première, il y a une bonne citadelle, où l’on
      enferme les prisonniers d’état.</p>
     <p><hi rend="sc">Mars</hi>, fils, selon la fable, de <hi rend="i">Jupiter</hi> et de <hi
       rend="i">Junon</hi>, Dieu de la guerre, et l’arbitre des combats. Les anciens le
      représentaient avec un visage irrité, monté sur un char, et quelquefois à cheval, ayant une
      pique ou un fouet à la main. On l’appelle assez souvent le <hi rend="i">Dieu de la
      Thrace</hi>, parce qu’il faisait son séjour ordinaire dans ce pays, dont les habitants étaient
      très belliqueux.</p>
     <p><hi rend="sc">Mathan</hi>, prêtre de Baal. Il fut tué dans le temple de ce faux dieu, par
      les ordres du grand prêtre <hi rend="i">Joad</hi> vers l’an 880 avant J.-C.</p>
     <p><hi rend="sc">Médicis</hi> (<hi rend="i">Marie de</hi>), femme de <hi rend="i"
      >Henri IV</hi>, et mère de <hi rend="i">Louis XIII</hi>. Elle mourut à Cologne, en 1642,
      réduite aux plus fâcheuses extrémités. Depuis son départ de France, en 1631, elle avait erré
      pendant plusieurs années en Flandres et en Angleterre.</p>
     <p><hi rend="sc">Melpomène</hi>, une des neuf Muses qui préside à la tragédie. On la représente
      sous la figure d’une jeune fille, superbement vêtue, chaussée d’un cothurne, tenant des
      sceptres et des couronnes d’une main, et un poignard de l’autre.</p>
     <p><hi rend="sc">Ménades</hi>, mot qui veut dire <hi rend="i">furieuses</hi>. Les Ménades
      étaient prêtresses de <hi rend="i">Bacchus</hi>, et suivirent ce Dieu à la conquête des Indes,
      faisant partout de grandes acclamations pour publier ses victoires. On les appelait aussi
      Bacchantes. Dans les fêtes qu’on célébrait, et qu’on appelait <hi rend="i">bacchanales</hi> ou
       <hi rend="i">orgies</hi>, elles couraient, vêtues <pb n="392" xml:id="p392"/>de peaux de
      tigres, tout échevelées, tenant des thyrses, des torches et des flambeaux, et poussant des
      hurlements effroyables.</p>
     <p><hi rend="sc">Mer morte</hi>. <hi rend="i">Voyez</hi> <hi rend="sc">Asphaltite</hi> (<hi
       rend="i">lac</hi>).</p>
     <p><hi rend="sc">Milan</hi>, capitale du duché de ce nom, et l’une des plus grandes et des plus
      belles villes de l’Europe. Elle est située entre l’Adda et le Tessin, d’où l’on a tiré deux
      canaux ; ce qui la rend très commerçante. Il y a plusieurs églises de la plus grande beauté.
      La cathédrale surtout passe pour une merveille.</p>
     <p><hi rend="sc">Minerve</hi>, déesse de la sagesse, des sciences et des beaux arts. Les poètes
      ont feint qu’elle était sortie, armée de pied en cap, du cerveau de Jupiter. On l’appelle
      encore <hi rend="i">Pallas</hi>, et on la regarde aussi comme la déesse de la guerre. Elle est
      toujours représentée avec le casque sur la tête, tenant de la main droite une lance, de
      l’autre une égide, et ayant auprès d’elle divers instruments pour les sciences et les arts. Au
      haut de son casque, paraît une chouette, son oiseau favori ; et sur son égide est peinte la
      tête de Méduse, dont les beaux cheveux furent changés en serpents, en punition du sacrilège
      que cette nymphe commit avec Neptune dans un des temples de Minerve.</p>
     <p><hi rend="sc">Minos</hi>, roi de l’île de Crète (aujourd’hui <hi rend="i">Candie</hi>), fils
      de <hi rend="i">Jupiter</hi>, selon la fable, et mari de <hi rend="i">Pasiphaë</hi>, fille du
      Soleil. La sagesse de ses lois, et son équité le firent choisir, après sa mort, par <hi
       rend="i">Pluton</hi>, pour être un des juges des enfers. On lui met dans les mains une urne,
      où sont renfermées les destinées des hommes.</p>
     <p><hi rend="sc">Momus</hi>, fils du Sommeil et de la Nuit, et regardé par les poètes comme le
      Dieu de la raillerie, parce qu’il ne s’occupait qu’à examiner et à critiquer les actions des
      Dieux et des hommes. <pb n="393" xml:id="p393"/>Voilà pourquoi on le représente levant le
      masque de dessus le visage, et tenant une marotte à la main. <hi rend="i">Lucien</hi> fait sur
      ce Dieu une remarque qui mérite d’être rapportée ici. <hi rend="i">Neptune</hi> ayant fait un
      taureau, <hi rend="i">Vulcain</hi> un homme, et <hi rend="i">Minerve</hi> une maison, <hi
       rend="i">Momus</hi> trouva que les cornes du taureau auraient dû être placées plus près des
      yeux ou des épaules, afin qu’il pût donner des coups plus sûrs et plus violents. Quant à
      l’homme, il aurait voulu qu’on lui fît une petite fenêtre au cœur, pour qu’on vit ses pensées
      les plus secrètes. Enfin, il trouva la maison trop massive, pour qu’elle pût être transportée
      dans un autre lieu, lorsqu’on aurait un mauvais voisin. (<hi rend="i">Dialogues des Dieux ou
       des Sectes</hi>.)</p>
     <p><hi rend="sc">Mornai</hi>, seigneur de Duplessis Marly, sincèrement aimé de <hi rend="i"
       >Henri IV</hi>, qui l’envoya à <hi rend="i">Elizabeth</hi>, reine d’Angleterre, auprès de
      laquelle il réussit dans ses négociations. Attaché aux erreurs de Calvin, il les défendit avec
      tant d’opiniâtreté, qu’on l’appelait <hi rend="i">le pape des huguenots</hi> ; et lorsque <hi
       rend="i">Henri IV</hi> abjura cette hérésie, <hi rend="i">Mornai</hi> osa lui en faire de
      très vifs reproches et se retira d’auprès de sa personne. Son livre sur les prétendus <hi
       rend="i">abus de la messe</hi> ayant été censuré par les théologiens catholiques, il ne
      voulut leur répondre que dans une conférence publique, qui se tint à Fontainebleau, en 1600,
      en présence de toute la cour. <hi rend="i">Mornai</hi> y fut confondu par <hi rend="i"
       >Duperron</hi>, évêque d’Évreux, qui fit remarquer, comme il l’avait promis, cinq cents
      fautes dans cet ouvrage. Il mourut en 1623, à 74 ans.</p>
     <p><hi rend="sc">Morphée</hi>, ministre du dieu du Sommeil, et que les poètes grecs, ainsi que
      les latins, prennent souvent pour ce même Dieu. Celui-ci, fils de l’Érèbe et de la Nuit,
      habitait un antre profond, silencieux, impénétrable aux rayons du soleil, environné de pavots
      et d’herbes assoupissantes, et baigné des eaux du fleuve d’Oubli. Le Dieu mollement couché sur
      un lit de duvet, avait les <pb n="394" xml:id="p394"/>Songes à ses côtés et Morphée qui
      veillait sans cesse, pour empêcher qu’on ne fît le moindre bruit. On le représente sur un lit,
      tenant une corne d’une main, et une dent de l’autre. <hi rend="i">Morphée</hi> endormait ceux
      qu’il touchait d’une branche de pavot, et présentait les songes sous diverses figures.</p>
     <p><hi rend="sc">Moyse</hi>, fils d’<hi rend="i">Amram</hi> et de <hi rend="i">Jocabed</hi>, né
      en Égypte l’an 1571 avant Jésus-Christ, prophète et législateur des Juifs, qu’il délivra de
      l’oppression de <hi rend="i">Pharaon</hi>, roi de ce royaume, après avoir fait plusieurs
      miracles en présence de ce monarque, qui les laissa sortir de ses États. C’est à la prière de
      ce saint conducteur du peuple de Dieu, que ce peuple toujours murmurateur, mais toujours
      chéri, fut miraculeusement nourri pendant quatre ans dans le désert (aujourd’hui l’<hi
       rend="i">Arabie pétrée</hi>). <hi rend="i">Moyse</hi> y reçut la loi de la main de Dieu même,
      au milieu des éclairs, sur le mont Sinaï, et mourut âgé de 120 ans, l’an 1451 avant
      Jésus-Christ, sur la montagne de Nébo, du sommet de laquelle Dieu lui fit voir la terre
      promise (aujourd’hui la <hi rend="i">Terre-Sainte</hi>) où il ne devait point entrer.</p>
     <p><hi rend="sc">Munich</hi>, grande et belle ville d’Allemagne, capitale de la Bavière, et la
      résidence ordinaire des Électeurs.</p>
    </div2>
    <div2 type="section">
     <head>N.</head>
     <p><hi rend="sc">Naïades</hi>, nymphes des fleuves et des fontaines.</p>
     <p><hi rend="sc">Nantouillet</hi> (<hi rend="i">le chevalier de</hi>). Après le passage du
      Rhin, il reçut deux coups dans son chapeau.</p>
     <p><hi rend="sc">Narbonne</hi>, ville du Bas-Languedoc, anciennement colonie romaine, et
      capitale de la Gaule Narbonnaise : les Romains l’appelaient même <hi rend="i">la sœur de
       Rome</hi>. Elle est située sur un canal tiré de la rivière d’Aude, à deux lieues de la mer.
      L’archevêque de Narbonne prenait le titre de <hi rend="i">primat</hi>, et présidait aux États
      de la province.</p>
     <pb n="395" xml:id="p395"/>
     <p><hi rend="sc">Neptune</hi>, fils, selon la fable, de <hi rend="i">Saturne</hi> et de <hi
       rend="i">Rhée</hi>, et frère de <hi rend="i">Jupiter</hi> et de <hi rend="i">Pluton</hi>.
      Après que <hi rend="i">Saturne</hi> eut été chassé du ciel, ses trois fils se partagèrent
      l’Empire du monde ; et <hi rend="i">Neptune</hi> eut celui de toutes les mers. Les poètes
      ajoutent que d’un coup de son trident (fourche à trois pointes), il fit sortir le premier
      cheval des entrailles de la terre. C’est pour cela qu’ils lui attribuent le soin des chevaux
      et des chars, et l’art de monter à cheval. On le représente avec un visage de vieillard, un
      trident à la main, et porté sur un char traîné par quatre chevaux marins, ou par des
      dauphins.</p>
     <p><hi rend="sc">Néron</hi>, fils de <hi rend="i">Domitius Œnobarbus</hi> et d’<hi rend="i"
       >Agrippine</hi>, adopté par <hi rend="i">Claude</hi>, empereur romain, dont il fut le
      successeur. Il souilla le trône de tous les crimes, même de crimes jusqu’alors inouïs :
      c’était une bête féroce altérée de sang. Après le règne le plus dur et le plus tyrannique dont
      l’histoire fasse mention, il fut condamné par le sénat au dernier supplice, que le monstre
      prévint en se poignardant, l’an 68 de Jésus-Christ, dans sa trente-deuxième année.</p>
     <p><hi rend="sc">Nil</hi> (<hi rend="i">le</hi>), fleuve qui prend sa source dans l’Abyssinie
      en Afrique. Il arrose, entre autres pays, l’Égypte, et se jette dans la Méditerranée par sept
      embouchures suivant les anciens, mais par cinq seulement suivant les modernes. Il se déborde
      régulièrement tous les ans vers le mois d’août, et laisse dans les terres un limon, qui, en
      les engraissant, les met en état d’être labourées et ensemencées, et leur fait produire la
      plus abondante récolte. Il nourrit une grande quantité de crocodiles, gros poissons qui
      dévorent les hommes et les animaux qu’ils peuvent surprendre. Ce qu’on appelle les <hi
       rend="i">cataractes du Nil</hi>, ce sont de grandes chutes de ce fleuve, c’est-à-dire, les
      endroits où il trouve dans son cours des rochers, à travers lesquels il se précipite avec
      grand bruit ; mais dans le temps de sa crue, ses <pb n="396" xml:id="p396"/>eaux couvrent ces
      rochers, au-dessus desquels elles coulent paisiblement.</p>
     <p><hi rend="sc">Nogent</hi> (<hi rend="i">Armand de Bautru, comte de</hi>), capitaine des
      gardes de la Porte, maître de la garde-robe, et maréchal de camp des armées du roi. Il fut
      tué, après le passage du Rhin, d’un coup de mousquet à la tête.</p>
     <p><hi rend="sc">Nymphes</hi>, filles de <hi rend="i">Nérée</hi>, dieu marin, et de sa sœur <hi
       rend="i">Doris</hi>. Elles étaient révérées chez les païens comme des divinités, et avaient
      séparément pour domaines les mers, les fleuves et les fontaines, les lacs, les forêts les
      arbres, les montagnes, les bocages et les prairies.</p>
    </div2>
    <div2 type="section">
     <head>O.</head>
     <p><hi rend="sc">Orphée</hi>, poète célèbre et excellent musicien, né dans la Thrace
      (aujourd’hui <hi rend="i">Romanie</hi>), et qui vivoit environ 1250 ans avant Jésus-Christ.
      Les poètes anciens ont feint qu’il était fils d’<hi rend="i">Apollon</hi> et de la muse <hi
       rend="i">Calliope</hi>, et que son père lui fit présent d’une lyre dont il jouait si bien,
      qu’il attirait après lui les bêtes féroces, les arbres et les rochers, suspendait le cours des
      fleuves et arrêtait le souffle des vents. La fable dit aussi qu’<hi rend="i">Orphée</hi> ayant
      perdu sa femme <hi rend="i">Euridice</hi>, descendit aux enfers, où, par les accords de sa
      lyre et la douceur de son chant, il fléchit <hi rend="i">Pluton</hi>, qui la lui rendit. Mais
      il eut la douleur de la perdre une seconde fois, n’ayant pas rempli la condition qui lui avait
      été imposée, de ne pas tourner la tête pour la regarder jusqu’à ce qu’il fût arrivé sur la
      terre.</p>
    </div2>
    <div2 type="section">
     <head>P.</head>
     <p><hi rend="sc">Pan</hi>, fils de <hi rend="i">Mercure</hi> suivant la fable, et dieu des
      bergers, des chasseurs et des campagnes, où il était jour et nuit, jouant continuellement de
      la flûte en gardant ses troupeaux. Les poètes <pb n="397" xml:id="p397"/>le confondent souvent
      avec le dieu <hi rend="i">Sylvain</hi> et le dieu <hi rend="i">Faune</hi>. Ils le représentent
      avec un visage enflammé, des cornes sur la tête, ayant sur sa poitrine une peau de chevreuil,
      parsemée d’étoiles, et la partie inférieure du corps semblable à celle d’un bouc.</p>
     <p><hi rend="sc">Paris</hi>, capitale du royaume de France, et située sur les deux rives de la
      Seine qui la traverse. Elle passe pour être la ville la plus belle, la plus riche, la plus
      peuplée, la plus florissante, et l’une des plus grandes de l’Europe.</p>
     <p><hi rend="sc">Pavie</hi>, ville d’Italie, avec une célèbre université, dans le duché de
      Milan. Elle n’a pu se rétablir dans son ancienne splendeur, depuis que le vicomte <hi rend="i"
       >de Lautrec</hi> la saccagea en 1527, deux ans après que <hi rend="i">François I</hi> y avait
      été fait prisonnier.</p>
     <p><hi rend="sc">Pélion</hi>, montagne (aujourd’hui <hi rend="i">Laca</hi>) dans la Thessalie
      qu’on nomme à présent <hi rend="i">Janna</hi> ou <hi rend="i">Jannina</hi>, contrée de la
      Turquie d’Europe.</p>
     <p><hi rend="sc">Philippe</hi>, fils d’<hi rend="i">Amyntas</hi>, et roi de Macédoine
      (aujourd’hui <hi rend="i">Coménolitari</hi> dans la Turquie d’Europe). Grand politique et
      grand guerrier, il assujettit ses voisins, autant par ses négociations et ses richesses, que
      par sa valeur et ses armes ; parvint à l’Empire de toute la Grèce, sous le titre de
      généralissime des Grecs qu’il se fit donner, et prépara ainsi les immenses conquêtes de son
      fils <hi rend="i">Alexandre</hi>. Il mourut assassiné l’an 335 avant Jésus-Christ.</p>
     <p><hi rend="sc">Philipsbourg</hi>, ville d’Allemagne dans l’évêché de Spire, sur la rive
      droite du Rhin. Elle est, par ses fortifications, un des boulevards de l’Empire.</p>
     <p><hi rend="sc">Pignerol</hi>, petite ville d’Italie, où <hi rend="i">Louis XIV</hi> avait
      fait bâtir une citadelle très forte, et qu’il fit démolir lorsqu’il la rendit au duc de
      Savoie, en 1696.</p>
     <pb n="398" xml:id="p398"/>
     <p><hi rend="sc">Pluton</hi>, fils, selon la fable, de <hi rend="i">Saturne</hi> et de <hi
       rend="i">Rhée</hi>, et frère de <hi rend="i">Jupiter</hi> et de <hi rend="i">Neptune</hi>. Le
      royaume des enfers lui échut lorsque ces trois dieux se partagèrent l’Empire du monde. On le
      représente assis sur un trône d’ébène, avec un visage noir et menaçant, une couronne de même
      bois sur la tête, tenant d’une main un sceptre, et de l’autre une clef, qu’on suppose être
      celle des enfers.</p>
     <p><hi rend="sc">Polymnestor</hi>, roi de Thrace (aujourd’hui <hi rend="i">Romanie</hi>),
      durant le siège de Troie. C’était un des hommes les plus avares et les plus cruels.</p>
     <p><hi rend="sc">Pomone</hi>, nymphe du Latium, contrée de l’Italie. Elle était révérée chez
      les Romains comme la déesse des fruits et des jardins. On la représente avec une serpette à la
      main, et une couronne de fruits sur la tête.</p>
     <p><hi rend="sc">Pont</hi> (<hi rend="i">le</hi>), royaume de l’Asie mineure (aujourd’hui <hi
       rend="i">Natolie</hi>) dans la Cappadoce septentrionale (aujourd’hui le gouvernement de <hi
       rend="i">Sivas</hi> dans la Turquie d’Asie).</p>
     <p><hi rend="sc">Priam</hi>, fils de <hi rend="i">Laomédon</hi>, et dernier roi de Troie. Les
      poètes lui donnent cinquante fils ou filles, dont il en eut dix-neuf d’<hi rend="i"
       >Hécube</hi>. Il recula par de grandes conquêtes les frontières de son royaume, et passait
      pour le plus heureux prince de toute l’Asie, lorsque son Empire fut détruit par les Grecs.
      Après avoir vu périr tous ses enfants par le fer de l’ennemi, il fut lui-même égorgé dans son
      palais, l’an 1209 avant Jésus-Christ, par <hi rend="i">Pirrhus</hi>, fils d’<hi rend="i"
       >Achille</hi>, au pied de l’autel de <hi rend="i">Jupiter</hi>, qu’il tenait embrassé. (<hi
       rend="i">Voyez</hi> le mot <hi rend="sc">Hector</hi> dans les notes du second volume.)</p>
     <p><hi rend="sc">Printemps</hi>, divinité poétique représentée, comme le Zéphyre, sous la
      figure d’un jeune homme couronné de fleurs : mais on le confond le plus souvent avec <hi
       rend="i">Flore</hi>, déesse de cette saison.</p>
     <pb n="399" xml:id="p399"/>
     <p><hi rend="sc">Prisonnier inconnu</hi>, sous le règne de <hi rend="i">Louis XIV</hi>. On
      l’appelait <hi rend="i">l’homme au masque de fer</hi> (quoique improprement), parce qu’il
      portait un masque de velours noir, dont la mentonnière avait des ressorts d’acier, qui lui
      laissaient la liberté de manger et de boire. Il n’est pas douteux que ce captif ne fût un
      homme de la plus haute importance ; mais on ne sait, ni l’on ne saura probablement jamais qui
      il était. Il mourut à Paris dans le château de la Bastille en 1703, et fut enterré, sous le
      nom de <hi rend="i">Marchiali</hi>, dans le cimetière de la paroisse de Saint-Paul.</p>
    </div2>
    <div2 type="section">
     <head>R.</head>
     <p><hi rend="sc">Rachel</hi>, fille de <hi rend="i">Laban</hi>, habitant de la Mésopotamie dans
      le pays de Canaan (aujourd’hui la <hi rend="i">Terre-Sainte</hi>), et épouse du patriarche <hi
       rend="i">Jacob</hi>. Elle mourut en accouchant de Benjamin, l’an 1738 avant Jésus-Christ, et
      fut enterrée sur le chemin qui conduit à Ephrata (aujourd’hui <hi rend="i">Bethléem</hi>), où
      Jacob lui érigea un tombeau, qu’on dit être encore subsistant. On voit du moins, dans ce même
      endroit, une espèce de dôme soutenu sur quatre piliers carrés, qui forment autant
      d’arcades.</p>
     <p><hi rend="sc">Revel</hi> (<hi rend="i">le marquis de</hi>), colonel des cuirassiers, et
      frère du comte de <hi rend="i">Broglie</hi>. Il reçut trois coups d’épée dans l’action qui
      suivit le passage du Rhin.</p>
     <p><hi rend="sc">Rhin</hi> (<hi rend="i">le</hi>), un des plus grands fleuves de l’Europe. Il
      prend sa source au pied du mont Saint-Gothard, ou <hi rend="i">Adula</hi>, dans le pays des
      Grisons ; traverse le lac de Constance ; baigne la partie orientale de l’Alsace ; passe dans
      les électorats du Palatinat, de Mayence, de Trèves, de Cologne, dans le duché de Clèves, et
      enfin dans la Gueldre, où il se divise en quatre branches. Ce sont l’<hi rend="i">Yssel</hi>,
      qui tombe dans le vieux Yssel à Doësbourg, et qui va se décharger dans <pb n="400"
       xml:id="p400"/>le Zuiderzée, golfe de la mer du Nord ; le <hi rend="i">Vecht</hi>, qui se
      jette dans le même golfe à Muyden, non loin d’Amsterdam ; le <hi rend="i">Leck</hi>, qui se
      joint à la Meuse, au-dessous de Roterdam ; enfin le <hi rend="i">Rhin</hi> même, qui, après
      avoir baigné la ville de Leyde, se perd dans les sables de l’Océan à Catwich. L’endroit où
      l’armée de <hi rend="i">Louis XIV</hi> passa ce fleuve le 2 juin 1672, est près du village de
      Tolhus, au-dessous du fort de Schench, à deux lieues nord de Clèves.</p>
     <p><hi rend="sc">Richelieu</hi> (<hi rend="i">Armand Duplessis de</hi>), né à Paris en 1585,
      nommé, par dispense d’âge, évêque de Luçon en 1607 ; secrétaire d’état en 1616 ; cardinal en
      1620 ; membre du conseil en 1624, et presque en même temps principal ministre, etc. Durant
      tout le cours de son administration, il eut tout à-la fois à combattre, et les ennemis
      étrangers, et les ennemis domestiques, et ses propres ennemis. Il brava la jalousie, la haine
      et la vengeance de ceux-ci ; et au milieu des intrigues, des cabales de toutes les espèces, il
      conserva toute la force et tout le calme de son âme pour parvenir aux deux grands objets de sa
      politique, la pacification du royaume et l’établissement de la balance de l’Europe. Il pacifia le royaume, en portant, par la prise de la Rochelle, un coup mortel au
      calvinisme, faction de tout temps ennemie de la royauté. Il établit la balance de l’Europe, en
      affaiblissant considérablement la trop redoutable maison d’Autriche. Sous son ministère, la
      France acquit le Roussillon et une partie de la Catalogne. Il mourut en 1642.</p>
     <p><hi rend="sc">Rome</hi>, ville d’Italie, autrefois la plus célèbre de l’univers, et la
      capitale du monde. Elle fut fondée l’an 754 avant Jésus-Christ, sur les bords du Tibre, par
       <hi rend="i">Romulus</hi>, descendant des rois d’Albe. Il en fut le premier roi, en
      partageant néanmoins la souveraine puissance avec un sénat qui lui servait de conseil, et le
      peuple qui autorisait les lois. Du nombre des gardes que prit <pb n="401" xml:id="p401"
      />Romulus, se forma dans la suite l’ordre des chevaliers, qui tenait le milieu entre le peuple
      et le sénat. Rome fut ainsi gouvernée par des rois jusqu’à l’an 244 avant Jésus-Christ, qu’on
      y établit une république, en nommant deux consuls, chefs du sénat et du peuple, et dont
      l’autorité ne devait être qu’annuelle. Cette république, anéantie par <hi rend="i"
       >Jules César</hi>, qui s’en fit nommer dictateur perpétuel, devint un Empire sou Auguste, son
      fils adoptif, qui en fut reconnus le premier empereur l’an 31 avant Jésus-Christ. Rome était
      alors maîtresse du monde entier ; mais ce trop vaste Empire romain fut divisé, l’an 396 de
      l’ère chrétienne, en Empire d’occident, dont Rome fut la capitale, et qui fut détruit par les
      barbares du Nord, l’an 475 ; et en Empire d’orient, qui avait pour capitale Constantinople, et
      qui fut envahi par Mahomet II, sultan des Turcs, l’an 1463. Rome, aujourd’hui capitale du
      monde chrétien, est le siège du souverain pontife, ou chef de l’Église. On y voit une infinité
      de précieux restes de son ancienne splendeur, et bien d’autres monuments, les plus beaux
      qu’offre l’Europe moderne.</p>
    </div2>
    <div2 type="section">
     <head>S.</head>
     <p><hi rend="sc">Salart</hi>, officier d’un grade distingué. Il se battit vigoureusement au
      passage du Rhin.</p>
     <p><hi rend="sc">Salle</hi> (<hi rend="i">le marquis de la</hi>), un des premiers qui passèrent
      le Rhin. Il fut blessé de cinq coups par les cuirassiers mêmes, qui l’ayant rencontré devant
      eux, le croyaient Hollandais.</p>
     <p><hi rend="sc">Sardanapale</hi>, dernier roi des Assyriens, qui passa sa vie dans la
      mollesse, les plaisirs et la débauche. Ses propres sujets se révoltèrent contre lui ; et des
      débris de son empire, qui finit l’an 770 avant Jésus-Christ, se formèrent les royaumes des
      Mèdes, de Ninive et de Babylone.</p>
     <pb n="402" xml:id="p402"/>
     <p><hi rend="sc">Satyres</hi>, espèce de demi-dieux champêtres qui habitaient les forêts et les
      montagnes ; monstres moitié hommes et moitié boucs, avant des cornes sur la tête, de longues
      oreilles pointues, le corps velu, avec les pieds et la queue d’un bouc.</p>
     <p><hi rend="sc">Seine</hi> (<hi rend="i">la</hi>), une des plus grandes rivières de France.
      Elle prend sa source dans un endroit nommé <hi rend="i">le Doui de Seine</hi>, c’est à-dire,
       <hi rend="i">la source de la Seine</hi>, à une lieue et demie du bourg <hi rend="i"
       >Saint-Seine</hi> en Bourgogne ; traverse la Champagne, l’Île-de-France, la Normandie, et se
      jette dans cette partie de l’Océan qu’on appelle <hi rend="i">la Manche</hi>, près du Hâvre de
      Grâce, après avoir baigné les murs de Troyes, de Melun, de Paris et de Rouen.</p>
     <p><hi rend="sc">Serbelloni</hi>, d’une ancienne maison d’Italie, féconde en hommes de
      mérite.</p>
     <p><hi rend="sc">Styx</hi>, un des cinq fleuves des enfers selon la fable, et qui en fait neuf
      fois le tour. Les Dieux eux-mêmes l’avaient si fort en vénération, qu’ils craignaient de jurer
      par ses eaux ; et si quelqu’un d’eux avait violé son serment, il aurait été privé des honneurs
      de la divinité et du nectar pendant cinq ans. Dans la réalité c’était une fontaine de
      l’Arcadie, près de la ville de Nonacris, dans le Péloponnèse (aujourd’hui <hi rend="i"
       >Morée</hi>). Les poètes en ont fait un fleuve des enfers, parce que les eaux en étaient,
      dit-on, mortelles.</p>
     <p><hi rend="sc">Sylvains</hi>, les mêmes demi-dieux champêtres que les faunes (<hi rend="i"
       >Voyez</hi> ce mot).</p>
     <p><hi rend="sc">Syrie</hi>, vaste contrée d’Asie, et que les Orientaux nomment ordinairement
      le <hi rend="i">Sham</hi>. Elle renfermait anciennement la Syrie, la Phénicie et la
      Palestine : c’est aujourd’hui la <hi rend="i">Sourie</hi>, possédée par les Turcs, qui l’ont
      divisée en six gouvernements.</p>
     <pb n="403" xml:id="p403"/>
    </div2>
    <div2 type="section">
     <head>T.</head>
     <p><hi rend="sc">Télémaque</hi>, fils d’Ulysse, roi d’Ithaque, et de la vertueuse Pénélope.
      Accompagné de Minerve, cachée sous la figure de <hi rend="i">Mentor</hi>, son gouverneur, il
      courut les mers pour chercher son père, qui errait en divers pays depuis la prise de Troie.
      Entre autres aventures périlleuses qui arrivèrent au jeune Télémaque, un naufrage le jeta dans
      l’île d’Ogygie, nommée alors <hi rend="i">Calypso</hi>, parce qu’elle était habitée par une
      déesse de ce nom. Il y conçut une violente passion pour une de ses nymphes. Mais soutenu par
      les conseils du sage <hi rend="i">Mentor</hi>, il sauva sa gloire et sa vertu, en s’éloignant
      de ce séjour funeste ; et après bien des voyages qui lui furent très utiles pour son
      instruction, il arriva dans sa patrie, où il eut le bonheur de voir son père. L’île d’Ogygie
      est aujourd’hui suivant quelques géographes, <hi rend="i">Aguse</hi>, près de Trapano, ville
      maritime et cap de Sicile, et, suivant d’autres, l’île de <hi rend="i">Malte</hi>.</p>
     <p><hi rend="sc">Temps</hi> (<hi rend="i">le</hi>), divinité poétique, qu’on représente sous la
      figure d’un vieillard décrépit, ayant des ailes et tenant une faux, pour marquer que le temps
      détruit tout. On le confond souvent avec <hi rend="i">Saturne</hi>, qui, selon la fable, est
      le dieu du temps.</p>
     <p><hi rend="sc">Terpsichore</hi>, muse qui présidait à la musique, mais plus particulièrement à
      la danse. On la représente couronnée de guirlandes, tenant une harpe, et ayant autour d’elle
      des instruments de musique.</p>
     <p><hi rend="sc">Thalie</hi>, muse qui présidait à la comédie, et même à la botanique. Elle est
      représentée couronnée de lierre, tenant un masque à la main, et chaussée avec des
      brodequins.</p>
     <pb n="404" xml:id="p404"/>
     <p><hi rend="sc">Thomas de Cantorbéry</hi> (<hi rend="i">saint</hi>), né à Londres l’an 1117,
      et dont le nom de famille était <hi rend="i">Becquet</hi>. Il mérita, par ses grandes
      connaissances dans les affaires civiles, d’être élevé à la dignité de chancelier d’Angleterre,
      et par ses vertus évangéliques, d’être placé sur le siège archiépiscopal de Cantorbéry. Il se
      brouilla dans la suite avec le roi <hi rend="i">Henri II</hi>, au sujet des privilèges, des
      franchises et des droits de l’église anglicane. Durant ces querelles, qui ne furent pas moins
      longues que vives, ce monarque étant en Normandie dans son château de <hi rend="i">Bure</hi>,
      près de Caen, s’écria un jour dans un excès de colère : <hi rend="i">Est-il possible qu’aucun
       de ceux que j’ai comblés de bienfaits, ne me venge pas d’un prêtre qui trouble mon
       royaume !</hi> Aussitôt quatre de ses gentilshommes passent la mer, et vont assassiner le
      saint archevêque au pied de l’autel, l’an 1170.</p>
     <p><hi rend="sc">Thrace</hi>, contrée d’Europe, qu’aujourd’hui on appelle improprement <hi
       rend="i">Romanie</hi>.</p>
     <p><hi rend="sc">Tibre</hi>, fleuve d’Italie, qui prend sa source dans le mont Apennin et qui,
      après avoir passé près de Pérouse, d’Orviette, et dans Rome, se jette dans la mer à Ostie.</p>
     <p><hi rend="sc">Triptolème</hi>, fils de Celeus, roi d’Éleusis (aujourd’hui <hi rend="i"
       >Liesina</hi>, dans la Dalmatie Vénitienne). Il apprit, selon la fable, de Cérès elle-même
      l’art de cultiver la terre.</p>
     <p><hi rend="sc">Tritons</hi>, Dieux marins. On les représente avec des coquillages, et on leur
      donne un corps d’homme jusqu’à la ceinture : le reste est terminé en queue de poisson.</p>
     <p><hi rend="sc">Troie</hi>, ville autrefois très célèbre et capitale de la Troade dans la
      Phrygie, qui fait aujourd’hui partie de la Natolie propre dans la Turquie d’Asie. Elle était
      située au pied du mont Ida, <pb n="405" xml:id="p405"/>à une lieue de l’Archipel, et du
      détroit de Gallipoli ou des Dardanelles, bâtie environ l’an 1480 avant Jésus-Christ par <hi
       rend="i">Dardanus</hi> et <hi rend="i">Teucer</hi>, son beau-père, qui régnait dans cette
      contrée ; elle fut d’abord appelée suivant quelques-uns, <hi rend="i">Teucrie</hi>, et suivant
      d’autres, <hi rend="i">Dardante</hi>. À <hi rend="i">Dardanus</hi> succéda son fils <hi
       rend="i">Érichton</hi>, et à celui-ci son fils <hi rend="i">Tros</hi>, qui donna à cette
      ville le nom de <hi rend="i">Troie</hi>. Après lui, son fils <hi rend="i">Ilus</hi> voulut
      qu’elle fût appelée <hi rend="i">Ilion</hi>. Il eut pour successeur son fils <hi rend="i"
       >Laomédon</hi>, qui la fit entourer de plus fortes murailles et de tours. Enfin <hi rend="i"
       >Priam</hi>, le dernier roi de Troie, y fit bâtir une forteresse plus élevée que toutes les
      autres, et qu’on appelle <hi rend="i">Pergame</hi>, forteresse que les poètes prennent souvent
      pour Troie même. Cette ville fut réduite en cendres l’an 1209 avant Jésus-Christ, après un
      siège de dix ans, par les princes unis de la Grèce, irrités de ce que <hi rend="i">Pâris</hi>,
      fils de <hi rend="i">Priam</hi>, avait enlevé <hi rend="i">Hélène</hi>, femme de Ménélas, roi
      de Sparte. L’énorme cheval de bois, où ils enfermèrent des troupes, et qui fut introduit dans
      la ville par les Troyens même, est une pure fiction de <hi rend="i">Virgile</hi>.</p>
     <p><hi rend="sc">Turenne</hi> (<hi rend="i">Henri de la Tour, vicomte de</hi>), né à Sedan, en
      1611. L’histoire moderne n’offre point de siècle aussi fécond en grands capitaines que
      celui-là ; et <hi rend="i">Turenne</hi> occupe exclusivement, avec le grand <hi rend="i"
       >Condé</hi>, le premier rang parmi eux. Ses services distingués et les preuves éclatantes
      qu’il donna de son génie supérieur, lui méritèrent à 22 ans, le grade de maréchal de camp ; à
      38, le bâton de maréchal de France, et à 48, le titre de maréchal général des camps et armées
      du roi, titre dont il paraît qu’il a été honoré le premier. De toutes ses campagnes, la
      dernière est regardée par les gens du métier comme son chef-d’œuvre. Il n’y en a point,
      suivant le chevalier <hi rend="i">Folard</hi>, d’aussi belle dans l’antiquité. Opposé au
      célèbre <hi rend="i">Montecuculli</hi>, qui commandait les troupes impériales, <hi rend="i"
       >Turenne</hi> <pb n="406" xml:id="p406"/>avait fait pendant deux mois les manœuvres les plus savantes, et
      s’était mis dans la disposition la plus favorable pour l’attaquer avec avantage. Il voyait
      même décamper l’armée des ennemis, lorsqu’étant monté sur une petite hauteur, pour observer
      leur marche, dans le dessein de tomber sur leur arrière-garde, il fut emporté par un boulet de
      canon, le 27 juillet 1675, près du village de Salsbach, entre Bade et Strasbourg. <hi rend="i"
       >Louis XIV</hi> sensiblement affligé de la perte de ce grand homme, lui fit faire un service
      solennel dans l’église cathédrale de Paris, comme au premier prince du sang, et voulut qu’il
      fût enterré dans le tombeau de nos rois. Ce qui rehausse la gloire de <hi rend="i"
       >Turenne</hi>, c’est qu’à ses grands talents militaires, il joignait toutes les qualités de
      l’homme social, toutes les vertus de l’honnête homme, et celles du vrai chrétien.</p>
     <p><hi rend="sc">Tyr</hi>, ville de Phénicie, une des plus anciennes et des plus florissantes
      de toute l’Asie, et principalement célèbre par la teinture de ses étoffes de pourpre. Elle est
      aujourd’hui toute en ruines, dans le gouvernement de <hi rend="i">Seyde</hi>, Turquie d’Asie,
      et s’appelle <hi rend="i">Sour</hi>.</p>
    </div2>
    <div2 type="section">
     <head>U.</head>
     <p><hi rend="sc">Ulysse</hi>, fils de <hi rend="i">Laërte</hi>, et roi des îles d’Ithaque et de
      Dulichium, dans la mer Égée (aujourd’hui l’<hi rend="i">Archipel</hi>). Ce prince, qui,
      suivant <hi rend="i">Homère</hi>, était d’une patience admirable dans les revers, d’un courage
      héroïque dans les combats, et le plus éloquent, le plus sage, le plus ruse des Grecs, leur
      rendit au siège de Troie les services les plus importants. Déguisé en marchand, il reconnut, à
      la cour du roi <hi rend="i">Lycomède</hi>, le jeune <hi rend="i">Achille</hi>, que la déesse
       <hi rend="i">Thétis</hi>, sa mère, y avait envoyé sous l’habit de femme, et l’amena au camp,
      où il apporta en même temps les flèches d’<hi rend="i">Hercule</hi>. Il s’introduisit ensuite
      dans la ville de Troie, et enleva du temple de <hi rend="i">Minerve</hi> le <pb n="407"
       xml:id="p407"/><hi rend="i">Palladium</hi>, statue de cette déesse. Enfin il tua <hi rend="i"
       >Rhésus</hi>, roi de Thrace, et lui prit ses chevaux avant qu’ils eussent bu de l’eau du
      Xanthe. C’est de toutes ces choses que dépendait la destinée de Troie. Après la prise de cette
      ville, il erra pendant dix ans sur la mer, et dans divers pays, où il courut les plus grands
      dangers. De retour à Ithaque, il extermina tous les courtisans, qui, pendant son absence,
      avaient mis le désordre dans son royaume. Peu de temps après, il laissa ses États à son fils
       <hi rend="i">Télémaque</hi>, et fut tué, dans une émeute, par <hi rend="i">Télégon</hi>,
      qu’il avait eu de la fameuse magicienne <hi rend="i">Circé</hi>, et qui étant venu pour le
      voir, ne le connaissait pas encore. Ithaque est aujourd’hui l’île <hi rend="i">Théaki</hi> ;
      et <hi rend="i">Dulichium</hi> est une des cinq petites îles nommées <hi rend="i"
       >Échinades</hi>.</p>
    </div2>
    <div2 type="section">
     <head>V.</head>
     <p><hi rend="sc">Vauban</hi> (<hi rend="i">Sébastien Leprestre, seigneur de</hi>), né d’une
      ancienne famille noble de Nivernais, en 1633, et le plus grand ingénieur que la France ait
      produit. Il porta la manière de fortifier les places, de les attaquer, et de les défendre, à
      un degré de perfection, auquel personne n’était parvenu avant lui. Il mourut maréchal de
      France, à Paris, en 1707, après avoir travaillé à 300 places anciennes et en avoir construit
      33 nouvelles après s’être trouvé à 140 actions de vigueur, et avoir conduit 53 siéges. C’est
      lui qui a fait le fameux port de Dunkerque, regardé comme son chef-d’œuvre et celui de
      l’art.</p>
     <p><hi rend="sc">Vendôme</hi> (<hi rend="i">Philippe, chevalier de</hi>), grand-prieur de
      France, arrière-petit-fils de <hi rend="i">Henri IV</hi> et de Gabrielle <hi rend="i"
       >d’Estrées</hi>, et frère de ce fameux duc <hi rend="i">de Vendôme</hi> qui, dans la guerre
      de la succession, affermit, par ses victoires, la couronne d’Espagne sur la tête de
      Philippe V, petit fils de <hi rend="i">Louis XIV</hi>. Le chevalier de <hi rend="i"
       >Vendôme</hi> n’avait pas encore dix-sept ans, lorsqu’il se trouva au passage du Rhin. Il
      gagna sur l’ennemi un drapeau et un étendard qu’il apporta au roi.</p>
     <pb n="408" xml:id="p408"/>
     <p><hi rend="sc">Vendôme</hi>(ville), capitale du Vendômois dans la Beauce. Cette ville est
      célèbre par les augustes seigneurs qu’elle a eus, et qui sont montés sur le trône de France en
      la personne de <hi rend="i">Henri IV</hi>.</p>
     <p><hi rend="sc">Verney</hi>, (<hi rend="i">Pâris du</hi>). Il concourut efficacement à
      l’établissement de l’École Royale Militaire à Paris, et aux moyens de le maintenir.</p>
     <p><hi rend="sc">Versailles</hi>, ville célèbre par la résidence ordinaire de nos rois, et
      située dans l’Île-de-France, à quatre lieues de Paris. Il y a un château magnifique, où tout
      est digne de la plus grande admiration. La grande galerie passe pour le plus beau morceau du
      monde en ce genre.</p>
     <p><hi rend="sc">Vésuve</hi>. <hi rend="i">Voyez</hi> le mot <hi rend="sc">Etna</hi>.</p>
     <p><hi rend="sc">Vivonne</hi> (<hi rend="i">Louis-Victor de Rochechouart, duc de Mortemart et
       de</hi>), général des galères de France. Il montra la plus grande intrépidité dans l’action
      au passage du Rhin.</p>
     <p>Z.</p>
     <p><hi rend="sc">Zéphyrs</hi> (<hi rend="i">les</hi>). Les poètes, en personnifiant les vents,
      ont donné ce nom aux vents doux et agréables qui soufflent au printemps. Le principal, qui
      vient du couchant équinoxial est, selon la fable, fils d’<hi rend="i">Éole</hi> et de
      l’Aurore. On le représente sous la figure d’un jeune homme, avec des ailes, couronné de
      fleurs, ayant un air serein.</p>
    </div2>
    <trailer>Fin des Notes du Tome premier.</trailer>
   </div1>
  </body>
 </text>
</TEI>